CHAPITRE VIII
-Avais-tu besoin de l'énerver à ce point? bougonna Ray.
-Je suis curieux de voir sa réaction.
-À tirer les moustaches d'un tigre, on risque de prendre un coup de patte.
Le trans franchit la grille d'entrée sans encombre et gagna la route. Celle-ci serpentait dans une plaine où prairies et bois alternaient. Ils s'engageaient dans l'un d'eux lorsque Ray freina brusquement. Un trans était arrêté en travers de la route. Deux hommes, dissimulés derrière la carrosserie, apparurent, pointant leur fusil-laser.
-Descendez!
Le menton d'Alec Shepard s'ornait d'une splendide ecchymose. Marc et Ray mirent pied à terre.
-Vous avez embrassé une porte?
La boutade de Marc fit briller de colère le regard d'Alec.
-Plaisante puisque tu le peux encore. Ce ne sera pas le cas dans cinq minutes.
L'autre type, solide, au front bas, s'esclaffa. Un rire qui ne laissait aucun doute sur leurs intentions.
-Avez-vous agi ainsi avec Standman? demanda Marc d'un ton neutre.
-Lui, on s'en méfiait. J'ai tiré d'abord et son trans s'est encastré dans un arbre. Je n'ai plus eu qu'à y mettre le feu.
-Pourquoi changer de méthode?
Un sourire rusé étira les grosses lèvres d'Alec.
-On m'a dit que tu te baladais les poches bourrées de plaques de 1 000 dols. Il serait dommage que tout ce fric parte en fumée. Ne t'inquiète pas, je saurai le dépenser! Les filles aiment les types qui ont de l'argent.
Un énorme soupir sortit de la poitrine de Marc.
-Soyez raisonnables. Je suis prêt à acheter ma vie et celle de mon ami.
-Trop tard, ricana Alec. Il ne fallait pas embêter M. Furster. Allez, vide tes poches sinon je te descends immédiatement ! Cela ne me gêne pas de détrousser un cadavre.
-Maintenant, émit mentalement Marc.
D'un geste très naturel, l'androïde leva l'avant-bras gauche. Un éclair mauve jaillit. En une fraction de seconde, Alec, son complice et même le trans disparurent comme happés par un invisible aspirateur. Alec ne pouvait avoir deviné que le bras de Ray dissimulait un désintégrateur !
-Voilà une bonne chose de faite, dit l'androïde.
Telle fut l'oraison funèbre d'Alec Shepard !
En pénétrant dans la villa, Marc vit Oliver qui descendait l'escalier intérieur, le visage très rouge.
-Je... enfin... Maggie était fatiguée et je lui ai proposé de se reposer dans la chambre.
Il s'interrompit devant te visage crispé de Stone.
-Laisse-la dormir. Assieds-toi, j'ai à te parler.
Pendant que Marc résumait sa rencontre avec Shepard, une larme roula sur la joue du gamin.
-Ainsi les craintes de ma mère étaient justifiées. L'exécutant a été puni mais l'instigateur est toujours vivant.
-Je me chargerai de lui le moment venu, tu as ma parole. Pour l'instant, je te demande le secret le plus absolu... même envers Maggie. Maintenant tu peux la rejoindre.
Les jambes allongées, Marc ferma les yeux.
-Je me demande, émit Ray, quelle sera la réaction de Furster quand il apprendra que tu es vivant et que ses sbires sont introuvables!
-Moi, ce qui me tracasse, c'est le mobile du meurtre de Standman. Quel était l'intérêt de Furster et pourquoi a-t-il fait fouiller cette maison.
-Souviens-toi de la lettre de la mère d'Oliver. Tout a commencé après un voyage effectué pour le compte de la Compagnie Furster ! Il est probable qu'il a appris ou découvert quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir.
-Et le crime a été commis juste après qu'il eut accepté un voyage pour Kelker.
-Crois-tu que les deux affaires soient liées ?
-Je n'aime pas les coïncidences ! Ray, que pouvait avoir dissimulé Standman?
-Je n'ai pas de données suffisantes pour répondre. S'il a caché quelque chose, les visiteurs l'auront trouvé! Leur perquisition a été minutieuse et je n'ai rien vu d'anormal en remettant de l'ordre.
Pensif, Marc marcha de long en large, cherchant à se mettre dans la peau de Standman. Dans leur cadre, les portraits de la jolie jeune femme semblaient sourire.
-Ray, nous sommes des imbéciles!
L'exclamation avait jailli, impérieuse, comme une évidence.
Soudain fébrile, Marc décrocha les quatre tableaux du même paysage.
-Regarde, tous les autres sont peints sur une toile de nylon mate, ceux-là sur une plaque translucide. Approche une lumière.
Il examina par transparence les tableaux un par un.
-Je ne remarque rien, dit Ray.
-Les stries noires qui suggèrent l'ombre de l'arbre sont un peu trop écartées.
-Il a peint très vite.
-Elles ne sont pas dans le même sens sur chaque tableau. Si...
