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Il m’arrive souvent de traverser les jardins du Palais-Royal. Quand il pleut et que je renonce à prendre ma bicyclette pour gagner la rédaction du Nouvel Observateur, place de la Bourse. De la station de métro Palais-Royal, et avant d’emprunter la rue Vivienne, j’aime m’attarder sous ses arcades. Je dois en connaître toutes les vitrines. Les galeries de peinture, les restaurants, la boutique d’autographes et de livres anciens, celle qui vend des médailles et des décorations civiles et militaires, sans oublier le magasin d’articles pour le jardinage et la célébrissime petite échoppe d’automates, etc. Ou alors je flâne sous l’ombre des arbres, près des bassins, examinant d’un œil souvent perplexe les statues modernes qu’y saupoudre parfois le ministère de la Culture.
Je ne crois pas avoir jamais oublié de m’extasier sur la beauté des lieux, l’exacte proportion des maisons qui les bordent – ce miracle de paix en plein cœur de Paris et si loin de Paris, de la ville moderne, si près aussi des fantômes et de l’histoire de Paris, de Diderot, de la fin du XVIIIe siècle, du Directoire, avec ses prostituées, ses femmes galantes, ses salons de jeu. J’aperçois le Véfour au loin et tous ceux qui en furent les familiers, jusqu’à Guitry, Cocteau, Colette…
Un fait, une observation toutefois m’avaient échappé. Et j’en prends conscience soudain à la lecture d’un article rédigé par Emmanuel Berl en 1955, « Cocteau mon voisin », qui a été repris dans le gros et passionnant volume intitulé Essais – Le temps, les idées et les hommes et qui regroupe ses principales études parues dans la presse, présentées et éditées par celui qui fut son ami, Bernard de Fallois, en 2007. Ah, comme j’aimerais saluer ici l’intelligence si aiguë et, ce qui est plus rare encore, si indulgente d’Emmanuel Berl, injustement négligé sinon méconnu par la postérité… mais ce n’est pas le lieu ici de m’y employer.
Non, dans ce texte, et faisant allusion à l’installation de Cocteau au Palais-Royal, dans la maison même où il l’avait introduit, Berl parle des chats… Et voici ce qui soudain m’étonne, rétroactivement, ce à quoi j’aurais dû depuis longtemps penser : quand je me promène dans les jardins ou sous les arcades du Palais-Royal, du côté de la rue de Valois le plus souvent et de la rue de Beaujolais, je ne rencontre pour ainsi dire jamais de chats !
Pourquoi ?
Voilà bien le lieu même qui serait leur providence. Un magnifique terrain de liberté et de récréation pour eux, sans se soucier de la circulation automobile et de ses dangers. Je serais commerçant au Palais-Royal, je n’aurais pas trop de crainte à laisser baguenauder mes chats à l’ombre des arbres, près des bassins ou contre les vitrines voisines. Et même, si j’habitais dans les étages, à les laisser se faufiler dehors.
Colette au Palais-Royal donnait-elle quartier libre à ses chats ?
Mais j’en reviens à ce que nous dit Berl sur Cocteau et son installation au Palais-Royal… et je ne peux m’empêcher de vous citer ici un extrait copieux de son article :
« Puis, il a peuplé son appartement de chats siamois. Or, au Palais-Royal, les chats sont nos chiens de garde, moins contre les souris, qu’ils ménagent, que contre les fantômes. Qui dit Palais-Royal, dit : chats. Ils y règnent. Ils se promènent sur la large plaque de zinc qui tourne tout autour du Palais. Ils grimpent aux arbres du jardin. Ils peuplent la rue. Il faut ou bien composer avec eux ou bien s’en aller. Ma femme craignait les chats. [Rappelons que l’épouse d’Emmanuel Berl était la délicieuse Mireille, qui avait été une chanteuse réputée à la voix malicieuse et aigrelette, et qui anima à la fin de sa vie une célèbre émission de la télévision française : « Le Petit Conservatoire de la chanson ».] Elle ne pouvait durer dans une pièce où il s’en trouvait un. Le Palais-Royal, plus puissant, l’a convertie. Elle a toléré un premier chat, qui est mort, un second, qui est parti par le balcon. Elle a adopté le troisième. Il la préfère à moi, de beaucoup. Elle ne peut plus s’asseoir, ni s’étendre, qu’il ne vienne sur elle, sans même qu’elle le remarque…
« Cocteau, dans son logement exigu, a eu jusqu’à quatorze chats.
« Ils l’empêchaient de travailler, de vivre. Ils criaient. Ils se battaient. Cocteau passait son temps à les réconcilier ou à les séparer : il ne pouvait plus ouvrir une porte, crainte que les batailles ne recommencent.
« Il n’en a plus que trois.
« Mais sa gouvernante Madeleine est sans doute la plus haute autorité de tout le quartier en matière féline. Elle consacre à ses siamois le meilleur de sa vie. Quand Cocteau est en voyage, et qu’ils sont seuls, elle quitte son logement et son mari pour dormir avec eux. Elle nourrit, en outre, les chats perdus. Elle les découvre, tremblants, dans leurs caches et vient leur porter leur provende. En la prenant pour gouvernante, Cocteau a pratiquement fondé un dispensaire pour les chats de la rue Montpensier. »
Que s’est-il passé depuis un demi-siècle ?
Les chats du Palais-Royal sont-ils devenus fantômes à leur tour, comme Cocteau, comme Colette, comme Emmanuel Berl et les autres ? Hantent-ils toujours les toits, et est-ce simplement moi qui n’ai pas su les voir ? Leurs propriétaires les gardent-ils précieusement chez eux, les empêchent-ils de fuguer sur les toits ?
Il faudra que je mène une enquête.
Peines de cœur d’une chatte anglaise
La Comédie humaine, c’est beau, c’est admirable. L’un des plus indiscutables monuments de la littérature française de tous les temps. On comprend cependant que Balzac ait éprouvé parfois vis-à-vis de cette œuvre encore en devenir, à l’ambition écrasante, comme une certaine lassitude – voire un certain découragement. La tâche était si déraisonnable ! On comprend, pour mieux dire, qu’il se soit consolé, au moins en une occasion, en acceptant, sans aucune mauvaise grâce, de collaborer aux Scènes de la vie publique et privée des animaux que Pierre-Jules Stahl entreprit de publier en deux volumes, en 1842 – ce même Stahl, déjà éditeur de La Comédie humaine, qui deviendra célèbre par la suite sous le pseudonyme de Hetzel, ce nom d’éditeur qui figurera, entre autres, sous chacun des Voyages extraordinaires de Jules Verne.
Bien entendu, les Peines de cœur d’une chatte anglaise que Balzac écrivit pour cette occasion ne comptent pas parmi ses œuvres majeures. On n’échangera pas pour elle Illusions perdues ou Splendeurs et misères des courtisanes. Il n’empêche qu’elles sont délectables – et qu’un autre élément contribue à notre enchantement : elles furent illustrées par Grandville, ce grand, cet admirable dessinateur qui fit merveille en cette occasion dans l’élégance savoureuse, la satire virtuose, la tendre, minutieuse et inventive fermeté du trait. Grâce à Grandville donc, nous avons aussi vu, vraiment VU et honoré, dans son intérieur londonien et ses beaux atours, la belle et immaculée Beauty, qui se risquait parfois sur les toits et se laissait conter fleurette par ce gandin, cet irrésistible séducteur français de Brisquet, alors que Puff, notable bouffi dans sa suffisance, parfait représentant de la gentry anglaise, la considérait bien imprudemment comme sa promise et sa soumise. Impossible désormais de dissocier le texte de Balzac de l’œuvre graphique de Grandville. Ils concourent également à notre bonheur.
Peut-être certains se souviendront-ils du spectacle créé à Paris en 1977 par l’Argentin Alfredo Arias et sa troupe du TSE, une transposition théâtrale écrite par Geneviève Serreau du texte de Balzac, interprétée par des comédiens affublés de masques – ceux-ci inspirés précisément, comme les costumes, par les illustrations de Grandville. La réussite d’Alfredo Arias fut totale. Le public l’ovationna. Des centaines de représentations se succédèrent… et les Peines de cœur d’une chatte anglaise de Balzac bénéficièrent dès lors d’un regain inattendu de popularité.
Pour être franc, l’auteur de La Comédie humaine n’y témoigne pas d’une connaissance intime et vertigineuse de l’âme féline. Ce n’était pas du reste son propos. Bien entendu, ses observations sonnent juste. On ne saurait avoir été un observateur aussi aiguisé de la société de son temps, un spéléologue aussi redoutable dans les profondeurs du caractère, de l’esprit et du cœur de ses personnages, pour ne pas faire preuve d’autant d’acuité pour capter les humeurs et les attitudes des matous… mais ceux-ci, tout de même, le retiennent moins que les hommes.
Cette fantaisie animalière, en bref, est surtout pour Balzac l’occasion d’une délectable satire des mœurs et de la société d’outre-Manche. Tel est le vrai sujet qui l’inspire.
Son héroïne serait passée de vie à trépas dès sa naissance, comme des dizaines de ses frères et sœurs (ah, cette manie anglaise de forniquer et donc de procréer, tellement on s’ennuie par ailleurs dans ce pays, nous laisse entendre l’auteur !), si elle n’avait été dotée par la nature d’un pelage aussi irréprochablement blanc.
Jeune, il lui arrive de « s’oublier » dans un coin de son logement. On la corrige sévèrement. Ne faire sa toilette et ses besoins que lorsqu’on n’est vu de personne, telle est la règle. « Ceci éclaire la perfection de la morale anglaise qui s’occupe exclusivement des apparences, ce monde n’étant, hélas ! qu’apparence et déception », commente-t-elle.
