CHAPITRE VII

Mercredi 13 avril, soirée

 

L’émissaire était posté depuis un bon bout de temps au débouché de la rue déserte, à quelques mètres d’un débit de boissons. À travers les vitres embuées, on distinguait des silhouettes accoudées au zinc. Une femme tira la porte, libérant des braillements aussitôt étouffés. L’émissaire se colla au mur. La femme soliloquait en faisant de grands gestes. Elle resta plantée au milieu de la chaussée, comme si elle tentait de se repérer, puis éclata d’un rire de crécelle et se dirigea vers la gare des marchandises. Le passage régulier des trains haletants salissait le ciel pâle. L’émissaire reprit sa surveillance. Un homme titubant sortit sur le trottoir et suivit le chemin emprunté par la femme. L’émissaire lui emboîta le pas. Devant eux, tel un « burg » dessiné par Hugo, se dressait la masse sombre d’une usine à gaz. L’émissaire aspira une goulée d’air, maîtrisa sa respiration et interpella l’homme.

— Léonard Diélette ?

— Ouais.

— Hier, rue Charlot, vous avez emporté un objet qui a été jeté par mégarde.

— Ah oui, je sais. Ce matin j’ai dit à Yvette d’aller rendre à César ce qui est à César.

— Vous en êtes certain ?

— Si j’en suis sûr ! Bien sûr qu’j’en suis sûr ! N’en v’l’à des histoires ! Nous autres on est des gens intègres, c’est pas parce qu’on racle les déchets des bourgeois qu’on a pas de moralité ! .J’suis un honnête gagne-petit, même que l’année dernière, j’ai reçu un prix de la Société de l’encouragement au bien, parce que j’avais restitué un biffeton dégoté dans un paletot. C’est comme je le dis. Si vous m’croyez pas, v’nez chez moi, quartier Dumathrat, vous verrez mon diplôme.

— Qui est Yvette ?

— Ma loupiotte. J’y ai dit : ce truc-là ça doit valoir des sous, passe le déposer à ses propriétaires avant d’aller turbiner. Non mais, pis quoi !

— Yvette, quel âge a-t-elle ?

— Onze ans.

— Et vous lui faites confiance ?

— J’en réponds, sur ma vie, c’est la fille de son père.

— Comment saviez-vous à qui appartenait l’objet ?

— À cause du XIX Siècle, il était entortillé dedans. Ce journal, y a que les locataires du 28 rue Charlot qui le lisent. Pensez si j’le sais, ça fait plus de trois ans que la cuisinière m’enveloppe les reliefs de tambouille dans cette feuille de chou.

— L’ennui c’est que personne n’est venu.

— Ça c’est fort ! On est recta, faut que j’vous fasse un dessin ? C’est notre dignité à nous, les purotins. J’trime à la sueur de mon front, moi ! Peut-être qu’il serait judicieux d’interroger vos domestiques. Me cherchez pas noise, sinon j’vais me fâcher.

Ils étaient arrivés au-dessus des voies ferrées.

— Elle est rentrée, votre fille ?

— À c’t’heure elle doit pioncer.

— On va lui poser la question, dit l’émissaire en portant une main à sa poche.

— Si j’veux, non mais !

— Oh mais tu veux, mon bonhomme Allez, avance, sinon… Tu vois ce joujou ? Il suffit que j’appuie sur la détente, et hop, adieu Léonard !

— Vous êtes malade !

Incrédule, bouche bée, Léonard Diélette fixait l’arme braquée sur lui. Son dos buta contre la rambarde qui surplombait les voies ferrées.

— On va y aller, souffla-t-il, pas de problème. L’émissaire secoua la tête.

— Le problème, c’est toi.

L’émissaire s’élança en avant, le revolver lui échappa. Ses mains gantées poussèrent violemment la poitrine du chiffonnier.

Léonard Diélette, l’œil hagard sous sa toison en bataille, bascula par-dessus le garde-fou. Il brassa l’air désespérément. Tombant à la renverse, il rebondit le long de la butte jusqu’aux rails, tout en bas.

