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H

Haïku

Pour emprunter aux encyclopédies leurs types de définitions sèches, rigoureuses et impersonnelles, nous dirons que le haïku est une forme poétique très codifiée, d’origine japonaise, qui apparut là-bas à partir du XVIIIsiècle. Mais son nom lui-même, haïku, est plus tardif : il fut créé à la fin du XIXsiècle seulement.

Qu’est-ce que cette forme poétique, plus précisément ? Un poème bref qui vise en général à exprimer l’évanescence des choses, non pas à détailler mais à évoquer, à suggérer un sentiment de la nature, d’une saison, l’impalpabilité du monde, d’un objet, d’une impression, une forme d’instantané semblable à la brise qui préfigure l’éternité. S’il fallait le transposer en termes de métrique française, le haïku serait un tercet dont le premier vers ferait cinq pieds, le deuxième sept et le troisième cinq.

Très peu de poètes occidentaux se sont risqués aux haïkus. Le genre, il est vrai, n’est guère transposable. La calligraphie japonaise y joue un rôle déterminant, qui y serait comme le geste ou la trace de la pensée même et de l’émotion en mouvement. Pourtant, il ne faudrait en aucun cas oublier Paul Claudel qui en chercha des équivalences – et voilà qui va nous amener aux chats, patience…

D’avoir vécu en Extrême-Orient, d’avoir plus précisément été ambassadeur de France au Japon entre 1921 et 1927, donna à Claudel l’envie d’écrire alors et de calligraphier à l’encre de Chine noire et au pinceau des poèmes brefs en prose, sous le titre Cent phrases pour éventail. Il publia son recueil tout d’abord là-bas, à la fin de son séjour, sous la forme orientale de trois accordéons de papier dans un emboîtage de toile grise à fermeture d’ivoire, puis, en 1942, chez Gallimard dans un format réduit et plus traditionnel, avec une préface originale.

Dans celle-ci, il écrivait en particulier : « C’est le recueil de ces poëmes [Claudel tenait particulièrement à l’orthographe archaïque de poëme ou poëte plutôt que poème ou poète ; laissons-lui ce maniérisme-là !] aujourd’hui pour la première fois après seize ans prêts à s’envoler sous notre ciel de France, que jadis au Japon, à la recherche de leur ombre, j’ai essayé effrontément de mêler à l’essaim rituel des haï kaï.

« Qui m’aurait permis – ce n’est pas ce pinceau déjà vibrant au plus délié de mes phalanges, ce n’est pas ce papier offert, aussi craquant que la soie, aussi tendu que la corde sous l’archet, aussi moelleux que le brouillard – de résister à la tentation là-bas partout ambiante de la calligraphie ? Ne suis-je pas, moi aussi, un spécialiste de la lettre ? »

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Le chat pouvait être et devait être l’un des thèmes favoris des haïkus. N’exprime-t-il pas toute la beauté du monde, l’évanescence de l’existence, le mystère de la vie et de ses contradictions ? N’est-il pas cet instantané, cette apparition impalpable que le haïku comme genre poétique s’efforce tant de capter ? J’ignore si le chat, en ce sens, a inspiré durablement comme il le devrait les grands auteurs japonais de cette tradition poétique-là, s’il y est aussi présent que le soleil, le brouillard, la lune, l’eau de la rivière ou les feuilles des arbres. Mais je sais qu’il apparaît tout de même une fois chez Claudel – et que ce haïku, ou plutôt cette phrase pour éventail, n’est pas loin d’être un chef-d’œuvre.

Bien entendu, il faudrait la reproduire ici dans son aspect d’origine. Chacune des « phrases pour éventail » de Claudel se présente sous trois colonnes. À gauche, une calligraphie décorative japonaise due au pinceau de M. Ikumo Arishima. Puis, sur deux colonnes, à l’encre de Chine, le texte écrit de la main de Claudel.

Le voici donc, ce texte :

Accroupi

monsieur chat

près

les yeux à demi fermés

du

dit

bocal

je n’aime pas

le poisson

À mes yeux, ce texte est bien l’un des plus laconiques, des plus drôles, des plus visuels et des plus profonds aussi jamais écrits sur les chats.

Tout y est dit.

La bonhomie et la brusquerie.

L’immobilité du chat et bientôt le mouvement si vif qui l’animera et que personne n’aura le temps de surprendre.

La gravité et l’humour bien sûr – cet humour si peu soupçonnable de prime abord chez Claudel et qui nourrit pourtant mystérieusement son œuvre.

L’intimité rassurante et douillette propre aux chats, aux intérieurs où ils trouvent leur confort, leur majesté (« monsieur chat », n’est-ce pas ?) et cette part de violence insoupçonnable, de sauvagerie, de mystère venue de la nuit des temps, qu’ils expriment encore.

Fourbe, le chat ?

C’est trop vite dit. C’est lui prêter des sentiments humains dont il n’a que faire.

Tartuffe ?

