IL EST ÉNERVANT ÉMILE !
Émile a quelque chose comme une douzaine d'années. Il habite à Lyon. Il va à l'école. Il est très sage, très bien élevé. Ce n'est pas lui qui oublierait de se laver les oreilles, ou qui volerait un pot de confiture. Émile travaille dur à l'école. Il n'est pas très intelligent, mais consciencieux. Ses cahiers sont propres, son cartable bien rangé, il ne marche pas dans les flaques et n'a jamais d'encre sur les doigts. Ses petits camarades ne sont pas exactement comme lui. Ils font des bêtises, ils mentent de temps en temps, cassent des choses. Ils n'hésitent pas à lui faire des croche-pieds, à lui prendre son ballon.
« Ce n'est pas bien, dit Émile, ce ballon n'est pas à toi, il est à moi. Je vais le dire au maître : " Monsieur, il m'a pris mon ballon ! Monsieur, il copie ! Monsieur, il a triché ! " »
Il est énervant, Émile, d'après ce qu'on sait de son enfance et de son adolescence, qu'il a bien fallu passer au crible.
Émile a quelque chose comme une vingtaine d'années. Il est au régiment. C'est une recrue sérieuse. Il n'est pas comme ses camarades de chambrée. Ce n'est pas lui qui chercherait à éviter une corvée, ou à faire le mur.
« Ce n'est pas bien, dit Émile, c'est défendu de fumer après le couvre-feu, je vais le dire à l'adjudant. »
Il est énervant Émile à la caserne.
Émile a vingt-cinq ans. Il est marié. C'est un bon mari. Il a des enfants. Il a un emploi. Des voisins. Il est toujours aussi énervant. Il épluche les comptes, vérifie les quittances de gaz, minute son temps de travail, surveillé le concierge.
« Dans la vie, dit-il, il faut de l'ordre, de l'honnêteté et de la justice. Moi Joseph Émile Piton, je respecte ces principes, et j'exige que les autres les respectent. »
Nous l'appellerons Joseph Émile Piton. Il ne s'appelait pas Piton. Mais il n'aurait pas aimé qu'on parle de lui en ces termes. Il ne supportait ni la critique, ni la contradiction, ni le désordre, ni l'injustice. En fait il ne supportait pas, avant tout, d'être Joseph Émile Piton.
« Bonjour, monsieur ! Je suis Joseph Émile Piton, votre locataire du rez-de-chaussée... pour un loyer mensuel de 430 F. Monsieur, j'ai cru comprendre que vous disposiez présentement d'un appartement à louer au quatrième étage de cet immeuble. Je désire m'entretenir avec vous de cette possibilité. »
Joseph Émile a quarante ans. Nous sommes en 1926. Il a le cheveu rare mais bien peigné, une moustache blonde et mince comme un trait dédaigneux sur une bouche pincée. Double menton, col cassé, habit noir, l'air d'un bourgeois avantageux et bien pensant.
La seule chose qui détonne, dans cette silhouette stricte, impeccable, c'est le teint : presque rouge. Un teint de coléreux, à la limite de l'apoplexie. Un teint qui fait désordre. Tout ce qui est bien rangé chez cet homme, du binocle à la pochette de soie, de l'épingle de cravate aux manchettes, semble prêt à exploser à chaque minute, à cause de ce teint-là.
M. Dichamp, propriétaire de l'immeuble sis au 82 rue Rochechouart à Paris, connaît relativement peu ce locataire. Joseph Émile Piton est parisien depuis 1925. Depuis 1925 il habite avec sa famille un petit appartement meublé, dont il paye scrupuleusement le loyer, le premier de chaque mois. Selon son habitude, il remet à M. Dichamp, une enveloppe contenant 430 F, et attend le reçu, qu'il vérifie soigneusement avant de saluer. Mais la conversation s'arrête là. En fait, c'est la première fois que les deux hommes ont un entretien. M. Dichamp est disposé, en effet, à louer cet appartement.
« Puis-je visiter les lieux, je vous prie ? »
L'appartement est vide, non seulement d'occupants, mais de meubles. Et c'est cela qui intéresse Piton. Car, depuis cinq ans, son mobilier personnel est en garde-meuble. Contraint d'occuper à son arrivée à Paris une location meublée, il n'est pas satisfait de cet état de choses.
« L'appartement me convient.
— Je dois vous prévenir que je loue cet appartement meublé.
— Meublé ? Mais il est vide.
— Si je consens à vous céder cette location, cher monsieur, c'est à la condition que vous l'acceptiez meublé. »
Joseph Émile Piton devient rouge. Mais le propriétaire est inébranlable. Son raisonnement est simple. Il ne court pas après les locataires. C'est la crise, comme on dit, il y a surenchère. Si Piton veut passer du rez-de-chaussée au quatrième étage, il y passera avec les meubles du rez-de-chaussée ! C'est ainsi qu'un appartement vide peut se louer meublé.