Typique hypocrisie britannique !
« J’avoue, nous dit encore Beauty, que tout mon bon sens d’animal se révoltait contre ces déguisements ; mais, à force d’être fouettée, je finis par comprendre que la propreté extérieure devait être toute la vertu d’une chatte anglaise. Dès ce moment, je m’habituai à cacher sous les lits les friandises que j’aimais. Jamais personne ne me vit ni mangeant, ni buvant, ni faisant ma toilette. Je fus regardée comme la perle des Chattes. »
Bientôt voici Puff, le matou, pair d’Angleterre s’il vous plaît, obèse, impassible, sévère. Ce n’est pas lui qui se serait gratté devant tout le monde. Quel beau parti il pourrait être pour Beauty !
En attendant, l’éducation de la demoiselle se poursuit. Elle a du mal à se laisser convaincre par les prédicateurs du coin, qui s’appuient dans leurs homélies aussi bien sur saint Paul que sur le Droit des Bêtes (bien plus solide encore que le Droit des Gens), qu’il serait inconvenant, et même shocking, vulgar, de courir après les rats et les souris. Ce qui ne manque pas d’amuser Puff qui connaît, lui, le dessous des cartes…
« En me voyant la dupe de ce speech, lord Puff me dit confidentiellement que l’Angleterre comptait faire un immense commerce avec les Rats et les Souris ; que, si les autres Chats n’en mangeaient plus, les Rats seraient à meilleur marché ; que, derrière la morale anglaise, il y avait toujours quelque raison de comptoir ; et que cette alliance de la morale et du mercantilisme était la seule alliance sur laquelle comptait réellement l’Angleterre. »
Ah non, il ne se montre pas d’une excessive indulgence envers nos amis britanniques, Honoré de Balzac ! Brisquet, le séducteur français aussi plein d’aplomb que dépourvu de la moindre fortune, a toutes ses indulgences, même si sa forfanterie et ses insolences méritent tout de même d’être soulignées.
Vous voudriez que Beauty acceptât de fuguer avec lui ?
« L’amour sans capital est un non-sens ! lui dis-je. Pendant que vous irez à droite et à gauche chercher à manger, vous ne vous occuperez pas de moi, mon cher. »
Mais basta ! On ne va pas vous détailler ici toutes les péripéties de l’histoire ! Il suffira de préciser que nous avons tous pour Beauty les yeux de Brisquet, que l’Angleterre n’est pas le pays où l’on rêverait d’émigrer, en dépit de la mansuétude de ses prélèvements obligatoires et de son code des impôts, et que les Anglaises sont les plus belles, les plus intrépides et les plus désirables des demoiselles – chattes ou pas chattes – en dépit de leur hygiène. Grandville le premier en était convaincu, ses dessins en témoignent.
Comment ne pas juger enfin réconfortant de voir que le plus immense de tous les romanciers français ait pu associer, au moins une fois dans sa vie, son nom, sa peine et son talent aux chats que nous admirons également ?
Le persan est un chat de luxe. Hyperboliquement de luxe. On ne saurait même faire plus luxueux que le chat persan. Il en deviendrait presque attendrissant d’être à ce point si précieux. On n’ose le toucher, le prendre dans ses bras, le regarder. Le Chagall est accroché au-dessus de la cheminée. Le persan somnole sur le canapé. Attention dans les deux cas à la moindre éraflure ! Au coup de plumeau malencontreux ! Et pourvu qu’ils soient bien assurés !
Attendrissant, le persan, oui, tant il nous paraît fragile. Et la fragilité, n’est-ce pas aussi l’une des caractéristiques du luxe ? Le persan réclame, que dis-je, exige plutôt, des soins incessants. Ah, ce n’est pas lui que l’on va lâcher en pleine nature ou au fond du jardin ! Qui va se débrouiller comme un grand, comme un banlieusard ou comme ses lointains ancêtres, pour chasser dans les sous-bois, arpenter les gouttières, disputer à des matous plus voyous les uns que les autres une charogne de rat ou de musaraigne ! Avec ses longs poils si soyeux, ses grands yeux étonnés ou sans cesse fatigués, il faut le laisser au repos. Alangui. Ou en vitrine. En bref, il faut se mettre à son service.
Il existe comme cela des femmes du monde ou des demi-mondaines (il en existait du moins autrefois) que leurs femmes de chambre habillent, déshabillent, corsètent, pomponnent, coiffent, poudrent et aident à prendre leur bain. Le chat persan est de cette race-là. Qu’il fasse sa toilette lui-même, vous n’y pensez pas ! Il y a des domestiques pour ça. Ou des hommes. Nous sommes les domestiques des chats persans.
Ils laissent les poils de leur fourrure un peu partout. À nous de balayer, de passer l’aspirateur, de faire place nette. Si, par mégarde, ou mus par un étrange scrupule démocratique, ils se mettaient à se lécher eux-mêmes le pelage, à se lustrer comme des grands, comme vous et moi, attention ! Ils risqueraient d’absorber trop de poils qui formeraient pelote dans leur système digestif. Ils auraient des vapeurs. Ils suffoqueraient. C’est peut-être très chic d’avoir des vapeurs pour une femme du monde ou un chat persan. Encore faut-il ne pas en abuser.
Pour la nourriture, même combat ! Le chat persan ne va pas se satisfaire d’un menu fast-food. Ah, pas du tout ! Il exige au contraire des aliments variés, légumes, viandes et poissons. Et un chef étoilé au Michelin, si possible. Comme toutes les stars, il chipote, il dédaigne, il joue parfois les anorexiques. Comment ! Vous osez me servir ça ! Garçon, appelez-moi le patron !
Je vous parle des chats persans. C’est aller un peu vite en besogne. Il existe en vérité une incroyable variété de chats persans. Autant d’appellations contrôlées ou de crus classés, comme on voudra. Il y a les persans blancs, et les persans d’un bleu de Perse, comme celui qui vivait auprès de la reine Victoria. Qui était le plus majestueux et le plus autocrate des deux ? Il y a les persans aux yeux bleus (qui sont presque toujours sourds, comme s’ils n’en pouvaient plus des compliments qu’on leur adresse, les malheureux !), les persans unicolores et les persans argentés, les persans tigrés, le colourpoint ou l’exotic shorthair, un vague cousin…
Tous ont un corps trapu, des pattes larges et courtes, des oreilles petites et arrondies et, bien sûr, ce nez large et épaté que je trouve, pardonnez-moi, un peu ridicule. Comme si leur appendice nasal, semblable à celui d’un boxeur calamiteux, s’était fait amocher et écraser après avoir reçu trop de directs et d’uppercuts en pleine tronche.
Un peu ridicule et même un peu pathétique aussi, le persan, j’aggrave mon cas. Tant est frappant le contraste entre son aplomb, son altérité méditative, sa certitude de faire partie des élus de ce monde (il ne faut pas lui demander en prime d’être câlin, on lui doit tout encore une fois et il ne nous doit rien) et cette trogne à la Marcel Cerdan (qui, lui, n’était pas un boxeur calamiteux, évidemment !) qu’il affiche avec une assurance hautaine.
Comme toutes les stars, les divas, les femmes entretenues ou les têtes couronnées, les persans sont fragiles. Comme tous les anciens boxeurs aussi, peut-être. Leur fameux nez écrasé est source de sacrés problèmes respiratoires. L’étroitesse du canal lacrymal entraîne parfois chez eux des éternuements chroniques. Leur côté Dame aux camélias, en somme.
Vous l’aurez peut-être compris, je ne suis pas un intime des persans. Je préfère les beautés sportives aux demoiselles chlorotiques. Mais je m’incline tout de même devant leur allure somptueuse. Et, plus encore, devant la certitude qu’ils ont d’être superbes et de mériter nos hommages. Je ne serai jamais pour ma part l’esclave adorant et implorant d’un chat persan, mais il me plaît de penser que les chats persans nous considèrent tous comme leurs valets. Ils ne manquent pas de toupet. C’est ce toupet-là qui m’enchante.
C’est très curieux : une vieille encyclopédie m’apprend que le premier chat à avoir fait son apparition sur un timbre postal fut non pas un chat domestique mais un chat sauvage, un chat doré africain très précisément, sur une vignette émise par le Liberia en 1921.
Quant au premier chat domestique, on le retrouve en 1927, non pas seul mais représenté en compagnie de l’aviateur Charles Lindbergh qu’il accompagna, paraît-il, à bord du Spirit of St. Louis pour sa première traversée de l’Atlantique. C’est à la poste aérienne espagnole que l’on a dû cette initiative.
Pourquoi une apparition si tardive ?
Pourquoi, par la suite, si peu de chats timbrés, en quelque sorte ? (Je garde tout de même le souvenir d’un chartreux sur un timbre français pour l’affranchissement courant des lettres de moins de vingt grammes.)
Je n’ai évidemment pas de réponses à ces délicates questions.
Cela dit, il ne me déplaît pas de voir le chat si étranger à toute représentation ou figuration administratives. Le chat, on ne le composte pas. On ne l’estampille pas. On ne le tamponne pas. Il ne voyage pas en recommandé. Il n’est pas recommandable. Il est libre. On ne le colle pas sur une enveloppe.
Les administrations postales des différents pays ont sans doute compris, intuitivement, que les chats ne leur appartiennent en aucune façon. Qu’ils sont des voyageurs sans bagage. Ou des lettres sans affranchissement. Que les chats, pour tout dire, sont déjà affranchis, par nature.
