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Les chats, si ombrageux parfois, si possessifs, si méfiants, si troublés par tout ce qui leur est étranger, sont-ils xénophobes ? Ce serait une bien lourde accusation à leur porter. Beaucoup ne s’en sont pas privés. Je la crois injuste cependant.
Un xénophobe, c’est celui qui refuse l’étranger chez lui. Pas davantage. Non, ce n’est pas un raciste, c’est-à-dire quelqu’un qui se croit supérieur, par essence, aux représentants d’autres races. Les chiens, eux, sont parfois racistes – ou ont été dressés à partager le racisme de leurs maîtres. Certains aboient contre les Noirs, les facteurs, les militaires, les vagabonds. Ils discriminent, en somme. Ils hiérarchisent. Un chat ne hiérarchise rien. Ne discrimine rien.
Mais revenons au simple xénophobe, c’est-à-dire à celui qui veut juste être maître chez lui ou, mieux, qui veut vivre chez lui avec les siens. Qui se barricade, en somme, et met à la porte ceux qui ne parlent pas sa langue et empiètent sur son territoire.
Pour le dire autrement, un xénophobe n’est jamais un solitaire. Il ne parle pas en son nom singulier mais au nom de ses compatriotes ou de sa collectivité, parce qu’il s’imagine que ses compatriotes ou que sa collectivité seraient bien plus prospères et heureux s’ils restaient entre eux et se débarrassaient des étrangers.
À ce titre, non, les chats ne sont pas plus xénophobes que racistes. Parce qu’ils se moquent d’abord de toute collectivité. Parce qu’ils ne savent pas ce qu’est ou ce que n’est pas un compatriote. Ou, pour tout résumer d’un mot, parce qu’ils n’ont pas de patrie, ou de drapeau.
Voilà !
Les chats sont solitaires. Les chats ne vivent pas en hardes, en troupeaux, en clans, en meutes, en essaims. Les chats sont des animaux territoriaux comme tous les félins, leurs cousins, leurs ancêtres. Ils possèdent un territoire. Un seul, pour chacun d’entre eux. Les chats, en conséquence, n’ont pas le réflexe tribal de la xénophobie.
Alors oui, bien sûr, comme tous les solitaires, les chats sont attentifs, susceptibles et pas toujours hospitaliers. Ils corrigent l’importun qui débarque chez eux. Ils redoutent le rival qui veut partager leur pitance ou leur disputer l’affection de leurs proches. Regardez-les quand ils reniflent parfois avec méfiance le visiteur ou l’ami qui viennent passer une soirée ou un week-end chez vous – c’est-à-dire chez eux ! Après quelques heures, ils s’impatientent. Ils aimeraient retrouver leur quiétude. Leurs habitudes. Les chats sont des animaux d’habitude. Ils se campent devant l’invité en question. Qu’est-ce qu’il fiche encore là, ce parasite, ce pique-assiette ?
Combien de fois n’ai-je pas surpris mon chat Papageno exprimer ainsi, par des miaulements peu discrets et des regards appuyés, le désir de voir l’un de nos amis prendre enfin congé. Sa patience ou sa bienveillance avaient des limites, semblait-il lui dire, et il se faisait fort bien comprendre. Il y a un temps pour recevoir mais un autre temps, plus délectable encore, pour mettre à la porte l’étranger, ajoutait-il.
On dira donc que le chat est égoïste. Peut-être – si toutefois ce terme dépréciatif est vraiment pertinent. Ce qui est sûr, c’est que le chat ne joue pas en équipe, autrement dit qu’il ne combat pas l’équipe adverse, l’équipe étrangère qu’il bouterait hors de son camp. Le chat vit pour lui seul. Combat pour lui seul. Aime pour lui seul.
Xénophobe ?
On mesure à quel point, décidément, ce qualificatif est absurde, puisque tout lui est étranger – sauf lui-même. Le chat se pense au centre de l’univers !
N’est-il pas monstrueux par cela même ? Allons, soyons sérieux ! soyons honnêtes ! N’est-ce pas un peu le propre de chacun d’entre nous, une fois que nous nous sommes débarrassés de nos belles phrases et de nos générosités d’apparat ? Le chat au moins ne ment pas. Ce n’est pas un tartufe. Un bon apôtre. Un tiers-mondiste de pacotille. Le monde, c’est lui. Il ne méprise personne. Mais il commence d’abord par ne pas se mésestimer lui-même.
Il est difficile, pour qui le connaît et qui l’aime, de lui donner tout à fait tort en la matière.