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Comme au bon vieux temps… commenta stella !
Assise avec Roz et Hayley dans le petit salon du premier étage, elle débouchait une bouteille de vin blanc.
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Je me sens coupable, gémit Hayley en la regardant faire. Je devrais être en train de faire manger Lily.
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Ne t’inquiète pas pour elle, intervint Roz en remplissant leurs verres. Tu sais très bien que non seulement elle va être convenablement nourrie, mais qu’elle va en plus mener tous ces hommes par le bout du nez.
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Et puis, c’est un bon entraînement pour Logan, déclara Stella avec un grand sourire. Nous allons essayer d’avoir un bébé…
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Vraiment ? S’exclama Hayley. C’est une excellente nouvelle ! Gavin et Luke vont être ravis d’avoir un petit frère ou une petite sœur.
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Nous n’en sommes qu’au stade des discussions, précisa Sella. Mais au train où vont les choses, ce projet ne devrait pas tarder à se concrétiser.
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Ça va mieux ? S’enquit Roz en dévisageant Hayley.
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Oui, répondit-elle en baissant les yeux. Beaucoup mieux. Désolée de vous avoir infligé ce spectacle.
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Je crois que nous y survivrons… tu avais besoin de piquer une crise de larmes, et tu as bien fait de te l’accorder.
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Sans compter, ajouta malicieusement Stella, que cela te permet de ne révéler ce qui s’est passé entre Harper et toi qu’à nous autres femmes… vous avez remarqué comme il suffit d’un soupçon d’hystérie féminine pour que les hommes débarrassent le plancher ?
Pour éviter d’avoir à croiser le regard de ses amies, Hayley s’absorba dans la contemplation de l’étiquette du vin, comme si elle avait pu y déchiffrer quelque mystère caché.
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Je ne vois pas ce qu’il y a de plus à raconter, protesta-t-elle d’une voix sourde.
L’important, ce n’est pas ce qui s’est dit, mais ce qui s’est passé.
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Tu ne t’en tireras pas comme ça ! Assura Roz d’une voix ferme. Dans cette affaire, tout est important. Chaque petit détail. Je n’ai pas voulu cuisiner Harper pour avoir le fin mot de l’histoire, mais s’il le faut, je le ferai. Néanmoins, je préférerais l’apprendre de ta bouche. Alors, s’il te plait, Hayley, ravale ta fierté, ta pudeur ou quoi que ce soit d’autre qui t’empêcher de parler, et crache le morceau !
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Je suis désolée, Roz, murmura Hayley. J’ai… j’ai abusé de votre générosité.
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Ah ! Oui ? Et de quelle façon ?
Pour se préparer au douloureux aveu qu’elle s’apprêtait à faire, Hayley but une longue gorgée de vin.
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Je… j’en pince pour Harper, lâcha-t-elle enfin dans un souffle.
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Et alors ?
La réaction de Roz laissa un instant Hayley sans voix.
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Comment cela « et alors » ? Vous nous avez accueillies chez vous, moi et Lily.
Vous nous avez traitées comme des membres de votre famille. Mieux encore vous…
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Ne me le fais pas regretter, coupa Roz. Mon hospitalité n’a jamais été subordonnée aux obligations et aux interdits que tu sembles t’imposer. Harper est un homme adulte et libre de ses choix, surtout dans le domaine sentimental.
Si tu en pinces pour lui, je suis sûre qu’il saura le gérer et te dire si c’est réciproque ou non.
comme Hayley gardait prudemment le silence, Roz se renfonça dans le canapé, croisa les chevilles sur la table basse et sirota son verre d’un air pensif avant d’ajouter :
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Et si je connais mon fils aussi bien que je l’imagine, ce doit déjà être fait.
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Ça s’est passé dans sa cuisine, avoua Hayley. C’est moi qui ai pris les devants.
réalisant le sens que pouvaient prendre ses paroles, elle se hâta de préciser :
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Je l’ai juste embrassé ! Lily était là, et puis, c’était la première fois.
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La cuisine… répéta Roz sans prêter attention aux précisions de Hayley.
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Oui, approuva celle-ci en hochant la tête. Vous voyez ce que ça signifie : la même nuit, Amelia saccageait tout dans cette pièce. Alors, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas continuer à mettre Harper en danger simplement parce qu’il ne me laissait pas insensible. Je lui ai donc annoncé que cela ne m’intéressait pas de pousser plus loin cette relation.
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Mmm… commenta Roz en observant Hayley par-dessus le bord de son verre.
J’imagine que cela n’a pas dû lui plaire.
Hayley reposa son verre sur la table basse, de manière à pouvoir laisser ses mains s’exprimer librement.