Un cri strident se fondit sous le sifflet d’une locomotive. L’émissaire se retourna. Une ombre filiforme disparut à l’angle de l’usine à gaz.

 

Un ciel fuligineux pesait sur le terrain vague hérissé de bicoques alignées en bordure de la barrière des Deux-Moulins. Épuisé, les nerfs à vifs suite à cet après-midi perdu en compagnie de cette vieille culotte de peau de Réauville, Joseph s’arrêta un instant. Aucun collignon n’avait accepté de l’emmener au village des chiffonniers et il avait dû marcher depuis la gare d’Orléans28. Face à l’agglomération des cahutes noyées de brume, il répugnait à s’aventurer dans ce qui ressemblait à un coupe-gorge.

« J’y vas-t-y, j’y vas-t-y pas ? C’est pire que le maquis de Montmartre. J’y vas pas. »

Alors qu’il allait rebrousser chemin, il se souvint de ce qu’Iris lui avait chuchoté à son retour de l’avenue Foch : « Soyez prudent. » Comment était-elle au courant de sa mission secrète ? M. Legris s’était-il livré à elle ? Ou faisait-elle allusion à la conversation qu’il devait avoir avec son père et qu’il éludait sans cesse ? Dans le doute, il prit le taureau par les cornes et pénétra cité Doré.

Ce nom pompeux ne devait rien à une richesse invisible à l’œil nu. C’était simplement celui de l’ancien propriétaire des lieux, M. Doré, un chimiste qui avait décidé en 1848 de morceler sa propriété en parcelles dotées de constructions rudimentaires afin d’arrondir ses fins de mois.

Initialement louées à des ménages d’ouvriers, les maisons s’étaient dégradées. Attirés par la modicité du loyer et le petit lopin de terre attenant, des chiffonniers avaient pris la relève, bientôt suivis d’une cohorte de laissés-pour-compte qui avaient élevé des cabanons faits de planches, de toiles goudronnées et de fer-blanc rouillé par les intempéries. Ce conglomérat de châteaux branlants comprenait cinq avenues et deux places, c’était le royaume du détritus.

S’il y avait musardé en plein jour, Joseph aurait apprécié le caractère champêtre des courettes envahies de volubilis et de clématites. Sans doute aurait-il goûté le calme de ce quartier où les bagarres étaient rares. Mais dans l’obscurité mollement refoulée par des becs de gaz défaillants, il avançait avec circonspection.

Les portes, ouvertes afin d’évacuer la fumée, révélaient des familles nombreuses réunies à même le sol autour d’une marmite de rogatons. Peu d’hommes, la plupart étaient déjà en tournée, la hotte au dos, la lanterne dans une main, le crochet dans l’autre. Sur la terre battue, près des tas d’ordures à trier, quelques bottes de paille faisaient office de matelas.

Joseph s’approcha d’une silhouette profilée devant le carré jaune d’une fenêtre. L’homme tétait une bouffarde, l’ôtait régulièrement de sa bouche et crachait.

— Bonsoir, je cherche Léonard Diélette.

— Peux pas vous dire, j’suis arrivé d’hier. Minute, je demande à mon frangin.

La masure s’apparentait à la catégorie grand luxe. Meublée d’une table, de chaises, d’une lampe et de deux sommiers, elle abritait un couple et quatre marmots qui achevaient d’engloutir une poêlée de frisure.

— Raymond, Diélette, ça te dit ?

— Oui. C’est après le carrefour Dumathrat. V’nez donc vous rincer le gosier, l’ami, j’vous conduirai, proposa le père. Vous êtes grossiste ?

— Euh, oui, répondit Joseph.

— On va peut-être pouvoir faire affaire, j’ai un tas de vieux godillots d’un dépôt d’l’armée, que des pieds gauches, ça vous intéresse ?

— Faut voir.

L’homme chassa l’un des gosses d’une chiquenaude afin de libérer un siège, tandis que la mère regroupait les assiettes. Trois verres furent emplis de vin rouge, à la consternation de Joseph qui tenait mal l’alcool.

— Santé, m’sieu, à la tienne Estève. Eh ! Pas si vite, ça tue le bouquet ! gronda Raymond.