Certainement pas ! Le chat ne cherche pas à tromper son monde. Il se fiche du monde. Il ne trompe personne. Il ne pense qu’à lui. Il se replie dans sa patience. Sa vitesse se camoufle dans son guet. Le temps est son allié. Ou bien l’éternité. Il répond à ses seuls désirs, à sa gourmandise, à son bien-être. Et l’attente, pour lui, c’est déjà une forme de contentement. « Les yeux à demi fermés », d’accord !

Mais attention à ce qu’écrit exactement Paul Claudel ! Le chat ne nous ment pas, ne nous confie pas qu’il n’aime jamais le poisson. Il ne se dit des choses qu’à lui-même. Il témoigne simplement, par son attitude, de ses sincérités successives et contradictoires.

On paraphraserait volontiers pour lui l’Ecclésiaste :

Il y a un temps pour aimer et un temps pour haïr, il y a un temps pour le jeûne et un temps pour la gourmandise, il y a un temps pour somnoler devant un bocal et il y a un temps pour plonger la patte dedans…

De tous les animaux, monsieur chat est sans l’ombre d’un doute celui qui nous est le plus proche, le plus intime, tapi près du bocal, endormi au creux de notre fauteuil préféré ou sur notre oreiller, vieux complice baudelairien des amoureux fervents et des savants austères. Il nous demeure aussi le plus étranger.

C’est bien cette dualité, pour conclure, dont Claudel s’est fait ici l’interprète inspiré.

Héraldique

Le chat est peu présent dans le bestiaire héraldique. On ne se s’en étonnera pas. C’est que sa réputation n’était pas des plus fameuses, du temps des premiers chevaliers, des croisades et de la noblesse médiévale. Qui aurait voulu voir figurer sur ses blasons un animal fourbe, infidèle, insaisissable et, pour tout dire, assez diabolique ?

Il est vrai que le chat n’a pas toujours été affublé de cette détestable image de marque-là. On pouvait le considérer à bon droit, dans l’Antiquité, comme un symbole de l’indépendance.

Dans le temple de la Liberté, élevé à Rome par les soins de Tiberius Gracchus, nous rappelle opportunément Champfleury dans l’ouvrage anthologique qu’il consacra aux chats, la déesse était représentée vêtue de blanc, tenant un sceptre d’une main, de l’autre un bonnet, et ayant à ses pieds un chat, emblème précisément de cette liberté si prisée.

Plus tard tout de même, là où tant de seigneurs se plaisaient à inscrire sur leurs blasons des animaux fantastiques, des griffons et autres dragons, il se trouva de grandes familles rebelles pour glisser des chats dans leurs armoiries, des chats, autrement dit cet animal déjà fantastique en lui-même. Mais elles ne furent pas très nombreuses.

Pierre Palliot (1608-1698), la référence absolue en matière d’héraldique et dont l’ouvrage La Vraye et Parfaite Science des armoiries de 1660 demeure la bible de tous les spécialistes, avait relevé que les anciens Bourguignons avaient un chat dans leurs armoiries. Vive les Bourguignons ! Ainsi, selon Palliot, Clotilde, « Bourguignotte, femme du roy Clovis, portait d’or un chat de sable tuant un rat de mesme ».

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Bien entendu, les grandes familles dont le mot « chat » figurait dans le patronyme ne pouvaient pas ne pas intégrer l’animal à leur blason. Ainsi celui des Katzen (chats en allemand) qui portait d’azur à un chat d’argent qui tient une souris. Ou des Della Gatta (gatta qui signifie chatte en italien), seigneurs napolitains, qui portait d’azur à une chatte d’argent au lambeau de gueules en chef. Ou des Chaffardon qui portait d’azur à trois chats d’or les deux du chef affrontés.

Admirable vocabulaire si codifié, à la fois étrange, précis et romanesque, de la science héraldique !

Le Moyen Âge s’éloignant, l’image du chat redevint plus positive. Surtout à Venise où les chats étaient depuis longtemps des citoyens à part entière ! Champfleury, encore lui, avait relevé que la marque, le cul-de-lampe ou le blason des Sessa, illustres imprimeurs de la Sérénissime au XVIsiècle, représentait un chat, entouré de curieuses ornementations de nymphes et de putti.

Ah, comme il me plaît de saluer ici ces imprimeurs qui avaient eu l’intuition et la grande sagesse d’associer les chats à leurs travaux. Hors de tout obscurantisme, le chat en effet résume la sagesse, la lumière, le silence, le recueillement et même le savoir propres aux livres, à l’imprimé, à l’éclosion des nouvelles connaissances. Le chat, c’était la Renaissance incarnée. Alors que tant de sinistres inquisiteurs brûlaient avec la même tranquillité d’âme les chats, les hérétiques et les livres impies qui disaient par exemple que la Terre tournait autour du Soleil, il se trouvait des imprimeurs à Venise, ville libre, commerçante, tolérante, ô combien rebelle aux injonctions des tribunaux ecclésiastiques, pour faire figurer un chat dans leur blason. Leur mémoire mérite d’être ici honorée.

