CHAPITRE XIV

Le soleil était bas sur l'horizon lorsque Marc ordonna une halte pour laisser souffler les montures. Elles en avaient grand besoin après avoir soutenu un train d'enfer depuis la sortie de Heva.

Lina, épuisée, se laissa glisser sur l'herbe. Durant toute la chevauchée, elle n'avait cessé de dévisager ces inconnus qui l'avaient arrachée aux flammes du bûcher alors que depuis longtemps elle avait perdu tout espoir.

-Messires, souffla-t-elle, je ne saurai jamais vous remercier assez pour m'avoir sauvée.

-Où habites-tu?

-Dans une cabane, près du marais. Je vis seule depuis la mort de ma mère, l'année dernière. Je ramasse des herbes qui guérissent et que je connais bien. Je vais les vendre aux villageois.

-Dis-moi ce que tu as vu?

Devant l'hésitation de la fille, Marc ajouta :

-Je veux la vérité! Moi, je te croirai!

-Tout a commencé il y a un peu plus de trois mois. Je péchais dans le marais quand un terrible grondement a retenti. J'étais terrorisée puis la curiosité a pris le dessus. Prenant soin de rester dissimulée dans les hautes herbes, je me suis approchée. J'ai vu, assez loin dans le désert, une très grande construction brillante. Une porte s'est ouverte et une silhouette paraissant humaine est apparue. Elle portait un grand coffre métallique qui a été déposé sur le sable. Le manège a duré longtemps. Quand la créature a regagné sa maison, plus de trente caisses étaient rangées à terre, dans un ordre mystérieux.

-Cela pouvait être des conteneurs de ravitaillement, émit Ray.

-Un peu plus tard, dans un bruit épouvantable, poursuivit Lina, la maison s'est envolée et a disparu dans le ciel. J'aurais pu avoir rêvé mais les coffres restaient là comme preuve. Je les ai examinés mais je n'ai jamais réussi à les ouvrir. Ils étaient énormes, plus hauts que moi et portaient des dessins curieux que je n'avais jamais vus!

Marc regarda l'androïde et lança mentalement :

-Cela correspond à la période où Standman a travaillé pour Furster.

Pressée de questions, Lina poursuivit :

-Il y a maintenant plus d'une lune, un nouveau tonnerre a résonné. La maison était revenue.

-Es-tu certaine que c'était la même?

La jeune fille fronça les sourcils.

-Elle lui ressemblait beaucoup avec son toit pointu et sa base sur pilotis, mais il se pouvait qu'elle fût plus grande. Dans les dix jours qui suivirent, d'autres constructions apparurent.

-Combien?

-J'en ai vu jusqu'à six ! J'ai alors pensé que mon devoir était de prévenir le roi !

Elle laissa fuser un énorme soupir.

-Si j'avais pu deviner, je serais restée chez moi. Le roi a fini par me croire. Il a envoyé le connétable à la tête de cent cavaliers. Je les ai guidés à travers le marais mais je n'ai pas voulu aller au-delà. J'avais trop peur. Les hommes d'armes se sont déployés et ont chargé les cinq ou six silhouettes qui s'affairaient autour des coffres. Des dizaines d'éclairs rouges ont jailli de leurs mains. Chaque fois qu'ils touchaient un soldat, celui-ci tombait. Sept chevaliers seulement échappèrent au massacre. Ils m'ont ramenée au roi en disant que j'étais responsable de leur échec. J'ai été battue, fouettée. Cet affreux grand prêtre a versé sur mon ventre quelques gouttes d'eau sacrée. Cela brûlait comme l'enfer. J'ai alors été condamnée et vous savez le reste.

-Quel jour s'est produit le combat?

Elle réfléchit un long moment comptant sur ses doigts.

-Il y a exactement douze jours.

-La justice est rapide dans ce pays, ricana Marc.

Il regarda le ciel et grimaça :

-Ta maison est-elle encore loin?

-En coupant à travers bois, nous pourrions l'atteindre à la tombée de la nuit.

-Dans ce cas, partons immédiatement. Oliver, tu changeras de monture avec Ray. La tienne est fatiguée d'avoir porté une double charge alors que Ray, quand il le veut, est très léger.

Façon discrète de faire comprendre qu'avec ses antigrav l'androïde avait annihilé son poids pour ménager le cheval. La petite troupe s'ébranla au trot, guidée par Lina qui semblait bien connaître la forêt.

Dans une obscurité pratiquement complète, ils parvinrent à une misérable cabane faite de troncs d'arbres, de planches, de branchages et couverte de roseaux.

Lina poussa une porte grinçante. Vite, elle battit un briquet et alluma une lampe à huile. Le décor se dévoila à la faible lueur. Une seule pièce avec une paillasse dans un angle, une table, quelques tabourets en bois grossier.

-Voilà toute ma richesse, soupira-t-elle. Malheureusement je n'ai pas de provisions. Il nous faudra chasser demain pour pouvoir manger.

-Ray va s'en charger, c'est un excellent braconnier. Dans moins d'une heure, il reviendra avec une proie à rôtir!

Tandis que l'androïde s'éclipsait dans l'obscurité, Lina annonça :

-Il faut ramasser du bois pour le feu.