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Il l’a tellement mal pris, reprit-elle, qu’il m’a jeté au visage quelque chose d’assez cru, ce qui m’a mise hors de moi. Je n’ai pas supporté qu’il insinue que j’avais simplement cherché simplement à… à m’envoyer en l’air. C’était juste un baiser… enfin, plutôt deux. Mais ce n’était tout de même pas comme si je lui avais arraché tous ses vêtements pour le violer sur le carrelage de sa cuisine !
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Surtout, fit valoir Roz d’un ton sarcastique, que la présence de Lily aurait rendu cet exploit difficile.
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Mais même si elle n’avait pas été là, je n’aurais pas profité de la situation, corrigea Hayley avec véhémence. J’ai beau être tombée enceinte de Lily dans les conditions que vous savez, je ne suis pas une Marie-couche-toi-là qui se jette à la tête des hommes.
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Personne n’a jamais dit une chose pareille, intervint Stella d’un ton ferme. Et surtout pas nous ! Nous savons toutes les deux ce que c’est d’avoir besoin de quelqu’un – que ce soit pour un moment ou pour plus longtemps. Que celle qui n’a jamais craqué pour un homme te jette la première pierre !
Un sourire complice sur les lèvres, Roz tendit le bras pour entrechoquer son verre avec celui de Stella.
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Bien parlé ! Approuva-t-elle.
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Merci.
Interloquée, Hayley les regarda porter leurs verres à leurs lèvres.
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Je… j’ai oublié où j’en étais, constata-t-elle.
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Tu étais en train de te disputer avec Harper, lui rappela Stella.
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Exact. Nous nous disputions, reprit Hayley, et c’est alors que… la chose est arrivée. J’ai ressenti une sensation d’étrangeté, comme si… comme si je ne m’appartenais plus. L’instant d’après, je débitais un chapelet d’horreurs que je n’ai même jamais pensées. J’accusais tous les hommes de n’être que des traîtres et des menteurs, qui ne songent qu’à coucher avec les femmes et à les traiter comme des putains. C’était laid, et ne n’était pas vrai – surtout en ce qui concerne Harper.
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Ce que tu ne dois surtout pas oublier, intervint Stella, c’est que ces paroles n’étaient pas les tiennes. Ces mots, c’est du Amelia tout craché ! cela correspond parfaitement à ce que nous savons d’elle et de ses rapports avec les hommes –
tous des ennemis à duper, avec le sexe comme appât…
Un silence pensif s’installa quelques instants dans la pièce. Ce fut Hayley qui le brisa, d’une voix hésitante.
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Roz, je veux que vous sachiez… je ne compte pas poursuivre cette relation…
cette relation intime avec Harper.
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Ah ! Bon ? S’étonna Roz en haussant les sourcils. Pour quelle raison ? Qu’est-ce qui cloche chez lui ?
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Mais… rien. Rien du tout !
Désarçonnée, Hayley lança à la dérobée un regard de détresse à Stella, qui lui répondit par un sourire assorti d’un haussement d’épaules.
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Ainsi, tu en pinces pour lui, rien ne cloche chez toi, rien ne cloche chez lui, résuma Roz d’une voix patiente, et pourtant, tu l’envoies sur les roses avant même qu’il ait pu y avoir quoi que ce soit de sérieux entre vous. Tu peux me dire pourquoi ?
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Eh ! bien, parce que…
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Parce que Harper est mon fils ? Acheva-t-elle à sa place. Dans ce cas, dis-moi ce qui cloche chez moi.
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Mais rien !
A court d’arguments, Hayley se passa la main sur le visage et soupira.
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Je n’arrive pas à croire que nous soyons en train de discuter de choses aussi embarrassantes.
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Ce serait plutôt à moi d’être embarrassée ! Vous me feriez plaisir, toi et Harper, en réglant ce problème entre vous et en me laissant hors de l’équation. En tant que mère, je n’ai qu’une observation à faire : si mon fils s’aperçoit que tu lui montres la porte uniquement dans le but de le protéger, tu peux être certaine qu’il rentrera par la fenêtre ! Et je serai la première à l’en féliciter.
sur ces mots, Roz reposa son verre vide, se leva et conclut :
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A présent, je vais descendre dîner avec Mitch. Toi, il te reste encore une bonne heure de répit, alors profites-en pour te lamenter tout ton soûl. Ensuite, il faudra te reprendre.
Stella leva son verre à la santé de Roz tandis que celle-ci quittait la pièce, puis but une longue gorgée de vin avant de demander :
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Elle est tout simplement incroyable, non ?
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Et toi, tu ne m’as pas beaucoup soutenue… se plaignit Hayley.
