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Lily à califourchon sur sa hanche, Hayley poussa la porte de Harper House avec le même sentiment de bien-être qu’elle ressentait chaque fois qu’elle pénétrait dans la vieille demeure. Après avoir posé sa fille par terre, elle laissa tomber le sac à langer au pied du grand escalier. Elle avait l’intention d’aller prendre dans ses appartements une longue douche froide et de siffler cul sec une bière glacée. Mais avant toute chose, il lui fallait voir Roz.

Comme par un fait exprès, celle-ci apparut sur le seuil du salon à l’instant où Hayley pensait à elle. Dès qu’elles se furent aperçues, Lily et la maîtresse de maison échangèrent des exclamations ravies. La petite fille vira à angle droit pour la rejoindre, et Roz, venant à sa rencontre, la souleva dans ses bras.

-

Et voilà mon petit bouchon d’amour ! Murmura-t-elle en serrant fort l’enfant contre elle.

Après avoir déposé un gros baiser sur la joue de Lily, elle adressa un sourire à Hayley. puis, reportant son attention sur le babil ininterrompu et incompréhensible de la fillette, elle l’écouta avec le plus grand intérêt et s’exclama :

-

Je n’arrive pas à croire que tout ça soit arrivé en une seule semaine !

Heureusement que tu es là pour me tenir au courant des potins de la maison ! Je ne sais pas ce que je ferais sans toi… et sans ta maman, ajouta-t-elle avec un autre sourire à l’intention de Hayley. Comment va-t-elle ?

-

Très bien, répondit Hayley. Et mieux encore depuis que vous êtes revenue !

Sur une impulsion, elle rejoignit Roz et Lily et les serra toutes deux dans ses bras.

-

Bienvenue à la maison, murmura-t-elle à l’oreille de Roz. Vous nous avez manqué.

-

Tant mieux ! j’adore manquer à ceux que j’aime…

Une expression de surprise se peignit sur son visage et elle ajouta en passant ses doigts dans les cheveux de Hayley :

-

Mais regarder-moi ça !

-

Ça date d’aujourd’hui, expliqua Hayley en se rengorgeant. Je me suis réveillé ce matin avec le bourdon, et j’ai décidé que seule une nouvelle coupe pourrait arranger ça. Laissez-moi vous admirer, vous aussi. Vous êtes magnifique !

-

C’est toi qui le dis, protesta Roz, qui depuis quelque temps, s’accordait le droit de tutoyer Hayley, après tout, celle-ci avait l’âge d’être sa fille.

Roz avait beau jouer les modestes, Hayley ne disait que la stricte vérité : elle était superbe.

Un voyage de noces d’une semaine dans les Caraïbes avait ajouté une touche de blondeur à son teint de vrai brune, et sa peau avait pris une belle teinte or qui donnait à ses yeux couleur ambre une nouvelle profondeur. Ses cheveux courts encadraient un visage dont Hayley ne pouvait qu’envier la beauté classique et intemporelle.

-

Entrons au salon, reprit Roz en déposant un dernier dans le cou de Lily. Et voyons un peu quelle surprise nous y attend pour toi !

La première chose que Hayley vit en entrant fut une énorme poupée de chiffon dotée d’une cascade de cheveux roux en laine et d’un grand sourire engageant.

-

Oh ! Qu’elle est rigolote ! S’écria-t-elle en gagnant le fauteuil dans lequel le jouet était installé en position assise. Elle est presque aussi grande que Lily.

-

C’est ce qui nous a plu, expliqua Roz en déposant l’enfant sur le sol. Mitch l’a vue avant moi, et rien n’aurait pu le dissuader de rapporter cette poupée pour sa petite chérie.

Lily commença par tirer sur les yeux de la poupée, puis sur ses cheveux, avant de s’installer avec elle sur le tapis pour faire plus ample connaissance.

-

C’est le genre de poupée à qui elle donnera un nom dans quelques semaines et qu’elle gardera avec elle dans sa chambre jusqu’à l’université. Merci pour elle, Roz.

-

Ce n’est pas tout ! En face du marchand de jouets, il y avait aussi un petit magasin rempli de merveilles.

Elle se pencha pour ramasser un sac posé près du fauteuil et en tira toutes sortes de vêtements pour enfant qu’elle aligna sur le dossier. Hayley passa la main sur la douceur d’un coton peigné, les broderies d’un jean, la délicatesse d’une dentelle.

-

Et regarde-moi cette barboteuse ! S’exclama Roz. Qui pourrait résister ?

-

Tout est magnifique, dit Hayley, la gorge serrée par l’émotion. Vous l’avez gâtée.

-

C’est tout naturel. Et c’est à nous que cela fait plaisir.

-

Je ne sais pas comment vous remercier. Lily n’a pas de grand… elle n’a personne pour la gâter ainsi.

