CHAPITRE VI
Au centre administratif, dans le bureau sans fenêtre du colonel Mollen, l’envoyé spécial du gouvernement essaie de comprendre les choses.
Averti il y a à peine deux heures du phénomène collectif qui terrasse la province H, il est venu se rendre compte sur place, a déjà pris de nombreux contacts avec les responsables de la sécurité. Mais personnellement, il y perd son latin :
Il contemple le colonel un peu comme un ressuscité. En fait, Clarc a décidé de ramener Mollen au centre. Une idée comme ça. Cette initiative lui a parfaitement réussi puisque le chef de la sécurité a repris tous ses esprits sitôt sorti de la zone d’influence de son hypnor.
Certes, il récupère encore. Il a dormi comme un abruti, pendant des heures, et sa tête pèse des kilos. Elle dodeline sur ses épaules. Son regard vague fixe le délégué gouvernemental, un certain Mar Curty. Les deux hommes s’observent et essaient de sonder les pensées de l’autre. Curty est l’un de ces enquêteurs qui n’aiment pas que les choses traînent.
— Vous n’êtes pas encore totalement réveillé, colonel. Comment ça s’est passé ?
— Bah ! dit Mollen d’une voix pâteuse, je n’en sais rien. Hier soir, mon boulot terminé, j’ai regagné mon domicile, à deux pas du centre. J’ai regardé la T.V. Puis, vers onze heures, je me suis tranquillement couché.
— Votre femme aussi ?
— Oui. Tous les soirs, nous nous couchons à peu près à cette heure-là, parfois même un peu plus tôt.
— Vous n’avez rien ressenti de particulier ?
— Non. Mon hypnor me suggérait justement qu’un bon sommeil était la garantie d’une bonne santé, que je me trouvais actuellement dans une forme excellente…
— Entre nous, colonel, coupe Curty…, tout à fait entre nous. Vos tests médicaux sont aussi excellents que vous le persuade votre hypnor ?
— J’ai une insuffisance cardiaque et pulmonaire. Je suis un traitement. Mon hypnor me dit de ne pas m’inquiéter.
— Votre machine a probablement raison, opine le délégué du gouvernement. La mienne aussi. Pourtant, j’ai une maladie d’estomac. Je prends la vie du bon côté. Tout ça pour en conclure que les hypnors nous rendent la vie agréable.
Il met sa main devant sa bouche, tousse :
— D’habitude, à quelle heure vous levez-vous ?
— Ça dépend, de mes heures de service. Quand je me couche à onze heures du soir, je me lève vers sept heures du matin.
— Aujourd’hui, à neuf heures passées, vous dormiez encore.
— Je n’y comprends rien, bredouille Mollen. Il a fallu que Clarc me sorte de chez moi pour me réveiller. Mon hypnor doit être détraqué.
— Alors, tous les hypnors de la province H sont détraqués en même temps, remarque ironiquement Curty. Vous trouvez ça normal ? L’enquête prouve que seuls les gens qui étaient hors de chez eux cette nuit ont échappé au phénomène.
Clarc a donné certains détails à son chef. Celui-ci hoche la tête :
— Pourtant, au centre même, l’équipe de six heures a relevé la précédente. À cinq heures trente, certains employés quittaient leurs domiciles.
— Ça signifie tout simplement que le phénomène s’est produit après six heures. Sans doute entre six et sept. La généralité des citoyens se lève à sept heures. Les hypnors les réveillent à ce moment-là.
Clarc entre dans le bureau, salue brièvement l’envoyé gouvernemental qu’il a, du reste, accueilli à l’astroport. Le siège du gouvernement se situe hors de toute province, dans une zone qui correspond au centre de l’ancienne Afrique. Les dirigeants vivent dans de véritables blockhaus, à cinquante mètres sous terre, à l’abri d’une attaque atomique.
Hen grimace. Il se tape actuellement des heures supplémentaires mais ce n’est pas cela qui le fait grimacer.
— J’ai reçu à l’instant le rapport du spécialiste qui a examiné votre hypnor, colonel.
— Eh bien ? sourcille Mollen, rivé à son siège.
— L’hypnor fonctionne correctement. Le technicien n’a détecté aucune perturbation dans l’émission des ondes psychiques.
