CHAPITRE VINGT
« Signature hyper en provenance de Sol, commodore. »
Adrienne Robbins, Lady Nergal (et c’était étrange que d’appartenir à la noblesse d’un empire disparu depuis quarante-cinq mille ans), acquiesça d’un signe de tête et se tourna vers l’holovisualisateur du Herdan. À cinq années-lumière derrière le vaisseau impérial, l’étoile F5 que les astronomes terriens nommaient Zêta du Triangle austral formait comme un éclat de diamant étincelant, et le signal rouge sang de l’hypersillon brillait d’une lueur presque aussi forte.
Le magnifique bâtiment faisait équipe avec trois autres, mais se trouvait pourtant esseulé. Les quatre planétoïdes étaient déployés de façon à couvrir un espace de près d’une année-lumière cube. Le Royal Birhat de Tamman se déplaçait déjà sur une trajectoire d’interception. Quoi de plus normal ? Adrienne, elle, avait tué assez d’Achuultani durant le siège de la Terre.
« Signature plus faible en provenance de l’est », annonça l’officier d’astrogation, et elle fronça les sourcils. Il s’agissait sans doute de l’avant-garde ennemie, mais elle était très en avance.
« Heures d’émergence ?
— Fantôme un émergera dans l’espace normal dans approximativement sept heures et douze minutes, madame, répondit le capitaine Oliver Weinstein. À 0220 TMG, selon nos estimations. Quant à Fantôme deux, il doit s’agir d’une flotte colossale pour avoir été repérée par nos appareils de si loin. Nous avons cent bonnes heures devant nous avant son arrivée, peut-être même cinq jours entiers. J’en saurai davantage d’ici une heure ou deux.
— Très bien, Ollie. » Adrienne Robbins se relaxa : l’avant-garde n’était pas aussi en avance qu’elle l’avait craint ; elle faisait juste une cible plus volumineuse et visible que prévu.
Elle soupira. Le commandement du Nergal avait été plus facile : si ses ordinateurs ne démontraient pas une intelligence supérieure à ceux du Herdan, au moins devaient-ils remplir nettement moins de fonctions. Bien sûr, elle pouvait se déplacer partout dans le réseau via ses neuroémetteurs, mais ce bâtiment était trop vaste. Même avec un équipage de six mille membres, moins de cinq pour cent des postes de travail étaient occupées.
Ils parvenaient tout juste à s’en sortir, mais la tâche était ardue. Si seulement ce vaisseau possédait ne serait-ce que la moitié – voire même un dixième – des capacités intellectuelles de Dahak ! Mais le bon vieux planétoïde était unique, et on l’avait assigné à une autre mission.
« Herdan.
— Oui, commandant ? » répondit le doux soprano de l’IA, et la bouche de Robbins se tordit en un sourire spontané. Il était stupide pour une unité baptisée d’après le plus grand souverain de l’histoire impériale de s’exprimer avec une voix d’adolescente, mais apparemment, durant la dernière période de l’Empire, on préférait affubler les ordinateurs de bord de timbres féminins.
« Hypothèse : Fantôme deux jouit de scanners une fois et demie plus puissants que ceux des éclaireurs qui ont attaqué la Terre et sort de l’hyperespace dans douze heures. Quelle est la probabilité que l’ennemi capte la détonation d’ogives gravitoniques série soixante-dix aux coordonnées spatiotemporelles estimées de l’émergence de Fantôme un ?
— Calcul en cours. » Puis, après une brève pause : « Les chances avoisinent le zéro.
— Pourrais-tu être plus précis ?
— La probabilité est de 10-32 contre un. À deux pour cent près.
— Bon, elles avoisinent vraiment le zéro.
— Commentaire non compris.
— Laisse tomber », conclut-elle en réprimant un soupir. Herdan n’était pas responsable de sa stupidité, mais lorsqu’on avait communiqué avec Dahak…
« À vos ordres », dit l’IA, et Lady Adrienne pinça les lèvres.
« Arrivée de l’éclaireur dans quatorze minutes, commandant.
— Merci, Janet », lâcha le capitaine Tamman. Il aurait aimé partager son anxiété avec Amanda. Un sentiment plutôt ridicule si l’on considérait qu’il avait fait tout son possible pour l’éloigner de lui. Enfin, « tout son possible » n’était peut-être pas l’expression la mieux choisie… Il avait simplement devancé son épouse d’un bon mois en découvrant l’ordre impératif émis par Colin : toutes les femmes enceintes appartenant au personnel de la Flotte étaient assignées d’office à l’opération Dunkerque.