Les sourcils froncés, Roz darda sur elle un œil sévère et plia avec soin la barboteuse avant de déclarer :

-

L’idée d’être grand-mère ne va pas me faire défaillir d’horreur, tu sais. Je serais même ravie que ta fille puisse me considérer comme sa grand-mère d’adoption.

-

J’ai tellement de chance de vous avoir. Nous avons tellement de chance !

-

Alors, pourquoi pleures-tu ?

Agacée par sa propre réaction, Hayley s’essuya les joues d’un geste rageur.

-

Je ne sais pas, avoua-t-elle. je remue pas mal de chose dans ma tête, ces temps-ci

– où j’en suis, comment j’en suis arrivé là, ce que la vie aurait été pour moi si j’avais dû me débrouiller seule avec Lily…

-

Ce genre de réflexion ne doit pas te mener loin.

-

Non. Je vous suis tellement reconnaissante de nous avoir accueillies ! Mais la nuit dernière, je me suis dit que je devrais commencer à chercher un autre point de chute.

-

Pourquoi ? Quelque chose cloche, avec celui-ci ?

Hayley baissa les yeux et secoua la tête. Ce qui clochait, c’était qu’elle ne s’était pas habitué à l’idée que Hayley Phillips, de Little Rock, puisse habiter cette belle demeure pleine d’antiquités, aux façades percées de larges fenêtres ouvrant sur plus de splendeurs encore.

-

Je n’ai pas vraiment envie de partir, reconnut-elle. Du moins, pas pour le moment. Je crains juste d’être une gêne pour vous.

Elle tourna la tête, et un sourire se dessina sur ses lèvres : sa fille luttait avec la grande poupée pour la transporter autour de la pièce.

-

Ce que je voudrais, conclut-elle, c’est que vous me disiez en toute simplicité quand il me faudra commencer à chercher autre chose. Nous sommes suffisamment amies pour que cela ne pose aucun problème.

-

D’accord. Cela règle ton cas de conscience ?

-

Oui.

-

Bien ! dans ce cas, nous pouvons peut-être passer à ce que nous avons rapporté pour toi…

-

J’ai aussi un cadeau ? S’exclama-t-elle, ravie. J’adore les cadeaux… et je n’ai pas honte de le reconnaître.

-

J’espère que tu apprécieras celui-ci.

Roz tira du sac un petit écrin et le lui tendit. Sans perdre de temps, Hayley l’ouvrit et écarquilla les yeux.

-

J’ai pensé que le rouge corail t’irait bien, expliqua Roz.

-

Elles sont splendides !

Hayley s’empara des boucles d’oreilles et alla étudier dans un miroir l’effet qu’elles faisaient sur elle. Puis elle serra Roz dans ses bras et l’embrassa avec affection.

-

Merci, merci beaucoup ! J’ai hâte de parader avec ces petites merveilles.

-

Tu vas pouvoir le faire dès ce soir. Stella, Logan et les garçons seront là. David prépare un dîner de bienvenue.

-

Ce soir ? mais le voyage a dû vous fatiguer, tous les deux…

-

Nous ne sommes pas encore octogénaires, tu sais ! Et nous rentrons d’une semaine de vacances.

-

De voyage de noces, corrigea Hayley, espiègle. Le sommeil n’a pas dû être votre priorité.

-

Rassure-toi, petite maligne, nous avons eu assez de grasses matinées pour récupérer.

-

Dans ce cas, place à la fête ! Nous allons vite nous laver et nous faire belle, Lily et moi.

-

Je vais t’aider à monter tout ça.

-

Merci.

Une gravité inhabituelle passa sur le visage de Hayley lorsqu’elle ajouta :

-

Roz ? Je suis vraiment heureuse de vous revoir.

Hayley se fit une fête d’habiller Lily d’une de ses nouvelles tenues et de mettre ses boucles d’oreilles. Longuement, elle secoua la tête, rien que pour le plaisir de les sentir valser contre son cou.

A cet instant, elle ne se sentait plus nulle ni déprimée. Pour fêter ça elle décida d’étrenner une de ses nouvelles paires de chaussures. Celles qu’elle choisit, avec leurs talons fins et leurs lanières s’enroulant autour de la cheville, n’étaient certes pas des plus pratiques. Sans doute, même, paraissaient-elle un peu futiles. ce qui les rendaient indispensables…

-

En plus expliqua-t-elle en les faisant admirer à Lily, elles étaient en soldes. Ce qui, tout compte fait, les rendent plus efficaces et moins chères que n’importe quelle séance de psy.

Une fois prête, elle fit un tour sur elle-même et prit la pose. C’était une sensation grisante de porter une robe courte et sexy, du rouge à lèvres, d’élégantes chaussures et d’arborer une nouvelle coupe de cheveux. Certes, cela ne suffisait pas à lui donner les formes qui lui faisaient à son goût tant défaut, mais il fallait reconnaître que les vêtements tombaient bien sur elle.