Aucun photographe n’a jamais résisté au plaisir de photographier des chats. Les siens. Les chats de rencontre. Les chats de ses modèles. Les chats dans des lieux précis, à Venise, dans des temples zen du Japon, sur les toits de Paris ou ailleurs. Les chats comme uniques sujets. Les chats en arrière-plan. Les chats pour valoriser le décor. Les chats entre eux. Les chats avec des chiens. Les chats avec des stars. Les chats dans la rue. À la campagne. Au bord de l’eau. Les chats qui bondissent, les chats qui mangent, qui jouent, qui se disputent…
Et comment s’en étonner ? Comment résister au plaisir de les capturer ? Comment reprocher à Édouard Boubat et à Robert Doisneau, à Félix Nadar et à Brassaï, à Henri Cartier-Bresson et à André Kertész, à sir Cecil Beaton et à Marc Riboud, à Man Ray et à Robert Capa, à Edward Muybridge et à Willy Ronis, à Jacques-Henri Lartigue et à Gérard Rondeau, à tous les plus grands en somme d’hier et d’aujourd’hui, de les avoir un jour fixés sur la pellicule ? Il y a des tentations auxquelles il est légitime de céder.
Le chat est si photogénique ! Si expressif ! Si gracieux, si précis, si persuasif, si éloquent, si impeccable dans chacune de ses poses !
Mais voilà peut-être le problème paradoxal que posent les photographies de chats. Ils sont si photogéniques en effet. Tout est là ! Comment « rater » une photo de chat ? C’est impossible. On ne pourra jamais, par une photo de chat, juger un photographe. Comme pour les vins. Ils paraissent tous bons quand on les consomme avec du fromage. Les chats, en somme, ce sont les fromages qui ne permettent pas de hiérarchiser et d’apprécier les grands crus ou les grands photographes.
Il y a plus grave encore. Comment voir une photo de chat, s’abstraire ou se détacher en quelque sorte du sujet pour détailler sa composition, ses lumières, son sens ? Comment admirer le regard du photographe au-delà du pittoresque ou de l’anecdote de son sujet ?
Le chat, en quelque sorte, vole la vedette à tout le monde. Et d’abord à l’auteur de la photo. C’est décourageant. Pour celui-ci du moins. Tenez ! Certains se sont essayés à composer des nus féminins avec des chats. Édouard Boubat par exemple. Une jeune fille nue sur un canapé, un chat blotti sur son ventre. On n’admire que le chat. La demoiselle paraît empruntée. Tout paraît convenu en somme. Sauf l’animal.
Puisque je vous parle de Boubat, je dois vous dire que j’ai en permanence sur mon bureau une carte postale qui reproduit l’une de ses plus célèbres photos, prise en 1982 : un chat qui surgit derrière une partition musicale, qui appuie son menton sur celle-ci et affiche un air attentif et mélancolique à la fois. Boubat a bien voulu nous la signer un jour, à Nicole et moi.
Comment ne pas fondre devant cette image ? Ne pas se sentir attendri à son tour, mélancolique, complice ? Mais, bien entendu, je mesure à quel point le sujet seul de la photo soigneusement composée touche ici. Boubat n’y est – presque – pour rien. Son chat a fait l’essentiel.
Cela étant, répétons-le, on aurait bien tort de bouder son plaisir. Le photographe a eu le mérite d’être là, tout de même. Marc Riboud dans la clinique vétérinaire où une brave dame brandit son matou, les yeux exorbités, qui tire la langue, devant l’homme en blouse blanche qui s’apprête à l’ausculter ; Hans Silvester à immobiliser dans l’air le bond de ce chat blanc et noir sur un rocher au bord de l’eau, à Milos, en Grèce ; Cartier-Bresson à surprendre ce chat blanc, les yeux levés vers le ciel, dans la vitrine d’une vieille boutique de lingerie, porte-jarretelles, gaines et soutiens-gorge, à Lille, en 1968 ; Eugène Atget, en 1922, à photographier la cour de Rohan, un petit tigré tapi sur les marches de la porte ; Gérard Rondeau, présent à Locarno en 1984 quand l’inquiétante Patricia Highsmith, son siamois sur les genoux, jetait un regard en coin au photographe ; ou Robert Doisneau saisissant le curieux ballet des chats, sur les pavés des halles aux vins de Bercy, en 1974…
De tels instants sont magiques. Les livres consacrés aux chats vus par les meilleurs photographes me sont précieux. Ils sont innombrables aussi. Je recommanderai particulièrement celui paru chez Flammarion en 2005 sous l’elliptique titre de Chats, s’il est toujours disponible. Mais j’insiste tout de même. Avec les chats, TOUS les instants sont magiques. Le photographe aurait déclenché son appareil un instant plus tôt ou un instant plus tard que la photo, une autre photo sans doute, aurait été aussi expressive, aussi touchante, aussi insolite.
Les écrivains aiment se faire photographier avec leurs chats et même, si possible, avec leurs chats dans les bras, qu’ils enlacent tendrement. C’est une image traditionnelle. Presque un cliché au double sens du terme : une expression convenue et un instantané photographique.
Je ne sais pas pourquoi au juste, mais cette pose m’agace. Sans doute parce qu’il s’agit d’une pose. D’une affectation. Le chat est si intimement accordé à l’écrivain, n’est-ce pas ? Alors, se planter devant l’objectif avec son chat, ou accepter les injonctions du photographe de presse qui vous y convie, c’est comme tendre au public l’image qu’il demande. Une façon de se rassurer à bon compte. Vous voyez, je suis un écrivain puisque je vis avec un chat ! Les chats aiment les écrivains, c’est bien connu, en conséquence je vous prouve avec mon chat que je suis digne d’être salué comme un auteur, un romancier ou un poète, un vrai ! Le chat, c’est l’alibi des polygraphes. Leur sauf-conduit illusoire vers le talent ou l’immortalité.
Le malheureux chat, lui, ne demandait rien à personne. Il ne cherchait pas à prouver qu’il est un chat. Un vrai. Il serait plutôt du genre à fuir, par nature, les paparazzi. On a toujours un peu l’impression que l’écrivain s’est emparé de lui contre son gré, qu’il a cherché à le circonvenir, à l’amadouer, à l’acheter, à le flatter pour lui demander ce service : se tenir à peu près tranquille le temps de la séance de pose.
Bien entendu, Drieu La Rochelle avec son siamois, Colette en compagnie de son chartreux, Pierre Loti tenant dans ses bras son persan blanc, Léautaud et sa tripotée de matous, Céline et l’illustre Bébert (voir cette entrée), Patricia Highsmith avec son chat un peu moins inquiétant qu’elle, Georges Perec et son minet sur l’épaule, tant d’autres encore, écrivains irréfutables, n’ont jamais eu besoin de cette garantie-là. Il n’empêche qu’elle leur a été donnée. Et tout le monde – sauf les chats – était content !
(Ne croyez pas, par ces réflexions, que j’attaque particulièrement mes confrères. Je ne m’affranchis pas du lot. Il est m’arrivé aussi de sacrifier à ce rituel, après avoir publié Bébert, le chat de Louis-Ferdinand Céline ou Un amour de chat. Et ma chatte Nessie s’est retrouvée, plus ou moins de bon gré, sur ma table de travail, près de moi ; son image a été diffusée dans les journaux et elle n’avait rien demandé.)
Ce qui me fait penser à une petite tragi-comédie survenue en 2004 ou 2005 au restaurant Drouant. Là, chaque année, se réunissent pour déjeuner, à l’automne, non seulement les membres de l’académie Goncourt qui y décernent leur prix, mais les membres, non moins prestigieux bien entendu, d’une autre académie qui y votent également. Pour le prix « Trente millions d’amis » en l’occurrence, du nom de la célèbre et indispensable émission animalière qui fait les beaux jours de la télévision française depuis quelques décennies.
Parmi les écrivains qui la composent se retrouvent donc Robert Sabatier, Didier Decoin, Patrick Cauvin, Irène Frain, Françoise Xenakis, le regretté Bernard Frank que j’avais encouragé à venir nous rejoindre… et votre serviteur. Tous, nous sommes, à des titres divers, amoureux des chats. Et le moins fervent d’entre nous n’est certainement pas Remo Forlani (voir cette entrée).
Cette année-là, notre hôtesse, l’animatrice du prix et la productrice de l’émission, Reha Hutin, qui est si charmante et qui avait, en particulier, tant séduit Bernard Frank, avait eu l’idée, pour le reportage qui accompagne le déjeuner et la proclamation du prix, de nous filmer avec des chats, de superbes chats de race prêtés pour l’occasion, et que nous tenions plus ou moins dans les bras.
Remo Forlani pestait pour le principe. Il râle toujours. C’est son image de marque. Avait-il tort pour l’occasion ? À peine avait-il consenti pourtant à prendre le chat blanc et soyeux qui lui était destiné (une variante d’angora, me semble-t-il) que l’animal, pas plus content que lui, lui planta violemment ses griffes dans la main et l’entailla profondément avant de s’enfuir. Remo saignait beaucoup. Il ronchonna comme il en avait l’habitude – et pour une fois il en avait le droit ! Il dut partir à l’hôpital pour les piqûres désinfectantes d’usage et les points de suture nécessaires.
Le malheureux ! Le châtiment des chats, ou leur vengeance, était tombé sur lui qui pourtant avait donné tant de gages de sa tendresse et de sa complicité à leur égard. Mais au fond cette révolte féline avait quelque chose d’amusant, ou de légitime. Forlani en était convaincu le premier.
Je crois plus généralement que les chats en ont assez d’être photographiés. Ils tiennent à ce que les Anglais appellent leur privacy. Ils ne frétillent pas devant les caméras. Ne font pas des bassesses pour se retrouver dans les rubriques people. N’ont rien à voir avec le prime time. Ils aiment les écrivains dans le silence de leur bureau. Et non au 1/125e de seconde, avec une ouverture de 5.6 et un objectif Leica de 50 mm.
