Chapitre 21

Il semblait au bord de l’épuisement. Ses cheveux, rassemblés en queue-de-cheval, étaient sales et gras. La peau autour de ses yeux avait une teinte grisâtre, comme s’il avait travaillé des années durant dans un environnement enfumé et que la suie s’était incrustée dans ses pores. Une fois le glamour envolé, je vis qu’il portait un tee-shirt blanc à l’air aussi fatigué que lui, un vieux jean et des bottes noires.

Je le considérai, les bras croisés.

— Je fais ce que nous aurions dû faire depuis le début, criai-je. Tu ne veux pas éteindre ce foutu moteur, ou tu préfères vraiment qu’on discute de ça en beuglant et en public ?

Il afficha brièvement une expression revêche et, du menton, il m’invita à grimper derrière lui. Je lui jetai un regard blasé et restai immobile.

— Je ne veux pas parler de ça ici, dit-il.

Je fis demi-tour et crachai par terre, avant de retourner vers Aaron, Candace et Kim. Ils étaient toujours dissimulés derrière la voiture, mais le fait de me voir parler à ce mystérieux inconnu sans que ça dégénère en bataille rangée semblait les rassurer quelque peu.

— C’est Ex, expliquai-je. Vous trois, rentrez à la maison. Je dois lui parler. Je vous retrouve là-bas dans une heure.

— Tu en es bien sûre ? demanda Aaron.

Il tenait toujours son pistolet, mais évitait de le pointer sur quiconque, en bon professionnel. Il lança un regard à Ex par-dessus mon épaule, me signifiant très clairement qu’il était prêt à lui casser la figure si nécessaire. J’appréciai l’intention.

— Tout va bien, le rassurai-je. Je voudrais que vous parliez à Midian et à Chogyi Jake de cette histoire d’Appel de Malkuth et que vous réfléchissiez à la stratégie à adopter.

— C’est parti, alors ? s’écria Candace. On le fait mardi soir ?

— Je ne sais pas encore. On avisera selon les idées qui sortiront de tout ça. Je vais voir si je ne peux pas ramener Ex avec moi, quel que soit son problème.

Mes compagnons échangèrent un regard perplexe, puis Aaron glissa son arme dans le holster qu’il portait à la cheville et que je n’avais pas remarqué jusqu’alors. Je revins vers Ex. D’une de ses sacoches, il sortit un casque noir qu’il me tendit.

— Et toi ? m’étonnai-je.

— Ça ira sans, marmonna-t-il. Mets ça, et on y va.

Je grimpai sur la selle en essayant de m’adapter au poids du casque, et fourrai mon sac à dos en cuir dans la sacoche. Ex se pencha en avant et fit rugir le moteur. Bien que n’ayant aucune envie de le toucher, je l’imitai en posant mes mains sur sa taille et me préparai au démarrage.

Je n’étais plus montée sur une moto depuis mes seize ans, et même alors, ce n’était que le temps de faire le tour de quelques pâtés de maisons à vitesse réduite avec un gars de ma paroisse. Le démarrage d’Ex me fit l’effet d’une montagne russe, sans le côté amusant. Avant même que nous sortions du parking, j’avais tout oublié, Cain, le Collège Invisible, Kim et Aubrey, et les cavaliers en général. Toute mon attention était exclusivement consacrée à changer de posture au bon moment pour éviter que de me faire arracher un bout de cuisse sur le bitume dans les virages. Je m’accrochai un peu plus solidement et, au bout de deux cents mètres, me retrouvai à étreindre Ex avec une force que je réservais généralement aux hommes qui me plaisaient vraiment beaucoup.

On remonta les rues à toute allure, le vent séchant la transpiration sur mes bras avant même qu’elle ait le temps de perler. Malgré la chaleur écrasante et les rayons cruels du soleil, j’avais l’impression qu’il faisait frais. Je regrettai simplement de ne pas avoir refusé le casque. J’aurais adoré sentir l’air fouetter mon visage.

Ex tourna sur Colfax Avenue, puis prit l’I-25 vers le nord, ce qui me mit un peu mal à l’aise. Il n’y avait pas beaucoup de circulation en ce dimanche et, avec la vitesse, l’asphalte me faisait l’effet d’un tapis gris. Je me rendis compte qu’en me basant sur les mouvements d’Ex, j’étais en mesure de prévoir quand il allait changer de file ou de direction. Au bout d’un moment, je le suivis sans même y penser.