Somme toute, elle avait fière allure.

-

Ladies and gentlemen, lança-t-elle à son reflet, je crois que je suis de retour !

Confortablement installé dans un fauteuil du salon, Harper sirotait une bière en observant sa mère et Mitch, lequel était aux petits soins avec sa nouvelle épouse. Tout en narrant avec elle par le menu leur voyage de noces à leurs invités, il ne pouvait s’empêcher de laisser sa main s’attarder sur son bras, sa main, ses cheveux.

Harper avait déjà eu droit au compte rendu détaillé de la lune de miel dans l’après-midi, aussi n‘écoutait-il les jeunes mariés que d’une oreille, préférant regarder et se réjouir. Il était heureux de voir enfin, près de sa mère un homme à ce point épris d’elle. Heureux et soulagé. Roz avait prouvé qu’elle était capable de se débrouiller seule, mais il était rassurant de savoir qu’elle avait désormais à demeure un homme pour veiller sur elle.

Après ce qui s’était passé au printemps précédent, sans doute serait-il lui-même revenu vivre à Harper House si Mitch ne s’y était pas installé. Cela n’aurait pas été sans lui poser quelques problèmes, étant donné que Hayley y habitait aussi. Il valait mieux pour tout le monde qu’il continue à vivre dans l’ancienne remise à voitures.

-

Je l’ai traité de fou ! Racontait Roz, son verre dans une main, l’autre main posée sur la cuisse du fou en question. Il fallait vraiment l’être un peu, pour se lancer, à son âge, sur une planche de surf sans en avoir jamais fait.

-

J’ai essayé une fois, intervint Stella, la masse de ses boucles rousses retombant en cascade sur ses épaules. Dès qu’on arrive à tenir debout, c’est plutôt grisant.

Roz sourit en voyant son époux grimacer.

-

Tenir debout, c’est justement ce que Mitch a eu bien du mal à faire… Mais mon cher mari a de la suite dans les idées. On ne peut pas lui enlever ça. Je ne sais combien de fois il s’est remis sur sa planche après avoir bu la tasse.

-

Deux cent cinquante deux, grommela l’intéressé.

-

Et toi, Roz ? S’enquit Logan, un bras passé autour des épaules de Stella. Tu as essayé ?

Roz baissa modestement les yeux et fit mine d’étudier ses ongles.

-

Oui, reconnut-elle. Mais vous n’en saurez pas plus. Je n’aime pas me vanter…

-

A peine avait-elle posé les pieds sur sa planche que notre Roz s’est mise à filer sur l’eau comme une flèche ! Raconta Mitch avec enthousiasme. On aurait dit qu’elle avait fait cela toute sa vie.

-

Dans la famille, précisa Roz, on a toujours eu une bonne assiette et de grandes capacités physiques.

En riant, Mitch étendit ses longues jambes devant lui et croisa les bras.

-

Cela dit en toute modestie… plaisanta-t-il.

Un cliquetis sur le parquet attira alors son attention vers l’entrée du salon. Harper regarda à son tout dans cette direction et déglutit avec peine.

Dans cette petite chose rouge, chaussée d’escarpins à talons hauts qui allongeaient ses jambes fines – le genre de jambes qu’un homme pouvait parcourir des yeux des heures durant sans se lasser – Hayley était tout bonnement canon. Le savant dégradé de sa nouvelle coupe et le rouge brillant qui soulignait ses lèvres la rendaient plus sexy encore.

Harper tenta de se rappeler qu’elle portait un bébé sur la hanche. Il n’aurait pas dû penser à ce qu’il aurait aimé faire de ces jambes, de cette bouche, alors que Lily était avec elle. Il y avait quelque chose d’incorrect.

Logan résuma l’opinion générale par un long sifflement admiratif.

-

Coucou, petit cœur ! Lança-t-il à l’intention de Lily. Tu es belle à croquer. Et ta maman n’est pas mal non plus.

Hayley lui répondit par un de ces rires mutins dont elle avait le secret et alla déposer sa fille sur ses genoux.

-

Un peu de vin ? Lui proposa Roz.

-

Pour tout vous dire, répondit-elle, je rêve depuis des heures d’une bonne bière glacée.

-

Je m’en occupe !

Harper jaillit du fauteuil comme une fusée et s’élança hors du salon. Avec un peu de chance, l’aller-retour à la cuisine suffirait à lui remettre les idées en place. En plus d’être sa collègue de travail et l’hôte de sa mère, Hayley était en quelque sorte une cousine. Et une jeune maman.

Autant de bonnes raisons pour garder ses yeux – et ses mains – aussi éloignés d’elle possible. Sans compter qu’elle ne voyait en lui rien d’autre qu’un ami. Lui faire des avances dans ces conditions reviendrait à sacrifier une relation amicale qui lui était chère et lui apportait énormément.

