11
Durant tout l’après-midi, Hayley submergea Lily d’attentions et de câlins. Elle n’était pas dupe d’elle-même. Probablement était-ce de sa part une façon toute maternelle et égoïste de montrer à sa fille qu’elle lui avait manqué, même si elle avait passé loin d’elle des moments inoubliables.
Comme elle avait déjà eu l’occasion de l’expérimenter, la mauvaise conscience pouvait s’exprimer sous de multiples formes. Et à l’heure où Roz rentra du travail, en fin d’après-midi, elle n’en était plus à nier l’intense sentiment de culpabilité qui gâchait son bonheur.
-
Bienvenue à la maison ! Lança Roz en pénétrant dans le grand salon de Harper House, où se trouvait Hayley. J’espère que tu as pris du bon temps.
-
C’était formidable, répondit-elle. Vous pouvez vous féliciter d’avoir fait de Harper le plus merveilleux et le plus attentionné des hommes.
-
Merci… je n’ai donc pas œuvré en vain.
en un geste inconscient, Hayley couvrit de la main le bracelet qu’elle n’avait pu se résoudre à ôter et poursuivit :
-
Roz… je ne vous remercierai jamais assez de vous être occupée de Lily.
-
C’est moi qui te remercie. Nous nous sommes bien amusées. Où est-elle ?
-
Je crois que je l’ai épuisée tant j’étais heureuse de la retrouver, avoua Hayley avec un sourire gêné. Elle fait une petite sieste.
Elle ramassa sur un guéridon un paquet à l’enseigne du Peabody, s’approcha de Roz et le lui tendit.
-
Tenez, dit-elle. Pour vous remercier.
Roz, qui ne s’attendait pas à cela, déballa le présent avec impatience. En découvrant le joli cadre, elle sut tout de suite quelle photo d’elle et de Lily elle allait y insérer.
-
Merci ! Lança-t-elle en embrassant Hayley. Il est magnifique. Je vais le mettre sur mon bureau, dans le salon.
-
J’espère que Lily ne vous a pas donné de fil à retordre cette nuit ? Reprit Hayley avec inquiétude.
-
Pas le moins du monde ! elle a presque fait le tour du cadran…
manifestement gênée, Hayley baissa les yeux et se tordit nerveusement les mains avant de se résoudre à demander :
-
Je peux vous parler un instant ?
Tout en acquiesçant d’un signe de tête, Roz prit place sur un canapé, étendit les jambes et croisa les chevilles sur la table basse.
L’air soucieux, le dos raide et les mains jointes dans son giron, Hayley s’assit face à elle sur une chaise.
-
Pour moi, ce n’est pas facile, commença-t-elle après avoir longuement cherché ses mots. Cela me paraît tellement… irréel, d’être amie avec la mère de l’homme avec qui je viens de passer la nuit.
-
De mon point de vue, intervint Roz pour la mettre à l’aise, cela ne peut qu’être un plus.
Hayley hocha longuement la tête et reprit :
-
Je sais que je vous l’ai déjà dit, mais je tiens à vous répéter que vous avez su faire de Harper un homme bien. Il s’est plié en quatre pour m’offrir cette soirée inoubliable. Il n’y en a pas beaucoup qui se seraient donné cette peine.
-
Il est vrai que c’est un homme de valeur, reconnut Roz avec un sourire attendri.
Je suis heureuse que tu l’aies compris et que tu l’apprécies.
-
Je serais difficile de ne pas l’apprécier ! Il avait réservé cette suite magnifique, fait livrer des fleurs, commandé du champagne… Personne n’a jamais rien fait de tel pour moi. Je veux dire… ce n’est pas cet étalage de luxe qui m’a touchée. Moi, pour cette nuit, j’aurais pu me contenter d’un hamburger et d’une chambre de motel !
Réalisant ce qu’elle venait de dire, Hayley grimaça.
-
Et voilà… gémit-elle. Encore une fois, il faut que je sorte sans réfléchir un truc super choquant !
-
Je ne vois rien de choquant là-dedans, protesta Roz. C’est honnête. Et tout à fait rafraîchissant.
-
Ce que je veux vous dire, reprit Hayley en se forçant à la regarder dans les yeux, c’est que je ne suis pas du genre à abuser de sa générosité, de sa gentillesse.
