Chapitre 22

Mon expédition furtive pour aller boire un café en douce, ce lundi-là, fut un échec patent. Je partis seule dans le van de Chogyi Jake, fis quelques courses pour remplir les placards de la cuisine, et me dirigeai vers le Starbucks. J’étais si obnubilée par l’idée d’une tasse de café et d’une tranche de cake que je faillis ne pas voir le piège qui m’avait été tendu. Deux femmes d’âge mur étaient assises en terrasse, à discuter tranquillement. Mais quand je portai mon qi derrière mes yeux, leur glamour s’estompa, et des tatouages apparurent sur leur visage et leurs mains. Je m’empressai de sortir du parking en tremblant tellement j’avais du mal à conduire.

Ils se rapprochaient.

Je ne parlai de l’épisode à personne en revenant. Aaron et Candace étaient rentrés chez eux, à Boulder, pour s’occuper de leur partie du plan. Midian était en train de cuisiner, et Chogyi Jake, en pleine séance de méditation, psalmodiait à mi-voix pour ajouter de nouveaux sacs de sable à notre digue spirituelle. Kim répandit tout le sel et toute la cendre qui nous restait, puis se mit à faire les cent pas dans le salon, les lèvres crispées en un rictus permanent. Je m’installai sur le canapé pour contempler la carte de Denver et de ses rues infernales du centre-ville en pensant à combien il aurait été stupide que je me fasse tuer au Starbucks.

Je n’avais pas très bien dormi, et m’étais réveillée en sursaut à 4 heures du matin avec la certitude inébranlable d’avoir trouvé un défaut majeur à notre plan. Mais, une fois vraiment réveillée, je me rendis compte qu’il ne s’agissait que d’un rêve, avec la logique typique de ceux-ci : une histoire de cônes de signalisation qui étaient orange, alors que nous n’avions que de la peinture jaune. Le temps que le sentiment de panique disparaisse, je n’avais plus du tout sommeil. C’était Chogyi Jake qui montait la garde, alors je l’avais envoyé au lit, m’étais préparé une tasse de thé vert et étais allée m’installer devant la télé, regardant les images sans le son jusqu’aux premières lueurs de l’aube.

Je savais que Cain était proche, aussi proche que mon ordinateur, peut-être même déjà dans la rue. J’étais incapable de déterminer si c’était bien la puissance de sa magie qui grignotait nos défenses ou s’il s’agissait simplement d’une manifestation de ma paranoïa. Avec le peu d’énergie mentale qui me restait, j’établis une liste des crimes que je m’apprêtais à commettre. Meurtre au premier degré. Vol. Usage d’une arme à feu en ville. Conduite imprudente. Quand j’en arrivai à la possession d’armes, je fus agitée d’un fou rire nerveux qui m’obligea à reposer mon stylo.

J’aurais voulu appeler l’hôpital pour avoir des nouvelles d’Aubrey et déterminer s’il servait encore d’appât au Collège Invisible. J’aurais voulu retourner à l’appartement-garage d’Ex pour lui remettre les idées en place à grands coups de pied au cul. J’aurais voulu me trouver avec Aaron et Candace au moment où ils voleraient la voiture de l’autre enfoiré. J’aurais voulu savoir comment on nettoyait un fusil pour pouvoir démonter et remonter le mien une bonne centaine de fois pendant la journée qui s’annonçait. J’aurais voulu que mon oncle soit là. J’aurais voulu parler à ma mère.

Mais, plus que tout, j’aurais voulu que Kim arrête ses allers-retours incessants.

— Hé, lui dis-je, tu as une minute à m’accorder ?

Kim me regarda comme si je lui avais demandé si elle était bien certaine d’appartenir au royaume des bipèdes. Je désignai le canapé d’un geste de la main. Elle s’assit à côté de moi, son regard bleu et froid comme deux billes de verre. J’eus une brève vision de la femme qui m’avait attaquée le premier jour, de ses grands yeux azur, et de son accent slave lorsqu’elle m’avait demandé qui j’étais. Je tapotai le genou de Kim avec la paume de la main.

— Tu n’as aucun problème avec ce que nous préparons ?

— Aucun, répondit-elle. C’est pour toi que je m’inquiète.