On finit par quitter l’autoroute, pour se retrouver dans un quartier aux jolies maisons de plain-pied ponctuées de centres commerciaux à taille humaine. Je me sentis assez en sécurité, à présent que nous roulions moins vite, pour me décoller un peu d’Ex et laisser passer de l’air entre son dos et mon ventre. Le devant de mon tee-shirt était trempé de sueur et – du moins, je le craignais – beaucoup trop transparent à mon goût. Je ne tenais pas à ressembler à une candidate à un concours de tee-shirt mouillé pendant notre discussion.

Mais mon inquiétude n’avait pas lieu d’être. Le temps qu’Ex passe en première et emprunte le chemin de terre qui menait à notre destination, le tissu avait séché et j’avais retrouvé toute ma dignité. Sur notre droite se trouvait une ferme basse, dont la peinture blanche s’écaillait par endroits. Le genre de lieu où je me serais attendue à voir une famille habiter. Je n’aurais pas été surprise qu’il y ait un portique de balançoires et des gamins jouant sur la pelouse. Ex la contourna.

Le garage à l’arrière était gigantesque. On aurait pu aisément y ranger trois voitures. Mais, au lieu de cela, il était aménagé en appartement. La voiture de sport luisante d’Ex était garée près du mur est. Un lit de camp en toile qui semblait dater de la Seconde Guerre mondiale était appuyé contre la cloison du fond, non loin d’une porte qui ouvrait sur une salle de bains si minuscule qu’il semblait impossible de s’y retourner. Ex coupa le contact, mit la béquille et descendit de la moto. Je l’imitai en enlevant mon casque. J’avais les jambes en coton.

J’examinai plus attentivement ce qui m’entourait : des livres en latin et en français, entassés sous le lit de camp. Un crucifix suspendu avec un respect infini près d’une petite fenêtre sale. Un cocktail d’odeurs de poussière, d’huile de moteur et de lessive. Ex s’appuya contre sa voiture, les bras croisés et la mine sévère. J’eus un mal fou à réprimer un rire moqueur.

— OK, je dois juste savoir deux choses, lui déclarai-je. Déjà, dis-moi que la maison, devant, n’appartient pas à tes parents. Et ensuite, jure-moi que tu n’as pas claqué toute ta thune dans une belle bagnole dans le seul but d’impressionner les filles.

Une expression de confusion traversa son visage, puis il regarda autour de lui comme s’il voyait l’appartement pour la première fois. Il eut l’air peiné, mais reprit vite contenance.

— La maison appartient à un ami, expliqua-t-il. Il me laisse occuper ce garage quand j’ai besoin d’un toit.

— Quand tu as besoin d’un toit ? répétai-je, surprise.

— Je ne suis pas propriétaire.

Je ne pus m’en empêcher : j’éclatai de rire. Ex, ce grand costaud plein d’autorité, avec ses vêtements noirs et sa rutilante voiture de sport, vivait dans un garage ! Son visage s’assombrit.

— Laisse tomber, Jayné, me supplia-t-il. Ce n’est pas seulement ta vie que tu risques, mais aussi celle de tous ceux qui se trouvaient au restaurant avec toi. D’abord, il faut que tu me dises ce que vous aviez prévu. Et ensuite, il faudra annuler.

Je fis mine de ne pas l’avoir entendu.

— Comment se fait-il qu’Eric ait eu assez d’argent pour pouvoir s’acheter une île déserte alors que vous autres vivez comme des étudiants ?

— C’est justement ce que j’essaie de t’expliquer ! s’exclama-t-il. Pourquoi refuses-tu de m’écouter ? Eric était un expert. Il avait des années d’expérience derrière lui, et des relations un peu partout. Chogyi Jake, Aubrey et moi… on était ses larbins. Des employés temporaires à qui il faisait appel en cas de besoin.

Je perçus de la souffrance dans sa voix, et retrouvai mon sérieux. Je contemplai le lit de camp, les livres, le crucifix et tentai d’en apprécier la beauté dépouillée.

— Pourquoi me suis-tu ? lui demandai-je.

— Parce qu’il faut bien que quelqu’un veille sur toi.

— Ils savent que tu es parti, murmurai-je. Le Collège Invisible, je veux dire. Ils sont au courant de ton départ.

— Ils m’ont aperçu à plusieurs reprises, expliqua-t-il. Et ils savent que je ne me trouve plus avec toi. Même s’ils ignorent où je suis précisément, ils savent que je suis parti.