-
Il t’a offert ce bracelet.
Hayley sursauta. Machinalement, elle recouvrit le bijou de sa main.
-
Je ne peux m’empêcher de l’admirer depuis que je suis entrée dans cette pièce, poursuivit Roz en souriant. et de constater que tu le portes comme si tu l’avais volé…
-
C’est exactement l’impression que je me fais.
Roz haussa les sourcils et agite une main agacée.
-
Ne sois pas ridicule, s’il te plait… tu vas finir par m’énerver.
-
Je ne lui ai rien demandé ! S’exclama Hayley comme pour se justifier. Je n’en voulais pas, et je le lui ai dit. Tout ce que j’ai fait, c’est admirer ce bijou dans une vitrine. Mais quand il se met quelque chose en tête, il peut être plus têtu qu’une mule ! Il n’a même pas voulu me dire ce que ça lui avait coûté.
-
j’espère bien ! S’écria Roz. Je n’ai pas élevé mon fils, ainsi.
-
Roz, ces pierres, ce sont des vraies ! Et ce bracelet est un authentique bijou ancien.
-
Je suis restée debout toute la journée. Ne m’oblige pas à me lever pour l’admirer.
La gorge serrée, Hayley rejoignit Roz sur le canapé et tendit la main pour lui montrer le bracelet.
-
Magnifique, commenta celle-ci à mi-voix, tout en examinant le bijou. Et il te va bien. Combien de rubis en forme de cœur y a-t-il ?
-
Je n’ai pas compté… commença Hayley.
Puis confrontée au regard sévère de son aînée, elle rougit et rectifia :
-
Quatorze. Chacun d’eux relié à son voisin par deux diamants. C’est minable de ma part de les avoir comptés, n’est-ce pas ?
-
Certainement pas. Tu es une femme, tout simplement. Et tu as bon goût. Je te conseille de ne pas le porter en travaillant. Il s’encrasserait.
-
Vous n’êtes pas fâchée ? S’étonna Hayley en laissant retomber sa main.
-
Harper est libre de dépenser son argent comme bon lui semble, et je suis heureuse de constater qu’il en fait bon usage. Il t’a offert un très beau cadeau.
Pourquoi ne pas simplement l’apprécier et lui en être reconnaissante ?
-
J’étais sûre que vous seriez fâchée.
-
Alors, c’est que tu as une piètre opinion de moi.
-
Ce n’est pas vrai. ne soyez pas injuste…
Sans crier gare, les larmes jaillirent des paupières de Hayley.
-
Vous savez à quel point je tiens à vous, reprit-elle en sanglotant. Mon Dieu, je suis désolée… c’est comme si je n’avais pas toute ma tête. Je suis si heureuse ! Et j’ai si peur… je suis amoureuse de lui. J’aime Harper.
Passant un bras autour de ses épaules, Roz l’attira à elle et lui caressa gentiment les cheveux.
-
Oui, ma chérie… murmura-t-elle. Je le sais.
Hayley se redressa brusquement et s’étonna :
-
Vous le savez ?
amusée, Roz repoussa les mèches mouillées de larmes qui avaient glissées sur les yeux de Hayley et répondit :
-
Comment pourrais-je ne pas m’en rendre compte, en te voyant te mettre dans cet état ? Tu pleure, tu ris, tu es heureuse et effrayée en même temps… tu te conduis comme une femme amoureuse qui vient à peine de réaliser qu’elle l’est et qui se demande encore comment ça lui est arrivé.
-
En fait, je l’ignorais jusqu’à la nuit passée. je savais que Harper ne me laissait pas indifférente, que je l’aimais bien, mais j’imaginais que j’avais juste envie de coucher avec lui…
Mortifiée par les paroles qui venaient de lui échapper, Hayley pressa ses deux mains contre ses joues soudain brûlantes.
-
Voyez dans quelle situation je me mets ! Ajouta-t-elle furieuse contre elle-même.
avouer à la mère de Harper que je voulais juste coucher avec lui…
-
Je dois admettre que la situation est un peu originale. Mais je pense que je survivrai.
-
La vérité m’est apparue cette nuit. Quelque chose… quelque chose s’est ouvert en moi, et tout mon amour pour Harper s’y est engouffré. Je n’avais jamais rien ressenti de tel.