Tout à ces cogitations moroses, Harper sortit une canette du réfrigérateur et un verre d’un placard. Il s’apprêtait à verser l’une dans l’autre quand un gazouillis, accompagné du staccato de talons aiguilles sur le parquet, se fit entendre dans le couloir. Il eut à peine le temps de poser verre et canette sur la table avant que Lily ne coure dans ses bras, suivie dans la pièce par sa mère essoufflée.

-

Elle veut une bière. Elle aussi ?

Hayley répondit à sa plaisanterie par une grimace.

-

Non, c’est toi qu’elle veut. Comme d’habitude !

Laissant Harper et Lily à leurs effusions Hayley alla remplir le verre qui l’attendait sur la table.

-

Tu gardes la bière, dit-il, et je garde Lily.

La fillette, comme pour manifester son enthousiasme à l’idée de cet arrangement, encercla le cou de Harper de ses bras et l’attira à elle, joue contre joue.

Hayley leva son verre à leur santé et conclut :

-

je ne sais pas qui est la plus chanceuse des deux…

Aux yeux de Hayley, tous les convives rassemblés autour de la table formaient la joyeuse famille de Harper House. Elle se réjouissait de voir tout le monde réuni pour faire honneur au jambon laqué au miel de David.

Sans doute appréciait-elle particulièrement cette ambiance parce qu’elle aurait aimé avoir une grande famille. Grandir seule avec son père ne l’avait pourtant pas traumatisée, loin de là… A eux deux, ils avaient formé l’équipe la plus aimante et la plus soudée qui soit. Et il restait pour elle l’homme le plus gentil, le plus drôle et le plus chaleureux qu’elle n’eût jamais connu.

Ce qui lui avait manqué, c’était de vivre des moments privilégiés comme celui-ci – des repas agités, conviviaux et houleux, au cours desquels le volume sonore grimpait autant que la chaleur humaine. Car dans son esprit, il n’existait pas de grande famille sans disputes ni psychodrames.

Grâce à Roz, qui leur avait fait une place dans sa vie, Lily aurait la chance de ne pas être privée de cela. Elle garderait plus tard le souvenir de grandes tablées animées et emmagasinerait les conseils et l’affection de ces grands-parents de substitution que Roz et Mitch acceptaient d’être pour elle. Et lorsque les autres fils de Roz ou Josh, celui de Mitch, viendraient en visite, cela ne ferait qu’agrandir le cercle.

Tôt ou tard, tous ce jeunes gens se marieraient et auraient des enfants à leur tour.

Instinctivement, le regard de Hayley se porta sur Harper. Un jour, songea-t-elle avec un douloureux pincement au cœur, il se marierait et fondrait une famille. Celle qu’il épouserait serait aussi belle que lui, bien sûr. Grande, blonde, avec des formes avantageuses, et sans doute du sang bleu dans les veines. La garce !

Pourtant, Hayley s’efforcerait de faire amie-amie avec elle, quoi que cela puisse lui coûter.

Parce qu’elle n’aurait pas le choix.

-

Les pommes de terre ne sont pas bonnes ?

David, son voisin de table, venait de lui souffler cette question à l’oreille, la tirant de ses pensées.

-

Bien sûr que si ! Pourquoi ?

-

A te voir faire la grimace pour les avaler, je finissais par avoir des doutes.

-

Tes pommes de terre n’y sont pour rien. j’étais en train de m’imaginer devoir faire une chose que je n’ai pas envie de faire…

Voyant que Lily commençait à jeter les aliments sur le sol au lieu de les porter à sa bouche, Hayley décida qu’il était temps de la libérer de sa chaise haute.

-

Gavin, pourquoi n’irait-tu pas jouer dehors avec Luke et Lily ? suggéra Stella Hayley secoua la tête.

-

C’est gentil, mais je ne voudrais pas leur imposer sa présence.

-

Elle nous embête pas ! S’écria Gavin. On rigole bien quand elle se met à courir après le Frisbee.

-

Eh! bien…

Hayley regarda tour à tour les deux jeunes garçons – Gavin, le blond, qui avait fêté ses dix ans, et Luke, plus jeune de deux ans, qui avait hérité de la chevelure rousse de sa mère. Ce ne serait pas la première fois qu’ils joueraient seuls avec Lily dans le parc.

-

Si cela ne vous dérange pas, reprit Hayley, je suis sûre que Lily sera ravie de jouer avec des grands comme vous. Quand vous en aurez marre, vous n’aurez qu’à me la ramener.

-

En guise de récompense, glaces pour tout le monde au dessert !

L’annonce de David suscita des hourras autour de la table – et pas uniquement dans les rangs des enfants.