Dans ses Vies parallèles des hommes illustres qui donnèrent à Shakespeare tant de sujets pour ses tragédies historiques, Plutarque, le grand écrivain grec (40-120 après J.-C.), aurait pu glisser un chat – ou l’ombre d’un chat – dans le sillage ou l’intimité d’un de ses grands hommes. Il n’en a rien fait. Dommage ! Dans ses Œuvres morales en revanche, et plus précisément dans « Isis et Osiris », il nous parle de l’animal. En des termes assez curieux, et qui méritent d’être cités.
« Le chat symbolise la Lune, à cause du pelage tacheté, de l’activité nocturne et de la fécondité de cet animal : on dit qu’il met au monde d’abord un petit, puis deux, trois, quatre, cinq et qu’il en a ainsi un de plus chaque fois, jusqu’à sept, si bien qu’en tout il mettrait au monde vingt-huit petits, autant qu’il y a de jours dans une lunaison. Cela peut n’être qu’une fable : mais la pupille de l’œil du chat semble bien s’arrondir et se dilater à la pleine lune, rétrécir et se contracter pendant le décours de cet astre. »
Bien entendu, tout cela relève de la plus haute fantaisie : la fécondité des chattes tout comme cette histoire de la pupille qui se dilate et se contracte selon les phases de la lune. Qu’importe ! Ce texte est passionnant parce qu’il met déjà l’accent sur deux caractéristiques du chat, qui le marqueront, en bien comme en mal, pour des siècles et des siècles.
D’abord la symbolique du chat lié à la Lune, à la nuit, et donc à la sexualité et, plus précisément, à la sexualité féminine. La chatte est l’animal lubrique et sensuel par excellence, alangui, qui, par ses miaulements impatients, attire le mâle et le fait succomber à la tentation. De là à incarner le péché de chair, la concupiscence diabolique, il n’y avait qu’un pas. Le chat, c’est Ève. La Tentation. Le Mal. De ces rapprochements, Plutarque établissait en quelque sorte les prémices. Le chat et la Lune, tout était dit. Le Moyen Âge n’aura plus qu’à lui emboîter le pas, et l’animal passera, si l’on peut dire, un sale quart d’heure pendant des siècles.
Et puis les yeux du chat. Ah ! les yeux du chat – ce chat si diabolique encore, n’est-ce pas, puisqu’il voit dans la nuit, qu’il perce l’ombre, qu’il distingue tout dans les ténèbres. Autre fable, cela va sans dire, mais qu’importe. Plutarque en fait encore état. L’œil du chat s’accorde à la Lune, l’œil du chat n’est pas « naturel », l’œil du chat témoigne de son diabolisme. Ou de quelques qualités précieuses parfois mais non moins irrationnelles. Ainsi quand Théodore de Banville rappelle que le grand poète portugais Camoens, qui n’avait pas de quoi s’acheter une chandelle, remerciait son chat de lui prêter la clarté de ses prunelles pour écrire un chant des Lusiades. Magie toujours. Voilà l’essentiel !
Et tout était déjà là.
Dans Plutarque.
C’est l’une des chattes les plus célèbres du cinéma français. Un personnage inoubliable dont le nom, Pomponnette, reste cher au cœur des cinéphiles, tout comme celui de son compagnon, le pauvre Pompon, que l’ingrate, l’infidèle, a quitté pour un temps avec… avec qui ?
Ah, on entend encore la voix de Raimu, savoureuse, rocailleuse, bougonne et déchirante, s’adressant à Ginette Leclerc, l’épouse qui a regagné enfin la boutique, le logis, pour évoquer, prétendument, le sort des matous :
« Et le pauvre Pompon, dis, qui s’est fait un mauvais sang d’encre pendant ces trois jours ! Il tournait, il virait, il cherchait dans tous les coins… Plus malheureux qu’une pierre, il était… (À sa femme.) Et elle, pendant ce temps-là, avec son chat de gouttière… Un inconnu, un bon à rien… Un passant du clair de lune… Qu’est-ce qu’il avait, dis, de plus que lui ? »
Bien entendu, chacun aura reconnu le boulanger et la femme du boulanger dans le film tourné par Marcel Pagnol en 1938, et qui porte justement ce titre : La Femme du boulanger.
Pomponnette, la chatte, on ne la voit que là, on n’entend parler d’elle que là, dans la dernière, la toute dernière séquence du film. Que fait-elle ? Quasiment rien. La petite chatte noire du boulanger se contente de pénétrer dans le fournil par la chatière découpée dans la porte. Mais ce « quasiment rien » dit tout. Sur la chatte peut-être mais d’abord sur le boulanger et son infidèle d’épouse partie pour un temps avec un berger de passage, avant de revenir, contrite.
« Qu’est-ce qu’il avait, dis, de plus que lui ? » continue de s’interroger Raimu à propos de sa chatte.
Son épouse baisse la tête, penaude, et murmure :
« Rien. »
Et Raimu de reprendre – et comment se priver du plaisir de le citer encore, ou de citer les dialogues si savoureux de Pagnol ? Comment ne pas nous repasser à nouveau le film dans notre tête, nous priver du plaisir de nous représenter un moment cette séquence d’anthologie avec ces deux comédiens si magnifiques : Ginette Leclerc idéale pour le rôle et Raimu au sommet de son art, lui qu’Orson Welles avait bien raison de considérer comme l’un des plus grands sinon comme LE plus grand acteur de toute l’histoire du cinéma ?
Raimu, donc :
« Toi, tu dis : “Rien.” Mais elle, si elle savait parler, ou si elle n’avait pas honte – ou pas pitié du vieux Pompon –, elle me dirait : “Il était plus beau.” Et qu’est-ce que ça veut dire, beau ? Qu’est-ce que c’est, cette petite différence de l’un à l’autre ? Tous les Chinois sont pareils, tous les Nègres se ressemblent, et parce que les lions sont plus forts que les lapins, ce n’est pas une raison pour que les lapines leur courent derrière en clignant de l’œil. (À la chatte, avec amertume.) Et la tendresse alors, qu’est-ce que tu en fais ? Dis, ton berger de gouttière, est-ce qu’il se réveillait, la nuit, pour te regarder dormir ? Est-ce que si tu étais partie, il aurait laissé refroidir son four, s’il avait été boulanger ? »
Vous me direz que Pomponnette, la chatte, la vraie chatte du boulanger, ne représente ici qu’un prétexte. Bien entendu ! Encore qu’il ne soit pas indifférent qu’elle symbolise la liberté, la beauté, le vagabondage, la lascivité – tous ces attributs que, dans notre imagination, nous lions couramment à l’image des félins, et des chattes en premier lieu, et que Ginette Leclerc au demeurant, si pulpeuse, si sensuelle de manière presque animale, a su traduire dans ce film avec tant d’exactitude dans son versant féminin. Reste que nous tous, nous nous souvenons de son nom, Pomponnette, alors que nous avons oublié depuis longtemps celui que porte la femme du boulanger dans le film de Pagnol.
Vous seriez des rares à le connaître, vous, ce nom ? Allons ! Mieux vaut donner sa langue au chat… ou à Pomponnette. Le personnage interprété par Ginette Leclerc se prénomme donc Aurélie mais, entre nous, cela n’a aucune importance. Son vrai nom, c’est Pomponnette. Son nom ou son alter ego félin, son symbole, c’est la même chose.
Revenons à la chatte.
J’ai dit qu’elle ne faisait quasiment rien à l’écran. Tant mieux pour Pagnol metteur en scène ! Il est impossible de diriger un chat sur un plateau. On ne le dresse pas comme un chien. Il n’a rien d’un cabot. En vérité, Pomponnette n’a qu’une scène à jouer. Elle arrive dans la pièce, sur le plateau, se dirige vers son assiette de lait et se contente de le laper en toute tranquillité.
Et Raimu alors de poursuivre :
« Voilà. Elle a vu l’assiette de lait, l’assiette du pauvre Pompon. Dis, c’est pour ça que tu reviens ? Tu as eu faim et tu as eu froid ?… Va, bois-lui son lait, ça lui fait plaisir… Dis, est-ce que tu repartiras encore ? »
La femme du boulanger répond à sa place, d’une voix étranglée : « Elle ne repartira plus. »
Raimu, toujours à voix basse et s’adressant à la chatte :
« Parce que, si tu as envie de repartir, il vaudrait mieux repartir tout de suite : ça serait sûrement moins cruel… »
La femme du boulanger encore : « Non, elle ne repartira plus… Plus jamais… »
Impossible de ne pas se sentir le cœur serré, heureux et mélancolique à la fois, les larmes au bord des yeux, en revoyant cette séquence conclusive du film.
Pagnol soupçonnait-il qu’il tenait là, avec son boulanger, son épouse repentante et l’impassible chatte Pomponnette, l’un de ces grands moments de cinéma, où Raimu allait tout autant s’immortaliser que derrière son comptoir, dans le rôle de César de la trilogie marseillaise ?
L’amusant, c’est qu’au départ il avait une tout autre idée du film. Il ne soupçonnait pas l’existence de Pomponnette. En quelques pages, il avait développé un scénario original où il était question d’un boulanger, dans un petit village retiré des collines, non loin d’Aubagne. Celui-ci partait un jour à la ville et revenait chez lui comme un ivrogne, bâclait désormais son métier et ne savait que grommeler, chaque fois que le maire, le curé ou l’instituteur lui adressaient des remontrances : « La peau de mes fesses à la sauce piquante. » Que faire ? Bien des solutions avaient été tentées pour le ramener à la tempérance. En vain. À la fin, le boulanger était guéri par un remède de cheval administré par la tendre et compréhensive servante de l’auberge… ou par la servante elle-même.
