Impressions personnelles de l’agent Willis
Depuis environ deux mois maintenant, la ville de Bedford, dans le Maine, est calme. Durant tout l’hiver, elle a été le théâtre de kidnappings d’adolescents, puis d’adultes, de dizaines de disparitions, et enfin d’une doline qui a détruit l’auditorium et le café de la ville. La neige a cessé de tomber. Les rapports d’incidents sont de nouveau ordinaires. Il n’y a plus de disparitions de jeunes et on ne nous signale plus d’étranges murmures venant des bois. Toutefois, l’endroit ne m’inspire pas confiance, et je crains que le dossier ne soit jamais officiellement clos. Tellement de civils et tellement d’agents ont perdu la vie dans cette histoire invraisemblable. Cela me rend malade.
Dans le Maine, l’arrivée du printemps s’accompagne d’une vague de boue. La neige fondue fait déborder les rivières, et les températures font de la chute libre la nuit venue, mais ça m’est égal. Le printemps, c’est comme ça, et mes amis et moi sommes en vie, même Cassidy, même si son séjour à l’hôpital s’est révélé terriblement long. La chorale se prépare à partir pour Disney World et la compétition nationale. Disney est en Floride, où il fait chaud, même la nuit.
Nous nous asseyons sur la pelouse devant l’école. Les élèves de terminale rejoignent leurs voitures en traînant avant de libérer le parking. Le dernier bus manœuvre tranquillement, puis s’arrête en faisant grincer ses freins. La porte s’ouvre, et des lumières rouges se mettent à clignoter à la hauteur du toit.
Personne n’est en danger.
Rien ne va kidnapper qui que ce soit.
Issie s’affale sur l’herbe et s’installe de façon à poser sa tête sur les cuisses de Devyn. Il lui caresse les cheveux.
— N’interprétez pas ça de travers, dit-elle en croisant les jambes au niveau des chevilles. Ça me va très bien, que personne ne soit en danger, d’autant plus mortel, mais c’est…, c’est plutôt…, enfin…
— Monotone ? propose Nick.
Il arrache des brins d’herbe en attendant que je lui donne une nouvelle lettre pour Amnesty à signer.
— Exactement, lâche Issie. Monotone.
— C’est bien, une vie monotone, interviens-je en tendant une lettre à Nick et une à Astley.
Ses yeux croisent les miens. Nous parlions de la même chose un peu plus tôt dans la voiture, de cette vie soudainement calme que nous avions reprise. Le conseil des lutins s’est dissous. Des rois renégats existent encore, mais il n’y en a aucun dans les parages, et surtout aucun aussi mauvais que Frank. Amélie est responsable des aspects du quotidien du royaume, et Astley, qui toute sa vie a eu un tuteur à domicile, est désormais au lycée avec nous et suit tous les cours de spécialisation. C’est écœurant. Et bien. Et écœurant. Il est aussi doué que Devyn. Il va délibérément obtenir un B en cours de santé (ne me demandez pas pourquoi ce cours est absolument nécessaire pour avoir son année) juste pour s’assurer que Devyn reste major de sa promotion. Ça ne serait pas juste pour le pauvre Devyn, sinon.
— Tu te souviens de ton arrivée dans la région ? me lance Nick.
— Elle portait des jeans pacifistes et écoutait sans cesse du U2, soupire Cassidy en nous rejoignant.
Elle boite légèrement, comme si elle protégeait encore ses blessures.
— Et vous deux, vous vous disputiez constamment.
— Pas constamment, je me défends en jetant un regard de côté à Astley, mais il n’est pas jaloux.
Il ne se montre jamais jaloux, ce qui est à la fois agréable et assez bizarre.
— Constamment, confirme Nick en riant.
Il me rend la lettre, que je passe à Cassidy pour obtenir sa signature. Elle concerne la peine de mort, ce qui est plutôt ironique, car nous protestons contre le fait que la justice y ait recours alors que nous-mêmes en avons usé illégalement un nombre incalculable de fois.
— Et elle marmonnait toujours sa liste de phobies, ajoute Issie en se redressant. C’était trop adorable.
— Adorablement névrosé, dit Devyn. Je m’attendais à ce qu’elle devienne la prochaine patiente de mes parents.
— C’est pas sympa, rétorque Issie en lui donnant un coup dans l’épaule.
— Mais c’est vrai, je confesse.
J’allais vraiment mal, à l’époque.
— Maintenant, ma seule névrose est d’être acceptée à l’université.
— Et protéger le monde entier de ceux qui se fichent des droits de l’homme, ajoute Issie.
— Tu seras acceptée, me rassure Astley.
— C’est ce que dit Betty.
J’effleure un brin d’herbe. Elle est tellement différente de celle de Charleston – plus fine.
Cassidy lève les yeux de la lettre qu’elle est en train de signer.
— Comment va ta grand-mère ?
