Aujourd’hui, on peut en parler : de mon vice secret. Profondément enfoui en mon for intérieur, il y a un défaut si hideux, si troublant, une vanité si terrible dans ses répercussions que, en comparaison, la sodomie, la pédérastie et la baraterie sur la haute mer paraissent aussi banales qu’un roman de Frances Parkinson Keyes. Je suis toujours en retard. Invariablement. Constamment. Si je vous dis que je viendrai vous prendre le lendemain à 8 h 30, ne m’attendez pas avant le jeudi suivant. J’ai un véritable génie pour le retard. La Paramount envoie une voiture pour me prendre lorsque je dois découper un scénario, car si je suis en train d’admirer des fleurs ou de rêver au bord de la mer, ou encore de lire, dans ma salle de bains, un exemplaire des Étonnantes Histoires de l’Homme-araignée, je suis sûr d’oublier mon rendez-vous. D’innombrables fois, je me suis fait rappeler à l’ordre à cause de cette négligence. Étant soldat, j’ai failli, à plusieurs reprises, passer en cour martiale. J’ai perdu des amies. Finalement, j’ai consulté un médecin pour savoir si ma moelle allongée avait quelque chose d’anormal, ou si je souffrais d’une autre anomalie. Il m’a dit que j’étais toujours en retard. Ses honoraires s’élevaient à soixante-quinze dollars. Je suis arrivé à la conclusion que, contrairement à la plupart des gens ayant un sens de la fuite du temps hautement développé, croyant à la permanence de l’homme dans le chrono-mouvement et à tout le reste, moi, je n’ai pas une horloge parlante, bien réglée et faisant tic-tac, sous mon crâne. Il me fallait donc expliquer ce phénomène au monde, plaider coupable avant d’être jugé. J’ai écrit l’histoire suivante comme un appel à la compréhension, extrapolant (pour moi) l’abominable monde qui m’entoure, où chacun court à gauche et à droite pour être en place à temps – un temps pas trop lointain (d’après ma montre) où votre vie sera écourtée chaque fois que vous serez en retard. Le fait que le nom du héros de cette œuvre mineure ressemble de façon frappante à celui de l’auteur n’est pas pure coïncidence. Jugez-en.