Hayley posa la main sur son cœur, faisant scintiller les rubis dans la lumière du couchant.
-
Je n’ai jamais été amoureuse auparavant, reprit-elle à mi-voix. Je veux dire…
vraiment amoureuse. Mais quand cela s’est produit, cette nuit, j’ai tout de suite compris ce qui se passait.
saisissant les mains de Roz, elle lança d’une voix suppliante :
-
Je vous en prie, ne dite rien à Harper !
-
Ce n’est pas à moi de le lui dire, assura Roz. Tu le lui avoueras toi-même quand tu seras prête. L’amour est un don, Hayley, qui s’offre et qui s’accepte librement.
-
L’amour est un mensonge ! Une illusion entretenue par des femmes faibles, de connivence avec des hommes en réalité obsédés par le sexe ! Un prétexte qui permet aux classes privilégiées de se marier et de se reproduire en vase clos, de manière à accumuler toujours plus de puissance et de richesse !
Un frisson glacé secoua Roz de la tête aux pieds.
Le brusque changement qui s’était produit chez Hayley lui avait coupé le souffle, mais elle s’efforça de ne rien montrer de sa frayeur. Comme si de rien n’était, elle fixa ces yeux qui n’étaient plus tout à fait ceux de Hayley et y découvrit une rage noire, à laquelle se mêlait une infinie tristesse.
-
Est-ce ainsi, demanda-t-elle tranquillement, que tu justifies les choix que tu as faits dans l’existence ?
Celle qui avait pris possession du corps de Hayley remarqua le bracelet qui scintillait à son poignet le caressa du bout des doigts.
-
Ces choix m’ont permis de bien vivre, répondit-elle en examinant le bijou avec ravissement. Très, très bien. Beaucoup mieux, en tout cas, que ceux qui m’ont donné le jour. Ma mère était heureuse de servir ses maîtres à genoux. Moi, j’ai préféré servir le mien sur le dos ! Cela ne m’a pas trop mal réussi. J’aurais pu finir par vivre ici…
Reportant son attention sur le décor qui l’entourait, elle se leva et se mit à déambuler dans le salon.
-
Faute d’y être parvenue, reprit-elle d’une voix chargée d’amertume, j’ai décidé d’y rester. Pour toujours.
-
Mais cela ne te rend pas plus heureuse. Que s’est-il passé ? Pour quelle raison t’éternises-tu entre ces murs ? Et pourquoi est-tu si triste ?
Comme piquée au vif, celle qui n’était plus tout à fait Hayley se retourna et plaça une main protectrice sur son ventre.
-
J’ai donné la vie ! Lança-t-elle d’un ton farouche. Tu sais toi aussi quelle puissance la maternité procure. La vie s’est développée en moi, est sortie de moi.
Et lui, il m’a pris mon enfant. Mon fils.
l’air soudain alarmé, elle lança autour d’elle des regards inquiets et ajouta :
-
Mon fils ! Je suis venue chercher mon fils.
Avec une lenteur prudente Roz se leva à son tour.
-
Il est parti il y a longtemps, dit-elle. Il était mon grand-père, et c’était un homme bon.
-
Un bébé, corrigea-t-elle en secouant longuement la tête. Mon bébé. Mon garçon si petit, si chaud, si doux. Les hommes… les hommes sont tous des menteurs, des voleurs, des tricheurs, j’aurais dû le tuer.
-
L’enfant ?
Le visage de Hayley se figea.
-
Le père ! Corrigea-t-elle, les yeux aussi brillants que les diamants qu’elle portait au poignet. J’aurais du trouver un moyen de le tuer, de tous les tuer, et de brûler la maison pour nous nous retrouvions tous en enfer !
Un courant d’air glacé balaya la pièce, qui suffit à éteindre en Roz la pitié qu’il lui était arrivé de ressentir pour cette malheureuse créature.
-
Qu’as-tu fait ? Demanda-t-elle durement.
-
Je suis venue ici, la nuit, aussi silencieusement qu’une souris.
Portant un doigt à ses lèvres, elle se mit à rire. D’un rire grinçant qui s’éteignit brusquement lorsque des cris se firent entendre à travers le récepteur du baby-phone.