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Oh ! Si, plus que tu ne le crois ! J’étais à cent pour cent d’accord avec elle, mais je me suis abstenue d’abonder dans son sens. en tout cas, on dirait que tu as décidé de profiter de l’heure de bouderie qui te reste…
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Et si tu la fermais un peu ?
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je t’aime très fort, tu sais…
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Oh ! Merde ! Gémit Hayley en écrasant une larme.
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Et je m’inquiète pour toi, poursuivit son amie. Nous nous inquiétons tous pour toi. Il va falloir t’y habituer. En ce qui concerne ta relation avec Harper, tu vas devoir reprendre les choses en main. Tu ne peux pas laisser Amelia te tenir la dragée haute.
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Facile à dire… elle était en moi, Stella. En moi !
Stella posa son verre sur la table basse et se rapprocha de son amie sur le canapé pour passer un bras autour de ses épaules.
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j’ai peur, murmura Hayley
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Moi aussi, répondit Stella en se serrant contre elle. Moi aussi…
Hayley avait l’impression de marcher sur des œufs. Elle passait au crible chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, redoutant de découvrir à tout instant qu’ils étaient ceux d’une autre.
Certes, elle parvenait à donner le change. Au dîner, elle goûta comme tout le monde à la salade de pâtes et aux tomates-mozzarella de David. Parce qu’il le fallait bien, elle alla ensuite mettre sa fille au lit. Mais elle fit tout cela sans cesser de se surveiller comme une criminelle en puissance, ce qui lui valut une migraine de tous les diables.
Combien de temps réussirait-elle à tenir le coup ? Se demanda-t-elle en se déshabillant pour se mettre au lit. A force de scruter en permanence la moindre des ses réactions, n’allait-elle pas finir par devenir un peu folle, elle aussi ?
En se brossant les cheveux, plantée devant la porte-fenêtre, elle décida qu’il lui fallait réagir et reprendre les choses en main, comme le lui avait conseillé Stella. La première chose à faire serait de délester son compte en banque du prix d’un ordinateur portable. Internet devait être truffé d’informations sur la possession. Car c’était bien ce qui lui était arrivé, inutile de se voiler la face : elle avait été possédée.
Le peu qu’elle connaissait sur le sujet lui venait de ses lectures – des romans principalement. Et dire qu’elle avait autrefois pris plaisir à frissonner en dévorant de telles histoires ! Pourrait-elle puiser dans ces connaissances disparates et peu fiables des informations susceptibles de l’aider ?
La première référence qui lui vint à l’esprit – Christine de Stephen King – ne lui fut pas d’une grande utilité. Elle était une femme, pas une voiture de collection. Il y avait aussi l’Exorciste, mais outre qu’elle n’était pas catholique, c’était avec un fantôme qu’il lui fallait se colleter, pas avec un démon. Néanmoins, si les choses devaient empirer, elle n’hésiterait pas à faire appel à un prêtre. dès que sa tête commencerait à faire un tour complet sur ellemême, elle se précipiterait dans la première église venue…
Sans doute avait-elle tendance à dramatiser, songea-t-elle en enfilant le tee-shirt et le short qui lui servaient de pyjama. Ce n’était pas parce qu’une telle chose s’était produite une fois qu’elle était condamnée à le revivre. Surtout maintenant qu’elle était sur ses gardes. Avec un peu de volonté et de discipline, il lui serait possible, s’il devait y avoir une prochaine fois, d’empêcher Amelia de prendre le contrôle de son esprit. du moins l’espérait-elle…
Ce qu’il lui fallait, conclut-elle, c’était faire encore plus de yoga. Il n’y avait pas de meilleure école de maîtrise de soi. Mais en attendant, ce dont elle avait besoin par-dessus tout, c’était une bonne bouffée d’air frais.
L’orage qu’elle avait appelé de ses vœux commençait à peine à se déchaîner. Derrière les fenêtres, les frondaisons des arbres agitées par le vent se découpaient en ombre chinoise sur un ciel noir zébré d’éclairs. Elle allait ouvrir la porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse pour laisser le vent pénétrer dans la pièce. Ensuite, elle irait se pelotonner au fond de son lit avec un livre divertissant – une comédie romantique, par exemple. et si le sommeil tardait à venir, il ne lui resterait plus qu’à patienter…
Elle se dirigea vers la porte-fenêtre, l’ouvrit en grand et poussa un cri de terreur.
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Bon sang, Hayley ! Gronda Harper en lui saisissant le bras avant qu’elle ait pu pousser un autre cri. Calme-toi ! Je ne suis pas Jack l’Éventreur.