Mais écoutons Pagnol :
« J’avais l’intention de tourner cette histoire, lorsqu’un jour, dans la NRF, je trouvai quelques pages de Giono, qui s’intitulaient “La Femme du boulanger”. J’étais dans un train qui venait de Belgique ; je lus trois fois ces quinze pages, avec une admiration grandissante. C’est aussi l’histoire d’un boulanger de village : mais ce n’était pas un pochard. C’était un pauvre homme habité par un grand amour et qui ne faisait plus de pain parce que sa femme était partie. La quête de la belle boulangère, par tous les hommes du village, c’était une Iliade rustique, un poème à la fois homérique et virgilien… Je décidai ce jour-là de renoncer à mon ivrogne guéri par l’amour et de réaliser le chef-d’œuvre de Jean Giono. »
Pomponnette revenait de loin, Pomponnette qu’il avait du reste rajoutée à l’histoire de Giono, qui ne figurait pas dans le texte original, et est là maintenant à l’écran.
Inaltérable et inoubliable.
Au Moyen Âge, les procès d’animaux furent monnaie courante, et ils se perpétuèrent jusqu’au XVIIIe siècle. Les historiens qui ont retrouvé des documents circonstanciés relatifs à plus d’une centaine d’entre eux n’ont pas manqué, pour la plupart, de relever une forme d’inconséquence chez les juges, laïcs ou religieux, qui procédaient à de telles condamnations. C’est que les animaux n’avaient pas d’âme, étaient dépourvus de conscience morale. Saint Thomas d’Aquin l’avait bien souligné. Dieu ne les avait pas créés à Son image. Ils n’avaient pas non plus, à l’évidence, de personnalité juridique. Comment pouvaient-ils donc, de ce fait, se rendre coupables, les malheureux, des crimes dont on les chargeait ? C’était absurde en vérité. Rien ne justifiait que l’on condamnât puis que l’on menât au bûcher des pourceaux, des chiens ou des boucs.
Sans doute le serpent de la Bible avait-il été le premier fautif pour avoir tenté Ève au Paradis terrestre. Mais pouvait-on lui en faire reproche, à la vérité ? N’avait-il pas été simplement vampirisé par le Malin qui avait pris son apparence pour agir ? Non, l’espèce serpent ne pouvait être maudite, mais ce seul, cet unique serpent-là, au jardin d’Éden, qui n’était autre que l’incarnation du diable. La preuve : Noé accueillit plus tard dans son arche les quadrupèdes, les oiseaux et les reptiles avec la même équité.
Qu’est-ce qui se jouait en vérité dans ces procès d’animaux ? En aucun cas la condamnation d’une espèce maudite mais la mise en accusation d’un animal particulier qui avait enfreint les règles de la nature, qui avait transgressé par là même l’ordre d’essence divine de la création. Ce manquement-là était intolérable. Il fallait moins le condamner que le conjurer par le rituel d’un procès, la condamnation solennelle de son auteur, afin que tout rentrât dans l’ordre.
Un goret avait mangé un enfant, un porc avait été surpris à avaler une hostie, des chiens avaient forniqué avec des femmes, des hommes avaient été observés en train de s’accoupler avec des vaches et des ânesses, et celles-ci, complices passives de cette « bougrerie », n’en devaient pas moins être condamnées elles aussi au supplice pour transgression de la morale naturelle aussi bien que de la loi religieuse.
Tuer un porc qui par exemple a dévoré un enfant, qui a pris cette funeste habitude gastronomique, n’avait en soi rien que de logique. On pique, on euthanasie couramment les animaux devenus fous, agressifs, dangereux. Mais de là à l’arrêter, à le conduire en prison, à instruire son procès, à convoquer témoins à charge et à décharge, à laisser les plaideurs plaider et le juge prononcer solennellement la sentence, de là à demander au bourreau d’exécuter le coupable sur la place publique puis à disperser ses cendres maudites, il y avait un pas à franchir, une forme de cérémonie solennelle que notre rationalité contemporaine pourrait juger ridicule pour ne pas dire cocasse.
Ne soyons tout de même pas trop méprisants ou, pis, ignorants vis-à-vis de la sensibilité médiévale. Rien de plus stupide que de juger un temps avec les critères d’appréciation d’un autre. C’était une époque où l’on croyait au Bien, au Mal, aux Démons, à d’autres mystères encore ou d’autres majuscules. C’était un temps où le diable pouvait sans difficulté s’incarner dans telle ou telle créature. Se contenter d’engraisser, de tuer puis de se partager les restes du porc infanticide aurait été inconcevable. Car ce porc était le diable. Tout contact avec lui devenait interdit. Seuls le juge et le bourreau, selon les démonologues du Moyen Âge, étaient immunisés, de par leurs fonctions, des atteintes du diable et de toutes les apparences qu’il pouvait prendre.
Il y a plus. Dans son ouvrage Les Procès d’animaux du Moyen Âge à nos jours (Hachette, 1970), Jean Vartier a fort bien souligné la part de thérapie sociale que comportaient de tels jugements. L’émotion et le bouleversement apportés autrefois par de tels accidents ou de tels crimes étaient si intenses qu’il fallait en quelque sorte tout un rituel pour contribuer à l’apaisement des esprits. Et c’est ainsi que des porcs étaient menés au bûcher, des taureaux condamnés aux fourches patibulaires pour avoir tué des adultes, ou un âne de Picardie « arquebusé » pour avoir mordu sa nouvelle maîtresse… Les psychologues à la petite semaine diraient volontiers aujourd’hui que ces procès permettaient à la population de « faire son deuil », cette expression imbécile dont on se gargarise tant. Ou bien, comme l’écrit précisément Jean Vartier, ils servaient « pour exorciser le malaise du peuple, lui redonner confiance dans le rythme des jours, chasser de lui l’impression que quelque chose s’était brisé, au-dessus de sa tête, et qu’il était à la merci d’autres fléaux et d’autres catastrophes ». Et il ajoute : « Il ne fallait pas le frustrer [le peuple] d’un coupable, d’un procès, ou d’une exécution publique à laquelle assisterait le seigneur, à cheval, et coiffé de son chapeau à panache. »
D’autres transgressions pouvaient paraître plus bénignes. Cette poule qui contrefaisait le chant du coq et dont on se persuadait, dans le Haut-Doubs, que ce chant serait le signe avant-coureur de grands malheurs, il fallait tout de même l’immoler. Tout comme ce coq, condamné en 1474 par les magistrats de Bâle pour avoir commis un crime contre nature, en l’occurrence pour avoir… pondu un œuf ! Eh bien, il fut, avec l’œuf, placé sur un bûcher, en présence d’une foule immense. On le voit, tout désordre constaté ou présumé à l’encontre des lois naturelles devait être rattrapé de la façon la plus rigoureuse et solennelle possible.
Mais les chats, me direz-vous ? Vous n’avez pas encore parlé des chats, et comment ne pas penser à eux dès qu’il est question du Moyen Âge et de ses maléfices ?
Eh bien, curieusement, et c’est sans doute cela qu’il aurait fallu souligner en premier lieu pour mieux corriger une idée reçue, les chats, j’entends les chats individuels, furent rarement jugés coupables d’une transgression criminelle et donc passibles d’un jugement et d’une exécution capitale. On a relevé peu d’exemples où ils furent pris en flagrant délit de tels forfaits. On ne les vit jamais pondre des œufs, pousser des meuglements de vache ou dévorer des nouveau-nés. Jean Vartier, dans l’ouvrage que nous avons cité, a bien relevé quelques cas de procès en bonne et due forme intentés à des matous. Ainsi ce malheureux supplicié à la potence de Bar-le-Duc pour avoir étouffé un bébé dans son berceau. Mais, encore une fois, de tels exemples furent rares.
Doit-on s’en réjouir ? Hélas non ! La raison en est simple. Au Moyen Âge, les chats pouvaient être jugés tous coupables, non par leurs actes mais par ce qui constituait leur nature, leur essence même. Et davantage encore s’ils étaient noirs. Le préjugé raciste en somme. Le délit de sale gueule, dirait-on aujourd’hui. Le chat était chat, et cela suffisait. Donc il était maudit. Il était condamnable. Inutile d’attribuer à tel ou tel d’entre eux un reproche précis d’incivilité. Le chat en général était lubrique, voleur, sournois, rusé, hypocrite, glouton, nocturne et donc porté vers l’au-delà, vers l’enfer. Le chat était aussi impur. Pourquoi impur ? Tout simplement parce qu’il mangeait des rats et des souris et qu’il était en quelque sorte contaminé par son alimentation.
Dès le haut Moyen Âge, note Laurence Bobis dans son Histoire du chat, « les Livres pénitentiels irlandais prohibaient l’ingestion de nourriture contaminée par le contact d’un chat. À partir du XIVe-XVe siècle, des manuels de civilité concernant la manière de bien se tenir à table interdisent de la même façon de toucher ou de caresser un chat en mangeant ».
De là à assimiler le chat au démon, il n’y avait qu’un pas. L’imaginaire médiéval n’hésita pas à le franchir. Les ermites, les saints, les dévots que torturaient les démons les voyaient sous l’apparence d’animaux difformes, des souris, des lions, des taureaux, mais le plus souvent sous la forme de chats – ces fameux chats diaboliques.
