CHAPITRE III

Dès qu'il eut passé le premier carrefour, Marc s'immobilisa.

-Tu t'en es bien tiré avec ces filles, Ray, mais avec une autre bande, il n'en sera sans doute pas de même. As-tu repéré le bloc qui nous intéresse?

-Naturellement!

-Tu vas utiliser tes antigrav et me porter jusqu'au bloc F 17. Je n'ai aucune envie de rencontrer ces « chiens fous ».

-Mais s'il y a des guetteurs sur les toits?

-Aucune importance. Nous ne sommes pas sur une planète primitive! Nous ne risquons pas de bouleverser une évolution naturelle. La leur se fait déjà vers la plus bestiale régression.

La puissance des antigrav des androïdes du S.S.P.P. était calculée pour supporter le poids d'un agent. Les androïdes, en cas d'absolue nécessité pouvaient ainsi emporter leur maître pour les soustraire à un danger imminent.

-O.K.! accroche-toi à mon cou!

En silence, l'étrange couple s'éleva dans les airs. Il survola plusieurs blocs d'immeubles, tous dans un état de délabrement pitoyable.

-Tu avais raison, émit Ray. Je distingue plusieurs groupes qui sillonnent les rues. Nous n'aurions jamais pu passer sans de rudes combats. Voilà le toit qui nous intéresse.

C'était une sorte de terrasse, couverte de dalles de plastique comme on en faisait il y a plusieurs siècles. Une petite construction se dressait en son milieu. La porte avait disparu depuis longtemps, laissant voir une mécanique rouillée. La machinerie d'un vieil ascenseur. Ray déposa Marc en douceur sur le toit.

-Maintenant, il nous reste à trouver Oliver.

-Attention! Marc, contrôle la puissance de ton écran. Mes détecteurs biologiques réagissent.

Il approcha en silence de la cabane dans laquelle il pénétra. Une exclamation étouffée... Ray revint, ceinturant un type d'une trentaine d'années, brun, mal rasé, en proie à une panique démente. Il tremblait tellement que l'androïde avait beaucoup de peine pour l'immobiliser. Toutefois en voyant Marc, il se calma un peu.

-Vous... vous n'êtes pas des « chiens fous »?

-Non! Je cherche Oliver Standman, un gosse d'un peu moins de dix-huit ans, assez maigre.

L'homme désigna du doigt une trappe.

-Il est là dedans... Il l'était... mais les « chiens fous »... Ils ont attaqué ce soir... Affreux... Des fauves... Ils massacrent tous ceux qui leur résistent... Ils torturent les autres... Certains d'entre nous se battent encore dans les étages...

La trappe se souleva brusquement.

-Y en a qui se planquent ici !

Fou de peur, l'homme échappa à l'étreinte de Ray et tenta de regagner la cabane de l'ascenseur. Ils étaient trois à avoir émergé, tous vêtus de blousons sur lesquels était maladroitement dessinée une tête de chien aux crocs rouges.

Le fuyard ne put atteindre son abri. Un couteau lancé avec force s'enfonça dans ses reins. Il trébucha, tomba à genoux. Déjà le « chien fou » était sur lui. D'un mouvement sec, il arracha le poignard, saisit sa victime par les cheveux, rejetant la tête en arrière, dégageant le cou qu'il trancha. Un jet de sang, un rire dément... qui s'éteignit brusquement. Sur l'injonction de Marc, Ray avait actionné son laser, dissimulé dans son index droit. Touché en plein front, l'assassin s'écroula.

Les deux autres se ruaient déjà vers Marc, balançant de lourdes chaînes d'acier qui sifflaient dangereusement. Les deux vauriens s'effondrèrent à moins d'un mètre de Marc, le môme petit trou noir étant apparu à la racine du nez.

-Nous ne pouvons perdre de temps à discuter. Voyons si nous pouvons encore sauver ce pauvre gosse.

-Laisse-moi passer devant ! Sors ton pistolaser. Tu as compris qu'avec ces cinglés, mieux vaut tirer d'abord et discuter ensuite.

Ils descendirent un escalier obscur aux marches branlantes. Une écoeurante odeur de pourriture envahit les narines de Marc. S'y ajoutait l'odeur fade du sang. Le palier du dernier étage donnait sur un couloir où s'ouvrait une dizaine de pièces. Des cadavres parfois dans des postures grotesques étaient étalés sur le sol. Horrible! Des crânes lacérés, éclatés par les coups, des ventres ouverts, des cous sectionnés. Même sur les planètes les plus primitives, il n'avait pas été donné à Marc de constater une telle sauvagerie.

Il s'obligea à une rapide inspection. Dix-sept morts, mais aucun corps n'était celui d'Oliver. De la cage d'escalier montaient des hurlements de douleur, des cris déments qui seuls peuvent provenir d'un corps torturé.