On notera encore, dans nos temps plus modernes, une allégorie de la Liberté par Prudhon. La sémillante dame Liberté en tunique courte à l’antique tient une pique surmontée d’un bonnet phrygien. À ses pieds, assis sur ses deux pattes de derrière, se cambre fièrement un chat. Le chat ou la Liberté bien sûr, à défaut de l’Égalité (dont il n’a que faire) et de la Fraternité (qui chez le chat est plus problématique), mais passons ! Ce qui nous éloigne de toute façon de l’héraldique des âges anciens, si lointains, si brumeux, seigneuriaux et monarchiques. Les temps républicains étaient venus.

Hérodote

Il a été surnommé « le père de l’Histoire ». À juste titre. Hérodote (484-420 avant J.-C.) est bien le premier historien que nous connaissons, dont l’œuvre unique et monumentale, que l’on pourrait traduire par L’Enquête, nous est parvenue. Le premier historien moderne ? Peut-être pas. La palme en reviendrait alors à un autre Grec, non pas d’Halicarnasse mais d’Athènes, Thucydide, de quinze ans son cadet, qui, pour sa part, ne se souciait pas des dieux, des légendes, du sacré, des mythes, ne s’appuyait pas sur eux pour raconter le passé, mais tenait au contraire à rechercher et à confronter ses sources objectives, à les soumettre à un examen critique et rationnel avant d’exposer, avec la plus parfaite neutralité, les circonstances de son Histoire de la guerre du Péloponnèse, son grand livre qu’il ne faudrait jamais se lasser de lire, relire, reprendre et méditer, mais passons.

Revenons à Hérodote. Premier historien, il a un autre mérite à nos yeux, encore plus considérable : il fut aussi le premier écrivain à parler explicitement des chats. Très précisément au livre II de son ouvrage, qu’il consacre à la conquête de l’Égypte par Cambyse II, fils de Cyrus. Mais, plutôt que de le paraphraser, mieux vaut citer intégralement ce qu’il en dit, aux chapitres (ou paragraphes) LXVI et LXVII de ce livre II :

« Quoique le nombre des animaux domestiques soit très grand, il y en aurait encore plus s’il n’arrivait des accidents aux chats. Lorsque les chattes ont mis bas, elles ne vont plus trouver les mâles. Ceux-ci cherchent leur compagne ; mais, ne pouvant y réussir, ils ont recours à la ruse. Ils enlèvent adroitement aux mères leurs petits, et les tuent sans cependant en recevoir aucun dommage. Les chattes les ayant perdus, comme elles désirent en avoir d’autres, parce que cet animal aime beaucoup ses petits, elles vont chercher les mâles. Lorsqu’il survient un incendie, il arrive à ces animaux quelque chose qui tient du prodige. Les Égyptiens, rangés par intervalles, négligent de l’éteindre, pour veiller à la sûreté de ces animaux ; mais les chats, se glissant entre les hommes, ou sautant par-dessus, se jettent dans les flammes. Lorsque cela arrive, les Égyptiens en témoignent une grande douleur. Si, dans quelque maison, il meurt un chat de mort naturelle, quiconque l’habite se rase les sourcils seulement ; mais, quand il meurt un chien, on se rase la tête et le corps entier. »

« On porte dans des maisons sacrées les chats qui viennent à mourir ; et, après qu’on les a embaumés, on les enterre à Bubastis. À l’égard des chiens, chacun leur donne la sépulture dans sa ville, et les arrange dans des caisses sacrées. On rend les mêmes honneurs aux ichneumons. On transporte à Buto les musaraignes et les éperviers, et les ibis à Hermopolis ; mais les ours, qui sont rares en Égypte, et les loups, qui n’y sont guère plus grands que des renards, on les enterre dans le lieu même où on les trouve morts. »

Ce texte appelle plusieurs observations.

Rappelons d’abord que l’ichneumon désignait, chez les Anciens, une mangouste qui détruisait les serpents et les œufs de crocodile ; les Égyptiens l’adoraient ; du reste on appelle parfois cet animal rat d’Égypte.

Les contemporains d’Hérodote lui avaient déjà beaucoup reproché ses affabulations, sa propension à hisser les récits mythiques au rang d’une réalité objective. On sait toutefois que l’historien séjourna en Égypte. C’est à lui que l’on doit la formule fameuse : « L’Égypte est un don du Nil. » Autrement dit, son témoignage sur le comportement des Égyptiens, leur attachement aux chats et la façon dont ils procédaient à leurs funérailles, mérite d’être pris en meilleure part. Notons du reste qu’à Bubastis, dans cette ville sainte située à l’est du delta du Nil, et qui fut capitale de l’Égypte au Xsiècle avant J.-C., une nécropole de chats a par la suite été retrouvée.

Hérodote est-il par ailleurs un zoologue ou un éthologiste irréprochable ? C’est une autre histoire. Que penser de cette prédilection qu’il attribue aux chats de se jeter dans les flammes ? Elle paraît peu crédible. Ou de son analyse du comportement du mâle qui tue les chatons pour mieux s’attirer ensuite les faveurs des chattes ? Je doute qu’elle soit bien sérieuse.

