II

 

Oui

 

Deux longs mois s’écoulèrent sans que l’on vit Édouard sortir de chez lui.

Les uns disaient qu’il était en train d’écrire ses curieuses aventures : d’autres, et c’étaient peut-être les mieux renseignés, qu’atteint d’une singulière maladie, il passait ses journées seul et silencieux, à regarder le coin du jardinet voisin, que l’on pouvait entrevoir par la fenêtre de sa chambre.

Alice ne passait pas le temps plus gaîment, car malgré son élégant défaut, elle s’était aperçue que l’absence d’Édouard faisait un vide autour d’elle, et, du reste, elle était douée au suprême degré de ce qu’on peut appeler la philosophie des femmes – la perspicacité.

Depuis qu’elle n’entendait plus son ami lui parler d’amour, cet amour avait grandi à ses yeux et elle s’était aperçu que la passion délicate et dévouée d’Édouard, valait bien les spleens de M. Darlington, ou les grosses turlupinades de M. Meunier. Bien souvent elle se demandait ce qu’Édouard pouvait faire, caserné comme cela dans son affreuse chambre, et les mots ingratitude, abandon, voltigeaient déjà dans sa pensée, lorsqu’un jour, au détour du bois, ils se rencontrèrent.

Édouard était pâle et défait. Alice rougissait de plaisir et d’émotion.

Édouard fut galant et prévenant comme dans les beaux jours d’autrefois, mais peu causeur : il n’osait trop l’être, crainte d’avoir des larmes dans la voix. Alice fut affectueuse et presque expansive.

Quand ils se séparèrent devant le petit parterre, Alice exigea d’Édouard la promesse qu’il reviendrait le lendemain. Le lendemain, Édouard était auprès d’elle, et les causeries et les confidences de jadis recommencèrent.

Peu à peu ces confidences, ces causeries devinrent ces épanchements d’âme à âme que les poètes ont chantés sur tous les tons, et un jour Alice se penchant à l’oreille d’Édouard lui murmura timidement :

– Avez-vous oublié l’aiguille ?

Ces paroles affectueuses portaient en elles une parcelle du baume du Samaritain de l’Évangile, car à quelque temps de là, Alice et Édouard agenouillés aux pieds du Christ de l’église du village, se juraient mutuellement de s’aimer toute la vie, ce qui est plus difficile qu’on ne le pense, même pour les âmes patientes.

Le garçon d’honneur remarqua qu’Alice avait prononcé son oui d’une voix forte et calme ; et, au grand étonnement des invités, quand, après être rentré chez lui, Édouard présenta à sa femme sa corbeille de noces, la première chose qu’elle en retira fut une aiguille d’or.

– Si jamais il nous prenait fantaisie de rompre ce que Dieu vient de lier, cette aiguille raccommoderait tout, n’est-ce pas Alice ?

– Oh ! oui, Édouard, repartit la voix mutine de sa femme.

C’était la deuxième fois qu’elle disait oui depuis le matin.

Ce mariage fut on ne peut plus heureux, et Édouard, qui n’a cessé que depuis quelques années d’être membre du parlement, ne décroche plus son grand sabre de cavalerie que pour mieux faire rire les cinq blondes têtes d’enfants que Dieu lui a envoyées.

De temps à autre il reçoit encore, par l’entremise du jeune Darlington, des nouvelles de ses anciens camarades du régiment ; car Darlington marié six ans après lui, n’a eu que ce seul fils, qu’Édouard a fait entrer au deuxième lanciers, grâce à son ancien lieutenant qui en est devenu le colonel.

M. Meunier a succombé la semaine dernière, à l’attaque d’apoplexie qui le menaçait depuis déjà quelque temps.

Cette mort a affecté un peu ma grand-mère. Elle perd ainsi un a un, tous ses souvenirs de jeunesse ; néanmoins, cela ne l’empêche pas de temps à autre, tout en brodant, de nous raconter quelques naïves histoires dans le genre de celle-ci, et de porter encore à ravir la coquetterie de ses soixante-sept hivers ; car, ma grand-mère – ce sera ma dernière confidence – c’est tout bonnement :

– La femme à l’aiguille.

À la brunante : contes et récits
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