« Où avez-vous trouvé l’inspiration pour écrire cette histoire ? », m’a-t-on souvent demandé, qu’il s’agisse de celle-ci ou de celle-là, rangée là-bas, ou encore de cette troisième, d’un tendre rose et blanc, qui se trouve dans le coin. D’ordinaire, je hausse les épaules avec embarras. Mes idées cheminent sur le même parcours que les vôtres : de la Cité Contrainte à la Ville Inspiration, à une demi-heure de distance. Je suis incapable de donner une définition plus précise. Il m’arrive exceptionnellement de savoir à coup sûr pourquoi j’écris. L’histoire qui suit en est un exemple, et je vais vous expliquer pourquoi. J’assistai à la vingt-deuxième assemblée de Science Fiction (Pacificon II), le Jour du Travail, en 1964. J’essaie d’y assister tous les ans, quelle que soit la ville où elle ait lieu. (Cette année : Londres.) Une des particularités des toutes dernières assemblées était un concours d’amateurs d’art pictural auquel des auteurs de science fiction, peintres non-professionnels, présentaient leurs œuvres. À plusieurs reprises (pour des raisons non encore éclaircies), on m’avait demandé de faire partie du jury de ce concours. Le niveau artistique des œuvres soumises à notre appréciation me paraissait dans l’ensemble assez élevé et, dans certains cas, vraiment remarquable. À bien des occasions, je m’étonnais même que tel ou tel illustrateur dont le talent m’impressionnait ne fût pas connu dans le milieu professionnel ; or, en moins d’un an, invariablement ces mêmes artistes quittaient la scène de l’amateurisme pour devenir des illustrateurs en vogue. Au Pacificon, une fois de plus, j’assistai au concours des amateurs d’art pictural. J’étais en compagnie de Robert Silverberg, écrivain dont le nom ne vous est sans soute pas inconnu, et de la charmante Cele Goldsmith Lalli (Lalli n’était venu s’ajouter à son nom que tout récemment, au moment ou cette jeune et jolie célibataire s’avoua vaincue et épousa M. Lalli, aussitôt jalousé pour avoir enlevé la plus gentille des rédactrices). Cele avait essayé vainement d’obtenir de moi que je lui écrive une nouvelle. Je jouais le timide. Il y avait eu un temps où un-cent ou un-cent-et-demi-le-mot, pour des Histoires Étonnantes, était beaucoup d’argent pour moi ; mais à présent j’étais devenu un « auteur de best-seller hollywoodien » (on le dit quelque part par ici), aussi je me plaisais à débiter des stupidités du genre : « Je suis trop cher pour vous, Cele. » Ou : « Je vais voir si Joseph E. Levine voudra attendre une semaine de plus pour me laisser le temps d’écrire pour vous… » Ou bien : « Je vous ferai téléphoner par mon agent, ma-petite-chatte-rusée. » Cele affichait alors une mine imperturbable. Comme j’étais beaucoup plus jeune, et que je mettais périodiquement la pagaille dans son service efficace chez Ziff-Davis, elle me tolérait avec une résignation stoïque, que le Colosse de Rhodes aurait pu lui envier. « D’accord, d’accord, tête d’affiche, répondait-elle, j’irai jusqu’à deux-cents-le-mot ; or nous savons l’un et l’autre que c’est trop payé. Pour toute réponse, je ricanais et je m’en allais. Pendant deux jours, c’était alors une sorte de course poursuite, à la manière du gendarme et du voleur. Mais en fait j’avais pris des engagements prioritaires avec la télévision (c’étaient les termes que j’employais pour parler de ma basse servitude sur les antennes), si bien que je savais que je n’aurais pas le temps d’écrire des nouvelles, que je fusse tenté ou non d’en rédiger quelques-unes pour ne pas perdre la main. Ce dimanche matin de septembre, alors que nous étions réunis à l’exposition des amateurs d’art pictural, je fus frappé par le talent d’un jeune homme nommé Dennis Smith, de Chula Vista, en Californie, qui présentait des illustrations en sgraffite. Celles-ci démontraient un travail extraordinaire, combinant les traits saillants de Finley, de Lawrence et de Heinrich Kley. Elles étaient d’une inspiration juvénile, bien sûr, mais elles étaient exécutées avec la science d’un professionnel. L’une d’elles me fascina tout particulièrement : dans le décor d’un paysage brumeux, avec un lavis laiteux d’étoiles tombant du ciel et le faible tracé d’un mur crénelé se découpant sur un fond sombre, au premier plan une étrange créature phosphorescente aux énormes yeux brillants, portant un sac de têtes de morts, à califourchon sur un rat monstrueux, semblait sortir du cadre et se diriger droit sur moi. Je la fixai du regard pendant longtemps, tandis qu’un petit groupe de curieux s’assemblait derrière moi, tout aussi fasciné par l’image. « Si quelqu’un l’achetait, moi, j’écrirais la légende », m’entendis-je prononcer soudain. Et, derrière moi, la voix, chaude et onctueuse comme de la margarine, de Cele Goldsmith Lalli répliqua : « Je l’achète pour Fantastique ; j’ai votre promesse. » J’étais pris au piège. La furie de l’enfer n’est rien, comparée à l’acharnement d’une rédactrice vouée corps et âme à sa mission. Partant de cette œuvre picturale, étrange et remarquable, j’écrivis la nouvelle, qui restera une de mes favorites. Tout naturellement je l’ai titrée :