CHAPITRE XVI
Le malaise de la transition subspatiale se dissipait. Marc se redressa et se frotta les yeux. Il scruta aussitôt l'écran de visibilité extérieure.
-Le colonel Parker semble avoir de gros problèmes, dit Ray avec un calme olympien.
Entre la quatrième et la cinquième planète se déroulait un féroce combat. Deux grands nuages irisés s'effilochant lentement dans l'éther témoignaient de la destruction d'astronefs. Toutefois, le croiseur de la Sécurité Galactique était maintenant en mauvaise posture. Un sanglier forcé par quatre chiens! De nombreux missiles convergeaient vers l’Orion II.
Le colonel Parker manoeuvrait avec habileté, changeant souvent de cap, lâchant à chaque fois un cisée. C'était un leurre perfectionné donnant une image volumique, thermique et magnétique très exacte du croiseur. Les têtes chercheuses des missiles poursuivaient alors le fantôme.
Malheureusement les torpilles étaient nombreuses et décalées dans l'espace, ne se laissaient pas toutes tromper. Par instants, l'écran protecteur s'illuminait sous l'effet d'une explosion. Obligé de maintenir le champ de force à un haut niveau, le bâtiment de la Sécurité Galactique ne pouvait plus riposter.
Marc désigna un astronef pirate sur l'écran.
-Ray, deux salves de quatre torpilles, toutes dirigées sur celui-ci.
L'androïde effleura une série de touches. Le sifflement soyeux du départ des missiles ne tarda pas à se faire entendre. La vitesse du Mercure émergeant du subespace atteignait encore les deux tiers de celle de la lumière. En une poignée de secondes, il arriva dans la zone de combat. Déjà les premiers missiles parvenaient à destination.
L'écran protecteur du pirate s'illuminait sous le choc de missiles. Très bien réglés par Ray, ils explosaient par paire, augmentant de manière notable la dépense d'énergie du pirate.
-Quatre..., six..., compta Marc.
Épuisé par les vagues successives, le générateur disjoncta. Les derniers missiles touchèrent la coque en plasto-titane. Un éclair d'une blancheur insoutenable et l'astronef se transforma en une énorme boule de feu, mini-soleil qui se dilua en un grand nuage.
L'arrivée impromptue d'un vaisseau inconnu désorganisa l'attaque des pirates. Ils durent prendre du champ pour faire face à ce nouvel adversaire.
Le Mercure lança une nouvelle salve, puis vira pour reprendre de la vitesse. Déjà les pirates avaient ouvert le feu et une douzaine de torpilles convergeaient vers le Mercure.
-Un gros morceau, dit Ray. Pour les semer, nous allons devoir épuiser notre stock de cisées.
Les flèches noires, sinistres, étaient réparties en trois rangées. Elles progressaient régulièrement.
-Ces pirates sont bien équipés. Ce sont les derniers modèles sortis, plus rapides que les autres.
Dans l'angle supérieur de l'écran de visibilité extérieure se profilait l'ombre de la cinquième planète, énorme bloc glacé avec une atmosphère dense de méthane et d'ammoniaque.
-Pourrons-nous l'atteindre?
Ray consulta avec vivacité l'ordinateur.
-Cela sera tangent mais nous y arriverons. Resserrez les sangles magnétiques car nous serons secoués.
Très pâle, Oliver ne pouvait détacher son regard de l'image des missiles poursuivants.
-Marc, crois-tu...
-Obéis à Ray!
La planète occupait maintenant la totalité de l'écran.
-Missiles à 40 000 mètres, annonça l'ordinateur. Collision avec la planète dans deux minutes dix-sept secondes...
-Décélération commencée, annonça Ray.
Aussitôt un poids énorme écrasa les Terriens. Les sangles s'incrustèrent douloureusement dans les chairs. Les oreilles bourdonnantes, Oliver perçut :
-Missiles... 20 000... 15 000...
Le Mercure pénétrait dans l'atmosphère de la planète. En raison de la vitesse, la coque s'échauffa terriblement. En dépit du climatiseur fonctionnant à plein régime, la température de l'air devint rapidement étouffante.
-Maintenant!
Oliver crut que ses yeux jaillissaient de leur orbite. Une douleur déchirante, un voile rouge. Il perdit connaissance. Le Mercure venait de changer brutalement de cap. La première vague des missiles poursuivants ne put imiter la manoeuvre et percuta la planète. Les derniers virèrent mais leur extrême vélocité fit qu'ils se consumèrent dans l'atmosphère comme de vulgaires étoiles filantes.
Plus résistant, Marc reprit le premier connaissance.
-Dix..., onze..., douze... Le compte est bon, annonça Ray.