Tel moine de l’abbaye de Himmerod en Rhénanie aperçut ainsi à maintes reprises un chat assis sur la tête d’un frère convers et lui fermant les yeux de ses pattes. Ce dernier, qui avait la fâcheuse manie de dormir au cours des offices, fut alerté pour qu’il puisse ainsi chasser ce « démon de la somnolence ».
D’autres chats incarnaient le vice de la vanité. Ainsi en jugea ce bienheureux d’un autre monastère de Rhénanie qui vit « des chats couverts de vilaines marques de brûlure (c’étaient bien plutôt des démons ayant pris leur forme) cajoler les moines par les mouvements de leurs queues et les caresser en signe de familiarité, pressant leurs corps contre eux en de continuelles allées et venues. Mais les chats n’osaient même pas regarder les moines qui gardaient leur gravité » (témoignage recueilli par le cistercien Césaire de Heisterbach dans son Dialogus miraculum).
Dans la vie de saint Dominique, on raconte encore la façon dont le saint réussit à ramener à la religion neuf dames hérétiques. « Il enjoignit aux neuf dames qu’il avait converties de regarder le démon qui les avait possédées sous l’aspect d’un chat dont les yeux étaient comme ceux d’un bœuf, et même comme la flamme d’un feu ; il tirait une langue d’un demi-pied semblable à une flamme, avait une queue de près d’un demi-bras et était grand comme un chien ; sur son ordre, il partit par le trou de la corde de la cloche et s’évanouit à leurs yeux. »
On multiplierait à l’envi exemples, témoignages et citations de ce type…
Difficile évidemment de condamner des chats fantomatiques, des apparitions de chats, des ectoplasmes de chats. Chacun se persuadait de les avoir vus à l’œuvre. Les attraper, c’était une autre paire de manches. Pourtant, encore une fois, nul ne doutait de leur existence. Les théologiens du XVe siècle consacrèrent des traités aux manifestations du diable sous la forme précise de chats. C’est que la nature du diable est de tromper, de prendre des formes diverses. Mieux, la nature du diable s’accordait à celle du chat.
En revanche, la croyance populaire qui attribuait aux sorcières la possibilité de se métamorphoser en chats inspirait à ces théologiens plus de méfiance. Saint Augustin le premier l’avait dit : l’homme ne pouvait se transformer en un animal. Il ne s’agissait là que d’une illusion. Suscitée par qui ? Par le démon, pardi ! Il n’empêche que bien des croyants et des prêtres peu instruits s’en persuadaient tout de même. Des histoires circulaient dans toute l’Europe à ce sujet. Ainsi celle-ci, l’une des plus fameuses, rapportée par deux dominicains au XVe siècle dans un ouvrage intitulé Le Marteau des sorcières, qui se serait située dans le diocèse de Strasbourg :
« Un ouvrier était un jour en train de couper du bois pour faire du feu. Un chat, et pas un petit, apparut pour l’ennuyer en se mettant devant lui ; il le chassa mais voilà qu’un autre plus gros arriva pour se joindre au premier et l’importuner davantage. De nouveau, il voulut les chasser, mais ils étaient trois à revenir et à tenter de lui sauter au visage, cependant qu’ils lui mordaient aussi les jambes. Effrayé et, disait-il ensuite, plus inquiet que jamais, il fit le signe de la croix et, laissant son travail, il fonça sur les chats qui avaient grimpé sur le tas de bois, et cherchaient de nouveau à l’attaquer en lui sautant à la figure ou à la gorge ; avec difficulté, il réussit à les chasser en frappant l’un à la tête, l’autre aux jambes, le troisième sur le dos. »
Une heure plus tard, pour résumer la suite de l’affaire, cet ouvrier fut arrêté sans en comprendre la raison. C’est qu’on lui reprochait d’avoir attaqué et blessé trois dames parmi les plus considérées de la ville voisine. C’était impossible de sa part. Chacun s’en persuada bien vite. Mais il se souvint alors des chats qu’il n’avait pas ménagés pour se défendre. Impossible de ne pas faire le rapprochement. Les juges le libérèrent donc mais lui firent promettre le silence sur cette histoire. En bref, la plainte fut enterrée, juges et inquisiteurs bien d’accord sur ce point, et même le nom de la ville gardé secret « par charité et honnêteté ».
On le voit, cette conviction des métamorphoses diaboliques de la forme humaine à la forme animale, puis du retour à la forme primitive, était bien ancrée dans les esprits, et particulièrement chez les dominicains. Oui, les chats pouvaient être des démons ou des sorciers. Mais, encore une fois, comment juger tel ou tel coupable ? Ne restait donc qu’à mettre à mort, pour le principe, pour se défouler aussi bien que pour se distraire, des chats raflés au hasard, des chats coupables parce qu’ils étaient chats… et le tour était joué.
On ne s’étendra pas avec complaisance sur les circonstances de ces mises à mort, de ces fêtes collectives, sur la façon dont, jusqu’au XVIIIe siècle, on les sacrifiait tout particulièrement sur les bûchers de la Saint-Jean. Dès 1471 à Paris, le roi (à cette occasion Louis XI) allait lui-même allumer en place de Grève le feu de joie (quel drôle de nom en l’occurrence !) où étaient jetés des dizaines de chats noirs précédemment enfermés dans des sacs. En 1604, le jeune dauphin de trois ans, le futur Louis XIII, demanda à son père Henri IV la grâce pour les chats qui devaient y être immolés cette année-là, et il l’obtint…
Mais Paris n’avait pas le monopole de ces sacrifices.
À Melun, à Cambrai, à Semur-en-Auxois, à Metz (voir cette entrée), dans bien des villes du royaume, se perpétraient de telles exécutions. À Ypres en Belgique, au XVIIIe siècle, le mercredi de la deuxième semaine de carême, on procédait encore à des jets de chats du haut de la tour de Korte Meers, pour se donner la preuve que les habitants avaient cessé d’adorer les chats, avaient abjuré les croyances démoniaques auxquelles s’étaient, croyaient-ils, abandonnés leurs ancêtres ; les chats, eux, subissaient leur supplice au nom de leurs aïeux ; tel père, tel fils, ou tel chat, tel chat, en quelque sorte.
Exécution, c’est bien le mot en effet qui convenait, comme si les chats étaient des coupables avérés, par essence comme par hérédité, et que justice devait passer.
L’Église catholique coupable ou complice de telles horreurs ? Bossuet, évoquant l’holocauste des chats sur les bûchers de la Saint-Jean, tentait de s’en défendre, en parlant de « cérémonie à laquelle l’Église ne s’est résignée à assister que pour en bannir les superstitions dont les populations, à travers les siècles, n’étaient point parvenues à se débarrasser ».
Comme on aimerait se persuader aujourd’hui que de tels « procès » intentés aux animaux en général et aux chats en particulier sont devenus impossibles, incompréhensibles et même inimaginables ! Mais est-ce le cas, vraiment, d’un continent à l’autre ? La raison l’a-t-elle emporté, partout ?
Proverbes, locutions et superstitions
Plus qu’aucun autre animal domestique ou sauvage, le chat habite ou, mieux, obsède et hante notre imaginaire collectif. Plus qu’aucun autre, il est à l’origine d’innombrables proverbes et locutions imagés. Plus qu’aucun autre, il enrichit de sa présence d’extravagantes et souvent déplorables superstitions. Bien entendu, le lion, le chien ou le cheval ne sont pas mal lotis non plus. Le premier parce qu’il est le roi des animaux, le symbole de la force et de la majesté. Les deux autres parce qu’ils partagent ou ont partagé longtemps la vie quotidienne des hommes, qu’ils n’ont cessé de leur rendre service. Comment n’auraient-ils pas été associés dès lors à l’expression de leur sagesse, de leurs croyances, de leurs conseils ou de leurs peurs ?
Pour le chat, les choses en vont un peu différemment. Bien sûr, il demeure pour nous une silhouette familière, mais il n’est pas, encore une fois, strictement domestiqué et utile. Une part d’étrangeté, voire de sauvagerie, persiste en lui. On ne dompte pas le chat. On ne le dresse pas. On ne lui donne pas des ordres. Il ne répond pas à nos injonctions. Toujours cette double nature chez lui, où la douceur extrême côtoie une forme d’étrangeté irréductible – ce qui n’a cessé de déconcerter les esprits les plus méthodiques, les encyclopédistes les plus rationnels, Buffon en tête. D’où cette richesse des proverbes, locutions et superstitions qu’il inspire. D’une part parce qu’il est bien là, sans cesse devant nos yeux, une présence aimable, sensuelle, soyeuse et secrète à laquelle on ne peut pas ne pas faire référence, sur laquelle on ne peut pas ne pas s’appuyer dès lors qu’il s’agit d’illustrer tel ou tel aspect de nos mœurs, de nos craintes, de notre savoir ou de notre expérience. Mais aussi parce qu’il représente une part d’ombre, de mystère que lui seul pourrait souligner, conjurer ou faire peser sur nous. D’où toutes ces croyances qu’il inspire, tout ce pouvoir qu’on lui prête, tout cet effroi dont il serait porteur.
Le chien n’est pas métaphysique. Le cheval n’a été trop souvent considéré que comme un moyen de transport. Le lion est un lion, cela suffit à son bonheur comme à notre respect. Pour le chat, c’est autre chose. Quelle chose ? Voilà précisément sur quoi ne cessent de se disputer les hommes. Le chat est lié à mille contradictions. Il est une chose et son contraire. Maléfique et bénéfique. On n’en a jamais fini avec lui.
Quelques exemples parmi des milliers.
