CHAPITRE V
ENTRETIEN AVEC LE COLONEL PIKEAWAY
Tommy traversa Regent's Park, puis emprunta plusieurs rues où il n'était pas passé depuis des années. Autrefois, lorsque Tuppence et lui occupaient un appartement non loin de Belsize Park, il allait souvent se promener à Hampstead Heath, en compagnie d'un chien qui appréciait hautement ces sorties. Un chien de nature particulièrement volontaire, d'ailleurs. En quittant la maison, il essayait toujours de tourner à gauche pour rejoindre la route conduisant à Hampstead. Et les efforts de ses maîtres pour le faire tourner à droite, vers les quartiers commerçants, étaient généralement vains. James était un petit personnage fort obstiné. Il aplatissait sur le trottoir son corps en forme de saucisse, tirait la langue et faisait semblant d'être épuisé, ce qui manquait rarement d'attirer des réflexions de la part des passants.
— Regardez ce mignon petit chien, celui qui ressemble à une saucisse. Il est tout haletant, le pauvre. Complètement épuisé.
Tommy prenait alors la laisse des mains de Tuppence et traînait James dans la direction opposée à celle qu'il aurait voulu prendre.
— Ne peux-tu pas le porter, Tom ?
— Porter James ? Il est bien trop lourd.
James, par une manœuvre savante, tournait à nouveau sa saucisse vers Hampstead Heath.
— Voyons, mon petit chien, tu veux peut-être rentrer à la maison ?
James tirait sur sa laisse avec conviction.
— Très bien, soupirait alors Tuppence. Nous irons faire les courses plus tard.
James levait la tête et agitait la queue.
— Entièrement d'accord avec toi, Maman. Tu as fini par comprendre que c'est à Hampstead que je veux aller.
Maintenant, Tommy réfléchissait. Il avait l'adresse du colonel, mais ce n'était pas la même. La dernière fois qu'il avait rendu visite au vieil officier, ce dernier habitait dans le quartier de Bloomsbury. Aujourd'hui, la petite villa devant laquelle il fit halte était située non loin de la maison natale de Keats9, et elle n'avait pas un aspect spécialement engageant.
Tommy sonna. Une vieille femme correspondant à l'image qu'il se faisait d'une sorcière – menton et nez pointus qui semblaient vouloir se rejoindre – vint lui ouvrir la porte.
— Pourrais-je voir le colonel Pikeaway ?
— Je ne sais pas, répondit la sorcière. De la part de qui ?
— Je m'appelle Beresford.
— Ah oui. Il me semble qu'il a parlé de vous.
— Puis-je laisser ma voiture devant la porte ?
— Pour un petit moment, ça ne risque rien. Il n'y a pas de lignes jaunes, dans le coin, et les agents viennent rarement fouiner par ici. Mais il vaut mieux la fermer. On ne sait jamais.
Tommy suivit la vieille à l'intérieur.
— Au premier étage.
Déjà dans l'escalier, régnait une forte odeur de tabac. La sorcière frappa à une porte, l'entrouvrit et passa son museau de fouine à l'intérieur de la pièce.
— Ce doit être le monsieur que vous attendez, annonça-t-elle sans plus de façons.
Elle s'écarta, et Tommy pénétra dans une atmosphère enfumée qui commença à le faire tousser dès le seuil. Il se demanda s'il se serait souvenu du colonel Pikeaway sans cette fumée et cette odeur de nicotine qui le prenait à la gorge. Un homme âgé, assis dans un fauteuil aux accoudoirs râpés, leva les yeux à son entrée.
— Thomas Beresford ! Combien d'années y a-t-il que nous ne nous sommes pas vus ? Vous étiez venu avec… Bah ! Peu importe. Un nom en vaut un autre. « Une rose autrement dénommée serait tout aussi parfumée. » Shakespeare a parfois fait dire de drôles de choses à ses personnages. Mais, bien sûr, étant poète, il ne pouvait faire autrement. En ce qui me concerne, je n'ai jamais beaucoup aimé Roméo et Juliette. Tous ces suicides par amour ! Il y en a bien assez comme ça. Même de nos jours. Asseyez-vous, mon cher.
Tommy débarrassa d'une pile de livres l'unique chaise convenable qui se trouvât dans la pièce.