-Prépare une nouvelle salve.
-Inutile de gaspiller nos munitions, Parker se débrouille très bien.
L'étau qui l'enserrait s'étant relâché, l’Orion II avait repris l'offensive. Trois changements rapides de cap l'avaient débarrassé des torpilles qui le menaçaient. Le croiseur avait alors repris son tir, imposant sa puissance de feu. Deux autres bâtiments pirates explosèrent presque simultanément. Le dernier tentait de fuir en direction de Terrania XXV. À voir le nombre de missiles qui le poursuivaient, son existence n'était plus qu'une question de secondes.
Une lampe témoin clignota au-dessus de la vidéo-radio. Le visage sévère de Parker s'imprima sur l'écran. Quelques gouttes de sueur perlaient encore à son front. Marc et Parker avaient effectué ensemble plusieurs missions et ils s'étaient mutuellement sauvé la vie. Toutefois, le colonel ne pouvait se défaire de son côté austère et rigide. Aussi leurs rapports étaient toujours empreints d'une courtoisie glacée.
-Votre arrivée fut la bienvenue, capitaine Stone. Ces bandits avaient réussi à me coincer.
-Vous vous en seriez très bien sorti sans aide. Mon irruption sur leurs arrières vous a seulement fait gagner du temps et économiser quelques cisées.
Parker apprécia la repartie mais secoua la tête. Sans lui laisser le temps de parler, car il savait la conversation enregistrée, Marc demanda :
-Quand êtes-vous arrivé?
-I! y a six heures. Selon les instructions de l'amiral, je me suis dissimulé derrière la cinquième planète. J'avoue que je ne croyais guère à votre hypothèse. Il y a moins d'une heure les six appareils pirates ont émergé du subespace presque simultanément.
-Leur venue groupée était le gage de la réussite. C'est pourquoi ils avaient fait escale sur Mérova.
-Bien tranquilles, ils se sont dirigés vers Terrania XXV. La surprise a été complète lorsque je me suis démasqué et ai lancé les sommations d'usage.
-Mieux aurait valu lancer les missiles avant la sommation.
-Nous sommes tenus au respect des règles, soupira le colonel. Enfin, grâce à vous, tout se termine bien ! Je vais envoyer un message à l'amiral. Il sera enchanté d'apprendre qu'il n'a pas déplacé une unité pour rien. La destruction de six pirates rehaussera le prestige de notre service.
Après un instant de réflexion, Marc lança rapidement :
-Lorsque vous ferez votre communiqué aux journalistes, pourriez-vous éviter de mentionner mon intervention armée ? Il suffirait de dire que l'arrivée d'un astronef civil a détourné l'attention des pirates et vous a permis de parachever votre victoire.
-Pourquoi refuser votre part de gloire?
Marc ébaucha une grimace.
-Je ne suis en mission ni pour le S.S.P.P. ni pour la Sécurité Galactique, officiellement tout du moins. Je voyage à titre personnel sur un yacht privé. Au retour sur Terre, j'aimerais éviter d'avoir à répondre aux questions indiscrètes de la justice ou de la police. C'est un service que je vous demande.
-Si vous le souhaitez, je suis d'accord. Nous nous reverrons sur Terrania XXV. Je dois informer le gouverneur de cette attaque manquée et ordonner une enquête puisque votre hypothèse s'est révélée exacte.
Parker détourna son regard pour consulter une fiche que lui tendait son second.
-Le dernier astronef pirate vient d'être détruit mais il semble qu'un canot de survie ait été éjecté. Nous n'avons pu localiser l'endroit de Terrania XXV où il s'est posé.
-Moi, je crois le savoir! Rendez-vous à l'astroport.
Le Mercure reprit de la vitesse et ne tarda pas à approcher de la planète. Le jeune opérateur de la tour de contrôle ouvrit des yeux ronds en reconnaissant son interlocuteur. À la demande d'autorisation d'atterrir, il bafouilla :
-Je... je ne sais pas! J'ai vu de nombreux échos lointains sur mon écran puis ils ont disparu. Je me demande si mes appareils ne sont pas déréglés. Que dit votre radar?
-Un gros astronef me suit de près. Grouillez-vous de me donner les coordonnées de descente pour que je puisse lui laisser la place.
-Il n'est pas annoncé, gémit l'opérateur, je dois demander des instructions avant de le laisser atterrir.
-A votre place, je m'abstiendrais! C'est un croiseur de la Sécurité Galactique et cet organisme ne badine pas avec les règlements.
Dépassé par la situation, l'opérateur énuméra une série de chiffres.
C'est le même emplacement que la dernière fois. Débrouillez-vous, j'ai un appel du gouverneur !