Avec prudence, ils descendirent encore un étage. D'un geste vif, Ray plaqua Marc contre le mur dans une zone d'ombre. Deux torches brûlaient dans le couloir. Cinq « chiens fous » se tenaient de part et d'autre de l'embrasure d'une porte. Deux de leurs congénères reconnaissables au blouson, étaient étalés sur le sol. Une curieuse flèche était fichée dans le ventre.

Sur un signe d'un solide gaillard au crâne rasé, un « chien fou » se rua dans la pièce. Une exclamation étouffée. L'homme recula lentement, les mains crispées sur son ventre. D'un geste désespéré, il arracha la flèche qui y était fichée puis s'effondra d'un bloc. Des exclamations furieuses retentirent.

-Le salaud, je le veux vivant! Il ne peut tirer qu'une flèche à la fois! Attention, on fonce !

Les quatre hommes s'élancèrent. Une série de bruits étouffés. Trois chiens fous ressortirent, encadrant une silhouette qui se débattait en vain.

En une fraction de seconde, Marc reconnut le gamin dont il avait vu la photographie. Ray avait été encore plus prompt. Il leva la main et trois éclairs jaillirent de son index en succession rapide. Le gosse resta immobile, médusé par l'événement. Alors qu'il se croyait perdu, une nouvelle chance lui était donnée. Il tressaillit quand Marc le saisit par le bras.

-Qui... qui êtes-vous?

-Capitaine Stone ! C'est bien toi qui m'as écrit ?

-Et vous êtes venu?

-Cela n'a pas été de tout repos! Viens, il faut filer.

-C'est impossible! Ils bloquent la sortie. Ils sont très nombreux. Même avec un laser vous ne pourrez les tuer tous.

-Nous passerons par le toit!

-Mon arc ! Je ne veux pas me laisser égorger sans me défendre.

Il tenta de se dégager pour retourner dans la pièce mais Marc le retint.

-Tu n'en as plus besoin. Amène-toi!

Ils s'engageaient dans l'escalier quand une voix cria :

-Là! Il y en a trois qui essaient de filer.

Le type devait avoir des yeux de chat pour les avoir ainsi repérés dans l'obscurité. L'alerte donnée, une cavalcade retentit clans l'escalier. Au bruit, ils étaient au moins une dizaine!

Marc et Oliver émergèrent à l'air libre. Ray resta sur la dernière marche. Moins d'une minute plus tard, une tête apparut. D'un coup de pied sec, l'androïde l'effaça. En retombant, le corps entraîna les deux suivants, déclenchant une bordée d'injures.

-Une grenade anesthésiante, vite!

Ray sortit de sa poche une sphère de trois centimètres de diamètre, emplie d'un liquide très volatil. Elle explosa dans l'escalier avec un son étouffe. Tout de suite après, le bruit de plusieurs corps qui tombaient fut perceptible.

-Cela les calmera pour quelques minutes mais l'effet de l'anesthésique se dissipe rapidement, surtout dans une baraque emplie de courants d'air. Que décides-tu, Marc? Si nous descendons dans la rue, il faudra traverser une moitié du camp pour arriver à la porte.

-Nous n'avons pas besoin d'aller là-bas. L'enceinte du camp n'est pas à plus de deux blocs de distance.

-Elle est sous surveillance avec tir laser automatique.

-Nous passerons pardessus. Tu prends Oliver et tu vas le déposer à l'extérieur puis tu reviens me chercher.

Ray effectua un rapide calcul.

-Pas question, Marc. J'en ai pour plus d'une demi-heure pour effectuer l'aller et le retour. Tu ne peux rester aussi longtemps seul.

-Tu me laisseras tes grenades.

-Cela risque d'être insuffisant! J'ai une autre solution. J'amène Oliver sur le toit de l'immeuble voisin puis je reviens ici. En progressant par petits sauts, je pourrais ainsi vous surveiller tous les deux.

-Cela sera plus long!

-Mieux vaut perdre du temps que la vie !

Oliver regardait ses amis sans comprendre car l'échange avait été psychique. Ray s'approcha de la trappe et par précaution lâcha une seconde grenade. Puis il saisit le gosse à bras-le-corps et s'élança dans le ciel sans se préoccuper du cri d'effroi d'Oliver.

Il inspecta avec soin la terrasse où il avait atterri puis repartit non sans recommander : -Surtout reste debout à cet endroit que je puisse te voir.

Une heure plus tard, ils se trouvèrent à l'extérieur du camp. Ce fut seulement lorsqu'il vit la barrière et au-delà la masse sombre du camp qu'Oliver réalisa qu'il était sauvé. Les jambes coupées par l'émotion, il se laissa tomber sur cette terre où il poussait encore de l'herbe et il éclata en sanglots.