Une heure plus tard, les jeux achevés et les glaces dévorées, Hayley monta avec Lily à l’étage pour la préparer à aller au lit. Stella la suivit avec ses fils, qui s’installèrent dans le petit salon qu’elles avaient autrefois partagé pour y regarder la télé.

-

Roz et Mitch voudraient qu’on parle d’Amelia, lui dit Stella. Je ne sais pas si on t’a passé le mot.

-

Aucun problème pour moi. Je redescendrai dès que ma puce sera au lit.

-

Besoin d’aide ?

-

Ce n’est pas nécessaire. regarde-la : elle est déjà en train de sombrer.

En couchant sa fille, Hayley fut heureuse d’entendre les bruits de bataille spatiale en provenance du salon, auxquels s’ajoutaient les commentaires enthousiastes des deux enfants. Cette bande-son d’un tranquille bonheur domestique lui manquait depuis le départ de son amie.

Lorsque Lily fut installée dans son lit pour la nuit – du moins l’espérait-elle – Hayley alluma le baby-phone et une veilleuse, puis quitta la chambre en laissant la porte entrebâillée.

Elle rejoignit les adultes dans la bibliothèque, lieu habituel de leurs réunions dès qu’il était question du fantôme. Le soleil, pas tout à fait couché, éclaboussait les murs d’une belle lumière rose. Derrière les fenêtres, le jardin d’été éclatait de couleurs somptueuses. Elle avait manqué sa promenade vespérale avec Lily, moment qu’elle appréciait tout particulièrement. Mais elle se rattraperait le lendemain, se promit-elle.

Par habitude, elle marcha jusqu’à la console où était installé le récepteur du baby-phone et le mit en marche. Comme par un fait exprès, un vase empli de lys rouge brillant était posé à côté…

-

Maintenant que nous sommes tous réunis, commença Mitch pendant qu’elle s’installait parmi les autres, je peux vous mettre au courant de l’avancement de nos travaux.

-

Par pitié… gémit David. Ne me dis pas que vous avez passé votre lune de miel à travailler sur le dossier, Roz et toi !

-

Rassure-toi, répondit-il avec un sourire, nous nous sommes contentés de discuter de diverses hypothèses. C’est en rentrant que j’ai trouvé un e-mail de notre contact à Chicago, cette descendante de la gouvernante de Harper House du temps de Reginald et Beatrice.

-

Elle a trouvé quelque chose ? S’enquit Harper.

Il avait choisi de s’allonger sur le tapis plutôt que de s’installer sur un siège, et il était en train de se redresser en position assise.

-

Je luis avais fait part de ce que nous avons découvert dans le journal de Beatrice à propos de ton arrière-grand-père – à savoir qu’il n’était pas son fils, mais celui de la maîtresse de son mari, maîtresse que nous supposons être Amelia. Elle n’a pas eu la chance de trouver des lettres ou des journaux intimes de son aïeule, mais elle a mis la main sur quelques photos qu’elle nous envoie.

Le regard de Hayley glissa sur la grande table de travail surchargée de livres, de dossiers, et où trônait l’ordinateur portable de Mitch, au milieu de nombreuses photos et lettres anciennes.

-

De nouvelles photos ? S’étonna-t-elle. Nous n’en avons pas encore assez ?

-

Plus on recueille d’informations, répondit Mitch d’un ton professoral, plus on progresse. La descendante de Mary Havers a également profité des rares moments de lucidité de sa grand-mère malade pour lui poser quelques questions.

Celle-ci s’est rappelé qu’il arrivait à sa mère de discuter avec l’une de ses cousines, qui a aussi travaillé ici, de leur séjour à Harper House. Parmi un tas de détails concernant la vie de tous les jours, elle lui a rapporté une conversation intéressante entre les deux femmes.

Un silence absolu régnait dans la bibliothèque. Mitch prit le temps de parcourir du regard les visages attentifs qui l’entouraient avant de poursuivre :

-

Un jour, parlant du « jeune maître » - c’est ainsi qu’elles nommaient entre elles Reginald Junior – la cousine a affirmé en riant que la cigogne avait dû faire fortune en l’apportant à ses parents. Mary Havers lui a ordonné de se taire, répliquant que le prix du sang et les rumeurs ne faisaient pas de l’enfant un coupable. Pressée de questions par sa fille, l’ex-gouvernante n’a pas voulu en dire plus. Elle a simplement précisé qu’elle avait rempli son devoir envers la famille Harper, mais que le plus beau jour de sa vie avait été celui où elle avait franchi pour la dernière fois la porte de cette demeure.

-

Elle savait que mon grand-père avait été enlevé à sa mère, poursuivit Roz en se penchant pour poser la main sur l’épaule de son fils. Et à en croire les souvenirs de cette femme, il est à craindre qu’Amelia n’ait pas été disposée à laisser son fils disparaître ainsi.