— Correctement ! s’emporte Mar Curty. Vous appelez ça correctement ? Votre spécialiste est un petit plaisantin.
— C’est un des meilleurs, dit sévèrement Hen. Croyez-moi, il s’y connaît. Mais il a constaté autre chose, ce qui donne de l’ampleur au problème. Il a aussi passé aux tests d’autres hypnors dans le quartier. Même diagnostic. Les machines fonctionnent normalement.
Le délégué gouvernemental se dresse de son siège, marche de long en large dans le bureau. Puis il s’arrête devant le lieutenant, l’observe avec insistance :
— Qu’en conclut votre technicien ?
— Il n’y comprend rien.
Curty reprend sa marche, agacé :
— Voilà ! Tout le monde n’y comprend rien ! Pourtant il existe forcément une explication.
Clarc ignore Mar Curty, s’approche de Mollen, apparemment fatigué :
— Colonel…, puis-je me livrer à une expérience ?
— Allez-y, Hen. Je vous fais confiance. Vous êtes mon bras droit. En ce moment, j’ai les idées un peu brouillées.
— C’est que, ça vous concerne directement. Je voudrais vous ramener chez vous.
— Drôle d’expérience ! ricane l’envoyé du gouvernement central.
Le lieutenant hausse les épaules :
— Nous verrions si le colonel retombe dans un sommeil hypnotique, bien qu’il soit dix heures du matin. En tout cas, Mme Mollen dort toujours. Tout le monde dort. Et si nous ne les sortons pas de chez eux, ils dormiront toute la journée, voire des jours entiers.
— N’exagérez pas, Clarc ! remarque Curty, dépité devant l’initiative d’un subalterne. À quoi vous servira votre test avec le colonel ?
— À prouver que loin de l’influence des hypnors, les hommes retrouvent leur lucidité, émergent du sommeil prolongé dans lequel les plongent les machines.
Curty est heureux de trouver une faille dans le plan du lieutenant. Il ne rate pas l’occasion de la signaler car il est jaloux qu’un simple officier de sécurité prenne les devants à sa place.
— Vous vous contredisez, Clarc. Ou, plus exactement, vous contredisez votre spécialiste puisque celui-ci affirme que les hypnors sont irresponsables.
Hen ne se démonte pas et réplique :
— Quelque chose échappe sûrement au technicien. Je veux le prouver et je suis certain de mon test… Vous m’accompagnez chez le colonel, monsieur Curty ?
— D’accord. Mais ne me faites pas perdre mon temps.
Les trois hommes sortent du centre, émergent au soleil, au vrai. Car les services techniques de la cité ont éteint les lampes U.V. Là-haut, par-delà la coupole translucide, l’astre du jour étincelle dans un ciel pur. Pour une fois, le vrai décor est planté, mais les habitants de l’agglomération n’y prêtent même pas attention. Pour eux, il fait soleil tous les jours, et quand il pleut, la pluie ne tombe pas sur la ville.
Curty, Mollen et Clarc traversent l’avenue déserte, pénètrent dans l’immeuble où habite le colonel. Des policiers en uniforme rouge les accompagnent, assurent leur protection.
L’ascenseur emmène le groupe au dernier étage. Dans le couloir circulaire, les hommes de la sécurité ne rencontrent pas un chat. Un étrange silence sature le building. Même de la rue aucun bruit ne parvient. L’agglomération entière ressemble à une ville morte.
Excité, Mollen rentre chez lui. Dans le hall, un seul œil électronique pivote, lance ses éclairs mauves, fulgurants. Mais rapidement, le second clignoteur s’allume et l’hypnor prend en charge le locataire de l’appartement 923. Clarc, Curty et les autres policiers ne sont pas affectés par la machine car chaque hypnor est réglé en fonction de chaque individu, des tracés de son électro-encéphalogramme.
Mollen se dirige sans hésitation vers sa chambre, ignore apparemment sa femme toujours allongée sur le lit, se couche, s’endort aussitôt.
— Eh bien ! triomphe Hen. C’est éloquent !
Curty ne démord pas, s’entête :
— À mon avis, les hypnors sont détraqués et votre spécialiste n’y connaît rien. Je demanderai une contre-expertise.
Clarc enverrait volontiers au diable l’envoyé du gouvernement. C’est lui qui n’y connaît rien. Pas le spécialiste.