Un fait révélateur, pour conclure, a déjà été souligné par certains chercheurs : Hérodote, qui n’hésite pas à décrire à son lecteur les animaux qui lui sont étrangers ou inconnus comme l’hippopotame, le crocodile ou l’ibis, ne se donne pas la peine, ici, de décrire le chat. C’est qu’il le croit en somme familier des Grecs, ses contemporains, ses lecteurs. Autrement dit, c’est que le chat, sans doute, arpentait déjà l’Acropole, côtoyait les guerriers spartiates ou soufflait ses réponses, qui sait, à la pythie de Delphes. C’est que le chat, tout bonnement, avait cessé d’être un étranger dans le Péloponnèse.

Highsmith

Je me souviens de Patricia Highsmith (1921-1995). C’était à la fin des années 1960. Elle habitait alors l’île Saint-Louis, quai de Bourbon peut-être ou quai d’Orléans, je n’en suis plus trop sûr. C’est au Café des Sports, au coin de la rue Saint-Louis et de la rue des Deux-Ponts, que je l’apercevais. Elle en était l’une des familières. Attablée à une table de Formica, songeuse, engourdie peut-être par les vapeurs de l’alcool, elle songeait sans doute à des histoires macabres, des romans diaboliques, des personnages pervers d’assassins innocents ou de victimes coupables, qui sait ? J’avais lu Monsieur Ripley. Cette lecture m’avait marqué. Ou, mieux, m’avait troublé. Je savais que son premier roman, L’Inconnu du Nord-Express, avait inspiré le chef-d’œuvre cinématographique d’Alfred Hitchcock. Mais je n’aurais pas osé aborder leur auteur. À quel titre ? Patricia Highsmith était seule. Pensive. Elle fumait. Elle buvait. La tête penchée vers la table. Elle dialoguait avec ses fantômes, ses personnages torturés ou torturants. Il ne fallait pas la déranger. Peut-être pensait-elle aussi à ses chats ? Mais je ne le savais pas. J’ignorais alors qu’elle aimait les chats.

Il y avait beaucoup de choses que j’ignorais en elle. Par exemple qu’elle était née un 19 janvier, le jour même de la naissance d’Edgar Allan Poe. Et qu’elle avait en commun avec son illustre compatriote le goût du macabre, de l’alcool… et des chats ! Elle vécut presque toute sa vie avec des chats. Avec des siamois plus précisément. Mais, à la différence de Poe, elle ne convoqua guère les chats comme « personnages » de ses fictions, elle ne les entraîna pas dans des histoires fantastiques, ne leur fit pas subir mille supplices atroces. Pourquoi ? Elle s’en expliqua avec beaucoup de simplicité – et de persuasion – dans un petit texte qu’elle publia à l’origine sous le titre « On Cats and Lifestyle » dans la revue Murder Ink en 1979.

Écoutons-la :

« Un chat fait qu’une maison devient un foyer, et un écrivain n’est jamais seul avec un chat, tout en l’étant suffisamment pour pouvoir écrire. Qui plus est, qu’il déambule ou qu’il dorme, un chat est une œuvre d’art vivante, en perpétuelle métamorphose. Un écrivain pourrait “utiliser” un chat pour détecter une odeur suspecte sous une lame de parquet au moment fatidique, par exemple, mais c’est typiquement le genre de situation qui paraît naturel dans la vie et sonne faux dans un roman. Si un chien peut être utilisé ou commandé, un chat, lui, ne se soumet à aucun ordre. On ne peut pas dire à proprement parler qu’on utilise un beau tableau ou un concerto de Beethoven, et pourtant l’un et l’autre peuvent se révéler essentiels à l’existence. »

Patricia Highsmith ne put s’empêcher toutefois de glisser des chats, sinon dans ses romans, du moins dans des nouvelles où ils pouvaient tenir le premier rôle – ou presque – sans que cela sonne faux ou fasse artificiel, comme elle le redoutait à bon droit dans des fictions plus ambitieuses.

Sous le titre Des chats et des hommes, les éditions Calmann-Lévy ont eu la bonne idée, par exemple, de regrouper les meilleures d’entre elles dans un petit volume publié en avril 2007. On s’amusera ainsi de ce « Truc rapporté par un chat » (en v.o. « Something the cat dragged in »), en l’occurrence, dans un manoir de la campagne anglaise, des doigts humains attachés à un métacarpe déchiqueté. Diable ! Ou, encore, de cette « Maîtresse pour deux » (en v.o. « Ming’s Biggest Prey »), où le chat, à bon droit, ne supporte pas les amants que sa jeune compagne d’Acapulco ramène à la maison, et qui parvient à éliminer proprement l’amant indélicat qui s’apprêtait à chaparder en prime le collier de la jeune femme avant de prendre le large…