— Bah, pendant qu’il me descend au bout des paturons, j’ai le temps de noter qu’il m’a ravigoté.

Les frères, deux gaillards à la toison rousse, gobèrent leur vinasse et lorgnèrent Joseph, réticent à absorber ce qu’il considérait comme du bouillon d’onze heures.

— Allez, mon gars, bois, t’auras chaud aux plumes.

Joseph aspira le liquide d’un trait, de même que petit il déglutissait l’huile de foie de morue dont sa mère le gavait. Un voile pourpre s’interposa aussitôt entre lui

et les deux rouquins. Lorsqu’il se dilua, Joseph se sentit gonflé d’une énergie nouvelle. Il se redressa, la pièce ondula, il dut se rasseoir.

— Vous êtes chiffonniers ? demanda-t-il, espérant obtenir un sursis.

— Non, ma vieille, t’as d’vant toi un limousinier29. Je renonce à compter les clapiers que j’ai construits, c’est pour me seconder qu’Estève est v’nu à la rescousse, j’suis débordé, ici j’assume toutes les fonctions : j’suis non seulement le vautour qui encaisse les loyers, mais aussi le notaire, l’avocat, le juge de paix. C’est moi qui éteins l’incendie quand l’torchon brûle, moi qui distribue les héritages en cas de décès : à toi ces ferrailles, tu les revendras au fondeur, à toi cette mine d’ossements, ça fera le bonheur des fabricants de colle, d’engrais ou de boutons, à vous autres cette charpie guignée par le papetier !

Estève, en proie à la fièvre de Bercy, se mit à déclamer :

Au royaume du crochet

L’ chiffonnier seul gouverne

Au royaume du déchet

Règne seul le chiffonnier.

Ô chevalier de la lanterne !

Ô chevalier du crochet !

— Ta gueule ! brailla Raymond. Vire cette boutanche, on va accompagner monsieur, parce que je veux justement réclamer le terme de la romanichelle.

Ils traversèrent la cité Doré. Joseph s’imaginait poser le pied dans un village de cases au fin fond d’une brousse africaine encore inexplorée. Dans le lointain, du côté de la gare d’Orléans, barrissaient des éléphants, à moins que ce ne fût l’appel déchirant des locomotives ? À l’extrémité du passage Doré, ils s’arrêtèrent devant une masure percée d’une minuscule fenêtre.

— Terminus, v’là l’palais du père Diélette. Nous on va là-bas.

Joseph eut beau tambouriner, on ne lui ouvrit pas. Le placier dormait peut-être ? Des hurlements retentirent derrière lui, il fit volte-face. Les deux frères se préparaient à démonter la porte d’une baraque, sans s’inquiéter des pleurs et des imprécations répandus par une femme enveloppée de loques et de fichus.

— Avec ce froid, je vais crever !

— J’t’avais prévenue, vieille chouette. Si demain t’as pas casqué, on ôte le toit et si tu n’craches toujours pas au bassinet, on flanquera le feu à ta cambuse !

— Charognards !

Tombant à genoux, la femme tenta d’agripper les jambes de Raymond. Il se dégagea rudement, la projetant au milieu d’une flaque. Indigné, Joseph se précipita et l’aida à se relever.

— Vous devriez avoir honte ! cria-t-il.

— C’est l’monde à l’envers ! T’entends ça, Estève ? V’là qu’les mauvais payeurs sont changés en victimes !

— Combien vous doit-elle, cette malheureuse ?

— Deux francs cinquante.

Joseph fouilla ses poches, rassembla sa monnaie et la tendit au rouquin d’un geste furieux.

Tandis que les frères s’éloignaient, la femme se confondit en remerciements et invita son sauveur à prendre une petite goutte.

Elle alluma une lampe à pétrole. Joseph découvrit un visage anguleux encadré de cheveux grisonnants. La cassine de six mètres carrés était meublée de cageots.

— Faites comme chez vous, monsieur, mettez-vous l’aise, j’vais vous offrir du ratafia distillé maison : sucre et alcool de patate, tchin-tchin.