— Faites venir un expert, acquiesce le lieutenant. Je n’y vois aucun inconvénient. Mais il y perdra aussi son latin. En tout cas, la chose paraît claire. Si nous ne voulons pas que la paralysie de la province se prolonge davantage, il faudra suspendre momentanément l’utilisation des hypnors.
Curty se rebiffe carrément. Il trouve que le petit officier pousse bien loin son autorité. Certes, il occupe le poste immédiat derrière Mollen, mais sa place ne lui autorise pas toutes les décisions importantes.
— Doucement, Clarc. Vous outrepassez vos droits. Vous savez parfaitement que le gouvernement tranche en dernier ressort les décisions à l’échelon des provinces. La mise hors-circuit des hypnors individuels équivaut à un changement radical d’existence, un retour au passé, à ce passé idiot qui dressait les hommes les uns contre les autres. Les hypnors ont aboli la passion, la haine, la brutalité, l’ambition, tous ces sentiments néfastes qui faisaient de l’homme une brute.
— D’accord, concède Hen. La société a puissamment évolué, grâce aux machines guideuses de consciences. Elle s’est épurée de ses éléments pervers. Si nous n’avions pris aucune mesure, les Kréols auraient rapidement contaminé les esprits.
Hen hoche la tête et poursuit :
— Je ne pense pas que nous devons mêler les Kréols au phénomène qui bouleverse la province H…
— Non, dit Mar Curty. Parlons réalité. Votre décision de mise hors circuit des hypnors, même momentanément, pose un problème que je dois soumettre au gouvernement. Une enquête déterminera les responsabilités. Du moins, je le crois. En attendant, laissez dormir les gens.
— Les usines, les bureaux, les magasins sont fermés, remarque le lieutenant. Ils ne peuvent pas rester indéfiniment sans activité, sinon la productivité va s’en ressentir à brève échéance.
— Une décision sera prise dans les plus brefs délais. J’étais chargé de recueillir le maximum d’informations sur le problème.
Curty et Clarc quittent l’appartement 923. Ils retrouvent les policiers qui montent la garde dans le couloir.
— Pour le colonel ? demande Hen. Qu’est-ce qu’on fait ?
— Laissez-le… Ou plutôt, non. Ramenez-le au centre et conseillez-lui de ne plus retourner chez lui momentanément. Il s’agit de récupérer les gros bonnets du régime, ceux qui entrent pour une part active dans les rouages de la communauté. Vous voyez qui je veux dire ?
— Oui. Les chefs de service, les directeurs d’usine…
— Pas tellement ceux-là. Le monde tournerait sans eux. Je parle du personnel des centres administratifs qui représentent le gouvernement dans leur province respective. Il faut les mettre à l’abri. Supposez que le phénomène s’élargisse, qu’il s’étende à la planète entière.
Hen ouvre de grands yeux terrifiés :
— C’est possible ?
— Évidemment. Aussi je vais alerter tous les centres administratifs et exiger que leurs employés, en totalité, soient retirés de l’influence d’un hypnor.
Le visage du lieutenant se déride. Il sent que Curty épouse enfin ses idées :
— J’ai donc raison. Le phénomène se transmet par l’intermédiaire des machines.
Curty ne répond pas. Il regagne hâtivement le centre, se met en rapport télévisé avec le siège du gouvernement. Il apprend ainsi avec soulagement que dans toutes les autres provinces, l’activité des hommes se poursuit normalement. Alors, que se passe-t-il dans la province H ?
* *
*
Viac montre un coin de l’espace sur le panoramique :
— Tenez, voilà le satellite.
— Ils nous ont sûrement repérés, estime Kome.
— Aucune importance. Ils doivent croire qu’il s’agit d’une fusée ravitailleuse.
Le pilote s’affaire devant ses appareils et s’apprête à l’abordage. L’astronef se place sur l’orbite du satellite, à trente mille kilomètres d’altitude. Une équipe de six techniciens habite en permanence l’habitacle artificiel.
Viac demande à son radio :
— Contact établi ?
— Oui, ils nous attendent. J’ai dit qu’il s’agissait d’un contrôle.