— Et pourtant, tu es toujours en vie, fis-je remarquer.

— En effet.

— Pure chance ?

— En partie, reconnut-il. Mais j’ai aussi un certain talent pour ne pas me faire repérer.

— En tout cas, tu ferais mieux d’arrêter de me suivre. Soit tu es là, soit tu n’es pas là, mais pas entre les deux, bordel. C’est flippant. Tu m’as foutu les jetons, aujourd’hui. J’ai bien cru que tu étais l’un d’eux.

— Et ça aurait parfaitement pu être le cas. Cain a envoyé ses hommes à ta recherche aux quatre coins de la ville. Il sait que tu prépares quelque chose.

— Mais il ignore quoi, répliquai-je.

Je m’approchai de la fenêtre. Un Jésus aux joues baignées de larmes accroché à une croix en bois brut. Le sol qui se trouvait devant était moins poussiéreux que dans le reste de l’appartement. Comme si l’on s’était souvent agenouillé à cet endroit.

— C’était idiot de notre part de croire que nous pourrions réussir là où Eric avait échoué, plaida Ex. Nous étions aveuglés par notre orgueil, et nous en avons payé le prix. Il faut que tu mettes un terme à tout ça avant qu’il soit trop tard.

— Notre orgueil ? m’étonnai-je. Tu crois vraiment que c’était ça, le problème ? On avait une trop haute opinion de nous-mêmes, et Dieu a fait en sorte que nous échouions ?

— Ce n’est pas ce que j’ai dit, protesta Ex.

— Mais c’est bien ce que tu penses, objectai-je.

Je lui laissai quelques secondes pour trouver de quoi répliquer. Mais il resta muet. Au lieu de cela, il s’avança vers moi, les bras écartés, évoquant inconsciemment la silhouette sur le crucifix. J’avais passé toute mon enfance à regarder mon père se mettre dans des colères homériques, mais là, c’était différent. C’était du désespoir.

— Eric a surestimé sa force et en est mort, insista Ex. Nous avons commis la même erreur, et c’est Aubrey qui en a souffert. Je refuse que tu deviennes la troisième victime.

— Et si je gagnais ?

— C’est impossible. Tu auras beau te préparer tant que tu le voudras, faire preuve d’autant d’astuces que possible, appeler une armée à l’aide, Cain sera toujours plus fort que toi. Tu le sais très bien, mais tu ne veux pas l’admettre, parce que tu es amoureuse de cet homme qui gît dans un lit d’hôpital et que tu penses que peut-être – peut-être – il y aura un miracle et que tu pourras le retrouver.

Il s’interrompit. J’attendis qu’il continue sa tirade.

— Tu n’as rien à prouver à qui que ce soit, conclut-il.

Il était tout près de moi, à présent, et il sentait plutôt bon. Il semblait vibrer d’une violence rentrée, comme un terrible orage intérieur. Pourtant, je ne me sentais pas menacée. Au contraire, cela me touchait étrangement.

— Si je veux m’attaquer à Cain, ce n’est pas à cause d’un amour pervers et désespéré pour Aubrey, protestai-je enfin. Je le fais parce que je crois que lui aussi l’aurait fait pour moi. Et parce qu’Eric était la seule personne qui se soit jamais occupée de moi. Mais surtout, je le fais pour moi. Parce que j’en suis capable.

— Je t’en prie, renonce, gémit Ex. N’essaie même pas. Reste à l’abri.

Je m’avançai vers lui et le serrai contre moi. Il se raidit sous l’effet de la surprise, puis se détendit, m’enveloppant de ses grands bras. Je le sentis pousser un profond soupir, sa cage thoracique se gonflant un instant contre ma poitrine. Je posai ma tête sur son épaule. À travers la vitre sale, j’aperçus un moineau qui prenait son envol, comme un panache brun-gris qui montait vers le ciel.

— Merci, chuchotai-je.

Il acquiesça, et sa joue frotta mon front. Je l’étreignis une dernière fois, puis reculai.

— Il faudrait que tu me ramènes à la maison.

— Tu abandonnes ? s’enquit-il. Tu quittes la ville ?

— Non, répondis-je. Si je dois mourir, ce sera en essayant d’entraîner cet enfoiré de Cain dans la tombe avec moi.

Il écarquilla les yeux et pâlit légèrement. Il lança un regard plein de détresse vers le crucifix, comme un acteur qui aurait oublié sa réplique.