Jamais Patricia Highsmith, qui n’hésite pourtant pas à « inventer » une jolie collection de personnages détraqués ou sanguinaires ou redoutablement ingénieux dans le crime, ne force la dose, si je puis dire, dès qu’elle décrit des chats et qu’elle les fait agir. Elle les aime trop, encore une fois, pour les déformer, les anamorphoser, les faire basculer dans autre chose que ce qu’ils sont. L’horreur de la première nouvelle que je viens d’évoquer ne vient pas du tout du chat qui fait bravement son métier de chat et ramène, assez fiérot, à ses maîtres, par la chatière du cottage, sa trouvaille, mais bien de la nature de celle-ci et donc du crime vraisemblable qu’elle permet de deviner. Dans la seconde nouvelle, le voyou hors du commun, ce n’est pas le brave chat qui aime sa maîtresse mais l’amant violent et jaloux du chat, qui le malmène sans état d’âme et contraint l’animal à se défendre… En bref, le chat est à ses yeux trop chat, trop merveilleusement et naturellement chat, pour qu’elle éprouve le besoin d’en rajouter.

Pour cette seule, simple et décisive intuition, la grande romancière que fut Patricia Highsmith mérite aussi notre reconnaissance.

Histoire naturelle de Buffon

C’est l’un des plus grands ouvrages de l’histoire des sciences mais surtout l’un des chefs-d’œuvre de la pensée et de la littérature françaises. Aussi considérable, aussi révélateur et emblématique du siècle des Lumières que l’Encyclopédie de D’Alembert et Diderot. Un miracle d’érudition, d’intuition, d’ampleur visionnaire, de rigueur, de fantaisie et d’intelligence. Où les réflexions, les observations et les hypothèses les plus hardies s’enchantent de la clarté de la forme, de la vigueur de la phrase, de la saveur malicieuse des tournures. Où, pour tout dire, la langue française qui vivait son âge d’or a été portée à sa plus haute expression…

Je vous parle de l’Histoire naturelle, générale et particulière écrite par Georges-Louis Leclerc, né à Montbard en 1707, mais dont la postérité a retenu un autre nom, celui que lui octroya le roi Louis XV quand il le nomma en 1772 comte de Buffon.

La publication des trente-six volumes de son Histoire naturelle commença en 1749. À la mort de Buffon en 1788, les derniers volumes étaient encore à paraître. Un an plus tard, Lacépède, son collaborateur qui avait comblé les dernières lacunes, acheva l’édition de cette œuvre.

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Bien entendu, Buffon s’appuya, tout au long de sa vie, sur les travaux de savants et amis comme Daubenton, anatomiste réputé et spécialiste des quadrupèdes. Il n’empêche que cette Histoire naturelle est bien pour l’essentiel une œuvre personnelle, marquée par le style de son auteur (« le style, c’est l’homme même », dira-t-il en une formule devenue fameuse) tout autant que par la philosophie de son temps.

Les cinquante pages que Buffon consacre au chat, au début du tome VI de son Histoire naturelle, méritent ainsi que l’on s’y arrête. Ce volume fut publié, sur les presses de l’Imprimerie royale, en 1756. La date n’est pas indifférente. Elle marque le parfait point d’équilibre, dans la pensée de Buffon, entre l’anthropomorphisme résolu de ses débuts et les intuitions transformistes qu’il aura plus tard, dont témoigneront Les Époques de la nature en 1778. Le Buffon scientifique, observateur minutieux des faits ou des comportements, se révèle là. A-t-on jamais mieux décrit le chat dans sa malice, dans ses comportements ? Le Buffon littéraire, poétique et métaphorique aussi se révèle dans ces passages.

« Leurs yeux brillent dans les ténèbres, à peu près comme les diamants, qui réfléchissent au-dehors pendant la nuit la lumière dont ils se sont, pour ainsi dire, imbibés pendant le jour. »

Voyez-les, ces chats, que nous décrit encore Buffon : « Ils ne font que ce qu’ils veulent, et rien au monde ne serait capable de les retenir un instant de plus dans un lieu dont ils voudraient s’éloigner. D’ailleurs la plupart sont à demi sauvages, ne connaissent pas leurs maîtres, ne fréquentent que les greniers et les toits » !

Pour l’essentiel, malgré tout, le chat échappe à Buffon.

Pourquoi ?

Eh bien précisément parce que Buffon est l’un des plus admirables représentants du siècle des Lumières et que les chats s’accommodent moins volontiers de la lumière que de l’ombre. Buffon est l’incarnation du triomphe de la Raison et le chat est le moins raisonnable des animaux qui soit. Par bien des aspects, il échappe même à l’entendement. Ou, si l’on préfère, aux classifications que ce siècle encyclopédique chérissait par-dessus tout.

Buffon recherche, recense, observe, anatomise les animaux sauvages. Les animaux domestiques ou familiers n’échappent pas davantage à sa perspicacité. Mais le chat ? C’est une autre affaire. Le chat domestique est trop sauvage à ses yeux. Le chat sauvage ? À peu près insaisissable et trop ressemblant au chat domestique. En bref, le chat n’entre dans aucune des catégories propres à l’Histoire naturelle.

Allons plus loin.