Il espérait qu’elle lui pardonnerait un jour. Il avait failli la perdre à La Paz, puis une balle s’était fichée dans sa visière lors de la prise du Défenseur. Par la grâce du Créateur, le verre n’avait pas cédé, notamment grâce au produit d’étanchéité… mais à présent elle avait épuisé son quota de bonne fortune et il ne voulait plus tenter le destin.
« Cinq minutes », fit Janet Santino d’un ton poli, et Tamman secoua la tête pour revenir à ses préoccupations du moment. Il ne pouvait pas se permettre d’avoir l’esprit ailleurs, bon sang !
« Passez en code rouge un », ordonna-t-il, et son état-major entra dans une communion encore plus intime avec les consoles. D’un air rêveur, il fixa son regard sur le cercle rouge qui entourait le point d’émergence de leur cible, situé à une vingtaine de secondes-lumière à peine de leur position actuelle. Son esprit se concentra sur ses neurocapteurs et il « perçut » l’espace à travers les magnifiques scanners du Birhat.
Le coursier avait calculé son saut à la perfection : malgré la vétusté de son matériel informatique, il était bien parti pour émerger très près du lieu de rendez-vous exact avec l’avant-garde. Et parfaitement dans les temps !
« Une minute.
— Batterie alpha, commanda Tamman. Feu à volonté dès que la cible sera stabilisée.
— Trente secondes. Quinze. Dix. Cinq. Maintenant ! »
Un minuscule point lumineux se forma aussitôt au centre du cercle rouge. Il y eut un instant de tension interminable, puis les missiles furent lancés.
Il s’agissait d’armes subluminiques – de façon à ne pas rater l’objectif –, mais elles approchaient quand même la vitesse de la lumière. Elles parcoururent l’étendue de l’holovisualisateur en un éclair, puis le point disparut sans grands remous. Vingt kilomètres de vaisseau se déchirèrent sous l’effet des ogives gravitoniques que l’équipage achuultani n’avait sans doute même pas vues arriver.
« Cible détruite, ronronna le contralto velouté du bâtiment impérial.
— Merci, ma belle, murmura une voix. J’espère que c’était bon pour toi aussi. »
« Nous avons franchi le premier obstacle, dit Colin en digérant les informations transmises par Tamman via hypercom.
— Certes est assez vray », acquiesça Jiltanith.
Son mari hocha la tête puis balaya d’un regard admiratif l’immense passerelle de commandement et les équipements impressionnants de Dahak II. Il aurait échangé toute cette modernité contre le pont principal de son vieux vaisseau sans la moindre hésitation. Deux était une fantastique machine de combat, mais il n’était tout simplement pas Dahak. Malheureusement, celui-ci ne faisait pas partie de cette mission et, comme Colin refusait de laisser ses hommes partir au combat sans lui, il avait dû quitter son planétoïde. À supposer que les forces terriennes survivent aux prochains mois, il faudrait qu’il s’habitue à ce nouveau cadre. Ce n’était pas encore le cas.
En ce moment même, Deux déchirait l’espace à plus de huit cents fois la vitesse de la lumière. Le Herdan était le bâtiment le plus proche du point d’émergence estimé de l’avant-garde ennemie. Quant aux vaisseaux chargés de couvrir l’espace probable d’apparition du messager, ils fonçaient à présent en direction de Robbins. Ils auraient pu effectuer le trajet bien plus vite en hyper, mais l’avant-garde les aurait peut-être repérés.
Aucun souci, se répéta-t-il pour la énième fois. Ces rafiots achuultani étaient si lents que les douze bâtiments impériaux engagés dans cette opération militaire seraient en position bien avant leur émergence.
« Sortie de l’hyperespace imminente, commandant, communiqua une voix de femme.
— Merci à toy, Deux », répondit Jiltanith. C’était là une autre singularité : Colin avait beau être empereur et seigneur de la guerre, il occupait ici une place de simple passager. Dahak II se trouvait en de très bonnes mains, mais après tout ce temps MacIntyre éprouvait une étrange sensation à l’idée de voyager à bord d’un vaisseau dirigé par quelqu’un d’autre, même s’il s’agissait de ’Tanni.
Il porta son attention vers le visuel où les signaux verts indiquant ses autres bâtiments scintillaient tandis que Deux passait en mode subluminique et que le défilé d’étoiles ralentissait. Tor, le dernier de l’escadrille, s’approchait en douceur. Parfait.
« Toutes les unités sont en position, Sire, déclara la jeune impériale sur un ton formaliste. Champs de camouflage activés.
