CHAPITRE XVIII

Il n'était encore que quatre heures de l'après-midi lorsque le trans s'arrêta devant l'hôtel. Dans le hall, un grand type se précipita à la rencontre de Marc qui reconnut Anton Kelker, le producteur indépendant qui voulait lui confier une cargaison de pierres précieuses.

-Monsieur Stone, vous devez m'écouter.

-Avec l'arrivée du croiseur de la Sécurité Galactique, vos problèmes de transport ne tarderont pas à être résolus, ironisa Marc.

L'homme secoua la tête, accablé, les larmes au bord des yeux.

-Il arrive trop tard ! Nous sommes le 30 juillet. Demain, nos traites viennent à échéance, tant à la banque que chez divers fournisseurs. Si nous ne payons pas, nos mines seront saisies et mises en vente.

-Ne pouvez-vous obtenir un délai?

-Tous nos créanciers l'ont refusé! Vous vous doutez de l'identité de l'acheteur. Le prix sera si bas qu'il suffira à peine à éponger nos dettes. Nous savons que vous êtes un homme d'affaires qui dispose de capitaux.

Devant le regard amusé de Marc, il ajouta :

-Kirchner nous a affirmé qu'il tenait le renseignement de la Sécurité Galactique. Nous proposons de vous vendre notre stock de pierres précieuses au tiers de la valeur. Dans quelques jours sur Terre, vous triplez votre mise.

-Je ne puis accepter une telle offre, se récria Marc.

Kelker se méprit sur la réponse. Tandis qu'une larme glissait sur sa joue, il ajouta très vite :

-Six cent mille dols immédiatement pour un chargement qui en veut dix fois plus ! Je ne peux baisser plus, c'est la somme que nous devons !

Une colère froide saisit Marc. Furster avait fort bien choisi la date de son attaque pour ruiner définitivement ses concurrents.

-Indiquez-moi une banque!

-Ici, il n'y en a qu'une, c'est une succursale de la Banque Galactique!

-Excellent, gloussa Marc. Venez, nous allons avoir une discussion avec le directeur!

-Vous acceptez notre proposition? hoqueta Kelker.

-En partie, tout au moins! Si j'ai bien compris, vous n'avez besoin que de six cent mille dols pour quelques jours. Cela ne devrait pas être trop difficile à trouver. Montrez-moi le chemin !

Escortés par Ray, ils longèrent la rue principale jusqu'à une petite construction où une pancarte peinte à la main, affirmait « Banque Galactique ».

Un seul employé fort désoeuvré se tenait derrière le comptoir. À la demande de Marc de voir le directeur, il désigna une porte au fond de la salle mais en précisant :

-M. Klondike ne reçoit que sur rendez-vous. Il est très occupé. Si vous voulez repasser la semaine prochaine...

Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, Marc pénétra dans le bureau directorial. Klondike était petit, ventripotent avec des joues roses et une calvitie débutante. Pour l'heure, son important travail consistait à regarder un film tri-di où un hercule rendait un vigoureux hommage à une très jolie blonde.

Le banquier sursauta au claquement de la porte et éteignit prestement son appareil. Il lança un regard furieux aux intrus.

-Qui vous a permis...

Marc sortit de sa poche une carte plastifiée et la lança sur la table de travail.

-Je veux ouvrir un compte et le créditer de six cent mille dols!

L'importance de la somme fit tressauter Klondike. Il saisit la carte et l'examina.

-Monsieur Stone, nous serons très heureux de vous compter parmi nos clients. Je fais le nécessaire et dans moins d'une semaine, les fonds seront à votre disposition.

-Il n'en est pas question, je veux l'argent ce soir. Cette carte m'en donne le droit!

-Pourquoi une telle hâte?

-J'ai promis de prêter de l'argent à des amis demain matin!

Le regard du banquier se durcit.

-Je ne pense pas pouvoir honorer cette carte. Je dois d'abord demander des instructions à notre siège.

Marc désigna la batterie de vidéophones située derrière le bureau.

-Faites ! Je crois que ces appareils peuvent servir à autre chose qu'à projeter des films pornographiques !

Le visage du banquier s'empourpra de colère.

-Revenez demain !

-Dans ce cas, c'est moi qui demanderai la communication.

Contournant la table, Marc approcha du vidéophone et enfonça une série de touches.

-Je vous interdis... Sortez ou j'appelle la police.

Sa main potelée glissa vers le bouton du signal d'alarme. Ray intervint, saisissant le poignet qu'il serra assez fort pour ôter au banquier l'envie de se débattre.

Pendant ce temps, Marc obtenait la communication.

-Mlle Swenson ! Vite. Je suis sur la liste des prioritaires absolus.

Klondike s'immobilisa en entendant prononcer le nom de la présidente de la banque. Rapidement un visage se dessina sur l'écran. Elsa était une très jolie brune avec des yeux d'un vert extraordinaire. Un sourire étira ses lèvres en voyant son interlocuteur.

-Marc chéri, d'où appelles-tu?

-De Terrania XXV. As-tu quelque influence à la Banque Galactique?

-Celle que peut avoir l'actionnaire majoritaire, président du conseil d'administration.

-Voudrais-tu expliquer au directeur local qu'il est discourtois de me refuser la possibilité de tirer sur ma carte ? Demande-lui également pourquoi il refuse depuis des semaines des crédits à des citoyens qui mettent en gage de très belles pierres précieuses.

Le regard d'Elsa s'assombrit.

-Je vous écoute, monsieur Klondike.

Une voix habituée au commandement, plus sèche qu'un coup de fouet.

-La... la situation ici est très particulière. Si j'avais accordé ces crédits, je risquais de mécontenter M. Furster...

-Qui est-ce?

-Notre plus gros client... Il m'avait ordonné...