— Madame Nix lui manque toujours, mais elle prétend le contraire. Elle a récupéré ses ruches. C’est triste et adorable à la fois, vous ne trouvez pas ?
Nous demeurons silencieux un instant. Il y a eu tant d’enterrements et tant de veillées qu’ils ont fait venir des conseillers pour organiser des journées pédagogiques et ainsi faire en sorte que ceux qui sont restés puissent gérer le stress post-traumatique et ce qu’on appelle la culpabilité du survivant. La ville a perdu énormément de personnes.
Un vent frais souffle. Les pissenlits commencent à pointer le bout de leur nez. Bientôt, ils seront ornés de jolies fleurs jaunes, qui mourront à leur tour. Le vent disséminera alors leurs graines. Une part de moi se demande si c’est ce que sont en train de faire les mauvais lutins, s’ils sont en train d’attendre patiemment de jaillir de terre et de se disséminer. Une part de moi pense que je suis paranoïaque.
— Ah ! les vacances de printemps !… lance Issie. C’est top.
Cassidy s’installe par terre à côté de nous.
— Tu l’as dit.
Elle va accompagner la chorale, tout comme Devyn et Nick. Mais Astley, Issie et moi partons en Europe visiter cette villa dont nous a tant parlé Astley. Nous allons voir des phoques et des fleurs. Je ne veux pas être désagréable, mais nous serons débarrassés de Bedford. Ça va juste nous faire tellement de bien d’aller quelque part qui n’a pas été le théâtre d’un massacre.
Lorsque je suis arrivée à Bedford, j’étais tellement terrorisée par le fait de n’être plus rien. J’étais insensible à tout, car cela m’aurait fait trop mal. Et aujourd’hui ? Je repense à une citation que mon beau-père utilisait souvent. Elle est d’Anandamayi Ma : « Enracinez-vous dans le courage. La vie matérielle n’est que peur. »
J’ignore totalement qui est Anandamayi Ma. Il faudrait que je cherche, mais pas maintenant, parce que, maintenant, je suis tellement heureuse de ne pas être la seule survivante, d’avoir été celle qui a risqué sa vie pour empêcher la fin du monde, de pouvoir être allongée sur l’herbe sous le soleil et de pouvoir laisser Astley poser sa tête contre ma hanche pour contempler le ciel. La plupart des lutins de Frank sont désormais des nôtres. Ils sont retournés sur le droit chemin, contrits et déçus de ce qu’ils étaient devenus, et ils cherchent la rédemption.
L’hiver est terminé. Mes amis et moi menons des vies dans lesquelles nous n’avons pas constamment à être terrorisés. C’est une vie où je peux être fière d’être à moitié lutin, fière de ce que je suis, de ce que nous sommes tous devenus.
Remerciements
Merci à ma mère, Betty Morse, qui a combattu maintes fois la maladie et qui est restée en vie malgré nos craintes. Elle est la force et la bonté mêmes. Je l’aime de tout mon cœur. Et merci à Lew Barnard et au reste de ma famille de ne pas m’avoir encore reniée.
Merci à Emily Ciciotte, qui prouve que l’on peut être génial même en regardant la télé.
Merci à Shaun Farrar. Tu m’as appris à être courageuse et à garder espoir. Je suis navrée que tu sois obligé de me le rappeler encore et encore.
Des baisers de lutins à Alice Dow, Lori Bartlett, Marie Overlock, Jennifer Osborn et Dotty Vachon ; à Laura Hamor, Kelly Fineman, Jackie Shriver Ganguly, Tami Brown, Melodye Shore et Tamra Wright. Vous vous êtes tous montrés très patients et très sages.
Merci à Jim Willis, Ken Mitchell et le commissariat de Mount Desert de m’avoir permis d’écrire et de vous être tous proposés d’apparaître dans mes livres de nombreuses fois.
Cette série n’aurait jamais vu le jour sans les précieux conseils de Michelle Nagler. C’est la meilleure éditrice du monde, et, grâce à elle, j’ai pu créer, autant que faire se peut, une Zara téméraire et fabuleuse. Elle et tout le reste de l’équipe de Bloomsbury sont vraiment des princes avec les auteurs. Merci. Ce n’est pas eux qui reçoivent le courrier des fans, mais ils le méritent plus que moi.
Et tous mes remerciements à Edward Necarsulmer et sa prodigieuse assistante, Christa Heschke. Il n’existe pas de meilleur agent et de meilleur ami. Je suis désolée de toujours t’appeler sans le faire exprès quand je suis à l’aéroport et de raccrocher lorsque je conduis. Un jour, j’arrêterai. C’est promis.
Et enfin, merci à toutes les merveilleuses personnes qui m’envoient des e-mails et des commentaires sur Facebook, Twitter, et tous les autres réseaux sociaux sur lesquels j’apparais. Vous n’imaginez pas comme vous contribuez à ma foi en la bonté des gens. Merci mille fois pour votre folie, votre soutien et…, eh bien…, oui, d’être aussi extraordinaires !