Hayley faillit s’étranger d’indignation.
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Me calmer ? Tu surgis à l’improviste, tu me fiches la peur de ma vie et tout ce que tu trouves à me dire c’est de me calmer ?
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Je n’ai pas « surgi » protesta-t-il. J’allais cogner au carreau quand tu as ouvert. Je t’ai peut-être fait peur, mais toi, tu m’as transpercé les tympans.
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Bien fait pour toi ! De toute façon, qu’est-ce que tu fiches ici ? Il va tomber des cordes d’une minute à l’autre.
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J’ai remarqué que ta chambre était encore éclairée et j’ai eu envie de venir voir si tu allais bien.
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Très bien, merci ! Du moins jusqu’à ce que tu me flanques une peur bleue.
Lentement, Harper la détailla de la tête aux pieds, avant de commenter avec un petit sourire :
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pas mal, ton pyjama…
Agacée, Hayley croisa les bras sur sa poitrine.
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Arrête un peu ! Je ne suis pas moins habillée que quand je joue avec les gamins dans le parc.
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Exact. Ce doit être pour cela que j’aime tant te voir jouer dans le parc.
sans la quitter des yeux, il marqua une pause avant de poursuivre :
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En fait, si je suis venu, c’est également parce que je n’arrive pas à me sortir de la tête ce qui s’est passé.
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Harper… Voilà des heures que je ne pense à rien d’autre. Et je n’ai pas besoin qu tu viennes remettre une pièce dans le juke-box au moment où je commence à penser à autre chose !
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J’aimerais juste que tu répondes à une petite question.
Lorsqu’il fit mine d’avancer d’un pas, elle le repoussa sans ménagement.
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Je ne t’ai pas invité à entrer ! Et je ne pense pas que ce soit une bonne idée pour toi de rester là alors que je suis si peu habillée.
Tranquillement, comme s’il était chez lui – ce qui était le cas, en fait – Harper s’appuya de l’épaule contre le chambranle de la porte-fenêtre.
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Laisse-moi te rappeler, dit-il d’une voix posée, que tu vis ici depuis un an et demi.
Durant tout ce temps, je suis parvenu je ne sais comment à ne pas te sauter dessus. Je pense que je suis capable de me retenir quelques minutes encore.
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Tu te crois malin, n’est-ce pas ?
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Pas du tout. Je suis plutôt agacé. D’autant que tu t’obstines à jouer les héroïnes de mélodrame en refusant de me laisser entrer.
Les premières grosses gouttes de pluie, portées par une rafale de vent, vinrent s’écraser autour de lui. Sans bouger d’un pouce, Harper haussa les sourcils et croisa les bras. Hayley n’eut d’autre choix que de capituler.
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OK, tu peux entrer.
Pour sauver la face, elle pointa un doigt vengeur sur la porte-fenêtre et ajouta :
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Et laisse cette porte ouverte, parce que tu ne vas pas rester !
Pour toute réponse, Harper pénétra dans la chambre et se figea au milieu de la pièce, un sourire au coin des lèvres, un pouce glissé dans la poche de son jean délavé.
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Tu sais, commença-t-il après une longue minute de silence, tout à l’heure, après que j’ai plus ou moins réussi à me calmer, j’ai réfléchi à ce qui s’est passé entre nous depuis hier. c’est alors que quelque chose de très intéressant m’est apparu…
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Tu comptes me faire un discours ? Pose ta question et finissons-en.
Harper pencha la tête sur le côté, ce qui en dépit de son jean râpé, de son vieux tee-shirt et de ses pieds nus, lui conféra une allure plus souveraine encore.
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Voilà comment je vois les choses, reprit-il d’un ton ferme. Acte un, scène un : tu me donnes à brûle-pourpoint un baiser que je te rends bien volontiers. Ensuite, tu me dis ne pas vouloir brusquer les choses, ce que je comprends. Acte un, scène deux : le lendemain, tu as le culot de m’annoncer tout de go que tu as réfléchi et que, tout compte fait, tu n’es plus intéressé.
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C’est exact, intervint Hayley. et si tu te demandes si ce qui s’est passé m’a fait changer d’avis…
Harper l’interrompit en dressant une main devant lui.
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Laisse-moi finir ! Entre ces deux scènes, cette toquée d’Amelia décide de réduire ma cuisine en miettes. Ma cuisine, c’est à dire le décor de la scène un. la question légitime que je me pose est donc de savoir quel rôle cette intervention intempestive a joué dans ton coup de théâtre de la scène deux…
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Je ne comprends pas de quoi tu parles.
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Tu mens.
Hayley sentit tout courage la quitter.