— C’est bon, la rassurai-je. S’il faut que je perde les protections d’Eric pour pouvoir triompher du Collège Invisible, alors…

— Non, m’interrompit-elle. Comment t’a-t-il retrouvée ?

Je clignai des yeux, et il me fallut un bon moment pour comprendre la question.

— Ex, tu veux dire ?

— Si c’est bien ainsi qu’il s’appelle. Tu es censée être difficile à localiser par la magie, pas vrai ? Alors comment est-ce que ton petit copain le curé a pu échapper au Collège Invisible, se réfugier dans un endroit sûr, et en même temps réussir à savoir où nous nous trouvions ?

— Peut-être parce qu’il a un talent spécial pour ça ? Il sait où se trouve la maison, de toute façon.

— Et il aurait donc poireauté devant, planté là comme un drapeau ? rétorqua Kim d’un ton cassant. Parce que s’ils peuvent le repérer et qu’il nous surveille, c’est comme s’il leur disait directement où vous vous trouvez, toi, Jake et cette créature qui fait la cuisine. Pas vrai ?

Vàrkolak, murmurai-je. Midian est un vàrkolak.

Kim écarta ce détail d’un geste de la main. Je rassemblai mes pensées. Si le Collège Invisible pouvait utiliser Ex pour me trouver, il l’aurait déjà fait. Le fait que notre porte n’ait pas été défoncée par une troupe de sorciers ninjas tendait à laisser penser que nous étions toujours en sécurité. Et j’imaginais qu’une journée de plus ne ferait pas beaucoup de différence. Soit nous arriverions à vaincre le Collège Invisible, soit nous serions dans une situation tellement critique que ça n’aurait plus la moindre importance.

Sauf que Kim savait qu’Ex était de notre côté. Certes, il surestimait sa propre importance, se montrait dominateur et croyait que tout était de sa responsabilité. Mais il ne représentait pas un danger pour nous. Cet accès de paranoïa, c’était sans doute l’équivalent, chez Kim, de mon réveil en panique à cause de cônes de signalisation orange.

— T’as la trouille, pour demain ? demandai-je.

Elle secoua d’abord la tête, puis la hocha après un instant de réflexion.

— C’est pour ça que j’ai quitté la ville, souffla-t-elle. Eric et sa vie clandestine. Les choses qu’il était prêt à faire. À nous faire faire. Pourtant me revoilà au beau milieu de ce bordel. Et il n’est même plus là.

Elle prononça la dernière phrase d’un ton où se mêlaient quantité de sentiments profonds. Du chagrin. Une impression de vide. Ce n’était plus d’Eric qu’elle parlait. C’était d’Aubrey.

— Qu’est-ce que tu as l’intention de faire si on gagne ? poursuivis-je. Quels sont tes projets ?

— Me remettre au travail, répondit-elle. Ils pensent que je suis toujours à Chicago. J’ai appelé le bureau tous les jours en me pinçant le nez et en leur disant que je me sentais toujours patraque. Ils doivent penser que j’ai attrapé le rhume du siècle. Mais il y a une réunion à propos du budget du service, jeudi, et il faut vraiment… vraiment que j’y sois.

Elle se tassa sur elle-même et tourna le regard vers la télévision. C’était une pub, mais j’étais incapable de déterminer pour quel genre de produit. Le bonheur abstrait, peut-être. Je m’éclaircis la voix.

— Je ne suis pas amoureuse d’Aubrey, lui assurai-je. J’ai craqué sur lui, il est mignon et sympa. Et en plus il sait danser. (J’inspirai profondément.) Le truc, c’est que ce n’est pas le moment idéal pour ce genre de décision. Il y a quelques semaines, je n’étais qu’une pauvre fille qui avait abandonné ses études et qui espérait pouvoir dénicher un job de serveuse. Et maintenant, je suis…

Je montrai les murs autour de moi. Kim suivit mon geste du regard, comme si cet endroit expliquait exactement ce que j’étais devenue. Elle acquiesça.

— Et ce n’est pas le seul problème, en plus, fit-elle remarquer. Après tout, tu ne sais pas non plus ce qu’il ressent pour toi.

Je voulus protester, lui dire qu’Aubrey n’était visiblement pas amoureux de moi, ne me désirait pas, n’importe quoi qui puisse la rassurer. Mais ç’aurait été un mensonge, et elle l’aurait su. Ce n’était pas le moment idéal pour fermer les yeux et me convaincre que le monde tournait dans le sens qui m’arrangeait.