Le chat n’est pas un animal accordé au XVIIIsiècle. Pour les époques précédentes, tout est simple : le chat est diabolique et l’on n’en parle plus. Pour le XIXe et les romantiques (aussi bien que pour les Parnassiens et les symbolistes), le chat est source d’enchantement, de volupté, de mystère, fort bien ! Mais dans les années qui précèdent la Révolution ? On n’en parle pas. Il est insaisissable. On renonce donc à le saisir, tout comme on renonce à le peindre. Avez-vous vu beaucoup de chats dans les toiles animalières de Desportes ou d’Oudry, par exemple ?

Redisons-le : la curiosité scientifique du temps se tourne vers les espèces lointaines et les contrées à peu près inconnues : les gibbons, les orangs-outangs, les lions, les éléphants, les rhinocéros, que sais-je ! Les animaux domestiques restent les esclaves des hommes. Ceux-ci ont tout intérêt à mieux les connaître pour mieux les exploiter. On n’est pas encore sorti du concept de l’« animal-machine » développé par Descartes. L’homme est au centre de l’univers. Le seul être doué de raison. « L’homme est en tout l’ouvrage du ciel ; les animaux ne sont à beaucoup d’égards que des productions de la terre », précise ainsi, sans équivoque, Buffon dans son tome IX de 1761… Et le chat continue de lui échapper, qui n’est ni une source de profit ni un être improbable et donc passionnant venu des Amériques.

Certes, Buffon reste un scientifique irréprochable qui, en recensements minutieux, entreprend la description de l’animal, dresse des tableaux comparatifs entre le chat sauvage et le chat domestique qu’il distingue en particulier par la longueur de leurs intestins. Soit ! Nous apprenons ainsi grâce à lui que la longueur du troisième os du métacarpe (qui est le plus long) est en moyenne chez le chat de 0 pied, 1 pouce et 2 lignes, que le diamètre de son aorte pris du dehors au dehors est de 0 pied, 0 pouce et 3 lignes… Mais, encore une fois, l’essentiel du chat lui échappe. Cela l’irrite au plus haut point et l’on dirait qu’il s’en venge par les commentaires peu amènes que lui inspire son comportement.

Ah, si l’on pouvait vraiment dresser le chat, comme tout rentrerait dans l’ordre, dans l’esprit du XVIIIsiècle, dans le domaine de la Raison – et comme Buffon se mettrait à l’aimer, autant qu’il aime le chien qui lui inspire des pages d’anthologie ! Mais non ! Lisons-le, car il ne faut jamais se priver du plaisir de le lire et de le citer :

« Leur naturel, ennemi de toutes contraintes, les rend incapables d’une éducation suivie. On raconte néanmoins que des moines grecs de l’île de Chypre avaient dressé des chats à chasser, prendre et tuer les serpents dont cette île est infestée, mais c’était plutôt par le goût général qu’ils ont pour la destruction, que par obéissance, qu’ils chassaient ; car ils se plaisent à épier, attaquer et détruire assez indifféremment tous les animaux faibles, comme les oiseaux, les jeunes lapins, les levreaux, les rats, les souris, les taupes, les lézards et les serpents. Ils n’ont aucune docilité, ils manquent aussi de la finesse, de l’odorat, qui dans le chien sont deux qualités éminentes ; aussi ne poursuivent-ils pas les animaux qu’ils ne voient plus, ils ne les chassent pas, mais ils les attendent, les attaquent par surprise, et, après s’en être joués longtemps, ils les tuent sans aucune nécessité, lors même qu’ils sont le mieux nourris et qu’ils n’ont aucun besoin de cette proie pour satisfaire leur appétit. »

Admirable passage où tout Buffon se démasque ! Avec ses affirmations scientifiques hasardeuses (d’où tient-il que le chat manque de finesse et d’odorat ?). Avec son goût de la nomenclature quasi exhaustive (la liste des proies du chat). Avec sa subjectivité avouée et l’anthropomorphisme impénitent dont il persiste encore à faire preuve, quand il reproche par exemple au chat une forme de lâcheté en ne s’attaquant qu’à des créatures faibles. A-t-on jamais vu un prédateur affronter sans raison un animal plus puissant que lui et se vouer ainsi à une mort certaine ?

Le sommet, si l’on peut dire, dans ce règlement de comptes de Buffon à l’encontre du chat se dévoile dès les premières lignes du chapitre qu’il lui consacre :

« Le Chat est un animal domestique infidèle, qu’on ne garde que par nécessité, pour l’opposer à un autre ennemi domestique encore plus incommode et qu’on ne peut chasser : car nous ne comptons pas les gens qui, ayant du goût pour toutes les bêtes, n’élèvent des chats que pour s’en amuser ; l’un est l’usage, l’autre est l’abus ; et quoique ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers, que l’âge augmente encore et que l’éducation ne fait que masquer. De voleurs déterminés, ils deviennent seulement, lorsqu’ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons ; ils ont la même adresse, la même subtilité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine ; comme eux ils savent couvrir leur marche, dissimuler leur dessein, épier les occasions, attendre, choisir, saisir l’instant de faire le mal, se dérober ensuite au châtiment, fuir et demeurer éloignés jusqu’à ce qu’on les rappelle. Ils prennent aisément des habitudes de société, mais jamais des mœurs : ils n’ont que l’apparence de l’attachement ; on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée ; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font. Bien différent de cet animal fidèle, dont tous les sentiments se rapportent à la personne de son maître, le Chat paraît ne sentir que pour soi, n’aimer que sous condition, ne se prêter au commerce que pour en abuser ; et, par cette convenance de naturel, il est moins incompatible avec l’homme qu’avec le chien dans lequel tout est sincère (…).