À contrecœur, Joseph trempa ses lèvres dans l’alcool à l’odeur de vinaigre et reposa son verre. La femme exhala un soupir.

— Je suis si bien, ici. Mes pénates donnent sur la cambrousse, en été c’est plein d’coquelicots. Ah ouiche, c’est un p’tit paradis… La semaine a été exécrable, pas un client. Ça m’aurait tuée de pieuter à la belle étoile, surtout qu’aujourd’hui j’ai eu mon content d’émotions.

— Euh, c’est quoi votre métier ? demanda Joseph en reculant vers l’issue de secours.

— Le tarot, les cartes, les lignes de la main, l’avenir, quoi ! Quand c’est les autres, je vois, mais pour moi, macache, j’suis aveugle. C’est bête, hein ? Je me suis même pas présentée, Coralie Blinde.

— Vous connaissez Léonard Diélette ?

Elle lui jeta un regard en biais.

— Il n’est pas rentré. Sa gamine non plus. J’ai nourri Clampin, c’est l’âne. J’crois qu’ils sont allés arracher des affiches.

— Pourquoi ?

— Y a eu des élections. Après les scrutins, c’est autorisé de récupérer les listes placardées sur les palissades et les troncs d’arbres. Beaucoup de biffins préfèrent le candidat radical-socialiste-irréconciliable. Dame, quand on est des crève-misère on veut enquiquiner les grosses têtes qui nous gouvernent. Mais quand il s’agit de ramasser les affiches, ils se contrefichent de la couleur, d’ailleurs les blanches se vendent mieux que les rouges.

Désarçonné, Joseph s’apprêtait à partir. Coralie Blinde lui attrapa la manche.

— Sibylla lit dans la main comme dans un livre. J’ai rien de meilleur à vous donner qu’une vision du futur.

Joseph eut un mouvement de recul, depuis un certain temps il éprouvait ’de l’incertitude à l’égard des voyantes.

— Tenez-vous tranquille ! Tendez votre main gauche, celle du cœur. D’abord la ligne de vie… Superbe ! Vous verrez la première moitié du xxe siècle !… Ah, la ligne de tête montre que vous êtes un homme intelligent, adroit, laborieux, entêté, vous atteindrez votre but, d’autant que la ligne de chance va directement au mont de Saturne… Vous êtes béni par Vénus, car la ligne de cœur est bonne, très bonne. L’amour vous comblera, tout boscot que vous êtes.

— C’est écrit ?

— Gravé sur votre paume.

— Et en ce qui concerne le futur proche ?

Une expression effrayée passa sur les traits de Coralie Blinde, si fugitive que Joseph n’y prit garde.

— Je vois… Je vois… un train… Il siffle… il rugit… son œil rouge fonce dans le crépuscule… je vois… un homme qui part pour un très long voyage… Léger, léger, aussi léger qu’une plume, il survole les rails… je vois… je vois… Je ne vois plus.

— Zut ! J’espère que ce ne sera pas immédiatement, les patrons n’apprécieraient guère, parce que vous savez, je suis indispensable. Quand je serai devenu un écrivain confirmé, je ferai le tour du monde avec Iris, comme Phileas Fogg, pourquoi pas ?

 

Tapi derrière la vitre crasseuse, l’émissaire attendait impatiemment que la pythonisse ait terminé de déverser ses vaticinations au gogo qui se tenait face à elle au seuil de sa cahute. Brusquement, le sang lui monta au visage. Pourquoi ce loustic s’était-il acharné contre la porte du chiffonnier ? Il n’était pas venu s’égarer dans ce trou simplement pour se faire prédire l’avenir !

« Il faut que je sache. »

L’émissaire serra les poings. Personne ne se mettrait en travers de sa route, personne !

Enfin le type s’éloigna et la poivrote se barricada. Alors l’émissaire se glissa hors de la masure de Léonard Diélette et s’élança sur les traces de Joseph. Sa figure blême, couverte de sueur, exprimait une colère intense.

