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Q

Qu’est-ce que cela prouve ?

Churchill aimait les chats. Lénine aussi. L’homme qui permit à l’Angleterre démocrate de lutter contre le totalitarisme hitlérien. Et l’homme qui plongea la Russie dans le totalitarisme soviétique.

Qu’est-ce que cela prouve ?

Le docteur Schweitzer aimait les chats. L’écrivain Paul Léautaud aussi. L’homme qui consacra sa vie à des activités philanthropiques. Et l’homme qui détestait copieusement les autres hommes.

Qu’est-ce que cela prouve ?

Les amoureux fervents et les savants austères aiment les chats, on le sait au moins depuis Baudelaire. J’imagine volontiers que des célibataires endurcis et des ignorants patentés peuvent aussi aimer les chats.

Qu’est-ce que cela prouve ?

Richelieu aimait les chats. Il se trouvait sans doute des mousquetaires, dans l’entourage de D’Artagnan et de ses amis, pour les aimer également.

Qu’est-ce que cela prouve encore une fois ?

Rien.

Et nous en sommes bien tristes.

Nous aimerions tant nous persuader qu’il existe une sorte de secrète connivence, de commune valeur entre les hommes qui aiment les chats. Nous aimerions tant retrouver en eux une même qualité d’âme et d’intelligence, de tendresse, de fantaisie, d’indulgence. Et ce n’est pas le cas. Peut-être y a-t-il autant de mauvaises raisons d’aimer les chats qu’il y en a de bonnes à les chérir. N’est-ce pas du reste le cas de toutes les passions, qui peuvent être si facilement perverties ?

En revanche, je crois qu’il faut se méfier des gens qui n’aiment pas les chats.

Voilà ce qui pourrait peut-être enfin prouver quelque chose.

Les gens qui n’aiment pas les chats !

Les gens qui sont insensibles à la beauté des chats, au mystère des chats, à la souplesse, l’élégance, le silence et la sensualité des chats !

Les gens qui peuvent croiser impunément le regard des chats sans éprouver le moindre frisson !

Les gens que la souffrance des chats laisse de marbre !

Les gens qui ont peur des chats !

Les gens qui croient tout savoir, tout comprendre, et que troublent précisément le comportement et l’intelligence déroutants des chats ! Les gens donc qui n’aiment pas être déroutés !

Les indifférents, les égoïstes, les myopes de l’esprit et les narcissiques indécrottables qui sont incapables de voir les chats et de s’en enchanter !

Les avares à qui les chats ne rapportent rien !…

À tous manque quelque chose.

Il me semble que ce sont des hommes sans qualités. Ou sans les qualités qui me sont chères. Des hommes qui me sont pour tout dire étrangers. Des hommes, oui, dont l’incapacité à aimer les chats, à les regarder, à les comprendre et à s’en émouvoir, serait enfin comme une sorte de terrible révélateur.

Quotient intellectuel

Comment déterminer l’intelligence d’un chat ou son quotient intellectuel ? Par le poids de son cerveau ? Il pèse en moyenne 31 grammes. Ce qui est beaucoup si on le compare à celui de la souris : 0,4 gramme, du chardonneret : 0,6 gramme, ou du lapin : 9,3 grammes. Deux fois moins en revanche que celui du chien : 65 grammes, onze fois moins que celui du bœuf : 350 grammes.

Un autre critère à retenir serait peut-être l’indice de céphalisation. Autrement dit le rapport entre le poids du cerveau et celui du corps. Pour un homme, il est de 1/45. Pour un chimpanzé de 1/50. Pour un chat de 1/90. Et pour un éléphant de 1/550. (Je dois ces précisions au vétérinaire Philippe de Wailly.)

Que peut-on en conclure ?

Strictement rien.

Qu’un chat serait deux fois moins intelligent qu’un chien puisque son cerveau pèse deux fois moins ? C’est une plaisanterie.

Que le chimpanzé, selon l’indice de céphalisation, serait aussi intelligent qu’un homme, et un chat six fois plus intelligent qu’un éléphant ? Cela me laisse également perplexe. À ma connaissance, les chimpanzés n’ont pas découvert le principe de la relativité et je n’ai jamais vu un éléphant et un chat occupés à disputer une partie d’échecs pour déterminer qui était le plus réfléchi et le plus calculateur des deux.

Autrefois, les ordinateurs étaient volumineux et de piètre performance. Aujourd’hui, ils tiennent dans la paume de la main et sont capables des calculs les plus faramineux tout comme de la mémoire la plus invraisemblable. Que veut donc dire la taille d’un cerveau ? Pas grand-chose. Seule compte sans doute la complexité des circuits imprimés. Et d’abord, comment définir l’intelligence ? Des philosophes se sont cassé le nez à tenter de répondre à cette question depuis des millénaires. Je ne m’y risquerai pas à mon tour.

Simplement, je suis convaincu que les chats sont des êtres supérieurs et que leur quotient intellectuel écrabouillerait le nôtre, sans l’ombre d’un doute, si ce type de classement avait le moindre sens. Mais leur capacité intellectuelle, ils ont la sagesse de la cacher. Certes, ils nous démontrent sans trop de mauvaise grâce leur subtilité, voire leur supériorité, à la chasse, à la vision nocturne, à l’écoute des moindres phénomènes naturels, à l’orientation, etc. Ils savent quand nous allons rentrer, quand nous devons sortir. Ils comprennent dans les ondes. Pour le reste, ils se taisent. Ils ne tiennent pas à nous complexer. À nous rendre fous de jalousie.

Pourtant, pensons-y, depuis des siècles et des siècles, ils nous ont bel et bien roulés dans la farine. Ils nous ont proprement domestiqués, et ils ont été les seuls à réussir cet exploit. Que nous ont-ils donné en échange ? Moins que rien. Quelques souris pourchassées ? N’en parlons même pas ! N’en parlons plus ! Ils ne nous ont fait, en bref, que l’aumône de leur présence, et voilà tout.

Si l’on pense un seul instant à ce que c’est que l’homme, cet animal égoïste, calculateur, frileux, dépourvu de la moindre générosité, imbu de lui-même, cruel, convaincu que, s’il y a un Dieu, celui-ci est forcément à son image, oui, si l’on pense à tout cela, eh bien convenons que le chat ne s’est pas trop mal débrouillé. Avec son cerveau de 31 grammes et son indice de céphalisation de 1/90, il a réussi, répétons-le, à mettre l’homme dans sa poche, à s’installer chez lui, à lui voler son oreiller ou son meilleur fauteuil, à se faire servir des repas copieux à des heures régulières, à faire ses griffes sur son canapé et à mettre en charpie ses doubles rideaux, tout en continuant à être le roi de la maison. Bravo l’artiste !

Alors, il laisse à l’homme le soin de se gargariser de sa supériorité intellectuelle et de sa céphalisation de 1/45. Qu’il parte sur la Lune si ça lui chante ! Il laisse même à l’homme le soin de parler de lui, d’écrire des dictionnaires sur lui, si ça l’amuse tant que ça. Il sait que le malheureux lexicographe amoureux des chats ne viendra jamais à bout de son alphabet et, de toute façon, ne comprendra rien à son alpha et à son oméga. Mais le chat, encore une fois, ne dit rien. Prudent et prévoyant. Son silence est comme la signature de son intelligence. Et son regard, le miroir de son silence. La simple suggestion qu’il comprend tout et qu’il se tait.