— Je sais que tu ne cherches qu’à me protéger, poursuivis-je. Dans ton esprit primitif et patriarcal d’homme de Neandertal, c’est ainsi qu’on doit traiter ses amis. Mais j’ai déjà un papa, vois-tu, et je me suis barrée pour ne plus avoir à supporter ce genre de conneries. Ramène-moi à la maison.

— Tu ne comprends pas, se lamenta-t-il alors que je me dirigeais vers la moto.

— Si, rétorquai-je. C’est juste que je ne suis pas d’accord.

 

De retour à la maison, à l’ombre du porche, la nuque en sueur, je regardai Ex s’éloigner. J’eus l’impression qu’au dernier moment il jeta un regard par-dessus son épaule, mais je pouvais me tromper.

J’entendis des éclats de voix provenant du salon, Midian et Kim qui parlaient en même temps. Pendant un instant, je crus qu’ils se disputaient. Puis je me rendis compte qu’en fait, ils avaient plutôt l’air excité.

Tous les yeux se tournèrent vers moi lorsque j’ouvris la porte. Kim et Chogyi Jake étaient accroupis par terre, un cahier ouvert entre eux où figuraient des motifs et des symboles qui semblaient grouiller quand je ne les regardais pas directement. Midian s’était assis sur la table basse et Candace et Aaron se trouvaient sur le canapé.

— Salut, gamine ! croassa Midian. On a bien cru que tu ne rentrerais jamais.

— Je vis ici, lui rappelai-je.

— Comment va le curé ? demanda-t-il.

Je secouai la tête.

— Ouais, bon, marmonna-t-il. C’est peut-être pas plus mal. Il avait tendance à m’agacer.

Je changeai de sujet :

— Et nous, on en est où ?

Aaron s’éclaircit la voix, se pencha en avant et fit un résumé de ce qui s’était passé pendant mon absence. Déjà, notre plan initial, qui voulait qu’on s’attaque à Cain près du palais des congrès, avait montré quelques faiblesses. Nous étions partis du principe que Cain rentrerait chez lui à l’issue de son discours, mais Midian avait fait remarquer que ce ne serait peut-être pas le cas. Alors ils avaient envisagé de nouvelles stratégies.

Tous les plans se basaient sur un certain nombre d’hypothèses. La première, c’était que nous parviendrions à éloigner les hommes de Cain du lieu de l’attaque, que ce soit grâce à Midian et Chogyi Jake sortant à découvert et les attirant à leurs trousses, ou aux faux renseignements que je donnerais au faux Ex. Tout cela n’ayant pour but que d’exposer Cain et son garde du corps et de les attirer dans notre embuscade.

L’idée la plus intéressante consistait à utiliser deux voitures, une conduite par Candace, avec Kim à l’arrière, et l’autre avec Aaron au volant et moi en passagère. Nous pourrions ainsi filer Cain à sa sortie du palais des congrès. Une fois que nous serions certains de l’endroit où il se rendait, il ne serait pas difficile pour nos deux véhicules de se rapprocher de lui. Kim s’occuperait d’étouffer les pouvoirs de Cain pendant qu’Aaron le forcerait à sortir de la route – visiblement, il avait suivi une formation et ne doutait aucunement de ses capacités en la matière. Ensuite, lui et moi achèverions le boulot avec les balles que j’avais récupérées sur le site de notre première tentative. Candace et Kim viendraient nous chercher, et nous disparaîtrions dans la nuit, sans laisser de trace.

— C’est moins dangereux que ça n’en a l’air, expliqua Aaron. Trois mecs ont trouvé la mort dans le même genre de circonstances dans les cinq dernières années, et chaque fois c’étaient des trafiquants de drogue. Cain ne fait certes pas partie du même milieu que ces gars-là, mais je suis prêt à parier que, quand la police de Denver enquêtera, elle pensera qu’il était lui aussi impliqué et ne cherchera pas plus loin.

— Hé ! s’exclama Midian en tapotant le genou d’Aaron de sa main squelettique. Dis-lui comment ça s’appelle, chez vous. Tu vas voir, gamine, c’est génial ! Tu sais quel est le terme utilisé par les flics pour parler d’un meurtre commis par un civil sur un cinglé qui mérite de se retrouver six pieds sous terre ?

— Non, c’est quoi ?