-
Le bébé ! Gémit-elle en jetant un regard paniqué dans cette direction. le bébé pleure…
Puis, telle marionnette dont on vient de couper les fils, le corps de Hayley s’effondra comme une masse au sol. Roz, qui s’était précipitée pour lui porter secours, arriva à temps pour éviter que sa tête ne heurte le plancher.
-
Mitch ! David ! Appela-t-elle d’une voix forte.
-
Je me sens faible, murmura Hayley en revenant à elle et en se passant une main sur le visage.
puis se redressant péniblement, elle s’agrippa à la main de Roz et gémit :
-
Mon Dieu… que s’est-il passé ? C’était encore elle, n’est-ce pas ?
-
Ça va aller, assura Roz. Ne te lève pas tout de suite. Reste tranquille un instant.
puis, s’adressant à David qui se précipitait vers elles, Mitch sur ses talons, elle ordonna :
-
Apporte-lui quelque chose à boire, de l’eau et un peu de cognac.
-
Que s’est-il passé ? S’enquit Mitch.
-
Amelia, répondit Roz, laconique. Hayley a eu droit à une autre de ses petites visites.
-
Lily… s’inquiéta Hayley en tentant de se relever. Lily est en train de pleurer !
-
Ne t’en fais pas, répondit Mitch. Je vais la chercher.
-
Je crois que… je crois que je me rappelle. Il me semble… Ma tête me fait mal.
-
Une chose à la fois, ma chérie, dit Roz. Laisse-moi t’aider à t’installer sur ce canapé.
-
J’ai la tête qui tourne ! Se plaignit Hayley lorsque Roz l’aida à se remettre sur pied. Je n’ai rien senti venir. C’était… c’était beaucoup plus fort, cette fois.
David revint, muni d’un grand verre d’eau et d’un petit cognac.
-
Bois ça, dit-il à Hayley en s’asseyant à côté d’elle. Un peu d’eau te fera du bien.
-
Merci. Je me sens déjà mieux. Juste un peu tremblante, c’est tout.
-
Tu n’es pas la seule ! S’exclama Roz.
-
cette fois, vous lui avez parlé…
-
Nous avons eu une bonne petite conversation, toutes les deux.
-
Vous lui avez même posé des questions ! j’admire votre présence d’esprit…
-
Bois un peu de cognac, suggéra Roz. Cela te remontera.
-
Je n’aime pas ça, répondit Hayley avec une grimace. de toute façon, je me sens mieux, je vous assure…
-
Dans ce cas, c’est moi qui vais le boire !
Pendant que Roz avalait en frissonnant une bonne gorgée de cognac, Mitch revint, Lily dans ses bras.
-
Je vais lui donner son jus de fruits, dit Hayley en se levant pour les rejoindre. Elle est toujours assoiffée après la sieste.
-
Laisse-moi m’en charger, proposa Mitch.
-
Non, je m’en occupe. J’aimerais, pendant quelques minutes faire quelque chose de normal.
Roz regarda Hayley sortir de la pièce, sa fille accrochée à son cou puis déclara :
-
Je vais appeler Harper. Il a le droit de savoir ce qui vient de se passer.
-
J’aimerais bien le savoir moi-même ! Lui rappela Mitch dans son dos.
-
Alors, va chercher ton bloc-notes et ton Dictaphone. Tu vas en avoir besoin.
-
Nous étions assises sur le canapé, en train de discuter… raconta Hayley. Je montrais le bracelet à Roz et je lui disais – pardon, Harper – que je me sentais un peu coupable que tu me l’aies offert. Je crois que c’est à ce moment-là… que je me suis laissé emporter par mes émotions.
Avant de poursuivre son récit, Hayley chercha le regard de Roz, comme pour se donner du courage.
-
Et tout à coup… je me suis sentie éjectée de moi-même. La suite est un peu vague, dans mon esprit. j’avais l’impression d’écouter une conversation à travers un mur, comme ces gamins qui plaquent l’oreille contre un verre pour entendre ce qu se dit dans la pièce voisine…
Roz prit le relais pour préciser :
-
Amelia avait l’air de bien s’amuser. Comme si elle se réjouissait d’avoir joué un mauvais tour !