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J’aimerais que tu t’en ailles, dit-elle en se passant une main lasse sur le visage. Je suis fatiguée et j’ai une terrible migraine. Comme tu le sais, j’ai eu une journée éprouvante.
Mais Harper ne tint aucun compte de ses arguments et poursuivit :
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Si tu as fait machine arrière, c’est parce que tu penses qu’Amelia ne voit pas d’un bon œil ce… rapprochement entre nous, comme elle l’a montré en saccageant ma cuisine.
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J’ai fait machine arrière pour ne pas mettre en péril notre amitié, protesta-t-elle.
Point final !
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Je pourrais me contenter de cette explication, si c’était vrai. Mais ça ne l’est pas.
Je ne tiens pas à m’imposer auprès de toi, pas plus qu’auprès d’une autre femme qui ne voudrait pas de moi. J’ai trop de fierté pour cela.
Il fit un pas vers elle, puis un autre encore.
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Pour cette même raison, reprit-il, je ne suis pas du genre à tourner les talons quand un problème se présente, ni à laisser qui que ce soit tenter de m’intimider.
Alors, ne pense pas une seconde me tromper avec ton subterfuge. Je ne te laisserai pas me mettre sur la touche uniquement dans le but de me protéger d’Amelia.
Saisie d’un frisson, Hayley se frotta les avant-bras.
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Tu as dit que tu ne t’imposerais pas, protesta-t-elle d’une voix qui manquait singulièrement de conviction, mais c’est exactement ce que tu es en train de faire.
je voudrais que…
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Je te désire depuis le premier instant où je t’ai vue.
Sous l’effet de la surprise, les bras de Hayley retombèrent le long de ses flancs.
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C’est impossible… protesta-t-elle faiblement.
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Depuis le premier instant, insista-t-il. Cela se passait dans le magasin, tu te rappelles ? Ce jour-là, j’ai compris ce que c’était qu’un coup de foudre. A la seconde où j’ai posé les yeux sur toi, j’ai été foudroyé. A tel point que quand tu m’as parlé, j’ai à peine été capable d’aligner deux mots. J’ai du battre en retraite pour éviter de me ridiculiser complètement.
Franchissant le dernier mètre qui les séparait, Harper prit Hayley dans ses bras et la serra tendrement contre lui.
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Harper… protesta-t-elle à mi-voix. ce n’est vraiment pas une bonne idée de…
La mauvaise idée, ce qu’elle n’aurait absolument pas dû faire, c’était de lever la tête pour soutenir le regard intense qu’il posait sur elle.
Ce fut pourtant ce qu’elle fit, et elle en resta sans voix, faible et abandonnée contre lui. Les courbes de leurs deux corps s’épousaient si intimement qu’il lui semblait ne faire plus qu’un avec lui.
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Oh ! Non… gémit-elle tout bas. Non, non. non…
L’esquisse d’un sourire flotta sur les lèvres de Harper. L’instant d’après, toute velléité de protestation la déserta. Le baiser qu’il lui donna, chaud, doux et sucré comme une coulée de miel, agit sur ses sens comme une drogue, un philtre irrésistible. Le long de son corps, les mains de Harper partirent en exploration, sûres d’elles, conquérantes. Hayley se surprit à gémir de plaisir tout contre ses lèvres.
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Hayley ? Fit-il après avoir mis fin au baiser.
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Mmm?
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Ce n’est pas la réponse d’une femme qui n’est pas « intéressée. »
Avec un soupir, elle parvint à lever ses mains jusqu’aux épaules de Harper. Mais cette fois, ce fut pour se pendre à son cou, non pour le repousser.
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Je m’en fiche… murmura-t-elle. Et au lieu de dire des bêtises, donne-moi un autre baiser.
Ce fut le même glissement lent et progressif vers le plaisir. Le vent qui pénétrait dans la pièce ne parviendrait jamais à éteindre l’incendie que les mains et la bouche de Harper allumaient en elle. Ses flammes délicieuses semblaient la ronger de l’intérieur. Elle n’avait pas la moindre envie de s’y soustraire.
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Harper… grogna-t-elle tout contre ses lèvres.
-
Oui ?
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Nous ferions mieux d’arrêter ça.
Elle ne put résister à l’envie d’effleurer encore du bout des lèvres cette bouche sexy, véritable incitation au péché.
-
Peut-être pas tout de suite, ajouta-t-elle d’une voix câline. Mais bientôt.
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Le plus tard possible, répondit-il en penchant la tête pour l’embrasser dans le cou. Disons la semaine prochaine.
Hayley se mit à rire, d’un rire qui se changea en halètement plaintif lorsque les lèvres de Harper dénichèrent sous son oreille droite une zone très spéciale et très sensible.