— Merci, commandant, lâcha Colin avec la même solennité. Il ne nous reste plus qu’à attendre. »
Le grand seigneur de l’ordre Sorkar détestait les rendez-vous, surtout dans le secteur du démon. Le Cerveau de guerre lui avait assuré qu’ils ne couraient aucun danger réel, et il ne se trompait jamais, mais cette région galactique avait donné lieu aux pires histoires d’horreur. Il n’était pas censé les connaître – les seigneurs de son rang étaient au-dessus de ces commérages de bas étage – mais, contrairement à la plupart de ses homologues, il avait conquis son titre à la dure et n’avait pas oublié ses origines. En tout cas, pas autant qu’il aurait dû.
Cette Grande Visite s’était révélée presque ennuyeuse malgré ces rapports bizarres concernant des batteries de senseurs abandonnées depuis longtemps. Plus d’une fois, Sorkar se serait accommodé d’un peu d’action : le goût de la chasse couvait au plus profond de tous les grands seigneurs. Mais les Protecteurs constituaient une matière première à préserver pour le salut du Nid, et c’était un commandant trop intelligent pour regretter le manque de distraction. Du moins la plupart du temps.
Il partagea son attention entre la console et les chronomètres, qui indiquaient déjà le dernier segment, puis vérifia machinalement la commande de passage en mode manuel entre le Cerveau de guerre et son propre panneau de commande. L’IA participait rarement aux manoeuvres de façon directe, mais c’était rassurant de savoir qu’elle pourrait le faire en cas d’urgence.
Voilà ! Le moment était arrivé.
Il observa ses instruments d’un air approbateur. Il était impossible de coordonner la translation entre l’hyperespace et l’espace normal de manière parfaite pour un si grand nombre d’unités, mais l’écart temporel lui paraissait plus que satisfaisant et la distance entre les appareils excellente. Ses Protecteurs avaient bien appris le métier à force de…
« Alerte ! Alerte ! On nous tire dessus ! » s’écria quelqu’un, et Sorkar se redressa d’un bond. Ils se trouvaient à des années-lumière de l’étoile la plus proche… Personne ne pouvait…
Et pourtant c’était le cas. Horrifié, il observa le spectacle : des missiles de classe « grand tonnerre » – ainsi qu’une autre arme, une arme au-delà de tout entendement – déchiquetaient ses superbes vaisseaux comme de vulgaires brindilles.
Des destructeurs de nid ! Les destructeurs de nid du secteur du démon ! Mais comment était-ce possible ? Il avait étudié toutes les précédentes incursions dans cette zone. Jamais – au grand jamais ! – ces monstres n’avaient frappé avant qu’un ou plusieurs de leurs mondes n’aient été pulvérisés ! Ces mystérieuses stations de capteurs les avaient-elles alertés, en définitive ? Et, si oui, comment avaient-ils réussi à découvrir le lieu et le moment du rendez-vous ? C’était impossible !
Pourtant, des missiles subluminiques et hyper continuaient de surgir de toutes parts, et ses scanners ne décelaient même pas les agresseurs ! Cela tenait de la sorcellerie, car…
Une sonnerie rauque coupa court à ses pensées, et il se tourna aussitôt vers le panneau d’affichage de l’ordinateur. Des codes informationnels dansaient devant ses yeux tandis que le puissant réseau informatique prenait la direction de sa flotte. Le grand seigneur n’était plus qu’un passager, il regardait les cylindres se déployer pour échapper à l’assaut et avancer à tâtons en quête de l’ennemi. C’était une bonne tactique, songea-t-il, mais le prix à payer était élevé. Extrêmement élevé, par Tarhish ! Cependant, s’ils avaient affaire à une véritable force adverse, s’il ne s’agissait pas des terrifiants démons nocturnes dont parlaient les légendes, alors ils les débusqueraient. Aussi sévères que soient leurs pertes, elles représentaient bien peu par rapport à l’ensemble de la flotte, et lorsque l’ordinateur aurait verrouillé la…
Une cible apparut sur sa console. Puis une autre. Et encore une autre. Ses guerriers les avaient repérées au prix de leur vie. L’adversaire était vraiment proche, par la grande Fournaise ! Il avait dû utiliser une sorte de technique de camouflage. Cette pensée le fit tressaillir, car un tel procédé dépassait de loin les compétences du Nid… mais au moins, on avait enfin localisé l’objectif. Il allait commander à son personnel d’ouvrir le feu, mais le Cerveau de guerre le devança. Il entendit sa propre voix, calme et sans passion, qui formulait déjà l’ordre.
« Brûle, bébé, brûle ! chanta quelqu’un.