— Un meurtre délictueux, répondit Aaron. Ça arrive parfois. Imaginons qu’on surveille un mec qui vend du crack à la sortie des écoles sans qu’on puisse le coffrer faute de preuves. Imaginons que quelqu’un prenne les choses en main. Pas la peine de gaspiller les ressources du service pour une telle enquête, pas vrai ?

— C’est pas fantastique qu’il existe carrément un terme pour ça ? ricana Midian. Ça renouvelle ma foi en l’espèce humaine.

À vrai dire, ça avait plutôt tendance à m’horrifier, mais je laissai mes sentiments de côté.

— Vous êtes bien certains qu’on pourra faire croire à un règlement de comptes ? demandai-je.

— Sans problème, m’assura Aaron. Je vais (il dessina des guillemets en l’air) « emprunter » quelques petits objets dans la salle des pièces à conviction, au commissariat. On pourra les laisser dans la voiture de Cain avant de partir. Ou dans celle que nous aurons prise pour arriver jusqu’à lui. S’il y a de tels indices sur la scène du crime, les flics du coin ne mettront pas bien longtemps à atteindre la conclusion recherchée. Ils ne sont pas totalement idiots.

J’acquiesçai, songeuse. Je me rendais compte pour la première fois que j’avais consacré toute mon énergie et toute ma concentration à la façon dont j’allais tuer Cain, sans jamais réfléchir à la manière d’échapper à la justice ensuite. Après tout, ça aurait bel et bien l’air d’un meurtre, et il serait délicat d’expliquer au juge tout ce qui concernait les cavaliers, le Plérôme et ce genre de choses, sauf si je voulais plaider la folie, évidemment. J’en eus un frisson rétrospectif.

— Mais cette voiture que nous allons utiliser pour lui faire une queue de poisson, fis-je remarquer, elle va nous poser un sacré problème, non ?

— Eh bien, intervint Candace, en fait, on va pouvoir faire d’une pierre deux coups.

— Il y a cet endroit, juste au nord de Boulder, expliqua Aaron. Une baraque qui semble déserte, mais nous sommes tous persuadés qu’il s’agit d’une plaque tournante par laquelle transitent prostituées et drogues diverses entre la côte Ouest et l’est du pays. Mais on n’a jamais pu obtenir un mandat pour fouiller les lieux.

— OK, commentai-je en laissant traîner la dernière syllabe.

— Et la seconde voiture, conclut Aaron, je vais l’emprunter au gars à qui appartient cette maison. Si on la retrouve sur la scène d’un crime à Denver, je pense qu’on pourra faire une descente là-bas et mettre fin aux activités de cet enfoiré.

J’éclatai de rire et m’assis sur la marche devant la cheminée.

— C’est qu’on forme une sacrée équipe de justiciers, en fait ! commentai-je. Et en ce qui concerne l’Appel de Malkuth, qu’en pensez-vous, tous les deux ?

— Je pense que ça peut fonctionner, dit Chogyi Jake. Je n’avais jamais vu ce genre de configuration, mais ce que Kim m’a montré me semble tout à fait cohérent.

— Il y a un problème, tout de même, intervint Kim, qui évitait toujours de croiser mon regard. Les protections de Jayné. J’ignore l’influence que ça aura sur elles.

— Ne t’en fais pas pour ça, rétorquai-je.

— Mais elle a raison, c’est un problème, fit observer Chogyi Jake.

— Vraiment, je t’assure que non, insistai-je. Et est-ce qu’on aura deux fusils ?

— Oui, un chacun, confirma Aaron.

— Un par balle, dit Midian, avant d’ajouter : Tu sais, petite, tu n’es pas la meilleure tireuse au monde. Et la dernière fois que tu as visé Cain avec une arme…

— C’est du passé, répliquai-je. Là, ce sera à bout portant. Impossible de le manquer.

Et cette fois, j’allais appuyer sur la détente.

— Alors, c’est parti, pour de bon ? conclut Midian.

J’hésitai un instant, me demandant ce qu’Ex aurait pensé s’il s’était trouvé avec nous. Aurions-nous pu le convaincre ? Aurait-il estimé que j’avais ma chance, ou se serait-il entêté à croire que je me faisais des illusions ? Impossible de répondre à ces questions, et de toute façon ça n’avait aucune importance. L’opinion d’Ex comptait moins que la mienne à mes yeux.

— C’est parti, confirmai-je. Hé, au fait, vous savez conduire une moto ?