-

Le prix du sang… répéta Stella d’un ton rêveur. Qui a été payé ? Pour quel sang versé ?

-

L’histoire de la cigogne nous ramène à la naissance, reprit Mitch. Quelqu’un a dû aider Amelia lors de son accouchement – un médecin, une sage-femme, peut-être les deux. Sans doute ont-ils été payés pour garder le silence sur cet événement. Il est probable que des domestiques de la maison ont également été soudoyés.

-

Je sais que c’est mal, intervint Hayley, mais peut-on appeler cela « le prix du sang

? » Parler de « prix du silence » me paraîtrait plus indiqué.

-

Pas si ce silence a causé la mort d’Amelia, intervint Logan d’une voix lugubre.

Puisqu’elle hante cet endroit, elle a dû y mourir. Un tel événement n’a pas pu passer inaperçu, or vous n’en avez retrouvé aucune trace. On peut donc supposer que le décès d’Amelia a été dissimulé. Et quel meilleur écran de fumée que l’argent ?

-

Cela tient la route, approuva Stella avec conviction. Mais comment s’est-elle introduite à Harper House ? Dans son journal, Beatrice ne parle jamais nommément de la maîtresse de Reginald. Elle ne mentionne pas non plus une visite que celle-ci aurait pu lui rendre. Or, elle ne fait pas mystère de la colère que lui inspire la décision de son mari de lui imposer ce bébé qui n’est pas le sien.

N’aurait-elle pas été plus indignée encore s’il lui avait imposé la présence de la véritable mère sous son toit ?

-

Il n’aurait jamais fait ça, protesta Hayley. De ce que nous savons à son sujet, on peut déduire qu’il n’aurait jamais installé une femme d’une condition inférieure, qui n’était à ses yeux qu’un instrument, un outil pour arriver à ses fins, dans la maison dont il était si fier. Il n’aurait pas accepté qu’elle demeure auprès du fils qu’il voulait faire passer pour celui de son épouse. L’avoir quotidiennement sous les yeux aurait constitué pour lui un rappel constant de son imposture.

Adossé au canapé, Harper étendit ses jambes devant lui et les croisa au niveau des chevilles.

-

Bien raisonné, approuva-t-il après un instant de réflexion. Mais pour qu’Amelia meure ici, il a bien fallu qu’elle y vienne à un moment ou à un autre.

-

Peut-être a-t-elle fait partie du personnel, suggéra Stella en regardant briller son alliance dans un dernier rayon de soleil, elle a pu se faire embaucher pour rester près de son fils tout en cachant à la maîtresse de maison sa véritable identité.

Beatrice ne la connaissait pas personnellement. Amelia chantonne pour bercer les enfants de la maison, elle est obsédée par ceux qui s’y trouvent. Ne l’aurait-elle pas été davantage encore par le sien ?

-

Nous n’avons pas retrouvé son nom dans les registres du personnel, mais c’est possible, admit Mitch.

-

Autre possibilité : elle a pu venir ici faire un scandale en réclamant son fils.

Roz chercha le regard de Stella, puis celui de Hayley, avant de poursuivre :

-

imaginez : une mère désespérée, trompée, pas tout à fait maîtresse d’elle-même, réduite à s’imposer dans la maison de son ex-amant. Je ne peux imaginer qu’elle soit devenue folle après sa mort. Elle a donc perdu l’esprit avant. Cela renforce l’hypothèse qu’elle ait pu venir jusqu’ici réclamer justice et que rien ne se soit passé comme elle l’espérait. On ne peut écarter la possibilité qu’elle ait été assassinée, « le prix du sang » servant ensuite à dissimuler ce crime.

-

Ainsi, conclut Harper, elle aurait trouvé la mort dans cette maison, qui serait maudite jusqu’à… Jusqu’à quand, au fait ? Jusqu’à ce qu’elle soit vengée ?

-

Ta logique est imparable, dit David en frissonnant. Et effrayante.

-

Nous sommes une bande d’adultes raisonnables réunis pour formuler des hypothèses autour d’un fantôme, lui rappela Stella. Voilà ce qui est effrayant !

-

Je l’ai vue, cette nuit.

La soudaine déclaration de Hayley attira tous les regards sur elle.

-

Et c’est maintenant que tu nous le dis ? S’exclama Harper, les sourcils froncés.

-

J’en ai parlé à David ce matin, protesta-t-elle. Et j’ai attendu pour vous en parler à tous de pouvoir le faire hors de la présence des enfants.

-

Attends un instant ! Lança Mitch en prenant son Dictaphone sur le bureau. Je dois enregistrer ça.

-

Ce n’est peut-être pas la peine, protesta Hayley. Cela n’avait rien d’exceptionnel.