-
Oh ! … Que c’est bon ! Gémit-elle. Tout simplement… divin. Mais je pense tout de même qu’il vaudrait mieux… Oh!
Glissant le long de son menton, les lèvres magiques de Harper venaient de découvrir un autre point plus sensible encore, à la base de son cou. Submergée par le flot de sensations délicieuses qui l’envahissait, Hayley redressa la tête pour mieux se prêter à ses caresses.
C’est alors qu’elle ouvrit les paupières et qu’elle écarquilla les yeux d’effroi.
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Harper ! Gémit-elle en se soustrayant au baiser. Ô ! Mon Dieu, Harper… arrête tout de suite et regarde.
Amelia se tenait sur le seuil de la porte-fenêtre grande ouverte. L’orage se déchaînait derrière elle – ou plutôt à travers elle : son corps semblait n’être qu’un écran de fumée derrière lequel les branches des arbres ployaient fortement sous les assauts du vent. Ses cheveux blonds étaient mouillés et emmêlés. Sa robe blanche, sale et trempée gouttait sur ses pieds ensanglantés. Dans une main, elle tenait une longue lame recourbée à l’allure effrayante, et dans l’autre une corde épaisse. Dans ses yeux brillait le sombre éclat de folie, et son visage crispé n’était qu’une grimace haineuse de rage noire.
-
Tu… tu la vois ? S’enquit Hayley d’une vois étranglée.
-
Oui, je la vois.
Harper vint se placer devant elle et lança d’une voix haute et claire à Amelia.
-
Tu vas devoir t’y faire, tu sais. Tu es morte, mais nous sommes tous les deux bien vivants !
Une bourrasque d’énergie brute le frappa de plein fouet, le soulevant du sol et l’envoyant valser contre le mur.
-
Arrête ! Arrête ! Hurla Hayley en s’avançant d’un pas. Il est de ta chair et de ton sang ! Tu ne dois pas lui faire de mal !
Bien qu’elle n’eut aucune idée de ce qui se produirait une fois qu’elle aurait rejoint l’apparition, Hayley se lança en avant mue par la colère autant que par le désespoir. Avant que Harper ait pu la rattraper et la retenir, elle se sentit projetée en arrière et alla s’affaler sur le sol, les quatre fers en l’air. Elle crut entendre une femme hurler de rage et de douleur. Puis il n’y eut plus rien que le fracas de l’orage.
-
Ça va ? Tu n’as rien ? S’enquit Harper en s’accroupissant près d’elle.
-
Moi, non. c’est toi qui es blessé…
Hayley fixait avec inquiétude le filet de sang qui coulait à la commissure des lèvres de Harper. Il l’essuya d’un revers de main impatient.
-
Ce n’est rien, dit-il. Rien du tout.
-
Dieu merci, elle est partie ! Seigneur Dieu, Harper… Cette fois, elle avait… elle avait une lame.
-
Une faucille, plus exactement. Ce qui constitue une grande première.
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La faucille ne peut pas être réelle, n’est-ce pas ? Je veux dire… elle n’as pas plus de substance qu’Amelia. elle ne pourrait pas s’en servir pour…
Sa voix la trahit, mais Harper l’avait comprise à demi-mot et s’empressa de la rassurer.
-
Non. Bien sûr que non.
Mais au fond de lui-même, il n’en était pas si sûr. Peut-être Amelia, avec son arme imaginaire, pouvait-elle causer des blessures tout aussi imaginaires, mais qui n’en paraîtraient pas moins réelles. Peut-être pouvait-elle faire en sorte, dans la confusion, que sa victime se blesse toute seule.
Assise sur le parquet, Hayley s’efforçait de dominer sa peur et de reprendre son souffle.
Mais dès que les premières notes de la berceuse jaillirent du récepteur du baby-phone, elle bondit sur ses pieds et se rua dans le couloir. Harper fut encore plus rapide et parvint à la porte de Lily quelques secondes avant elle.
-
Tout va bien, murmura-t-il en tendant le bras dans l’encadrement pour l’empêcher de passer. Inutile de lui faire peur en la réveillant.
Blottie en chien de fusil sous sa couverture, sa peluche serrée contre elle, Lily dormait paisiblement. Assise dans le fauteuil à bascule, Amelia fredonnait sa berceuse habituelle.
Elle était de nouveau vêtue de sa robe grise, propre et nette, et ses cheveux bien coiffés étaient attachés en chignon. Son visage pâle, parfaitement calme, semblait éclairé d’une lumière intérieure.
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Il fait si froid… murmura Hayley sur le seuil.