Elle lança un regard sur Oliver en ajoutant :

-Voudriez-vous m'aider, messire?

Les deux jeunes gens sortirent, laissant Marc seul. Il se laissa tomber sur un tabouret, allongea les jambes et ferma les yeux. Les événements des derniers jours tournaient dans sa tête sans qu'il arrive à leur donner un sens logique.

Lina ramassait des branches mortes qu'elle empilait dans les bras d'Oliver. Ils arrivèrent sur la berge d'un étang. L'eau noire scintillait doucement à la froide clarté des étoiles.

-J'ai besoin d'un bain ! Pendant mon séjour en prison, je n'ai pu me laver.

Elle se déshabilla très vite et pénétra dans l'eau qui masqua sa nudité. Oliver posa sa brassée de bois et s'assit sur le bord. Moins de cinq minutes plus tard, Lina émergea de l'onde et vint s'allonger sur la mousse qui conservait encore la chaleur de la journée.

Elle saisit la main du garçon, presque avec timidité.

-Lorsque je pense à l'échafaud, au grand prêtre, au bourreau, je tremble encore. Sens comme mon coeur bat vite.

D'un geste très naturel, elle appliqua la paume d'Oliver sur son sein gauche. Le garçon tressaillit lorsque deux bras encerclèrent son cou.

-Embrasse-moi.

Oliver baissa la tête, les lèvres se frôlèrent, s'unirent. Le souffle court, le garçon se redressa.

-Non, ce ne serait pas raisonnable. Je dois repartir très vite.

-Je le sais, mais je t'en prie... Juste une fois... Dans ma prison, j'avais un grand regret : mourir sans avoir connu l'amour. Ne me repousse pas...

Une voix suppliante, sourde. L'étreinte se fit plus insistante..., irrésistible... Oliver s'abaissa, pénétrant dans un univers merveilleux, palpitant et complice.

Ray déposa devant la porte la dépouille d'un gros sanglier qu'il commença à vider et écorcher.

-Mieux vaut que je m'occupe de la cuisine. La fille et Oliver sont trop occupés pour songer à dîner.

Devant le regard interrogateur de Marc, il précisa :

-En revenant, j'ai entendu des bruits qui ne laissaient aucun doute sur leurs occupations.

Il émit un rire ironique :

-Mieux vaudrait ne pas l'emmener trop souvent en mission. C'est un concurrent dangereux. D'ordinaire c'est à toi que les jeunes héroïnes accordaient faveurs et récompenses.

-La chance sourit toujours au plus jeune. Toutefois, j'espère qu'il ne tardera pas à revenir. Je veux regagner au plus tôt le Mercure. Nous n'apprendrons rien de plus sur Mérova.

-Pourquoi une telle hâte?

-Je ne sais pas mais je pense que nous ne devons pas perdre de temps. Souviens-toi du message de Standman. Trente juillet! Quelque chose doit se produire ce jour-là.

-Malheureusement, il n'a pas précisé le lieu! Pourquoi pas sur Mérova?

-Peu probable. Réfléchis ! Six astronefs se regroupent ici. Ce ne peuvent être que des vaisseaux pirates puisque Mérova est interdite à toute approche selon les lois de l'Union Terrienne. Ils étaient encore là, il y a douze jours, et bien décidés à y rester. Or hier matin, tu as constaté qu'ils avaient disparu.

-Pourquoi cette escale sur Mérova?

-Probablement pour se donner le temps de se regrouper. Par définition, les pirates sont des loups solitaires dispersés dans tous les secteurs de la Galaxie. Se retrouver au même endroit peut demander plusieurs semaines, d'où la nécessité d'avoir un lieu où se ravitailler.

L'arrivée d'Oliver et de Lina l'interrompit. Les jeunes gens avaient les joues rouges, le même regard brillant. Lina battit des mains en voyant le sanglier.

-Je suis désolé mais nous devons partir sur-le-champ, annonça Marc.

-Restez au moins ce soir, dit Lina qui aurait souhaité prolonger son tête-à-tête avec Oliver. Dans l'obscurité vous ne trouverez pas votre chemin. Vous risquez de vous égarer dans le marais qui recèle des pièges mortels.

A son grand regret, la menace n'effraya pas le chevalier.

-Rassure-toi, nous saurons nous diriger.

Marc sortit sa bourse qu'il lança sur la table.

-Cela te permettra de vivre quelque temps. Tu devrais t'intégrer à un village. Il n'est pas bon de rester ainsi seule.

Il rejoignit Ray qui tenait les montures par la bride. Oliver s'attarda un instant dans la cabane puis sortit en courant.

L'androïde guida la colonne pendant une heure au trot. Les montures fatiguées refusaient d'avancer plus vite. Enfin ils atteignirent un espace suffisamment dégagé pour faire atterrir le module.

Dix minutes plus tard, ils survolaient l'océan. Devant la mine triste d'Oliver, Marc soupira :

-C'est l'aspect désagréable de nos missions. Il est triste de devoir quitter sans espoir de les revoir un jour ceux qui vous ont accordé leur amitié... et parfois un peu plus.