— J’ignore en effet ses sentiments pour moi, reconnus-je. Notre situation n’était pas vraiment stable quand c’est arrivé.

Elle me sourit d’un air contraint.

— Avec un peu de chance, nous pourrons nous en inquiéter la semaine prochaine.

Mon téléphone sonna, faisant sursauter Kim. Je le sortis de mon sac en repensant à la réaction effrayée de Kim la première fois qu’elle avait entendu l’étrange sonnerie. Celle avec la voix d’Eric. Il s’agissait de l’un des assistants de mon avocate qui me rappelait à la suite du message que j’avais laissé. Il avait quelques questions concernant la manière dont je voulais qu’il procède. Je me bouchai l’autre oreille et allai à l’arrière de la maison pour me consacrer entièrement à la conversation.

Cette fois, notre plan était bien plus complexe que le précédent. Nous avions les voitures nécessaires pour l’attaque – ou tout du moins nous les aurions une fois qu’Aaron aurait volé celle qu’il était censé conduire. J’avais un fusil, et un autre arriverait en même temps que le véhicule volé. J’avais repéré un endroit non loin du palais des congrès où il y avait le Wifi gratuit. Midian et Chogyi Jake étaient prêts à tenir leur rôle de leurre et à entraîner à leur poursuite autant de victimes des parasites du Collège Invisible que possible.

La vraie difficulté, ce serait de s’assurer que mes leurres ne se feraient pas tuer. Ce qui signifiait que je devais m’arranger pour que leur fuite soit aussi rapide qu’imprévisible. La bonne nouvelle, c’était qu’il fallait de l’argent pour ça, et que je n’en manquais pas.

— OK, dis-je quand l’assistant juridique eut fini de parler. Vous pouvez m’envoyer l’adresse de l’aérodrome sur ma boîte mail ?

— Je viens de le faire, dit-il aussitôt. Et les motos vous seront livrées demain entre midi et 14 heures.

— Génial ! m’écriai-je.

— Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour vous, mademoiselle Heller ?

Une équipe de prêtres spécialisés en exorcisme ? Le numéro d’un bon livreur de pizzas ? De quoi manger ?

— Non, répondis-je. Je crois que ça suffira.

Je mis fin à la conversation et retournai dans la cuisine. Midian était penché sur une grande jatte métallique, un fouet à la main et une bouteille de cognac dans l’autre.

— OK, tout est arrangé, l’informai-je. Vous prendrez la fuite en moto, des bécanes assez rapides pour semer la police, et j’ai organisé un vol pour vous faire quitter la ville. Il vous appartiendra d’arriver là-bas en vie. Enfin… Tu vois, quoi. Aussi vivants que possible.

— Tu as vraiment de la classe, petite, commenta Midian. Dis, tu veux bien goûter cette sauce ? J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche.

Il me tendit une cuillère en bois dégoulinant d’un liquide brun à l’arôme sucré. Je le goûtai.

— Aucun problème, le rassurai-je. C’est très bon.

Le vampire me lança un sourire radieux et but une gorgée de cognac à la bouteille. Je me dirigeai vers la chambre de Chogyi Jake, toquai doucement à la porte, puis entrai. Il était assis, parfaitement immobile, au milieu du plancher. Les rideaux étaient tirés, plongeant la pièce dans une douce pénombre. Je me rendis compte que je n’avais jamais vu Chogyi Jake sans sourire sur le visage. Là, son expression était celle d’un homme profondément endormi et totalement paisible. Puis je le vis inspirer profondément, et laisser l’air s’échapper entre ses dents serrées. Il ouvrit les yeux.

— Salut, lui dis-je.

— Comment ça va ? me demanda-t-il.

— Je suis un peu nerveuse. Enfin, pas dans le même état qu’après avoir acheté pour 10 000 dollars de fringues. Simplement alerte. J’ai préparé la fuite de Midian, et j’ai aussi acheté une moto pour toi.

— Exactement comme Ex, fit-il remarquer. Les trois motards de l’Apocalypse.