— Silence ! Dégagez le réseau ! » ordonna Adrienne Robbins, et la mélodie exaltante se tarit. Elle n’en voulait pas au fautif de ce débordement d’enthousiasme : leur première salve avait été deux fois plus destructrice que prévu. Malheureusement, ils se trouvaient également trois fois plus près que prévu. Les moteurs à hyperpropulsion de ces bâtiments différaient en partie de ceux des éclaireurs déjà rencontrés, et leur taille était plus importante ; ils s’étaient trompés dans leurs calculs. De très peu, certes, mais à cette échelle une erreur de calcul infime engendrait parfois de graves conséquences.
L’ennemi allait pénétrer les champs de camouflage beaucoup plus rapidement que dans les estimations. Oui, elle avait plus d’expérience au combat contre les Achuultani que quiconque, et peut-être les pertes essuyées avaient-elles entamé son courage, mais, bon sang, ces salopards se trouvaient à portée de tir de tous leurs missiles ! Les défenses du Herdan dépassaient de loin celles du Nergal et son bouclier couvrait vingt fois l’ensemble du spectre d’hyperfréquences. Mais, justement, ses dimensions le rendaient plus vulnérable : l’écran de protection s’étendait encore plus loin de la coque, et les missiles allaient bientôt pleuvoir sur sa carcasse sphérique.
— Défense antimissile : tenez-vous prêts ; contre-mesures électroniques : à mon signal ! » hurla-t-elle, puis le feu d’artifice débuta.
Sorkar cracha un juron, incrédule. Une douzaine, Une seule douzaine de bâtiments ennemis avaient déjà anéanti plus d’une multi-douzaine de ses vaisseaux ! Et leurs défenses égalaient leur puissance de feu. Des leurres apparurent sur les écrans de visée, désorientant ses armes subluminiques. Des brouilleurs saturèrent les canaux de scan. Des remparts titanesques écartèrent le grand tonnerre d’un revers de main dédaigneux. Et ses unités n’en finissaient pas de partir en fumée…
Mais rien ne pourrait arrêter les douzaines de multi-douzaines de missiles que les siens étaient en train de lancer sur l’agresseur, et il montra les dents lorsqu’une hyperfusée perça le premier bouclier adverse. Voilà ! À présent, ils savaient à qui…
Il cligna des yeux et son sang se glaça. Quel genre de monstre pouvait absorber une frappe directe du grand tonnerre sans même le remarquer ?
Les alarmes retentirent quand une ogive de dix mille mégatonnes explosa presque au-dessus du Royal Birhat. L’énorme structure trembla tandis que le redoutable nuage de plasma creusait un gouffre incandescent de vingt kilomètres dans son armure de surface. De l’air jaillit de la plaie béante, des portes blindées claquèrent… et le bâtiment impérial se prépara à riposter.
« Dommages mineurs au niveau du quadrant thêta deux, lâcha le contralto sexy avec calme. Quatre victimes. Capacité de combat diminuée de zéro virgule zéro quarante-deux pour cent. »
Sur l’affichage, le cercle jaune indiquant la présence d’avaries entoura le Birhat de son halo brillant, et Colin grimaça. Il avait perdu le compte des cibles abattues, mais un fait était certain : il avait foiré. Ils se trouvaient à une distance trop réduite de l’adversaire !
« À toutes les unités : éloignez-vous de la ligne de front ! » ordonna-t-il sèchement, et la garde impériale fit aussitôt machine arrière à 0,65 c.
Par Tarhish, comme ils étaient rapides ! En dehors d’un missile, Sorkar n’avait jamais rien vu qui se déplaçait aussi vite dans l’espace normal. Ils venaient de se mettre hors de portée de son arsenal subluminique et se maintenaient désormais à la limite de son enveloppe d’hypermissiles. Quant à leurs armes, elles fonctionnaient toujours aussi bien : il était bouche bée devant la précision de leur tir. En fait, tout ce qu’accomplissaient ces destructeurs de nid le laissait perplexe – une telle puissance était inédite pour lui –, mais cela n’en faisait pas des spectres nocturnes. Ces prouesses signifiaient seulement que ses Protecteurs devaient affronter une terrible épreuve, plus terrible que dans leurs pires cauchemars. Mais c’était leur fonction.
Et puis, songea-t-il tout en donnant de nouveaux ordres, la situation n’était pas si catastrophique. Les assaillants connaissaient le lieu du rendez-vous, or même ces satanées batteries de senseurs n’auraient pu leur fournir l’information ; selon toute probabilité, ils avaient donc déjà détruit une escadrille d’éclaireurs – certainement celle de Furtag, vu le timing – puis suivi ses messagers jusqu’ici. Toutefois, s’ils n’étaient capables de rassembler qu’une douzaine de bâtiments – aussi puissants soient-ils –, sa flotte suffirait amplement à les annihiler. Même à cette distance extrême, il affichait un avantage énorme au niveau des plateformes de lancement – sans doute moins perfectionnées que celles de l’ennemi, mais assez nombreuses pour compenser ce handicap, et de loin.