— Posez-les sur le sol. J'étais en train de chercher une référence. Eh bien, je suis heureux de vous voir. Vous avez un peu vieilli, mais vous paraissez en excellente santé. Jamais eu d'attaque ?
— Non.
— Tant mieux. Il y a tellement de gens qui ont des maladies de cœur, de l'hypertension et tout un tas d'ennuis du même ordre. Ils en font trop, c'est là le malheur. Ils courent d'un endroit à un autre, racontent à tout le monde qu'ils sont surchargés de travail mais que la terre ne pourrait tourner sans eux, et ils sont véritablement convaincus de leur importance.
— Moi, je n'ai pas du tout l'impression d'être très important. Au contraire, il me semble que je me reposerais désormais avec grand plaisir.
— Sage pensée. Le hic, c'est que l'on a toujours autour de soi des gens qui ne vous permettent pas de vous reposer. Qu'est-ce qui vous a conduit à changer de résidence ? Au fait, rappelez-moi le nom de ce patelin où vous vous êtes fixé ?
Tommy donna son adresse au vieux colonel.
— Parfait. Je ne me suis donc pas trompé en rédigeant mon enveloppe.
— Non. J'ai bien reçu votre lettre.
— J'ai cru comprendre que vous étiez allé rendre visite à Robinson. Il est encore sur la brèche, toujours aussi gros, toujours aussi olivâtre et, sans doute, plus riche que jamais. Qu'est-ce qui vous a amené jusqu'à lui ?
— Eh bien, nous avons fait l'acquisition d'une maison, et un de mes amis m'a affirmé que Mr. Robinson serait à même de nous aider à éclaircir une sorte d'énigme remontant à un certain nombre d'années, énigme que ma femme a découverte en feuilletant de vieux bouquins.
— Je me rappelle maintenant que vous avez une femme exceptionnellement intelligente. Elle a fait d'excellent travail, à un moment donné. Vous continuez donc dans la même direction. Aviez-vous des soupçons, avant d'acheter cette maison ?
— Aucun. Nous l'avons achetée parce que nous étions las de l'appartement que nous occupions et parce qu'on ne cessait de nous augmenter le loyer.
— Oui, c'est à la mode. Les propriétaires ne sont jamais satisfaits. De vrais rapaces. Très bien. Vous avez donc acheté cette maison pour y vivre. Il faut cultiver son jardin10. Hum ! j'essaie de me remettre au français. Il faut bien s'adapter au Marché commun, n'est-ce pas ? Il se passe d'ailleurs, en coulisse, des choses étranges que vous n'apercevez pas sur le devant de la scène. Bon. Vous êtes installés à Holloquay. J'aimerais savoir ce qui vous y a amenés.
— Simplement la maison dont nous avons fait l'acquisition. Les Lauriers.
— Drôle de nom, mais qui a été assez en vogue, à une certaine époque. Quand j'étais jeune, tous nos voisins entretenaient, à grand renfort de gravier, d'immenses allées bordées de lauriers. J'imagine que la maison que vous avez achetée porte ce nom depuis longtemps. Je ne suis jamais allé à Holloquay, mais j'ai entendu parler d'événements qui s'y sont déroulés avant la première guerre, à un moment de grande anxiété pour notre pays.
— J'ai cru comprendre que vous possédiez des renseignements concernant une jeune fille du nom de Marie Jordan. C'est, du moins, ce que Mr. Robinson m'a laissé entendre.
— Voulez-vous savoir comment elle était ? Allez regarder la photo qui se trouve sur la cheminée, à gauche.
Tommy se leva, se dirigea vers la cheminée et prit entre ses mains le cadre contenant la vieille photo. Elle représentait une jeune fille coiffée d'un grand chapeau et tenant un bouquet de roses.
— Ça fait un peu bébête, maintenant, n'est-ce pas ? dit le colonel. Mais c'était une bien belle fille. Elle est morte fort jeune et d'une manière assez tragique.
— Je ne sais pratiquement rien d'elle, répondit Tommy en replaçant le cadre sur la cheminée.
— Je veux bien le croire. Personne ne s'en souvient guère, aujourd'hui.
