Il n’avait que le cimetière marin à traverser pour gagner le chœur de son église. Ce matin-là, l’abbé Maynard s’était levé plus tôt que d’habitude. Sur le seuil du presbytère, la brise du large le fit tressaillir. Par-delà les murets gris et les tamaris noueux, le ciel était dégagé et la Gironde, comme à son habitude, faisait le gros dos.
Le curé glissa sa main potelée entre les deux dalles qui abritaient la clé de son lieu de culte et ne rencontra que l’humidité de la pierre. L’ecclésiastique bougonna avant de se rendre à l’évidence. Il se précipita alors à la porte de Sainte-Radegonde et, contre toute attente, le grand portail s’ouvrit sans la moindre résistance. Force était de constater qu’on pouvait pénétrer dans la maison de Dieu comme dans un moulin.
À l’occasion, le maire de Talmont ne manquerait pas de le lui rappeler. Pas étonnant, dans ces conditions, que les pilleurs d’églises s’en donnent à cœur joie !
Un long cierge était allumé au pied de la sainte du Poitou. À cette heure-là, ce détail attisa la curiosité du prêtre. À peine ses yeux s’étaient-ils habitués à la semi-obscurité des lieux que l’abbé Maynard eut un choc.
Elle était là, et bien là. Pendue à sa chaînette, la frégate battait fièrement pavillon français sous la voûte de la chapelle, frémissante sous le souffle du vent. Aucune dégradation. Les frêles mâts paraissaient intacts, la carène luisante, d’un vert soutenu, les écoutilles ouvertes sur des canons grossièrement peinturlurés en rouge vif.
L’ex-voto avait retrouvé sa place comme si de rien n’était. À moins que ce ne fût une copie ? Le curé récusa très vite cette hypothèse. En effet, sous le bossoir, la peinture s’était légèrement écaillée et cette infime griffure signait l’authenticité de cette maquette marine du XIXe siècle. Maynard se signa aussitôt et remercia le Ciel de ce retour providentiel. C’est la mère Jarland qui, dans son hystérie légendaire, n’hésiterait pas à parler de miracle…
Séraphin Cantarel avait raison. Cet « emprunt » n’était qu’une plaisanterie de potache destinée peut-être à mettre en lumière combien cette église était ouverte à tous les vents. Cynique ou farceur, le ou les voleurs repentants n’avaient pas hésité à brûler un cierge pour implorer l’indulgence du Très-Haut. Il restait cependant à retrouver la clef de l’église. C’était un moindre mal.
Après s’être agenouillé et avoir marmonné quelques prières, le père Maynard retourna à sa cure pour se réjouir auprès de sa fidèle servante du retour providentiel de l’ex-voto. Et dire qu’il voulait que les gendarmes de Cozes alertent Interpol du vol de ce « trésor inestimable de Talmont » !
Décidément la journée s’annonçait sous de bons auspices. Il importait que, toutes affaires cessantes, il prévienne son ami Séraphin de l’heureuse nouvelle, aussi se précipita-t-il sur l’annuaire pour joindre l’Hôtel Primavera de Saint-Palais.
— Faut-il, l’abbé, que votre ministère soit ensorcelé pour que vous m’appeliez de si bonne heure ? grommela Cantarel, pris au saut du lit.
Avec force détails, Maynard fit part au conservateur de son « incroyable découverte ». Séraphin fut ravi de ce dénouement qui le confortait dans ses convictions. Il ordonna aussitôt au curé de Talmont de changer sur-le-champ la serrure de l’église et d’être désormais l’unique dépositaire de la clef.
— Toujours est-il qu’on ne sait pas qui a fait le coup ! objecta Cantarel. Manifestement, l’auteur de ce vol, disons momentané, a souhaité délivrer un message. Il a voulu vous mettre en garde, l’abbé ! À moins que ce ne fût pour affoler votre grenouille de bénitier ?
— Vous voulez parler de Mme Jarland ?
— Par exemple !…
Les deux hommes promirent de se revoir sous quarante-huit heures. Avant de raccrocher, Cantarel demanda :
— Depuis quand Mme Jarland ne s’est-elle pas confessée ?
— Quelle question ! En vérité, elle ne se confesse jamais. Elle dit n’avoir rien à se faire pardonner !
— Je me méfierais, l’abbé, de ces gens qui prétendent avoir la conscience un peu trop tranquille…
— Qu’est-ce que vous insinuez, Séraphin ?
— Je crois que c’est dans cette direction qu’il faut chercher votre clergyman cambrioleur !
Le curé ne put réprimer un hoquet. Et Cantarel d’ajouter, goguenard :
— Apprenez à vous méfier, mon père, des gens à qui, tous les dimanches, vous donnez le Bon Dieu sans confession !
L’éclat de rire qui s’ensuivit de la part du prêtre sonnait assez faux. L’abbé Maynard avait toujours été un peu jaloux de la clairvoyance de son ami.