-C'est surtout une belle fripouille, intervint Marc. La Sécurité Galactique vient de l'arrêter et il passera le reste de son existence sur un satellite-bagne.

Le visage du banquier se couvrit de sueur.

-J'ignorais...

Elsa l'interrompit d'un geste autoritaire.

-Je n'ai pas le temps d'écouter vos bredouillages. Je veux recevoir dans quarante-huit heures un rapport détaillé de vos opérations bancaires depuis six mois. En attendant que je statue sur votre sort, sachez que le capitaine Stone dispose d'un crédit illimité.

-Mais... mais...

-Je dis bien illimité ! De plus, vous obéirez à tout ce qu'il vous ordonnera. Est-ce ce que tu voulais, Marc?

-Tu es merveilleuse, Elsa.

-Dès ton retour sur Terre, viens me voir. Nous passerons quelques jours sur mon ilôt dans le Pacifique.

-Extraordinaire ! Les jours du voyage vont me sembler bien longs. Encore un détail. Puisque tu diriges aussi la Cosmos Jet Corporation, demande des explications au représentant local. Il a refusé la vente d'un yacht. La seule affaire qu'il aurait pu traiter ici!

L'écran éteint, Marc se tourna vers le banquier écroulé sur son fauteuil. Il semblait nager dans un costume beaucoup trop grand pour lui.

-Vous accorderez aux prospecteurs indépendants les prêts qu'ils demandent aux conditions habituelles du marché.

Comme Klondike hésitait encore, il ajouta :

-N'oubliez pas que vous êtes assis sur un siège éjectable et je n'ai qu'un geste à faire pour lancer le dispositif.

Il ramassa sa carte et la glissa dans sa poche.

-Et pour votre compte? Je donne immédiatement des ordres...

-Ce n'est plus nécessaire. Je repars demain.

Le banquier, soudain très obséquieux, murmura :

-Avec moins d'un million de dols, vous pouvez acquérir un énorme stock de pierres précieuses. Comme vous disposez d'un astronef, vous l'emporteriez immédiatement et vous le revendriez sur Terre avec un bénéfice fabuleux. Je peux me charger de la transaction. Je connais des gens qui seront enchantés de vendre, même à très bas prix!

-Ils m'ont déjà contacté mais cela ne m'intéresse pas ! rétorqua Marc d'une voix coupante. Je n'ai pas pour habitude d'exploiter les malheurs des autres! Contentez-vous de leur fournir le crédit nécessaire pour payer leurs dettes !

Dans la salle de la banque, Kelker se leva, le visage anxieux.

-Vous nous achetez...

-Cela ne sera pas nécessaire ! Klondike a promis de vous offrir les plus larges facilités de crédit !

-Ce matin encore, il nous les a refusées.

-Les choses ont évolué. Croyez-moi, cette fois il sera très conciliant. S'il survenait le moindre obstacle, rappelez-lui que je peux toujours actionner le siège éjectable. Il comprendra. Ainsi, dans quelques semaines vous vendrez votre marchandise à sa juste valeur. Ne perdez pas de temps, Klondike vous attend!

De retour à l'hôtel, Marc gagna le bar.

-J'ai mérité un verre en attendant le dîner.

Il retrouva Oliver contemplant mélancoliquement son verre de jus de fruits.

-Tu n'as pas trouvé Maggie?

Il sursauta et un peu de rouge colora ses joues.

-Nous avons passé une partie de l'après-midi ensemble mais elle est partie se changer car elle travaille ce soir.

-Nous l'inviterons après le dîner. Tu devras lui faire tes adieux car nous repartons demain !

-Mais... mais je croyais... Et Furster...

-Tout est terminé!

En quelques phrases, Marc résuma l'intervention de la Sécurité Galactique. Oliver resta un long moment songeur, les yeux embués de larmes. Il posa la main sur l'avant-bras de son ami.

-Je voudrais te dire, Marc... Merci. Sans toi, je serais mort et les assassins de mes parents...

-La page est tournée ! Je sais que cela ne sera pas facile mais tu dois oublier.

Un sourire courageux étira ses lèvres.

-J'aimerais... enfin si cela ne te dérange pas... j'aimerais t'appeler... oncle Marc.

L'idée attendrit le Terrien. Ce gosse, orphelin, cherchait inconsciemment à retrouver une famille.

-Cela me ferait plaisir!

Le dîner achevé, ils retournèrent au bar. Sur un signe de Marc, Maggie apporta une bouteille de Champagne et s'assit à leur table. Elle était ravissante dans une tunique rouge qui mettait en valeur sa poitrine juvénile.

-En ville, on ne parle que de l'arrestation de Furster. La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre et le gouverneur doit tenir ce soir une conférence de presse.

Un peu plus tard, gêné, hésitant, Oliver murmura :

-Maggie a une cousine qui vit à New York. Elle avait proposé de l'accueillir. Depuis qu'elle travaille, Maggie économisait de l'argent pour payer son voyage. J'ai pensé...

Il s'interrompit, très rouge. Comme s'il n'avait rien remarqué, Marc dit avec calme :

-Pourquoi ne lui proposes-tu pas de venir avec nous. Il y a des cabines inoccupées sur le Mercure...

L'offre fut acceptée avec joie par les deux jeunes gens.

-Soyez prête demain matin à neuf heures.

Soudain, il fronça les sourcils.

Il y a toutefois un inconvénient. Ray et moi sommes souvent dans le poste de pilotage. Il n'y a pas d'androïde de service et vous devrez vous débrouiller seule. De plus, dans un univers confiné, nous serons amenés à nous croiser souvent. J'espère qu'Oliver ne vous importunera pas trop ! Si c'était le cas, n'hésitez pas à vous plaindre!