On sait qu’en 1233 le pape Grégoire IX promulgua une sentence d’excommunication à l’encontre des propriétaires de chats noirs dont il encouragea le sacrifice (celui des chats et non celui de leurs maîtres, mais n’est-ce pas aussi grave ?), sauf s’ils portaient au cou (les chats toujours !) une touffe blanche appelée « marque de l’ange » ou « doigt de Dieu ». En règle générale, de la vieille croyance ou superstition médiévale du chat noir associé à la sorcellerie, il est resté l’idée qu’un chat noir qui traverse la rue devant soi annonce un malheur. En règle générale, le chat noir n’a pas bonne presse. Plus qu’aucun autre, il semble en relation avec les forces occultes. Après Grégoire IX à Rome, l’écrivain Edgar Poe en Amérique semble s’en être convaincu, si l’on en croit du moins ses anthologiques contes fantastiques.
Plus généralement, les croyances populaires attribuent aux chats la prescience de la mort (voir l’entrée « Oscar » !). En Hainaut, on croyait encore tout récemment que c’est signe d’un décès imminent si le chat quitte sans raison la maison d’un malade ; ou bien, dans le département de l’Eure, si un chat habitué à dormir sur le lit de son maître cesse d’y coucher. On retrouve des croyances de ce type en Orient, en Afrique.
Pourtant, le chat est le plus souvent bénéfique à l’homme. Toujours cette contradiction ! Comme un intercesseur entre Dieu et nous, ou l’ambassadeur plein de bonne volonté des promesses souriantes de l’avenir. Non, vraiment, on n’imaginerait pas un caniche ou un loulou de Poméranie dans ce rôle-là. Du coup, bien sûr, il se révèle fort précieux. On ne malmène pas un ministre plénipotentiaire des puissances divines. Les mesures de rétorsion pourraient, dans ce cas, se révéler incalculables.
En Irlande, croit-on ainsi, dix-sept ans de malheur pour celui qui tue un chat, même involontairement.
Un chat qui dort dans un foyer est en revanche une garantie de bonheur pour tout Cambodgien qui se respecte.
Un chat noir vagabond qui trouve refuge sur la véranda d’une maison y apporte la prospérité, jurent les Écossais – comme si le diable, cette fois, se transformait en bon génie.
En Italie, un chat qui éternue assure la bonne fortune de ceux qui l’ont entendu. À vos souhaits, en somme !
Je vous ai parlé des chats semblables à des devins…
Un matou qui se lave les oreilles annonce l’arrivée imminente de visiteurs, se persuadent les Allemands.
Pour nous Français, un chat qui se passe la patte derrière l’oreille quand il fait sa toilette présagerait plutôt l’arrivée de la pluie.
S’il dort ramassé sur ses pattes, imagine-t-on en Angleterre, c’est que l’hiver sera rigoureux. Brrr !
Et si l’on rêve d’un chat blanc, jure-t-on en Amérique, c’est que la chance ne va pas tarder à pointer le bout de son nez.
On pourrait multiplier les exemples, les croyances, les idées reçues, d’un pays à l’autre. Chats noirs ou chats blancs, de toute façon, la couleur de leur fourrure ne laisse jamais indifférent.
Venons-en maintenant à quelques proverbes et locutions imagés, que je ne résiste pas d’abord au plaisir de vous citer dans le désordre, à mesure qu’ils me reviennent à l’esprit :
• À bon chat bon rat.
• Quand le chat n’est pas là, les souris dansent.
• Là où chat n’est, la souris se révèle.
• Jouer au chat et à la souris.
• Donner sa langue au chat.
• Avoir un chat dans la gorge.
• Il n’y a pas de quoi fouetter un chat.
• S’entendre comme chien et chat.
• Chat échaudé craint l’eau froide.
• La nuit, tous les chats sont gris.
• Il n’y a pas un chat.
• Aller comme chat maigre.
• Il ne faut pas réveiller le chat qui dort.
• Penaud comme un chat qu’on châtie.
• Personne ne veut attacher la sonnette au cou du chat.
• Écrire comme un chat.
• Acheter (ou vendre) chat en poche.
• Passer un grelot au cou d’un chat…
Les Canadiens francophones ne sont pas en reste. Parmi les expressions qui leur sont usuelles paraît-il, on note :
• Payer en chat et en rat.
• Avoir une mine de chat fâché.
• Être propre comme l’écuelle d’un chat.
• Avoir un œil à la poêle et l’autre au chat.
• Bailler le chat par les pattes (on disait plutôt en France, au XVIIe siècle, « présenter le chat par les pattes », à l’intention de ceux qui ne proposent une affaire que par l’endroit où elle offre le plus de difficultés).
• Laisser aller le chat au fromage…
Qu’en conclure ?
Toutes les contradictions du chat, encore une fois, se retrouvent dans ces expressions. Tantôt il est bourreau et tantôt il est victime. Tantôt il est ridicule et tantôt il est mystérieux. Tantôt il est prospère ou glouton et tantôt il est efflanqué ou miséreux. En un mot, on le met à toutes les sauces. Encore heureux si on ne le fourre pas dans la marmite !
Les rapports imagés du chat et de la souris, fort nombreux, se passent de commentaires. Attention toutefois à l’agresseur ! Il peut affronter contre toute attente une rude opposition. À bon chat bon rat ! C’est tout le problème, dans les cartoons, de Tom contre Jerry (voir l’entrée « Tom et Jerry »).
Donner sa langue au chat ? Bizarre ! Pourquoi au chat et pas au poisson rouge ou au hamster ? Il est vrai que l’on disait aussi, à l’âge classique, « jeter sa langue aux chiens ». Mme de Sévigné, dans sa correspondance, était friande de l’expression. Il n’empêche que le chat à qui l’on donne sa langue me plaît davantage. Quand on renonce à comprendre ou à savoir, à qui confie-t-on son ignorance ? Au chat, pardi ! Lui, il sait tout. Lui, il est initié aux plus incroyables secrets… il ne nous les dira pas mais on peut toujours espérer. Les chiens, entre nous, vous croyez que les chiens connaissent beaucoup de choses ? Non, ils ne sont que les miroirs ou les doubles affectueux et fidèles de nos propres ignorances, ce n’est pas du tout la même chose.
Avoir un chat dans la gorge, rien à redire. Ne pouvoir en somme que gargouiller des ronronnements, il n’y a vraiment pas, dans cette expression, de quoi fouetter un chat…
Mais là, pardon ! Cette dernière expression est tout bonnement inadmissible, comme si fouetter un chat était une activité exceptionnelle certes mais tout de même envisageable. Mais non ! Fouetter un chat, c’est sacrilège, c’est monstrueux, c’est abject. Pire qu’un crime contre l’humanité : un crime contre la félinité ! Qui donc a inventé cette funeste locution ? Qu’on le juge, ce misérable, qu’on le condamne, qu’on le pende ! Remonte-t-elle à ces époques reculées et barbares où la vie animale n’avait aucune valeur, où l’on jetait par exemple des chats vivants sur les bûchers pour fêter joyeusement la Saint-Jean ? Un chat, on le sait désormais (et on a mis le temps !), c’est quelqu’un. Un chat, c’est l’étincelle du sacré à portée de main et de caresse. On ne fouette pas un chat. Jamais ! Pire que de blasphémer.
Notons en passant que si l’on ne doit jamais fouetter un chat, le chat, lui, sert en revanche à fouetter… mais utilise-t-on encore le chat à neuf queues qui fut particulièrement en usage dans la marine anglaise, du temps des châtiments corporels ?
Une nouvelle preuve qu’on ne doit jamais le fouetter, c’est que le nommer est déjà un acte de bravoure, jamais commis impunément. Personne ne dira : appeler un lapin un lapin ou un castor un castor, car tout le monde s’en fiche, comme du nom de ces charmantes bestioles. Mais appeler un chat un chat, voilà qui est faire preuve de franchise et d’aplomb. Chapeau !…
Ne pas le réveiller quand il dort relève de la prudence la plus recommandable, comme s’il s’agissait de titiller ses instincts, de rallumer ses pulsions. Ne pas le réveiller, c’est un devoir surtout. C’est respecter ce qu’il y a de plus magique en lui – son sommeil, ce contact onirique qu’il noue avec l’Inconnu… Et, si notre proverbe ne souligne pas ce dernier aspect du sommeil du chat, eh bien il a tort.
Le chat échaudé qui craint l’eau froide ? Heureusement ! On ne va pas tout de même lui reprocher sa prudence – ou s’en moquer. Vous qui êtes si malin, comment pouvez-vous savoir à vue de nez si l’eau qui coule de ce robinet fait 80 ˚C ou bien 10 ˚C ? Qu’il soit échaudé ou non, le chat n’aime pas l’eau, n’oublie rien et tire de ses mésaventures de sages conclusions. Ceux qui continueraient de se gausser de lui seraient mal avisés.
Est-il gris, à propos, dès qu’il s’enfonce dans la nuit ? Peut-être. Il est surtout invisible. On ne le reconnaît pas. De vieux textes juridiques comme les Canons irlandais d’avant le Xe siècle qui consacrent un livre aux animaux domestiques (De bestiis mitibus) précisent que les méfaits commis par un chat domestique ne donneront pas lieu à compensation ou à indemnités, si ceux-ci sont commis pendant la nuit. Autrement dit, on ne pourra pas prouver de quel chat il s’agissait alors, puisqu’ils sont tous gris, n’est-ce pas ? La nuit, seules luisent leurs prunelles. Seuls se font entendre leurs miaulements. La nuit, les chats sont gris pour les hommes mais les hommes ne sont pas gris pour les chats. De cela, les hommes ne se vantent pas. Car telle est l’une des indiscutables supériorités des chats sur notre pauvre espèce : leur fabuleuse acuité visuelle. Je ne crois pas qu’il existe de proverbe pour souligner ce point capital : la nuit, les chats voient et nous ne voyons pas.