And paraît satisfait. Il a rallié son propre équipage à sa cause, à celle des Kréols. Ses collègues ont d’abord tiqué mais quand ils se sont aperçus que les hypnors se détraquaient, ils n’ont plus hésité. Maintenant, ils ont franchement basculé dans le camp adverse et comprennent que Kome dispose d’une position de force. Ils possèdent des consciences bien malléables.
La fusée aborde le satellite. Des attaches magnétiques le rivent à la plate-forme. Les deux sas s’immobilisent à la même hauteur. Ce qui permet de passer de l’astrojet à la station spatiale sans même endosser un scaphandre.
Jer modère le tempérament bouillant de Shap :
— Doucement, Rog. Surtout, pas de bêtises. Laisse-moi faire.
L’ingénieur acquiesce mais son regard s’enflamme. Derrière lui ; un commando kréol se tient prêt à intervenir. Shap a trouvé des armes, des pistolets à rayons, et il les a distribués à ses compagnons. Désormais, les Kréols sentent qu’ils font jeu égal avec leurs adversaires et leur première victoire les grise un peu.
Viac et Kome entrent les premiers dans la salle de télécommunications. Ils se heurtent à Brice, le chef de la technique.
— Qu’est-ce que ça signifie ? grommele celui-ci. Vous auriez pu m’envoyer un préavis.
— Contrôle hors série, explique Jer avec un culot phénoménal. Vous savez sans doute ce qui se passe dans la province H.
— Oui, nous le savons. Quel rapport ? Ici, à trente mille kilomètres, nous échappons au phénomène et nous espérons bien que ça durera.
— Nous venons vérifier si vos hypnors ne sont pas détraqués, continue Kome sur le même ton débonnaire.
Brice fronce le sourcil. Cette visite imprévue excite sa méfiance. Son centre, sur terre, lui a bien recommandé de n’accueillir personne sans autorisation préalable. Aussi cette histoire de contrôle ne cadre pas.
— Vous avez un ordre du centre ?
Jer perd un peu les pédales :
— DU centre ? Quel centre ?
— Celui des télécommunications dont dépend le satellite.
— Je n’ai pas d’ordre, gronde Kome, énervé, pour une raison bien simple : c’est moi qui dicte mes instructions.
Il élève le ton, mais ne réussit pas à impressionner Brice. Celui-ci sonde les regards des visiteurs, cherche leurs intentions. Dans l’astronef, Shap et son commando suivent en détail la conversation sur un écran.
— Je regrette, maugrée le chef de la technique, mais je refuse d’accéder à ce contrôle. Nos hypnors fonctionnent parfaitement.
— Où sont vos collègues ? demande Viac.
— Dans les autres salles. Nous travaillons à tour de rôle, en équipe de deux. Le satellite fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
— En somme, remarque Jer, vous faites plus que les quatre heures quotidiennes prévues par la loi.
— Pas beaucoup plus, précise Brice. Une équipe, à deux, se tape logiquement huit heures de présence. En réalité, un seul contrôle les appareils. Le second se livre à d’autres occupations et il est là pour suppléer en cas de besoin.
Jer reste maître de ses nerfs :
— En définitive, conclut-il, vous entravez notre mission.
Le chef de la technique hausse les épaules, s’approche d’un clavier. Il va appuyer sur des touches quand Viac s’interpose, rejette Brice en arrière :
— Hé ! Là… Qu’alliez-vous faire ?
— Demander des instructions à mon centre.
À ce moment, Shap fait irruption dans la salle encombrée d’écrans, d’appareils de toutes sortes. Il braque un pistolet à rayons sur l’employé du satellite. Derrière lui, le commando kréol apparaît. Une demi-douzaine d’hommes, l’air décidé, et armés, eux aussi.
— Je comprends, grimace Brice. Vous voulez vous emparer de la plate-forme.
— Tu l’as dit ! gouaille Rog. Un conseil : ne bouge pas, sinon j’appuie sur la détente.
Kome s’interpose :
— Allons, Shap, modère ton langage. Nous ne sommes pas une bande de gangsters, de pillards. Je ne veux pas que le sang coule, tu entends ? Le premier qui se livre à un acte répréhensible sera puni avec la plus extrême sévérité.
Jer devine que ses hommes ont soif de victoire, de vengeance. Il tempère leur caractère bouillant car aucun hypnor n’a jamais influencé leur cerveau. Il s’agit donc d’individus « crus », comme il en existait autrefois. Des impulsifs. Maintenant qu’ils sont lâchés, ils risquent de retrouver leurs instincts bestiaux.