— On a murmuré que c'était une espionne allemande, mais Mr. Robinson m'a affirmé le contraire.
— Oui. Elle faisait partie de nos services. Et elle a effectué du bon travail. Hélas, quelqu'un l'a démasquée.
— Il y avait, à cette époque, à Holloquay, des gens du nom de Parkinson.
— C'est possible. Je ne suis pas au courant de tous les détails, car je n'étais pas sur cette affaire. Et puis, tout cela a été totalement remué, trafiqué depuis lors ! Parce que, voyez-vous, il y a toujours des troubles dans tous les pays. En ce moment même, il y en a dans le monde entier. Et ce n'est pas la première fois. Vous pouvez revenir deux cents ans en arrière, et vous trouverez des troubles. Remontez à deux cents ans, et vous en trouverez encore. Remontez jusqu'aux Croisades, et vous verrez tout le monde en train de quitter le pays pour aller délivrer Jérusalem. Sans parler des soulèvements dans toute l'Angleterre. Wat Tyler11 et les autres. Oui, il y a constamment des troubles sur cette terre.
— Actuellement encore ?
— Bien sûr.
— De quel ordre ?
— Nous n'en savons rien. Cependant, on vient me demander sans cesse des renseignements sur certaines gens que j'ai connus autrefois, car on a souvent besoin de se replonger dans les événements passés, dans les secrets d'une autre époque ; besoin de savoir ce que pensaient les gens, ce qu'ils disaient et ce qu'ils gardaient pour eux, ce qu'ils cachaient, ce qu'ils voulaient faire croire et ce qui se passait réellement. Vous-même et votre femme vous êtes occupés d'affaires de ce genre, à plusieurs reprises. Est-il dans vos intentions de continuer ?
— Je n'en sais rien. Pensez-vous que je puisse être encore utile à quelque chose ? Je suis maintenant bien vieux.
— Ma foi, vous paraissez en meilleure santé que la plupart des personnes de votre âge. En meilleure santé, même, que beaucoup de jeunes. Quant à votre femme, elle a toujours été extraordinaire pour lever des lièvres inattendus.
— De quoi s'agit-il exactement ? Je veux bien faire ce que je pourrai si vous le jugez utile ; mais, jusqu'à présent, personne ne m'a fourni aucun renseignement précis.
— Et je ne crois pas que vous appreniez grand-chose. Robinson lui-même ne vous en apprendra pas plus que les autres. Il sait tenir sa langue, ce sacré gros. Mais je vais vous mettre au courant des faits essentiels. Vous connaissez ce monde, où se produisent constamment les mêmes choses, où règnent le matérialisme, la duperie, la rébellion des jeunes, l'amour de la violence renforcée d'une bonne dose de sadisme. C'est presque aussi grave qu'aux jours des jeunesses hitlériennes. Et quand on cherche à découvrir ce qui ne va pas – non seulement dans notre pays mais dans le monde entier –, on s'aperçoit que ce n'est pas tellement facile. Le Marché commun, par exemple, nous l'avons toujours voulu et cherché. Mais il faut que ce soit un véritable marché commun. C'est cela qu'il ne faut pas perdre de vue. Il doit aboutir à une Europe unie. Il faut parvenir à une union des pays civilisés, avec des idées, des croyances, des principes de gens civilisés. Et quand il y a quelque chose qui cloche, il faut pouvoir déterminer d'où cela provient. C'est là que cette vieille grosse baleine de Robinson est encore à la hauteur. Savez-vous qu'on voulait l'anoblir et qu'il a refusé ? Vous n'ignorez pas, évidemment, ce qu'il représente.
— La finance, n'est-ce pas ?