— Je n’ai rien contre le fait de piquer une idée, si elle est bonne, commentai-je en entrant dans la pièce obscure et en m’asseyant sur le lit. Je me suis fait une grosse frayeur, ce matin. Je crois que je ne vais pas ressortir jusqu’à… enfin, tu vois. Et toi ? Ça va ?

— Ça va aller, répondit-il en levant les yeux vers moi.

— Mais là, c’est pas la grande forme, complétai-je.

— J’ai la trouille.

— Toi ? Je pensais que tu étais imperméable à la peur ! m’écriai-je en tentant de plaisanter.

— Tout le monde ressent la peur, dit-il. Et la fatigue. La semaine a été dure pour moi. Je ne peux pas… (Il secoua la tête.) Enfin, ce n’est pas plus mal qu’on approche de la fin. Les protections vont s’effondrer. Très bientôt.

Je hochai la tête. Je m’en étais doutée.

— Je peux te poser une question ?

— Bien sûr.

— Tu penses que je fais ce qu’il faut ? Ou bien je suis en train de vous envoyer vers une mort certaine ?

Chogyi Jake se pencha en avant, s’étira puis se releva. Ses cheveux rasés avaient pas mal poussé. On aurait dit une auréole sombre autour de son crâne.

— Intéressant, comme manière de s’exprimer. Tu crois vraiment que c’est le résultat qui fait qu’une action est bonne ou mauvaise ?

— En tout cas, c’est ce qui fait que c’est stupide ou non, à mon sens.

— Ah ! C’est une tout autre question, alors. Je croyais que tu parlais d’une bonne action en opposition avec quelque chose de maléfique. Mais en fait tu voulais parler de ce qui différenciait une bonne tactique d’une mauvaise.

Je laissai échapper un soupir.

— Je ne sais pas exactement ce que je voulais dire. Tout ce que je sais, c’est que j’ai la trouille de ce qui va se passer si on échoue.

— Certes, ce serait plus agréable de réussir. Mais même si ce n’est pas le cas, ça ne signifiera pas que notre tactique était mauvaise.

— On t’a déjà dit que tu étais nul pour encourager les gens ? Tu aurais pu te contenter de me tapoter la tête en m’assurant que tout irait bien et qu’il n’y avait aucune raison de m’inquiéter.

— Tout ira bien, s’exécuta-t-il en me tapotant le sommet du crâne. Ne t’inquiète pas.

— OK. C’était totalement inefficace, marmonnai-je. Mais merci quand même. Merci d’être resté avec moi. Et de bien vouloir participer à tout ça.

— C’est tout moi, dit-il.

— Alors merci d’être toi.

— De rien. Merci à toi d’être devenue qui tu devais être, conclut-il.

Il s’avança vers moi et prit ma main dans la sienne. Je fus surprise de la chaleur qu’il dégageait. On resta ainsi, immobiles et silencieux, pendant quelques secondes, puis, d’un commun accord, on se dirigea vers le salon.

Aaron arriva dans l’après-midi au volant d’un Hummer S2 noir. On aurait dit une Jeep qui aurait pris trop de stéroïdes : baraquée, masculine et vaguement malsaine. Je le regardai se garer en marche arrière dans l’allée de la maison. Quelques secondes plus tard, Candace se gara près du trottoir, derrière le van de Chogyi Jake. Aaron descendit du Hummer volé, un grand sourire sur le visage.

— Il y a une bâche à l’arrière, dit-il. Tu peux m’aider à en recouvrir ce machin ?

— Tout s’est bien passé ? m’enquis-je en le rejoignant.

— Impeccable. Ce crétin est probablement en train de tourner en rond dans le parking en se demandant où il a pu garer sa bagnole. (Il me regarda, l’air sérieux.) J’ai bien conscience que tout cela ne suit pas le protocole en vigueur. Il y a environ mille raisons pour lesquelles je ne devrais pas faire ça, le fait que ce soit illégal et que je sois censé faire respecter la loi n’étant que la plus flagrante. Mais il faut bien l’avouer : il n’y a rien de plus jouissif que de baiser l’un de ces enfoirés qui se croient tout permis.

— Ouais, commentai-je, je vois en quoi ça peut être satisfaisant.