-
Elle était habituée à recevoir des cadeaux en échange de ses faveurs sexuelles, intervint Mitch, tout en écrivant sur son bloc-notes. Sans doute est-ce ce qu’elle a vu dans ce bracelet : un paiement pour services rendus.
en réponse au sourd gémissement de protestation poussée par Hayley, il poursuivit :
-
Elle est incapable de voir ce qu’est en réalité ce cadeau : un acte de générosité gratuit. Quand quelque chose lui était offert, c’était toujours pour elle une récompense, jamais un gage d’affection.
L’air morose, Hayley hocha la tête et se remit à jouer avec Lily sur le tapis.
-
L’élément nouveau, reprit Mitch c’est qu’elle a dit à Roz être venue ici de nuit.
Elle était animée d’intentions mauvaises à l’égard de Reginald, et peut-être même de toute la maisonnée. Elle voulait se venger, mais elle n’en a rien fait. On peut donc supposer que c’est à elle qu’il est arrivé malheur.
-
Ce qui expliquerait pourquoi elle hante cette maison, compléta Harper à sa place. Cela expliquerait également pourquoi elle porte un si grand intérêt aux enfants qui s’y trouvent. Du moins tant qu’ils ne commettent pas l’erreur de grandir – surtout pour devenir des hommes.
-
Elle est pourtant venue à mon aide quand j’en avais besoin, fit valoir Roz. Ce qui indique qu’elle n’est pas insensible aux liens du sang.
-
Tout cela est bien beau, maugréa Hayley, mais je ne comprends toujours pas pourquoi elle a fait de moi sa cible privilégiée.
-
Peut-être parce que tu es une jeune mère, supposa Mitch. Qui plus est, tu as pratiquement l’âge qu’elle avait quand elle est morte.
Hayley hocha la tête d’un air pensif. Et lorsque Lily se dressa sur ses jambes pour courir en direction de Harper, elle ne fit rien pour la retenir.
-
Ce qui est sûr, poursuivit-elle, c’est qu’elle devient de plus en plus agressive et de plus en plus forte.
Machinalement, elle s’était mise à jouer avec le bracelet. Sans le voir vraiment, elle contempla les rubis taillés en forme de cœur. soudain ses yeux s’écarquillèrent, et elle murmura en portant la main à sa bouche :
-
Mon Dieu… J’avais complètement oublié ! Hier soir, après m’être habillée, alors que je peaufinais ma tenue devant le miroir… elle était là.
-
Que veux tu dire ? S’inquiéta Harper. Tu as eu une autre de ces expériences hier soir ?
-
Pas du tout, répondit-elle en secouant la tête avec impatience. Je suis restée moi-même, mais pendant une minute, ce n’est pas mon reflet que j’ai vu dans la glace
– c’est le sien. Je n’ai pas voulu en parler tout de suite pour ne pas me gâcher la soirée, et ensuite, cela m’est totalement sorti de l’esprit.
-
A quoi ressemblait-elle ? Demanda Mitch, le crayon suspendu au-dessus de son bloc notes.
-
Elle était habillée d’une robe de bal rouge richement brodée, avec un décolleté plongeant. sa coiffure était très élaborée, elle était couverte de bijoux et…
Hayley laissa sa phrase en suspens et baissa lentement les yeux sur le bracelet de rubis et de diamants.
-
Elle portait ceci au poignet droit, acheva-t-elle d’une voix tremblante. J’en suis absolument certaine. Je n’ai pas fait le lien quand je l’ai vu dans le hall de l’hôtel, parce que j’avais décidé de ne plus y penser, mais ce bracelet était à elle.
Mitch quitta son siège pour aller s’accroupir près d’elle et examiner le bijou.
-
Hélas, je n’y connais rien dans ce domaine, soupira-t-il. Harper ? Le bijoutier a-t-il pu te donner des éléments d’information ?
-
Il m’a dit que le bracelet datait de 1890 environ.. Répondit-il d’une voix morne. Il ne me serait pas venu à l’esprit de faire le rapprochement avec Amelia.
-
C’est peut être elle qui t’a influencé de manière à ce que tu me l’offres, suggéra Hayley en se relevant. et si elle…
-
Certainement pas ! Coupa-t-il avec conviction. Je voulais t’offrir quelque chose en souvenir. C’est aussi simple que cela. Mais si ce bracelet te rend nerveuse ou te fait peur, rien ne t’oblige à le porter. Il peut rester au coffre.
Hayley ne mit pas plus d’une seconde à se décider. D’un pas résolu, elle se dirigea vers lui et se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur ses lèvres.