Il superposa les quatre dessins. Aussitôt des chiffres et des lettres apparurent: « FZ 7401 57 94. 30 Juil. »
-Une date et les coordonnées galactiques d'un système solaire. Ce doit être important pour que Standman l'ait ainsi dissimulé.
-Reste à savoir à quoi cela correspond! Quel jour sommes-nous?
-Le 21 juillet, temps terrestre. Pour le reste, il faut interroger le cerveau pilote du Mercure.
L'arrivée d'Oliver et de Maggie interrompit leur conversation. La jeune fille avait une mine détendue, radieuse, les yeux un peu trop brillants.
-Maintenant que vous êtes reposée, nous allons pouvoir vous reconduire à Grantville. J'espère qu'Oliver ne vous a pas importunée.
Les deux jeunes gens piquèrent un très joli fard.
-Nullement, monsieur Stone, répliqua Maggie d'une voix précipitée.
Ray intervint mentalement :
-Je crois que nous allons devoir différer notre départ. Tu as de la visite.
Un hélijet se posait dans le jardin, devant la maison. Le capitaine Kirchner sauta lourdement à terre. Ray ouvrit la porte avant que le poing ne cogne sur le battant. Le policier dévisagea les quatre occupants.
-Que fais-tu ici, Maggie? grogna-t-il.
-C'est mon jour de congé ! répondit-elle avec une lueur de défi dans le regard. Je suis venue rendre visite à mon copain Ollie!
Kirchner parut accepter l'explication.
-Attendez dehors, j'ai à parler à M. Stone.
Les jeunes gens sortis, le capitaine regarda les Terriens. Ses paupières inférieures étaient marquées de cernes noirs.
-Vous me posez un nouveau problème. M. Furster vient de me signaler la disparition d'Alec Shepard.
-Suis-je sensé le connaître?
Kirchner eut un mouvement d'irritation.
-Vous vous êtes querellé avec lui, hier soir au bar de l'hôtel!
-Ah! le gros poivrot! Désolé mais j'ignorais son nom ! Il a juste proféré quelques cris que je n'ai pas compris puis il s'est effondré. Mon ami Johnson l'a raccompagné à son siège.
Devant l'air sinistre du policier, Marc ajouta :
-Si vous avez un doute, interrogez le patron du bar.
-Je l'ai déjà entendu, soupira le capitaine. Qu'avez-vous fait cet après-midi?
Marc s'offrit le luxe d'un sourire.
-Votre ami M. Furster a dû vous dire que je lui avais rendu visite.
Le visage de Kirchner s'empourpra.
-Je fais mon travail! Rien de plus!
-J'en suis persuadé, répondit Marc, toujours très calme.
-Sur la route du retour, n'avez-vous pas croisé un véhicule?
-Non!
-Shepard ne s'est tout de même pas volatilisé !
-Il doit cuver son alcool dans un coin. Avez-vous ordonné une tournée des bars?
-Il n'est nulle part, hurla Kirchner, de plus en plus mal à l'aise. Je veux visiter cette maison!
-Faites ! Je n'ai rien à cacher et n'exigerai pas de mandat de perquisition.
Le policier se dirigea vers l'escalier, hésita un instant, puis vint s'écrouler dans un fauteuil.
-Inutile, souffla-t-il. Je sais que je ne trouverai rien. J'ai reçu la réponse de la Sécurité Galactique à votre sujet.
Marc s'efforça de rester impassible. Qu'avait inventé Neuman?
-Il paraît que vous êtes indépendant, cabochard, mais nanti d'une jolie fortune.
-Est-ce répréhensible?
-Non ! hurla Kirchner. Ici nous avons nos habitudes et n'aimons guère les étrangers qui piétinent nos plates-bandes sans se soucier des dégâts ! Suivez donc les conseils de M. Furster.
-Sinon, il pourrait m'arriver un accident... comme à Standman.
-Que voulez-vous insinuer?
-Absolument rien! Connaissant maintenant les caprices de cette ville, je vous informe que je dormirai ce soir sur mon astronef. Là, au moins, je serai en sécurité!
-Auriez-vous reçu des menaces ? Dans ce cas, vous devez me le signaler.
-Disons que je préfère prévenir les incidents. Il me serait très désagréable, par exemple, de me réveiller dans une maison en flammes! Enfin, je vous avertis qu'à tout moment je suis susceptible de regagner la Terre !
-Vous m'en demanderez d'abord l'autorisation.
-Pourquoi? Suis-je en état d'arrestation?
-Non, mais...
-Dans ce cas, si vous tentez de me retenir, j'informerai mon conseil juridique et la Sécurité Galactique. En tant que libre citoyen de l'Union Terrienne, je réclame la protection de ses lois qui s'appliquent même sur Terrania XXV.
Kirchner s'épongea le front avec un mouchoir douteux.
-Je n'ai pas dit... Bon Dieu! Allez au diable si vous le voulez!
Il sortit d'un pas rageur en claquant la porte derrière lui. Deux minutes plus tard, un ronflement de moteur annonça le décollage de l'hélijet.
Inutile de perdre du temps. Filons immédiatement !