-

Suite aux apparitions violentes du printemps dernier, nous avons décidé d’enregistrer tous les témoignages de manifestations d’Amelia, quels qu’ils soient, lui rappela-t-il.

après s’être rassis sur le divan, il posa l’appareil sur la table basse, enclencha deux touches et déclara :

-

Nous t’écoutons.

Se faire enregistrer intimidait toujours Hayley, mais elle s’efforça de rassembler ses idées et de fournir un récit clair et détaillé de l’apparition d’Amelia.

-

Je l’entends parfois chantonner dans la chambre de Lily, mais habituellement, quand je vais vérifier, elle est déjà partie. Il ne reste qu’un grand froid dans la pièce. Il m’arrive aussi de l’entendre aller et venir dans l’ancienne chambre de Luke et Gavin. Elle chantonne ou elle sanglote, voire les deux à la fois. une nuit, j’ai même cru…

voyant qu’elle hésitait à poursuivre, Mitch insista gentiment :

-

Tu as cru ?

-

J’ai cru la voir marcher dans le parc. Cela c’est passé la nuit suivant votre mariage, après que Roz et vous êtes partis en voyage de noces. J’avais un peu trop bu, une migraine m’empêchait de dormir, alors je me suis levée pour prendre une aspirine. Ensuite, je suis allée vérifier que Lily dormait, et par la fenêtre de sa chambre, j’ai cru voir une femme marcher sur la pelouse. La lune donnait suffisamment de lumière pour que je puisse distinguer de longs cheveux, blonds ou très pâles, et une robe blanche. On aurait dit qu’elle se dirigeait vers l’ancienne remise à voitures. Mais quand je suis sortie sur la terrasse pour la voir de plus près, elle avait disparu.

-

Ça, c’est la meilleure ! S’écria Harper avec colère. Est-ce qu’on ne s’était pas mis d’accord, après que maman a failli se noyer dans la baignoire à cause d’Amelia, pour signaler immédiatement tout phénomène paranormal ?

-

Harper ! Intervint Roz sèchement. Pas sur ce ton.

-

Je n’étais sûre de rien, protesta Hayley, piquée au vif. Et je ne le suis toujours pas. Voir une femme marcher vers chez toi ne suffit pas à en faire un fantôme !

Sur le coup, je me suis dit que… que tu avais sans doute trouvé de la compagnie pour la nuit.

Harper la dévisagea un long moment, l’air furieux.

-

Pour ton information, dit-il enfin, sache que je n’ai pas, cette nuit-là, bénéficié de la « compagnie » d’une femme.

troublée, Hayley acquiesça d’un hochement de tête et conclut :

-

Dans ce cas, c’était peut-être bien Amelia. Cela signifie qu’elle m’est apparue deux fois en l’espace d’une semaine, ce qui… ce qui fait beaucoup pour moi.

-

Tu étais la seule femme dans la maison durant toute la semaine dernière, lui rappela Logan. Or, nous savons qu’elle se montre en priorité aux femmes.

-

C’est vrai, reconnut-elle. Ceci explique cela.

Et cela la rassurait quelque peu.

-

Ajoute à cela, poursuivit Roz, qu’il s’agissait de la nuit de mon mariage. Cela a dû la faire réagir.

-

C’est le deuxième témoignage que nous recueillons signalant un déplacement d’Amelia en direction de ta maison, dit Mitch à l’intention de Harper. Sans doute y a-t-il quelque chose là-dessous.

-

En tout cas, grommela l’intéressé, moi, je n’ai rien remarqué.

-

Ce qui ne nous empêche pas de garder l’œil ouvert. Il est possible qu’Amelia ait vécu dans les environs, dans une des propriétés que possédait Reginald. Je continue à explorer cette piste.

-

Si nous découvrions son nom de famille, cela vous aiderait-il à retrouver sa trace

? Demanda Hayley.

-

Ce serait un bon début.

-

Peut-être finira-t-elle par nous le dire. à nous de trouver un moyen pour qu’elle nous…

Hayley s’interrompit net et tourna la tête en direction du récepteur. Quelques crachotements s’en échappaient, au milieu desquels il n’était pas difficile de reconnaître le chantonnement d’Amelia.

-

Elle est avec Lily, et elle est en avance, ce soir ! Dit-elle en se levant. Je vais monter voir.

-

Je viens avec toi.

Harper s’était levé à son tour et lui emboîtait le pas. Hayley ne fit rien pour le dissuader de la suivre. Il y avait plus d’un an qu’elle entendait ainsi chanter le fantôme, mais le son de cette voix infiniment lasse et triste continuait à lui donner des frissons dans le dos.

Comme à son habitude, elle avait laissé en descendant toutes les lumières allumées sur son chemin. A présent que le soleil était couché, elles la rassuraient, de même que le son familier des voix de Luke et Gavin en provenance du salon.

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Tu sais, fit Harper à côté d’elle, si tu n’es pas tranquille seule ici, tu pourrais emménager dans l’autre aile, plus près de Mitch et Roz.