Les jeunes chats sont gais, vifs, jolis et seraient aussi très propres à amuser les enfants si les coups de patte n’étaient pas à craindre ; mais leur badinage, quoique toujours agréable et léger, n’est jamais innocent, et bientôt il se tourne en malice habituelle. (…) Leur naturel, ennemi de toute contrainte, les rend incapables d’une éducation suivie (…). »

Ce passage témoigne une fois de plus du génie stylistique de Buffon, de la subtilité de ses observations et de la redoutable malveillance des conclusions qu’il en tire. L’indifférence du chat devient à ses yeux de l’infidélité. Son indépendance de la dissimulation. Sa liberté de l’ingratitude. Dans le terme « animal domestique », il retient surtout le mot domestique au sens de serviteur ou de valet, et il ne pardonne pas au chat de n’avoir aucune de ces qualités-là. Autrement dit, Buffon n’accepte toujours pas la singularité du chat dont il a pourtant constaté si justement ailleurs qu’il « fait la nuance entre les animaux domestiques et les animaux sauvages ». Mais cette nuance, décidément, lui est intolérable ou, pis, inaccessible.

On comprend mieux, dès lors, la fureur des romantiques à l’égard de Buffon. La rage, par exemple, de Théodore de Banville, qu’il exprima dans le si beau texte que lui inspira l’animal, « Le Chat » :

« En lisant le morceau si épouvantablement injuste que Buffon a consacré au Chat, on reconstruirait, si la mémoire en était perdue, tout ce règne de Louis XIV où l’homme se crut devenu soleil et centre du monde, et ne put se figurer que des milliers d’astres et d’étoiles avaient été jetés dans l’éther pour autre chose que pour son usage personnel. Ainsi le savant à manchettes, reprochant au gracieux animal de voler ce qu’il lui faut pour sa nourriture, semble supposer chez les Chats une notion exacte de la propriété et une connaissance approfondie des codes, qui par bonheur n’ont pas été accordées aux animaux. “Ils n’ont, ajoute-t-il, que l’apparence de l’attachement ; on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée ; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font.” Ô injuste grand savant que vous êtes ! Est-ce que nous cherchons, nous, les caresses pour le plaisir qu’elles ne nous font pas ? Vous dites que les yeux des Chats sont équivoques ! Relativement à quoi ? Si tout d’abord nous n’en pénétrons pas la subtile et profonde pensée, cela ne tient-il pas à notre manque d’intelligence et d’intuition ? »

Décidément, le chat est bien l’un des plus prodigieux révélateurs de l’état d’une civilisation. Dis-moi comment tu considères le chat et je te dirai qui tu es, ce que tu penses, à quoi tu crois et quelles sont les vraies valeurs de ce monde dans lequel tu vis.

L’Histoire naturelle, générale et particulière de M. de Buffon, chef-d’œuvre du XVIIIsiècle, exprime tout le génie de la France, au temps de Voltaire, de Rousseau, de Diderot et de l’Encyclopédie. Son chapitre sur les chats démasque pourtant les limites de sa Raison comme les œillères de son anthropomorphisme. Par les indispensables lumières qu’elle projette sur la Nature, cette Histoire naturelle semble dégager avec plus d’urgence encore toutes les zones d’ombre qu’elle était incapable d’arpenter.

Le chat se cachait dans l’une d’entre elles.

Horoscope

Il est parfaitement loisible de croire aux soucoupes volantes, à l’homéopathie, aux pouvoirs extrasensoriels des fakirs, à la mémoire de l’eau, aux vertus thérapeutiques de la psychanalyse, à la clémence des inspecteurs du fisc, à la métempsycose, aux vertus diététiques des hamburgers, aux mérites pédagogiques de la télévision, au zèle des fonctionnaires et à la transmission de pensée. Pourquoi ne pas croire aussi aux horoscopes et à l’influence des astres sur notre destinée ? Depuis la nuit des temps, les hommes s’en sont intimement persuadés. Les hommes se sont-ils toujours illusionnés ? Que la carte du ciel, depuis un ou deux millénaires, se soit sensiblement déplacée, comme l’avait fait remarquer le physicien et prix Nobel Georges Charpak, et que l’influence supposée de Vénus, de Saturne et des signes du zodiaque ne corresponde plus à grand-chose aujourd’hui, ne change rien à l’affaire. Admettons que l’on soit « marqué » par la carte du ciel à sa naissance, davantage que par la pression atmosphérique, les phases de la Lune ou l’humeur de sa maman au moment de l’accouchement, et n’en parlons plus !