-
Cela ne gêne pas Lily, répondit Harper sur le même ton. Cela ne m’a jamais gêné non plus quand j’étais enfant. Je ne sais pas pourquoi.
Sans cesser de se balancer, Amelia tourna la tête vers eux. Sur son visage se lisaient la souffrance et la tristesse. Hayley crut même y distinguer un soupçon de regret. Les yeux fixés sur Harper, l’apparition continua de chanter. Et au dernier couplet, elle s’évanouit dans les airs.
-
C’était pour toi qu’elle chantait, chuchota Hayley. Une part d’elle-même se rappelle et regrette de ce qu’elle a fait. Mon Dieu… quel supplice se doit être d’être folle depuis plus de cent ans !
Ensemble, il rejoignirent Lily. Hayley se pencha sur le lit et arrangea soigneusement la couverture de sa fille.
-
Elle va bien, Hayley, assura Harper derrière elle. Laissons-la dormir.
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Parfois, chuchota-t-elle en le suivant hors de la pièce, je me demande comment je fais pour supporter de vivre dans le château hanté… Dans la même soirée, Amelia est capable de t’envoyer valser contre un mur et de te chanter tendrement une berceuse !
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Que veux-tu ? Elle est folle à lier, dit Harper en haussant les épaules avec fatalisme. Mais au fond, peut-être cherche-t-elle à nous rassurer en nous faisant comprendre qu’elle peut s’emporter contre l’un de nous, mais que pour rien au monde elle ne s’en prendrait à un enfant.
-
Et si elle se servait de moi ? Demanda Hayley d’une voix blanche. sous son influence, comme je l’ai été près de l’étang, je pourrais agresser quelqu’un qui aurait eu le malheur de lui déplaire, voire m’en prendre à ma propre fille…
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Tu ne la laisserais pas faire.
Ils étaient de retour dans la chambre de Hayley. Harper la conduisit jusqu’au lit et la fit asseoir.
-
Tu veux boire un verre d’eau ? Quelque chose de plus fort ?
-
Non, merci.
il s’assit à son tour près d’elle, prit sa main dans les siennes et poursuivit d’une voix assurée :
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Tu sais bien qu’elle n’a jamais blessé qui que ce soit dans cette maison. Cela se serait su. Si un Harper ou même un domestique, avait été attaqué par une folle, cela n’aurait pas pu être passé sous silence. Elle aurait été jetée en prison ou dans un asile.
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Peut-être… admit Hayley d’un ton peu convaincu. Mais que fais-tu de cette corde et de cette faucille ? Elle les exhibait, comme pour dire : « Je vais ligoter quelqu’un et le couper en rondelles » !
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Personne n’a jamais été coupé en rondelles à Harper House.
Harper se leva pour aller refermer la porte-fenêtre.
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Pour ce que tu en sais, précisa Hayley dans son dos.
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Pour ce que j’en sais, reconnut-il en venant se rasseoir près d’elle. Si tu veux, on mettra Mitch sur la piste. Peut-être pourra-t-il trouver quelque chose dans de vieux rapports de police – même si j’en doute.
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Tu es si calme ! Constata-t-elle après l’avoir dévisagé un instant. C’est trompeur, quand on connaît le feu qui couve sous cette apparence… cela prouve que je ne te connais pas aussi bien que je l’imaginais.
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J’en ai autant à ton service.
Hayley soupira et posa les yeux sur leurs mains jointes.
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Je ne peux pas coucher avec toi, reprit-elle enfin d’une voix défaite. Je ne veux pas prendre le risque qu’Amelia te blesse. Tu avais raison sur ce point.
Il ne lui répondit que par un petit sourire suffisant. Hayley lui donna une tape sur le bras et protesta :
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Tu te crois vraiment très malin, n’est-ce pas?
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Seulement parce que je le suis. Demande à ma mère. quand elle est dans un bon jour…
La tête tournée vers lui, Hayley demeura un moment à le dévisager, comme pour assimiler toutes ces choses qu’elle apprenait à son sujet.
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J’aime toutes ces facettes que je découvre en toi, conclut-elle. Et Dieu sait que tu es agréable à regarder. Si Amelia ne s’était pas manifestée, à l’heure qu’il est, nous serions dans ce lit, à faire ce que ce merveilleux baiser nous entraînait tout naturellement à faire.
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Voilà un commentaire qui n’est pas de nature à me réconcilier avec mon arrière arrière-grand-mère, commenta Harper grimaçant.
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Je ne peux pas dire que je la porte dans mon cœur non plus… mais je dois reconnaître que son intervention nous a peut-être évité de faire une bêtise.