« D'ailleurs, ajoute le propriétaire, je loue l'appartement mais je vends les meubles. C'est à prendre ou à laisser.
— Vous n'avez pas le droit !
— Mais, cher monsieur, je ne vous oblige pas à accepter !
— Ah, ben oui! Évidemment! C'est facile... quand on est propriétaire on a tous les droits ! C'est odieux, c'est de l'escroquerie pure et simple ! On profite du besoin des autres, sans vergogne ! »
Joseph Émile Piton n'est plus rouge, il est violet.
« Mais monsieur, si je reste locataire de mon rez-de-chaussée meublé avec les meubles que vous voulez me vendre, vous serez bien obligé de louer celui-là vide ! A quelqu'un d'autre !
— C'est possible, mais je ne suis pas pressé, et d'ailleurs, vide, je le louerai plus cher, si ça se trouve ! J'ai des propositions. Je n'ai qu'à choisir. Finalement, si je vous donne la priorité c'est que vous êtes déjà mon locataire ! Je n'y suis pas obligé. »
Joseph Émile Piton, bien que tenté d'étrangler son propriétaire, préfère sortir. Il lui faut de l'air ! Mais il lui faut aussi cet appartement. Trois enfants et· une femme dans un rez-de-chaussée minuscule, ça ne peut plus durer. Ce désordre permanent, les récriminations, la promiscuité sont insupportables. Tout est insupportable. Y compris l'existence de Joseph Émile Piton. La terre entière est contre lui. En réalité, il a tout raté. Une entreprise d'import-export à Lyon, un premier mariage, une installation en Indochine, et ses deux dernières situations. Il ne le sait pas, il ne le comprend pas, mais il a énervé tout le monde. Avec sa manie de justice et d'intégrité, l'orgueil de ses opinions, l'intransigeance de ses idées, il n'a pas cessé, depuis qu'il est né, de se heurter le front contre des murs de difficultés.
Un exemple? qui ressemble étrangement à sa situation présente, d'ailleurs. En rentrant d'Indochine, il achète des meubles d'occasion vendus 2 400 F. Il fait un chèque de 2 400 F au vendeur, puis fait opposition sur ce chèque. Et il en fait un autre, de six cent quatre-vingt-dix-huit francs, zéro centime...
« Ça ne valait pas plus ! J'ai fait moi-même l'estimation ! »
Au tribunal, le juge est d'un autre avis :
« Monsieur Piton, de deux choses l'une, ou il ne fallait pas accepter, ou il fallait faire expertiser le lot. Il y a des gens compétents pour cela !
— Je suis compétent pour estimer la valeur d'une table façon citronnier, de quatre chaises et d'un buffet ! Et je n'ai pas à perdre mon temps avec des escrocs ! Il y a les gens honnêtes, comme moi, et les autres... »
Voilà. Quelqu'un d'autre que Joseph Émile Piton n'aurait pas acheté les meubles, et on en parlait plus. Lui si ! On veut le voler ? On va comprendre. Piton ne discute pas avec les « escrocs ». Piton démontre. On a sa fierté. Et il y a des choses « qu'on ne peut pas laisser passer ». « Il faut que quelqu'un mette le holà, autrement où irions-nous ? »
En tout cas, ce qui vient de se passer rue Rochechouart entre M. Dichamp, propriétaire abusif, et son locataire susceptible ira très loin. Non pas, cependant, que l'un va étrangler l'autre, ou l'autre étrangler l'un. Bien qu'il en meure d'envie, en ce qui le concerne, Joseph Émile Piton est un homme consciencieux qui aime faire les choses dans les règles. Étrangler M. Dichamp serait prématuré.
Nous allons voir comment un petit dossier comme celui-là, une broutille, un misérable « litige entre particuliers » peut devenir un dossier extraordinaire, pour peu que l'on ait affaire à un redresseur de torts.
Fidèle à ses principes, Joseph Émile Piton ne refuse pas de conclure l'affaire. Il estime être dans son bon droit. Il a besoin de cet appartement, cet appartement est vide, donc il a droit à cet appartement ! Vide, bien sûr.
Ici, nous sommes tenus de présenter deux dialogues, représentant deux versions différentes. Celle de Joseph Émile Piton en premier, honnêteté oblige :
« Monsieur Dichamp j'accepte votre marché. Mais je ne peux payer comptant.
— Parfait, cher monsieur, vous me devrez donc 30 000 F, nous allons signer un contrat de location-vente avec douze pour cent d'intérêts pour le crédit que je vous consens. Vous signez là. »
Piton signe. Le propriétaire ne lui donne pas le double du contrat, dont il conserve l'unique exemplaire.
Autre version, celle de M. Dichamp :
« Je consens à vous offrir une location-vente pour la somme de 12 000 F, et dix pour cent d'intérêts pour le crédit. »
Piton signe. Un seul détail commun aux deux versions : le propriétaire ne lui remet pas le double du contrat.
