Amoureuse.
Rien, aucune créature au monde n’est plus ridicule, et déplaisante, qu’une fille amoureuse : du matin jusqu’au soir, elle sourit vaguement, prunelles clignotantes et bouche entrouverte. De temps à autre, l’amoureuse rougit (sans doute pense-t-elle, la pauvre chérie, à des caresses jugées par elle scandaleuses). Ou alors elle grimace : ce doit être la jalousie qui vient lui mordiller le cœur…
Hélas, ces accès de fragilité ne durent pas. Le visage de l’amoureuse reprend au plus vite cet insupportable air de reine : surtout, ne me dérangez pas, n’osez même pas me parler, je suis d’une autre race, supérieure à toutes les autres puisque j’aime et suis aimée.
Amoureuse.
Telle, du jour au lendemain, était devenue mon ennemie, Mme Jargonos, vous vous souvenez ?, la redoutable inspectrice qui terrorisait les jeunes enseignantes.
Comment cette vieille aiguille de pin, sèche, et pointue, et cassante, s’était-elle soudain métamorphosée en loukoum, cette confiserie écœurante qui s’amollit jusqu’à fondre au soleil ?
Mystère, chimie secrète de l’amour, n’attendez pas que je vous explique. Je ne suis que Jeanne. Je n’ai que douze ans. Je ne peux que raconter. Raconter le plus honnêtement, le plus précisément qu’il est possible, cette incroyable histoire qui m’a conduite, après quels détours et quels périls !, au cœur de l’île ô combien mystérieuse du Subjonctif.