Reste une question de fond : pourquoi les humains seraient-ils Vierge ou Sagittaire, Gémeaux ou Poissons, et pas les tamanoirs d’Océanie, les perroquets du Gabon, les bisons du Far West et les ours blancs de la banquise ? Pourquoi la faune, toute la faune, ne serait-elle pas influencée par le jour, l’heure ou le lieu de sa naissance ? Je ne vois aucune raison à cela. Les influences astrales valent pour tout le monde ou pour personne. Ne soyons pas imbus de nos seuls privilèges – ou de nos seules sujétions ! Et nos chats, alors ? Ah, nos chats ! Oui, pourquoi ne seraient-ils pas Lion ascendant Cancer ou Bélier ascendant Balance comme vous et moi ? Pourquoi n’auraient-ils pas des astrologues attitrés pour s’occuper d’eux et prédire leur destinée ?

Vous croyez que je plaisante ? Pas du tout ! Il existe bel et bien des astrologues pour chats et, par voie de conséquence, des horoscopes pour chats. La consultation d’internet suffira pour vous en convaincre. Certes, il est parfois délicat de connaître avec exactitude l’heure précise de naissance d’un chat. Surtout d’un chat de gouttière qui a débarqué à l’improviste chez vous, s’y est trouvé à son aise et vous a fait l’honneur de partager votre vie. Pour surmonter cette difficulté, les astrologues félins ont eu une idée assez astucieuse : ils ont imaginé que le nom que l’on donne à un chat peut contribuer aussi à l’influencer. Que si l’on susurre à son oreille « Minou-Minou » ou bien qu’on l’appelle avec un respect autoritaire « Pluton » ou « Attila », eh bien cela doit contribuer à l’influencer.

Le rôle des planètes là-dedans ? Attendez !

Il suffit ensuite de mélanger la carte du ciel au moment de l’horoscope et le nom permanent du matou pour vous donner une assez bonne idée de ce qui peut lui arriver.

Il y a quelques mois, j’avais tenté l’expérience avec le regretté Poupounet, le chat qui adoptait ma maison de Grimaud dès que j’y séjournais. Voilà ce que cela avait donné : « Si vous avez plus d’un animal de compagnie chez vous, la coexistence pacifique risque d’être gravement compromise cette semaine, car Jupiter se plaira à semer la pagaille. Les querelles seront nombreuses, et chaque animal déploiera des trésors d’agressivité pour s’imposer comme chef. Pour ramener la paix, il faudra que vous interveniez énergiquement. »

Comme le seul Poupounet venait à la maison, je n’ai pas eu trop peur de Jupiter. À tort ? La pagaille avec un seul chat est si vite arrivée ! Et la coexistence pacifique avec les autres matous du village ? Hum ! Cela étant, je suis incapable d’intervenir énergiquement contre un chat. J’ai bien trop peur. J’essaye la persuasion, la flatterie. La plupart du temps, je cède. Je suis un pitoyable éducateur. Ce serait peine perdue.

Ce qui nous éloigne un peu des horoscopes, pardonnez-moi, mais nous écarte aussi de la sottise humaine, ce qui n’est pas un mal.

Hôtels

Je me souviens d’être tombé il y a quelques années sur une information qui m’avait profondément troublé – et déplu.

À New York, certains hôtels avides de publicité ou d’originalité à bon marché proposaient, paraît-il, des chambres avec chat ou sans chat, pour leurs clients que la présence des félins aurait pu combler, ou apaiser. Cela existe-t-il toujours ?

Il me semble impossible de considérer les chats comme des call-girls, des gigolos ou des prostituées de gratte-ciel… ou de bas étage ! Il me semble impossible d’imaginer des chats prêts à se louer au premier visiteur de commerce ou à la première veuve emperlousée venue pour une nuit… ou deux, si affinités ! Les chats ne se louent ou ne se vendent à personne.

Il me semble impossible aussi d’imaginer quelqu’un qui aime sincèrement les chats et qui obligerait un matou à partager sa chambre moyennant finance. Les « histoires », pour ne pas dire les love stories, entre les hommes et les chats se font toujours par consentement mutuel. Les tauliers et les mères maquerelles n’ont rien à voir là-dedans.

En revanche, je suis touché par ce qui se pratiquait au vénérable et célébrissime hôtel Algonquin de Manhattan, dans les années 1930. Des chats y trouvaient toujours abri. De même que des écrivains, qui y tenaient leurs réunions littéraires. On parle ainsi de Hamlet le chat qui ne manquait aucun de ces cénacles. Rusty, lui, était plus efficace. Un vrai collaborateur de la direction. Quand des clients se plaignaient à la réception d’entendre des souris dans leurs chambres (cela pouvait à l’époque arriver), un groom se présentait respectueusement à la porte avec Rusty. Le chat était lâché… et la souris réelle ou imaginaire faisait long feu. Rusty la mascotte de l’Algonquin assumait en somme un room service irréprochable. Puis il retrouvait ses propres appartements du rez-de-chaussée. Aussi digne et irréprochable.

Il ne s’était vendu ni offert à personne, lui.