« La sale môme, la sale petite morveuse, elle finira bien par rentrer. Quant à l’amateur d’augures, je ne le perds pas de vue. »

 

À peine protégée du froid par un paletot reprisé, Yvette avait posé un bras sur l’encolure de l’âne. Une pointe de lassitude transparaissait dans son attitude, lui donnant l’allure d’une femme-enfant en proie à des soucis au-dessus de son âge.

Victor écarta la photo. Comment l’intituler ? Perplexité ? Méfiance ? Finalement il inscrivit au dos de l’épreuve : La petite marchande d’épingles m’observe à l’abri de sa forteresse boiteuse. Avril…

La sonnerie du téléphone le surprit, il fit un pâté, alla décrocher en râlant et termina de légender son cliché, le récepteur collé à l’oreille.

… 1892, Yvette n’avait que onze ans quand j’ai pris cette…

— Oui, Joseph… Oui, j’ai compris… Si c’est pour m’apprendre que le chiffonnier loge cité Doré, je le savais déjà… J’ai omis de vous le dire parce que je n’imaginais pas que cela puisse avoir un rapport quelconque avec… Bravo. Merci d’avoir appelé… Demain matin ?… Entendu, nous serons fixés.

Il raccrocha pensivement, endossa sa redingote, éteignit le bec de gaz et traversa la cour.

Lorsqu’il poussa la porte de l’atelier, Tasha achevait de confectionner un paquet. Il l’enlaça, l’embrassa, puis la dévisagea d’un air interrogateur.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en désignant le paquet.

— Oh, ça, des vêtements trop justes destinés à une amie.

— As-tu oublié ? Nous dînons dehors, j’ai réservé une table au…

— Zut, ça m’était sorti de la tête ! Je n’ai pas l’esprit très éveillé en ce moment, cette expo à Barbizon m’obsède.

— Quand pars-tu ?

Il s’efforçait de demeurer détaché mais sa question avait jailli, abrupte.

— Tu le sais, demain. Je serai de retour samedi soir. Oh, mon chéri, tu me rappelles l’œuvre d’un peintre qui avait une prédilection pour les tons noir et vert foncé, les ciels de plomb, l’orage imminent.

— Je ne connais rien à la peinture, de qui s’agit-il ?

— Le Greco.

— Ah, les fameuses descentes de croix ! Merci de l’analogie.

Elle éclata de rire.

— C’est pourtant ton portrait craché : sombre, boudeur, soupçonneux.

— Écorché vif, trop sentimental, follement amoureux et jaloux ! Méchante. Tu sais, je suis un type complexé, je crains toujours que tu ne me trouves pas à la hauteur.

— Comment oses-tu me prêter de telles pensées ! Je ne pourrai jamais aimer un autre homme.

— Vraiment ?

— Vraiment, parce que je sais qu’aucun autre homme n’aurait cette patience que tu me témoignes en toutes circonstances. Je suis plutôt difficile à vivre, non ?

— C’est uniquement pour cette raison que tu m’ aimes ?

— Idiot, tu es celui avec qui j’ai envie de passer la fin de mes jours.

— Alors épouse-moi.

— Je ne te laisserai pas commettre une telle erreur, je te chéris trop. Pourquoi le mariage est-il si important ? Le fait d’être officiellement unis par un officier d’état civil changera-t-il quoi que ce soit à notre relation ? Si je deviens aujourd’hui Mme Legris, on te prendra en pitié : « Ce pauvre M. Legris, son épouse est une femme légère, elle peint, elle fréquente des libertins. » Tu en souffriras, je le sais. Être ta maîtresse est beaucoup plus moral aux yeux des bien-pensants. Cela va de soi qu’un homme couche avec une femme de mon genre, quant à l’épouser…

— Je me fiche éperdument de l’opinion des…

— Chut ! Et si nous restions à la maison ? Je t’apporterais tes pantoufles, nous pourrions lire les journaux et bavarder au coin du feu, que dis-tu de cet avant-goût du mariage ?

— Je dis qu’il y a peu de choses dont on peut être sûr en ce bas monde, hormis ce que nous allons faire à présent, chuchota-t-il en l’acculant à l’alcôve.