-
Peu m’importe ce qu’en pense Amelia, déclara-t-elle en le fixant droit dans les yeux. C’est le plus beau cadeau qu’on m’ait jamais fait. Je le garde. Qu’elle aille au diable, et qu’elle le reste.
Le soir venu, Hayley avait retrouvé son calme. Et quand elle put enfin s’installer dans le fauteuil à bascule avec Lily, tout le reste passa aux oubliettes. Elle appréciait par-dessus tout ces moments de détente, lorsque tout était calme dans la nursery plongée dans la pénombre et qu’il ne lui restait plus pour achever sa journée qu’à endormir son bébé en lui fredonnant une berceuse. Elle avait toujours trouvé que sa voix ne valait pas grand-chose, mais Lily paraissait l’apprécier.
Dans sa folie d’outre-tombe, sans doute était-ce ce qui frustrait le plus Amelia. Ces instants de plénitude et de paix que connaît une mère en endormant son enfant lui avaient été refusée. Elle essaierait de s’en souvenir, se promit Hayley, quand, en présence du fantôme de Harper House, la peur ou la colère la submergeraient. Elle ferait de son mieux pour ne pas oublier ce qu’Amelia avait perdu ou plus exactement, ce qui lui avait été volé.
Parce qu’elle connaissait toutes les paroles et que Lily s’endormait généralement avant la fin, Hayley se décida pour Hush, Little Baby. Elle s’apprêtait à entamer le dernier couplet lorsqu’un mouvement, dans l’encadrement de la porte la fit sursauter.
Un sourire de Harper, qui l’observait, les bras croisés, appuyé de l’épaule contre le chambranle, suffit à la calmer. comme s’il s’agissait d’un nouveau couplet de la berceuse, elle fredonna doucement :
-
elle ne voudra pas s’endormir si elle te voit là…
D’un hochement de tête, Harper lui indiqua qu’il avait saisi le message, s’attarda une seconde encore, puis s’éclipsa.
Sans cesser de fredonner, Hayley se leva et alla déposer Lily dans son lit. Lorsque la fillette y fut confortablement lovée avec son chien en peluche, elle murmura en caressant doucement ses cheveux.
-
dors bien, mon ange…
Après avoir allumé la veilleuse et le babyphone. Hayley quitta la chambre en laissant la porte entrebâillée et alla rejoindre Harper sur la terrasse.
-
Quel charmant tableau vous formiez, Lily et toi, dans ce fauteuil à bascule…
commenta-t-il lorsqu’elle vint s’accouder à la rambarde près de lui. Tu sais que c’est le même dans lequel ma mère nous a bercé nuit après nuit, mes frères et moi ?
-
Vraiment ? Voilà pourquoi il fait si bon de s’y balancer.
Durant quelques instants, ils se turent pour profiter de la douceur du crépuscule, des dernières lueurs dans le ciel et du chant des premières cigales. Et lorsque Harper mit fin à cette parenthèse en reprenant la parole, ce fut d’une voix ferme qu’il s’exprima.
-
Après ce qui vient de se passer, je pense que vous ne devriez pas rester ici plus longtemps, Lily et toi. Tu pourras déménager tes affaires chez Logan et Stella dès demain. un peu de vacances ne te fera pas de mal…
-
Un peu de vacances ? Répéta Hayley, interloquée, en tournant la tête vers lui.
-
L’expérience prouve que tu n’es pas plus à l’abri d’Amelia à la jardinerie qu’ici.
-
Et par conséquent, selon toi, je devrais abandonner mon job ?
-
Je n’ai pas dit ça ! il s’agit juste de vacances…
Harper s’exprimait d’une voix calme et patiente, mais aux oreilles de Hayley, elle paraissait aussi irritante qu’une craie grinçant sur un tableau noir.
-
des vacances…
-
Cela te fera du bien, renchérit-il. J’en ai déjà parlé à Roz et à Stella.
-
Tu as fait ça ? Dit Hayley d’une voix aussi menaçante qu’un grondement de tonnerre. Tu leur en as déjà parlé ?
Harper savait reconnaître une femme sur le point de lui remonter les bretelles, mais il n’était pas homme à reculer.
-
Que cela te plaise ou non, c’est la meilleure chose à faire.