« Colin, ils nous pressent dru », annonça Jiltanith, et son mari fit un signe d’acquiescement. Le plan consistait à vider les Magasins sur les forces achuultani, mais ils avaient joué de malchance. Le Birhat n’avait essuyé qu’une frappe, mais Deux avait été touché à trois reprises et Tor cinq fois. Cinq de ces effroyables ogives !
Ces cylindres étaient vraiment très résistants, mais pas invulnérables. Il frémit lorsqu’une nouvelle salve détona contre le bouclier de Dahak II et que le gigantesque planétoïde avança péniblement à travers le plasma comme un grand voilier ivre. Ce n’était qu’une question de temps avant que…
« Tor annonce une défaillance de bouclier, notifia l’IA. Il essaie de passer en hyper. » Le regard de Colin se posa sur l’icône représentant le bâtiment : l’anneau jaune était rayé de rouge. Horrifié, il observa le spectacle, priant pour que l’hyperpropulsion parvienne à le tirer de là. L’un après l’autre, les missiles ennemis faisaient mouche…
« Retrait manqué », déclara Deux sans émotion, et MacIntyre blêmit. Le petit point sur l’affichage venait de disparaître à tout jamais.
— On décampe, décréta-t-il.
— À vos ordres », répondit ’Tanni avec calme.
Les saccageurs de nid se volatilisèrent. Sorkar détailla les relevés de ses hyperscanners, incrédule. Près d’une multi-douzaine de fois la vitesse de la lumière ? Comment était-ce possible ?
Mais seule comptait la réalité des faits. Par chance, on avait repéré les hyperchamps en cours de chargement assez vite pour les analyser de façon adéquate. Il savait où l’ennemi émergerait : à côté de cette étoile brillante située à moins d’un quart de douzaine d’années-lumière devant sa flotte.
Il ne pouvait pas s’agir de leur monde d’origine, pas si près des coordonnées spatiales du rendez-vous – la coïncidence aurait été trop grande. Mais, quoi qu’il en soit, Sorkar savait que faire si ces démons étaient assez stupides pour entreprendre de le défendre alors qu’ils se trouvaient trop enfoncés dans le puits de gravité du système pour s’échapper en hyper. Il leur tiendrait tête, compenserait ses pertes et les écraserait sous le nombre, car désormais il était certain de leur vulnérabilité.
Il préférait ne pas penser au nombre de tirs qui avaient été nécessaires pour abattre cet unique vaisseau, mais ils avaient fini par l’avoir. Et ses propres pertes s’élevaient à moins de trois multi-douzaines d’unités, un bilan douloureux mais non fatal.
Il se brancha au Cerveau de guerre, bien qu’il sût déjà quels étaient ses prochains ordres.
Les forces impériales prirent la fuite. Colin espérait que son expression ne reflétait pas l’ampleur de son trouble. Il s’était attendu à des pertes, mais peut-être pas aussi tôt. En outre, ils n’avaient pas détruit un demi pour cent des forces ennemies. Il avait tablé sur un meilleur score et sur zéro victime de leur côté, bon sang !
Mais il lui aurait été impossible de réunir davantage de bâtiments sans Dahak pour les diriger, or Dahak ne disposait pas de l’hyperpropulsion. Et c’était là un point crucial, car il fallait que les Achuultani sachent vers où leur adversaire se dirigeait.
Voilà pourquoi le capitaine Roscoe Gillicuddy et son équipage avaient succombé. Et, pour couronner le tout, Colin avait perdu six pour cent de la puissance autonome de son vaisseau. Il se demanda ce qui lui causait le plus de peine et fut aussitôt envahi d’un sentiment de honte.
Cependant, le piège avait été tendu. Si le commando impérial y avait laissé plus de plumes que prévu, l’opération, elle, s’était déroulée conformément au plan établi. Voilà ce que Colin se répétait sans cesse, mais tous ses efforts échouaient à contenir les démons de la culpabilité et de la crainte de l’incompétence.
Les doigts sveltes et chauds de Jiltanith lui étreignirent la main, et il lui rendit la pareille avec un sentiment de gratitude. Le protocole militaire aurait sans doute désapprouvé de telles familiarités entre un seigneur de la guerre et son capitaine de pavillon, mais il avait besoin du contact de sa bien-aimée en cet instant précis.