— Maîtrisez le personnel du satellite, ordonne le mari d’Angela.
Shap se rue dans les autres salles, suivi du commando. Kome perçoit les protestations véhémentes des employés malmenés. Les Kréols bloquent les hypnors à l’aide des clémettrices.
Les six techniciens de l’espace sont réunis dans la salle centrale. Ils n’en mènent pas large devant les armes braquées sur eux. Shap manifeste une exaltation anormale. Ses yeux flambent et des tremblements convulsifs agitent ses muscles.
— On les descend ? dit-il, désignant les prisonniers.
— Tu es fou ! glapit Jer. À quoi cela t’avancerait ? Nous sommes ici pour libérer les hommes de la tutelle des hypnors. Pas pour les tuer comme des chiens.
— Ils témoigneront, remarque Rog pour expliquer son attitude.
Kome hausse les épaules :
— Si tu les descends, les enquêteurs trouveront leurs cadavres et s’apercevront très vite que les meurtriers échappent aux hypnors. Ils remonteront encore plus facilement jusqu’à la source.
— Alors, qu’est-ce qu’on fait d’eux ? demande un Kréol.
— Bouclez-les dans leur dortoir et veillez à ce qu’ils ne s’échappent pas. Pour le moment, Rog, tu as autre chose de plus important qu’à t’occuper des prisonniers.
Les six techniciens sont emmenés dans leurs chambres. Shap a rengainé son pistolet et se calme un peu.
— Je vais chercher le matériel dans la fusée de Viac.
— Bon, grouille-toi, acquiesce Jer.
L’ingénieur revient cinq minutes plus tard avec une valise de dépanneur. Il l’ouvre, en sort des outils.
— Je vais « bricoler » l’antenne. Peut-être serai-je obligé de sortir dans l’espace. Il doit y avoir des scaphandres dans les armoires.
— Sans doute, opine Viac. Et tâchez de vous amarrer correctement. Sinon nous serions obligés de vous récupérer à des kilomètres de là.
Shap disparaît. And hoche la tête :
— Méfiez-vous de votre ingénieur, Jer. Il s’excite facilement. N’oubliez jamais qu’il possède un chromosome supplémentaire et que son comportement peut subir des troubles à n’importe quel moment.
— C’est aussi valable pour moi, estime Kome. Pour tous les Kréols. Nous devons nous montrer vigilants envers nous-mêmes, envers nos actes, nos pensées, nos réflexes. Je le sais. Ce sera une lutte quotidienne.
— Ce trouble du comportement…, ce n’est quand même pas la généralité des cas. Alors vous pouvez passer au travers, conclut Viac, optimiste.
Il pose sa main sur l’avant-bras de Kome :
— Quand espérez-vous frapper la planète entière ?
— Le plus tôt possible, avant que le gouvernement central prenne des dispositions. L’affaire de la province H., qui est passée sous notre coupe, a singulièrement alerté les services de sécurité. Des ordres ont été donnés pour que tout le personnel des centres administratifs soit écarté de la zone d’influence des hypnors.
— Ça vous handicapera ?
— Non. Nous recherchons surtout le contact avec la grande masse de la population. En nous rendant maîtres du satellite de télécommunications et des satellites annexes en orbites plus basses, nous inonderons toute la planète.
L’optimiste Viac, pour un coup, se renfrogne. Il sent des difficultés dans l’air :
— Tout ça va dépendre comment le gouvernement central réagira. Supposez qu’il suspende pour un certain temps l’utilisation des hypnors, sur l’ensemble de la planète. Il vous supprimera du même coup tout moyen de communication avec les hommes.
Le visage de Kome s’éclaire d’un sourire :
— Voyons, And, nous devrions nous réjouir. Si les hommes sont enfin libérés de l’influence des hypnors, nous aurons atteint notre but.
— L’un de vos buts, d’accord, rectifie Viac. Mais l’autre, le principal, celui auquel vous songez depuis des années ? Votre réhabilitation ?
La mâchoire de Jer se crispe :
— Je sais. Ce sera une lutte de longue haleine. Nous sommes prêts à la soutenir aussi longtemps qu’il le faudra.