-
Parce que la meilleure chose à faire, c’est de prendre des décisions à ma place, de les mettre en œuvre dans mon dos, pour venir ensuite me les présenter sur un plateau ?
Hayley se redressa, recula d’un pas, se campa fermement sur ses jambes et croisa les bras sur sa poitrine.
-
Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire, Harper Ashby ! Et je ne quitterai pas cette maison tant que Roz ne m’aura pas elle-même montré la porte.
-
Personne ne te met à la porte ! Répliqua-t-il avec impatience. et je ne vois pas ce que le fait d’aller vivre quelques semaines chez une amie a de si insupportable pour toi…
Rien n’aurait pu rendre Hayley plus furieuse que ses efforts pour lui faire entendre raison.
-
Tu ne le vois pas ? Eh ! Bien, je vais te le dire ! C’est insupportable parce que c’est ici que je vis, et que c’est à la jardinerie que je travaille !
-
Rien de tout cela n’est remis en cause, rétorqua-t-il. Pour l’amour de Dieu, arrête de faire ta tête de mule !
-
Et toi, répliqua-t-elle cesse de jurer et de m’insulter !
-
mais je ne…
Harper enfouit ses mains au fond des ses poches et fit un effort pour se calmer.
-
Tu as dit toi-même qu’Amelia devenait plus agressive et plus forte, reprit-il, un ton plus bas. Pourquoi prendre le risque de rester en son pouvoir, alors qu’il te suffit d’aller vivre à quelques kilomètres d’ici pour que vous soyez à l’abri, toi et Lily ? cela ne durera que quelques temps…
-
Combien de temps ? As-tu décidé de cela aussi ? Jusqu’à quand vais-je être condamnée à me morfondre chez Stella en me tournant les pouces ? Jusqu’à ce que tu aies décrété que nous pouvons revenir ?
-
Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de danger.
-
Comment sauras-tu qu’il n’y a plus de danger ? Et si Amelia t’inquiète autant, pourquoi ne pas faire tes valises et aller vivre ailleurs, toi aussi ?
-
parce que je…
Gêné, Harper renonça à conclure et détourna les yeux.
-
Tu ne l’as pas dit, mais je l’ai lu sur ton visage ! S’exclama Hayley d’un ton triomphant. C’est donc parce que je suis une faible femme que je devrais prendre mes cliques et mes claques et m’enfuir ? Alors, que toi, homme sans peur et sans reproche, tu peux rester bien tranquillement ici ?
-
Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, maugréa-t-il. Je veux juste te savoir en lieu sûr où je n’aurai pas à m’inquiéter pour toi.
-
Personne ne te demande de t’inquiéter ! Ça fait déjà pas mal d’années que je m’occupe très bien de moi toute seule. Et contrairement à ce que tu penses peut-
être, je ne suis pas stupide et bornée au point d’ignorer les risques que je cours.
En outre, tu sembles oublier que ma présence ici constitue une chance de mettre un terme aux agissements d’Amelia. Roz a pu lui parler parce qu’elle s’est manifestée à travers moi ! La prochaine fois, elle nous fournira peut-être des réponses qui nous permettront de comprendre ce qui s’est passé et de réparer les torts qui lui ont été causés.
Harper faillit s’étrangler d’indignation.
-
La prochaine fois ? Répéta-t-il. Comment peut-tu dire une chose pareille ? Je veux qu’elle te laisse tranquille ! Je ne peux pas supporter l’idée qu’elle se glisse une nouvelle fois en toi.
-
Ce n’est pas à toi de décider. Tu me connais mal si tu penses que je suis une dégonflée qui va courir se mettre à l’abri à la première alerte. Croyais-tu vraiment que j’allais obtempérer docilement, ravie de me placer sous la protection de mon seigneur et maître ?
-
Arrête ! Protesta-t-il avec un claquement de langue agacé. Je ne cherche pas à te dicter ta conduite. Je ne fais qu’essayer de te protéger.