Affirmer encore qu’on « écrit comme un chat » n’est pas vraiment insultant. De manière peu lisible peut-être, et alors ? Écrire tout court, c’est déjà très bien. Quels sont les animaux qui en sont capables, à part le chat ? Iriez-vous dire qu’on écrit comme un poisson rouge, une grenouille verte ou un caniche blanc ? Ces braves animaux-là ne connaissent rien à l’alphabet. Le chat, lui, sait tout ou presque tout des mots, de la syntaxe et des figures de rhétorique. Sérieusement, croyez-vous que votre médecin, quand il rédige une ordonnance, est vraiment plus lisible qu’un chat ? Allons !
J’aime pour ma part ce vieux proverbe médiéval : passer un grelot au cou d’un chat. Que nous dit-il ? Tout simplement que le chat, avec son grelot et son collier, ne peut remplir son office de chasseur puisqu’il avertit ainsi immanquablement sa proie. L’homme agit par là même de manière absurde, puisqu’il empêche le chat de faire ce qu’il sait faire, de chasser ce qu’il doit chasser. Comprendre bien sûr : les souris. En bref, passer un grelot au cou d’un chat est le symbole par excellence de la folie humaine. Ainsi le comprenait-on, du moins, au Moyen Âge. (J’avoue ma propre déraison : il m’est arrivé d’attacher un grelot au cou de mes chats, pour donner une meilleure chance aux moineaux qui se hasardaient sur mon balcon.)
Propre comme l’écuelle d’un chat, affirment encore nos amis canadiens. Et comment ! Qui soulignera assez l’exemplaire hygiène des matous ? Tenez ! Citons la vie de Geert Groote, dit Gérard le Grand, un saint homme qui vécut à la fin du Moyen Âge. Il avait renoncé au monde, à ses vanités, à ses frivolités, pour se retirer dans une petite maison où il vivait sa vie d’ermite. Des domestiques, des femmes de chambre ? Rien qu’un chat. Non pas un simple compagnon affectueux dont l’amour aurait pu le détourner de la seule adoration de Dieu mais d’abord un fidèle serviteur, selon le biographe du saint, Petrus Horn, qui écrivait que ce chat « lui servait pour nettoyer ses écuelles… Après le repas en effet, il donnait l’écuelle à laver à son serviteur le chat, et la replaçait, une fois nettoyée, dans la corbeille suspendue à sa table ».
Encore deux observations.
Personne ne veut attacher la sonnette au cou d’un chat. Heureusement ! C’est la prudence même. Qui voudrait être le premier à se lancer dans une entreprise dangereuse, car telle est la signification de ce sage précepte ?
On a pu le constater, le chat est souvent malmené dans les proverbes et locutions imagés de notre langue mais le chat, par bonheur, sait fort bien se défendre. On s’étonnerait dès lors du comportement de cet irresponsable qui voudrait acheter ou vendre chat en poche, c’est-à-dire sans voir ou sans montrer la marchandise objet de la tractation. Vous avez déjà essayé, vous, de fourrer un chat dans un sac ? Certes, de son plein gré, curieux comme il est, il n’hésitera pas à se glisser dedans. Mais allez donc l’y contraindre ! Et quelle curieuse idée, d’abord, de le cacher si l’on veut le vendre ! Un chat est infiniment précieux. On faisait même autrefois, hélas, commerce de sa fourrure. Un chat s’affiche, se montre, se pavane, s’admire. On ne doit pas l’escamoter. C’est une maladresse commerciale. Sauf s’il est borgne, unijambiste, pelé, galeux ou infesté de puces… et encore !
Avant de conclure, évoquons un remarquable article du médiéviste et professeur à l’École normale supérieure Robert Delort, publié dans la revue L’Histoire en juin 1983. Il y fait référence aux travaux d’un zoologue du XVIe siècle, Conrard Gesner, qui avait conservé et scrupuleusement noté toutes les locutions allemandes de son temps relatives aux chats.
Celles-ci ont toutes des connotations négatives :
• Les chats malins commencent par lécher, puis griffent.
• Celui qui chasse avec les chats en vient à attraper les souris (comprendre : on est victime de ses mauvaises fréquentations).
• Le chat aime bien le poisson, mais ne se mouille pas.
• Le chat est heureux là où on le dorlote.
• Si on emmène un chat en Angleterre, il continue à miauler.
• Il ne faut pas confier au chat le fromage ou le lard (comprendre : les dégâts sont pires que le mal, le prix d’un procès coûte plus cher que le préjudice causé).
Pauvre chat jugé ainsi, de l’autre côté du Rhin, incurablement égoïste, pervers, paresseux, hypocrite, obséquieux et l’on en passe !
Cette image proverbiale détestable du chat n’est évidemment pas propre à la seule Allemagne.
En Angleterre :
• Il ne faut pas charger un chat de surveiller les poules.
• Un chat enfermé devient un lion.
En Russie :
• Il n’est si petit chat qui n’égratigne.
• Chat qui gratte gratte pour lui.
En Espagne :
• Le chat laisse toujours une marque à son amie.
Mais basta !
Ces proverbes et locutions sont en droit de nous indigner. Ils ne nous apprennent pas grand-chose sur les chats, certes. À vrai dire, leur intérêt n’est pas là. Il faut les considérer surtout comme des instantanés fort précieux de la pensée, des valeurs, des préjugés et des mœurs d’une société donnée à un moment donné. À ce titre, on l’a compris, ils sont indispensables.
Il n’y a évidemment pas lieu de s’étonner de l’omniprésence du chat dans la publicité. C’est que l’animal est si beau, bien entendu. Si étrange et si familier. Si sensuel et si luxueux. Si troublant et si rassurant. Si hédoniste et si réfléchi. Il s’accorde à tout. Il rehausse tout de sa simple présence. Les affichistes ont pu le convoquer pour vanter aussi bien des marques de cigarettes que de cirages, de jus de fruits que de bijoux, de journaux que d’automobiles. Et nous ne parlons pas ici des marques d’aliments pour chats, car cela va sans dire.
Mais, si le chat peut en effet servir de support aux marques et articles les plus divers, il présente tout de même un danger, et je ne sais pas si les publicitaires l’ont mesuré à sa juste valeur. L’animal risque chaque fois de voler la vedette au produit qu’il est censé illustrer ou servir. Quand un chat paraît, on ne regarde plus que lui. Le reste n’importe guère. On s’arrête de rêver, de méditer sur le fabricant d’ordinateurs ou de blue-jeans. Dans la rue, quand on en voit un, on s’arrête même de marcher. Le chat, le chat seul attire notre attention exclusive.
Carl Van Vechten (voir cette entrée) a fort bien souligné ce phénomène dans son livre anthologique The Tiger in the House :
« De tous les animaux, le chat inspire inévitablement des sentiments puissants. Il éveille chez ses admirateurs une adoration qui ne trouve généralement un exutoire que dans l’exagération de son expression. À celui qui aime les félins, il est pratiquement impossible de rencontrer un chat dans la rue sans s’arrêter et lui consacrer une partie de sa journée. Je dois avouer pour ma part que je mets beaucoup plus de temps à traverser une ruelle où des chats croisent mon chemin qu’une artère où je n’en vois guère. »
Tenez ! Je me souviens d’un grand joaillier qui avait fait poser un persan gris avec un collier de diamants autour du cou. La photo était saisissante. Je revois ce chat, l’éclat des pierres. Mais de quel joaillier s’agissait-il ? Boucheron, Chaumet, Van Cleef, Cartier ? Je n’en sais plus rien. La marque s’est effacée derrière le chat. Était-ce de la bonne publicité, en vérité ?
Ce qui ne m’empêchera pas de rendre hommage ici, pour conclure, à un chat dénommé Morris, qui fut sans doute la vedette la plus célèbre des photos et films publicitaires made in USA. C’était un tigré orange de plus de six kilos. Il avait commencé sa carrière dans le ruisseau. Un dresseur d’animaux dénommé Bob Martwick le découvrit un jour dans une fourrière près de Chicago, au moment où l’on s’apprêtait à le supprimer. Il acheta l’animal pour cinq dollars. Avait-il pressenti en lui une star en puissance ? Il le forma à la carrière d’acteur. La tâche se révéla étonnamment facile. Morris restait en place, sans bouger, là où Martwick le lui disait. Même s’il lui jetait un seau d’eau, Morris ne bougeait pas d’une semelle.
Il fit ses débuts à la télévision en 1969, dans une publicité pour une marque de nourriture pour animaux, produite par la Star-Kist Foods Inc. Il s’agissait de mettre en lumière les mérites d’une pâtée en boîte pour chats intitulée « 9-Lives » (9 vies). Le succès fut foudroyant. Morris devint une célébrité. On dit qu’il fut même élu bientôt directeur honoraire de la Star-Kist. Il pouvait opposer son veto à la fabrication de toute nouvelle pâtée pour chat qui ne semblait pas lui plaire. Ce qui me paraît la sagesse même. En 1973, il remporta un « Patsy », l’équivalent des Oscars à l’intention des animaux, pour une « extraordinaire interprétation dans une publicité TV » – catégorie spécialement créée pour lui. On raconte même qu’il fut invité par Richard Nixon, à la fin de son mandat à la Maison-Blanche, pour « signer » un décret concernant la protection des animaux – ce qu’il fit en paraphant de sa patte trempée d’encre le décret en question. Merci Morris !
Il mourut en 1978 de mort naturelle, nous assurent ses chroniqueurs. Mais lui aussi, pour les Américains de sa génération, est resté plus célèbre que les marques qu’il avait eu pour métier de promouvoir. On ne le regrettera pas.