— Oui. Il est au courant de tout ce qui concerne l'argent. Il sait d'où il vient, où il va et pourquoi, il sait ce qu'il y a derrière les banques, les entreprises industrielles, il connaît les responsables de certains scandales, les fortunes édifiées sur le trafic de la drogue, les trafiquants qui distribuent leur camelote dans le monde entier. Il n'ignore rien du culte de l'argent. Non pas de l'argent qui pourrait servir à acheter une maison, mais de celui destiné à fructifier ou à détruire les vieilles croyances. Croyance à l'honnêteté, au libre-échange. On n'a pas besoin d'égalité, dans le monde, mais il faut que les forts aident les faibles, que les riches financent les pauvres. Tout relève maintenant de la finance. Ce que fait la finance, ce qu'elle soutient, il y a des gens qui le savent et d'autres qui le savaient autrefois, des gens dont certaines activités étaient secrètes et qu'il nous faut découvrir. De même qu'il nous faut découvrir qui a hérité des secrets qu'ils détenaient. Le Nid d'Hirondelle – ou Les Lauriers, ainsi que vous l'appelez maintenant – était une sorte de quartier général. Le quartier général du mal, si je puis ainsi m'exprimer. Et, plus tard, il y a eu encore autre chose à Holloquay. Vous souvenez-vous de Jonathan Kane ?
— J'ai entendu prononcer son nom, mais c'est tout.
— C'était un représentant de ce que l'on admirait à l'époque ; ce qui devait devenir le nazisme. Nous ne savions pas encore ce que seraient Hitler et ses acolytes. Ce Jonathan Kane avait des partisans ; beaucoup de partisans. Des jeunes et des moins jeunes. Il avait ses plans, il était au courant de certains secrets. Il savait tout ce qui pouvait lui conférer la puissance. Le chantage, comme toujours, jouait un rôle prépondérant. Eh bien, nous voulons apprendre ce qu'il savait, ce qu'il faisait. Car je pense qu'il peut avoir laissé derrière lui de nombreux adeptes. Des jeunes qui avaient été endoctrinés et qui peuvent avoir conservé jusqu'à maintenant les idées qu'on leur avait inculquées. Vous savez, il y a toujours des secrets qui valent de l'argent. Je ne vous dis rien de précis, parce que je ne sais rien de précis. Et l'ennui, c'est que personne ne sait véritablement. Nous croyons tout connaître, en raison des événements dont nous avons été témoins : les désordres, les guerres, la paix, de nouvelles formes de gouvernement. Oui, nous croyons tout connaître, mais nous nous trompons. Sommes-nous au courant par exemple, des détails concernant la guerre bactériologique ? Connaissons-nous tout ce qui a trait aux gaz et aux divers moyens de répandre la pollution ? Les chimistes ont leurs secrets, de même que la Marine et l'Aviation. Et ces secrets ne sont pas toujours absolument actuels ; ils plongent souvent leurs racines dans le passé. Certains d'entre eux ont déjà été sur le point d'être utilisés ; et ils ne l'ont pas été uniquement parce qu'on n'a pas eu le temps de s'en servir. Néanmoins, ils existent, couchés sur le papier ou confiés à certaines personnes. Et ces personnes ont eu des enfants, des petits-enfants, qui ont conservé jalousement ces secrets et n'hésiteraient pas à les utiliser le moment venu.
Le colonel s'interrompit, pour reprendre au bout d'un moment d'un air pensif.
— Certains ignorent même ce qu'ils détiennent ; d'autres ont détruit les documents qui étaient en leur possession. Mais il est de notre devoir de découvrir tout ce que nous pouvons, car les événements se reproduisent. En divers pays : au Vietnam, en Jordanie, en Israël, et même dans des contrées plus paisibles. En Suède, en Suisse. Partout. Ces choses-là existent, et nous voulons en découvrir la clef. Or, on peut penser que cette clef se trouve parfois dans le passé. Bien sûr, nous ne pouvons pas nous rendre chez un médecin et lui dire : « Hypnotisez-moi et faites-moi voir ce qui se passait en 1914. » Ou en 1918. Ou en 1890. Des idées ont été dressées, qui n'ont jamais été mis à exécution. Des idées ont été émises. Vous savez que, dès le Moyen Age, des hommes rêvaient déjà de voler dans les airs, à l'instar des oiseaux. Les Égyptiens, eux aussi, avaient certaines idées qui n'ont jamais été mises en pratique. Mais lorsque ces idées se transmettent à des gens qui sont capables de les interpréter, de les développer, et qui ont les moyens de les mettre à exécution, n'importe quoi peut se produire – du bon ou du mauvais. Nous avons le sentiment que certaines découvertes – la guerre bactériologique, par exemple – sont difficiles à expliquer, excepté par le processus de quelque développement secret. Et si quelqu'un procédait à un tel développement, il pourrait s'ensuivre de terribles catastrophes. D'autre part, certaines choses peuvent transformer une personne du tout au tout, transformer un homme de bien en un monstre. Et, parmi ces choses, l'argent est au premier plan, à cause de ce qu'il permet d'obtenir, à cause de la puissance qu'il peut procurer. Eh mon cher Beresford, que dites-vous de tout cela ?