Hayley ne pouvait mettre en doute sa bonne foi. Harper avait même l’air si inquiet et frustré qu’elle se radoucit un peu. un tout petit peu…
-
Ce n’est pas de cette façon que tu y parviendras, répondit-elle. en faisant des plans dans mon dos pour assurer ma sécurité, tu ne réussiras qu’à me braquer contre toi, même si j’apprécie ta sollicitude…
-
Grande nouvelle ! alors, éloigne-toi juste une semaine, le temps pour moi de…
-
Harper… coupa-t-elle en posant la main sur son avant-bras. Il lui a pris son bébé et ça l’a rendue folle. Peut-être le serait-elle devenue de toute façon, mais il lui a donné le coup de pouce qui l’a fait basculer dans la folie. Voilà plus d’un an que je suis mêlée à cette histoire. Je me sens trop impliquée. Il m’est impossible de reculer aujourd’hui et de tout laisser tomber.
elle baissa les yeux sur le bracelet qu’elle n’avait pu se résoudre à ôter et ajouta :
-
D’une manière ou d’une autre, c’est elle qui nous a guidés vers ce bijou. Ce bracelet lui a appartenu, c’est moi qui le porte, et c’est toi qui me l’as offert. Cela signifie forcément quelque chose. Il nous faut découvrir ce que c’est, et nous n’y parviendrons que si je reste ici, avec toi… mais je suppose que ma réaction ne te surprend pas, ajouta-t-elle. Comment ta mère a-t-elle réagi quand tu lui as dit ce que tu comptais faire ?
Pour toute réponse Harper haussa les épaules et se retourna vers la rambarde.
-
Je m’en doutais, commenta-t-elle avec un sourire amusé. Je suppose que Stella a adopté la même position que Roz ?
-
Logan, lui était de mon avis.
-
Voilà qui n’est pas pour m’étonner non plus.
Toute colère enfuie, Hayley le rejoignit et entoura sa taille de ses bras. Avec un soupir de bien-être, elle ferma les yeux et posa sa joue contre son dos. Harper était un homme solide.
C’était bon de s’appuyer contre lui.
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J’apprécie l’intention, dit-elle pour mettre un terme à leur différend. même si je désapprouve la méthode.
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Tu ne bougeras pas d’ici alors ? Demanda-t-il d’une voix maussade.
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Pas d’un pouce. J’imagine que le sang des Ashby, si dilué soit-il dans mes veines, doit avoir laissé quelques traces en moi.
avec un soupir de frustration, Harper pivota entre ses bras et chercha son regard avant d’ajouter :
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Tu comptes énormément à mes yeux, Hayley. Et tu ne pourras pas m’empêcher de m’inquiéter pour toi.
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Je le sais. Essaie simplement de ne pas oublier que je suis une femme responsable, ne serait-ce que parce que j’ai un enfant, et que je suis suffisamment inquiète pour ne prendre aucun risque inutile.
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Je reste près de toi cette nuit. Décréta Harper avec un regard de défi. Je ne transigerai pas là-dessus !
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Tant mieux ! Fit-elle en lui caressant la joue. Parce que c’est exactement là que je te veux : près de moi.
Avec un petit rire, elle se pendit à son cou.
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Qui plus est, reprit-elle, si nous faisons ce qu’il faut pour cela, Amelia pourrait fort bien se manifester.
se hissant sur la pointe des pieds, elle effleura ses lèvres des siennes et murmura :
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Ce serait pour la bonne cause. Un test, en somme. une sorte d’expérience…
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J’adore les expériences. C’est même ce que je préfère dans mon métier.
Impatiente à présent, Hayley prit Harper par la main et l’entraîna vers la porte-fenêtre.
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Rentrons, dit-elle. le laboratoire nous attend…
Plus tard, allongés sur le lit défait et tournés l’un vers l’autre dans le noir, ils attendirent d’avoir retrouvé leur souffle pour tirer les conclusions de leur expérience.
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Eh ! Bien, on dirait qu’on ne l’intéresse pas, constata Hayley avec plus de soulagement que de regret.
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Avec un fantôme qui serait plus à sa place dans un asile de fous que dans une maison hantée, renchérit Harper, on ne peut être sûr de rien.
Hayley se lova amoureusement contre lui avant de reprendre :
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Une expérience a besoin d’être répétée avant d’être concluante. Tu es un scientifique, n’est-ce pas ?
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Dans mon genre oui.
pour le lui démontrer, il laissa ses mains courir le long de son corps, en une palpation qui n’avait rien de médical.
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alors, conclut Hayley d’une voix étranglée, autant renouveler l’expérience tout de suite. la science n’attend pas…