Aaron hocha la tête et ouvrit le coffre. Je l’aidai à déplier l’épaisse bâche de protection en plastique bleu et à en recouvrir le Hummer. C’était comme si nous étions en train de faire un lit. Je me demandai si ma vie de criminelle allait être truffée de ce genre de petites impressions. Kim et Candace nous donnèrent un coup de main pour couvrir le capot. Une fois la pièce à conviction dissimulée, Candace alla chercher le deuxième fusil dans sa voiture.

À l’intérieur, la maison semblait exiguë et étroite, mais aussi étrangement festive. Midian disposa sur la table une quiche, du poulet teriyaki, du riz pilaf, des haricots verts assaisonnés d’amandes effilées et des choux à la crème à la sauce caramel. Aaron et Candace, flottant toujours sur l’excitation de leur vol, apportaient une énergie incroyable à la maisonnée et toute la tension nerveuse se cristallisa autour de celle-ci. Nous riions et papotions déjà avec animation avant même de nous servir. Je me demandai si les soldats ressentaient ce genre de chose à la veille d’une bataille : un mélange de joie et de peur. Cela ressemblait étrangement à l’amour.

Nous étions donc lundi soir. Cela faisait une semaine qu’Aubrey était dans le coma. Cain et ses créatures rôdaient dans la nuit comme des requins dans un aquarium. Ex m’avait abandonnée. Eric était mort. Les personnes qui m’avaient tenu lieu de famille ou d’amis jusqu’à récemment ignoraient même où je pouvais bien être. Et voilà que je me retrouvais entourée d’une famille de cœur, un groupe de personnes que j’avais réussi à rassembler autour de moi pour rire, manger, boire, et combattre le mal. Que ce soit le Mal avec un grand « M », personnifié par Cain, ou les petits maux du quotidien.

Nous étions lundi soir, et le lendemain, nous avions prévu de tuer Randolph Cain.

Je ne pus m’empêcher de revivre l’agitation, la colère et la douleur qui avaient précédé notre première tentative de frapper le Collège Invisible. J’espérais que la différence avec l’ambiance actuelle constituait un bon présage.

J’abandonnai la partie de poker lancée par Midian un peu après 21 heures et retournai dans ma chambre pour travailler sur la part du plan pour laquelle je devais faire preuve de toute mon attention. Exajayne était en ligne, et sembla heureux de me voir. On échangea quelques politesses avant d’attaquer les choses sérieuses. Il tenta de m’arracher le plus d’informations possible, et je lui mentis effrontément.

Nous avions tous l’intention de partir vers le sud mercredi matin. Nous avions un gros van que nous avions camouflé avec toutes sortes de barrières et de protections, le rendant difficile à repérer par les méchants. J’avais consulté les horaires d’avion au départ d’Albuquerque et imaginé un itinéraire qui nous ferait atterrir à Mexico City pendant la matinée du vendredi. Mon interlocuteur mystère sembla me croire du début à la fin, même si je dus lutter contre un épisode de paranoïa pendant lequel j’imaginai que Cain m’avait démasquée, et que c’était en fait le Collège Invisible qui se jouait de moi.

Je me préparais à me déconnecter – je voulais éviter que mes discussions avec le faux Ex durent trop pour ne pas risquer de me contredire – quand apparut une autre fenêtre de dialogue.

 

CARYONANDON : J ? T’es là ?

 

Je contemplai ces quelques mots en clignant des yeux. C’était Cary, mon ex de l’université. Celui dont le blouson était suspendu dans ma penderie. Était-ce un piège ? Le Collège Invisible avait-il retrouvé sa trace pour l’utiliser contre moi ? Je me penchai en avant, les mains au-dessus du clavier, en essayant de me concentrer sur l’écran et sur ce que j’allais répondre.

 

CARYONANDON : J ? Je sais que tu es devant ton ordi. Allez, quoi. Fais pas la conne.

JAYNEHELLER : Salut.

CARYONANDON : Je savais bien que tu étais là. J’ai beaucoup pensé à toi, ces derniers temps.

JAYNEHELLER : T’es soûl ?

CARYONANDON : Un petit peu. Ça te dirait pas qu’on se voie ? Il faut qu’on parle.

 

Exajayne posa une question et je lui demandai de patienter. Puis j’ajoutai que je devais me déconnecter, et que je lui parlerais le lendemain. La dernière chose que je fis avant de refermer le portable fut de répondre à Cary.

 

JAYNEHELLER : Franchement ? Ça ne me dit rien du tout.