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Exactement ce dont de jeunes mariés ont besoin : Une mère et sa fille en bas âge pour leur servir de chaperons ! De toute façon, je commence à être habituée. Et ce n’est pas parce que je déménagerai qu’elle s’arrêtera.

Sur la pointe des pieds, elle s’approcha de la porte de la chambre où dormait Lily. La voix d’Amelia y résonnait toujours.

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D’habitude, chuchota-t-elle, elle cesse de chanter lorsque je m’approche.

Instinctivement, Hayley prit la main de Harper dans la sienne avant de repousser le battant qu’elle laissait toujours entrebâillé. Comme elle s’y attendait, il faisait froid dans la pièce.

Elle savait que la sensation de froid persisterait longtemps après le départ d’Amelia, mais que Lily n’en souffrait pas. Quant à elle, son souffle formait devant sa bouche un panache de buée. Quand ses yeux se furent accoutumés à la pénombre, elle tourna la tête en direction du fauteuil à bascule, qu’elle entendait grincer sur le parquet.

Comme la veille, Amelia s’y trouvait installée, vêtue de sa robe grise, les mains tranquillement jointes sur son giron. Sans être vraiment belle, sa voix un peu aigrelette était agréable et réconfortante, comme doit l’être une voix qui chante des berceuses, même si Hayley ne l’avait jamais trouvée aussi triste.

Mais quand Amelia tourna la tête en direction de la porte, Hayley dut plaquer la main sur sa bouche pour ne pas crier. Ce n’était pas un sourire qui s’attardait sur les lèvres du spectre, mais une grimace atroce. Ses yeux roulaient follement dans leurs orbites et brillaient dans de larges cercles d’un rouge violent.

Voilà ce qu’ils font. Voilà ce qu’ils donnent.

Hayley aurait été incapable de dire si ces mots lui étaient parvenus aux oreilles ou s’ils avaient retenti sous son crâne. Quoi qu’il en soit, l’apparition commença à se dissoudre aussitôt après. Chairs et tissus se volatilisèrent jusqu’à ce qu’il ne reste plus dans le fauteuil à bascule qu’un squelette en train de se balancer. Puis le squelette disparut à son tour, et le balancement cessa.

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S’il te plait… fit Hayley d’une voix tremblante. Dis-moi que tu as vu et entendu la même chose que moi.

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Rassure-toi, répondit Harper en serrant plus fort ses doigts entre les siens. Si tu es folle, alors nous sommes deux.

Il l’entraîna jusqu’au lit à barreaux, dans lequel Lily dormait toujours à poings fermés.

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Il fait plus chaud ici, constata-t-il. Tu le sens ? Il y a comme une bulle de chaleur autour d’elle.

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Amelia ne fait jamais rien qui puisse effrayer Lily. Mais j’avoue que je préfère rester près delle. Tu peux raconter aux autres ce qui vient de se passer ?

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Sans problème. Mais je pourrais dormir dans une des chambres d’amis, si tu veux.

En secouant la tête, Hayley remonta la couverture jusque sous le menton de sa fille.

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Tout ira bien, assura-t-elle. Nous ne risquons rien.

De nouveau, Harper l’attira à sa suite jusque dans le couloir.

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Ce petit numéro de strip-tease d’Amelia, c’était une première pour toi, n’est-ce pas ?

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Il est vrai que je n’avais jamais eu droit à ça. Et je ne risque pas de l’oublier de sitôt.

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Tu es sûre de ne pas vouloir que je reste ?

Lentement, il leva la main pour lui caresser la joue. Le souffle coupé, Hayley songea que c’était également une première qui hanterait longtemps sa mémoire. Jamais ils n’avaient été aussi proches l’un de l’autre, l’une des mains de Harper tenant la sienne, l’autre lui caressant la joue.

elle n’avait qu’un mot à dire, un seul…

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Tout à fait sûre, s’entendit-elle répondre néanmoins. Ce n’est pas comme si elle était furieuse contre moi. Elle n’a aucune raison de l’être. Tout ira bien pour nous. Tu ferais mieux de descendre. Les autres doivent s’inquiéter.

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S’il se passe quoi que ce soit ou simplement si tu as peur, appelle-moi, à n’importe quel moment de la nuit. Je viendrai.

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C’est bon à savoir. Merci.

A regret, Hayley retira sa main, recula d’un pas et se glissa dans sa chambre. Non, songea-t-elle en s’adossant au battant refermé. Amelia n’avait vraiment aucune raison de lui en vouloir. Elle n’avait pas de petit ami, pas de mari, pas d’amant. Et le seul homme qui l’attirait était tout à fait hors de portée pour elle.

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Alors, tu peux être rassurée, murmura-t-elle comme si le fantôme pouvait l’entendre. je vais rester célibataire un long moment encore…