S’ordonnant d’être raisonnable pour deux, Hayley se leva et alla se jucher sur l’accoudoir d’un fauteuil.
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Je ne suis pas timide ni coincée en ce qui concerne les choses du sexe, reprit-elle en le fixant droit dans les yeux. Et je pense que si nous vivions dans un autre endroit, si nous nous trouvions dans une autre situation, nous serions déjà amants. Mais il y a tant de paramètres à prendre en compte avant de franchir ce pas… tant de chose que nous ignorons encore l’un de l’autre.
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Ça te dirait de dîner avec moi ?
Prise de court par sa proposition, Hayley battit des paupières.
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Tu as faim ? S’étonna-t-elle.
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Pas maintenant ! Répondit-il en riant. J’essaie de t’inviter à sortir avec moi, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué… nous pourrions aller en ville, partager un bon repas, écouter un peu de musique.
Hayley sentit ses épaules se détendre et se desserrer le nœud d’angoisse logé depuis des heures au creux de son ventre.
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Ce serait chouette ! Lança-t-elle en souriant.
Harper la rejoignit et lui tendit la main pour l’aider à se mettre debout.
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Demain soir ? Suggéra-t-il.
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si Roz ou Stella peuvent s’occuper de Lily, cela me va très bien…
Le visage de Hayley se rembrunit.
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Nous allons devoir leur dire ce qui s’est passé.
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Nous verrons cela demain.
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Cela risque d’être un peu gênant, d’expliquer… pour quelle raison tu te trouvais d ans ma chambre… et ce que nous y faisions.
Harper encadra le visage de Hayley de ses mains et déposa un très léger baiser sur ses lèvres.
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Non, ça ne le sera pas le moins du monde, lança-t-il d’une voix ferme. Tu crois que ça va aller, à présent ?
Hayley jeta un coup d’œil par-dessus son épaule à la porte-fenêtre close.
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Oui, ça va aller, répondit-elle. Tu devrais rentrer chez toi avant qu’il ne se remette à pleuvoir.
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Je vais aller camper dans l’ancienne chambre de Stella.
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Oh ! tu n’es pas obligé…
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Nous dormirons mieux tous les deux ainsi.
Hayley se sentit effectivement plus rassurée de savoir Harper à l’autre bout du couloir, même si cela ne l’aida pas précisément à trouver le sommeil. Si seulement elle avait pu le rejoindre dans son lit… Nul doute qu’ils auraient tous deux mieux dormi ainsi.
C’était vraiment l’enfer, conclut-elle en se retournant entre ses draps, de se conduire en adulte responsable. Et un plus grand enfer encore de découvrir que plus elle en apprenait à son sujet, plus elle s’attachait à lui. Mais au fond, tous ces obstacles placés sur leur route rendaient les choses plus saines et plus claires : elle n’était pas une fille facile qui sautait dans le lit d’un homme juste parce qu’il était beau gosse et éminemment sexy.
Et même si certains, connaissant les circonstances de la naissance de Lily, pouvaient s’imaginer autre chose, peu lui importait. Elle avait eu de l’affection pour le père de sa fille.
De l’affection et du respect. Sans doute s’était-elle montrée un peu imprudente, mais leur histoire n’avait pas été une histoire sordide.
En outre, elle avait désiré cet enfant. Peut-être pas au tout début, certes. mais lorsqu’elle était parvenue à surmonter le choc initial et la peur qui en avait résulté, plus rien n’avait compté pour elle que son bébé, son magnifique et délicieux bébé…
Heureusement pour elle, Lily n’avait rien hérité de son père, ce fumier égoïste et sans scrupule qui avait profité de sa détresse pour parvenir à ses fins. Elle avait été bien avisée de ne pas lui apprendre sa grossesse et de garder l’enfant pour elle. Rien que pour elle.
pour toujours
Mais il lui était à présent possible d’obtenir bien plus encore. A bien y réfléchir, peut-être faisait-elle fausse route en se contentant de si peu. Trimer, obéir, encore et encore !
Pourquoi devait-elle travailler pour gagner une misère alors que le monde pouvait être à ses pieds ? Pour l’heure, elle n’occupait qu’une infime partie de la grande maison, mais tôt ou tard, tout le domaine serait à elle. à elle et à son merveilleux enfant…
Le maître la désirait. Il ne lui restait plus qu’à manœuvrer habilement. Aucune femme mieux qu’elle ne savait mener un homme par le bout du nez. Avant d’avoir compris ce qui lui arrivait, il ramperait à ses pieds pour quémander ses faveurs… et quand elle en aurait terminé avec lui, Harper House serait à elle.
A elle et à son enfant.
enfin…