— Je pense que c'est là une perspective passablement effrayante.
— Ne pensez-vous pas que je débite des stupidités, que mes théories ne sont, en fin de compte, que des élucubrations de vieillard ?
— Certes pas. Je sais que vous avez toujours été au courant de bien des choses.
— Hum ! C'est d'ailleurs pour ça qu'on avait besoin de moi. On venait me voir, les visiteurs se plaignaient de la fumée, prétendaient qu'ils suffoquaient, mais ils revenaient tout de même. Vous vous rappelez cette affaire de Francfort, que nous sommes parvenus à arrêter en arrivant jusqu'à la personne qui était derrière à tirer les ficelles. Eh bien, dans celle qui vous préoccupe présentement, il y a aussi quelqu'un derrière. Peut-être même plusieurs personnes. Il se peut que nous puissions parvenir à découvrir leur identité ; mais, même dans le cas contraire, nous pouvons essayer de savoir le fond des choses. Ne pensez-vous pas que tout cela est fantastique ?
— Je crois que rien n'est trop fantastique pour être vrai. C'est ce que j'ai appris, au cours d'une vie déjà longue. Les choses les plus ahurissantes peuvent parfois être vraies. Mais je tiens à vous faire remarquer que je n'ai, moi, aucune qualification réelle, aucune connaissance scientifique. Je ne me suis jamais occupé que de sécurité.
— Néanmoins, vous avez souvent découvert certaines choses, vous et votre femme. Or, vous vous trouvez par hasard au bon endroit. Vous constituez un couple d'un certain âge qui cherche à passer ses jours dans la paix et le calme. Ouvrez les yeux, tendez l'oreille. Un jour ou l'autre, il se produira un événement intéressant. En l'attendant, essayez de découvrir quelles histoires, quelles légendes ont circulé au cours des années passées.
— J'ai déjà entendu parler d'un scandale dans les milieux de la Marine, des plans d'un sous-marin qui auraient été subtilisés. Mais personne n'a paru à même de me fournir des renseignements précis.
— C'est tout de même un point de départ. C'était, me semble-t-il, vers cette époque, que Jonathan Kane vivait dans les parages. Il occupait une villa à proximité de la mer, et il avait de nombreux disciples qui étaient en admiration devant lui. Puis il est parti, a traversé l'Italie pour se rendre dans les pays lointains. On prétend aussi qu'il est allé en Russie, en Islande, en Amérique. Mais ce qu'il a fait en réalité, nous l'ignorons.
Le colonel s'interrompit une autre fois.
— Cherchez, furetez, reprit-il au bout d'un moment, mais ne commettez pas d'imprudences. Et veillez sur votre femme. Faites attention à ce que vous mangez, à ce que vous buvez, aux gens que vous fréquentez.
— Nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir, mais je ne crois guère à la réussite. Nous sommes trop vieux pour ce genre de travail. Et puis, nous n'en savons pas assez.
— Il peut vous venir certaines idées intéressantes.
— Ma femme croit que des documents pourraient être cachés dans la maison.
— Ce n'est pas impossible. D'autres ont déjà eu la même idée. Certes, personne n'a rien découvert ; mais peut-être n'a-t-on pas cherché avec toute l'ardeur et la conviction nécessaires. Les maisons changent de propriétaires, sont vendues, revendues, louées et relouées. On y trouve des Lestrange, des Mortimer, des Parkinson. Pas grand-chose à dire des Parkinson, sauf en ce qui concerne un des fils.
— Alexandre ?
— Vous avez donc entendu parler de lui ! Comment ?
— Il avait laissé un message dans un livre que ma femme a découvert chez nous : Marie Jordan n'est pas décédée de mort naturelle.
— « Le destin d'un homme est accroché à son cou », dit un vieux proverbe. Poursuivez vos recherches, Beresford. Et franchissez la porte du Destin.