Le lendemain, 4 janvier 1927, Joseph Émile Piton, de sa plus belle plume, adresse une lettre circonstanciée au procureur de la République :
J'ai l'honneur de déposer une plainte entre vos mains contre M. Dichamp, Propriétaire (propriétaire avec une majuscute) 82 rue Rochechouart, Paris 9e, pour infraction à l'article 17 de la loi sur les loyers du 31-3-1922, confirmée par l'article 13 de la loi du 1-4-1926 ayant le même objet. Veuillez agréer, monsieur le procureur, l'assurance de ma très haute considération.
La bagarre va durer près de trois ans, et se dérouler en plusieurs actes jusqu'au drame final, le 16 septembre 1929... en plein Palais de justice.
Premier acte. M. Brack, juge d'instruction, instruit le dossier Piton contre Dichamp et nomme un expert, chargé d'examiner l'unique exemplaire du contrat. Il y est mentionné la somme de 12 000 F. Piton dit :
« C'est un faux ! Dichamp a falsifié la somme, il y avait 30 000 F quand j'ai signé ! »
Et il dépose une nouvelle plainte pour faux et usage de faux. Le juge demande donc à l'expert d'examiner le faux en question. D'après l'expert la somme a été grattée, ou plus exactement lavée... On distingue nettement la trace d'un 3, remplacé par le chiffre 1.
Bien entendu Dichamp nie. Pour tenter d'arranger ce petit contentieux le juge essaie de raisonner Piton :
« Qu'il y ait faux, c'est possible, mais vous étiez d'accord pour 12 000 F ! Pourquoi voulez-vous prouver à tout prix que ce contrat est de 30 000 F ? Vous n'avez aucun intérêt à cela ! Sinon de vouloir absolument payer 30 000 F !
— C'est une question de justice morale, monsieur le juge ! Je maintiens ma plainte ! »
Mais comme Dichamp nie toujours, il faut une contre-expertise. Le contre-expert, ce sera M. Bayle. Or, M. Bayle n'est pas n'importe qui. C'est le directeur de l'identité judiciaire, le chef des laboratoires de la police. Une autorité incontestée en matière de microscopes. Toutes les expertises délicates, celles des plus grandes affaires criminelles de son temps, sont sorties de son laboratoire. C'est l'Expert avec un E majuscule. Et il dit : « Rien ne prouve la falsification. »
C'est le problème avec les experts. On dirait qu'ils sont nés pour ne pas être d'accord entre eux ; jamais et à aucun prix. Dans ces cas-là c'est toujours le plus connu qui gagne. Le plus célèbre, le plus inattaquable. Et Bayle est directeur de l'identité. On ne met pas sa parole en doute.
Non-lieu. Joseph Émile Piton, le plaideur est sommé de payer les 12 000 F et prié de rentrer chez lui. C'est trop lui demander. Non seulement il va vivre sous le même toit qu'un faussaire, mais la justice est d'accord ! A qui se plaindre maintenant ? Vers qui se retourner ? Il n'y a rien au-dessus de la justice !
Piton est seul. Tout seul, désespérément seul. Ce conformiste intransigeant, ce prince du « ça ne se fait pas » est condamné à vivre dans le désordre de ses principes sans pouvoir les faire triompher. Il en est malade. Son idée fixe l'empêche de dormir, de manger, de vivre. Pendant des mois il tourne en rond dans sa cage. A tel point qu'il en perd son emploi et fait fuir sa femme, excédée des litanies qu'il débite à longueur de journées.
« La justice est pourrie ! Voilà maintenant que c'est moi le coupable, c'est moi l'honnête homme que l'on méprise ! Moi qui suis bafoué ! La société court à sa perte ! S'il y avait plus d'hommes comme moi, les voleurs dormiraient moins tranquilles, etc. »
Bien entendu il ne perd pas espoir. Le tribunal reçoit de lui des kilomètres de lettres. D'une petite écriture serrée, méticuleuse, au style ampoulé, bourré d'expressions toutes faites, Joseph Émile Piton y expose la « vérité sur son affaire ». On lui répond toujours la même chose. Ce qui est jugé est jugé. Il n'y a pas à revenir là-dessus. Pour le procureur c'est : « Je n'ai pas à revenir sur la décision du tribunal civil, souverain en la matière. » Pour le ministre c'est : « Je transmets votre lettre au service compétent. » Pour la présidence c'est : « Je transmets votre lettre au service de monsieur le ministre. »
Alors Joseph Émile Piton, seul et abandonné de tous, se met à suivre un homme. Pendant des mois, il rase les murs derrière lui, le regarde rentrer chez lui, sortir de chez lui. Il guette ses allées et venues, surveille ses déplacements.
Planté sur le trottoir pendant des heures, il l'observe assis à son bureau, parlant, riant, discutant, faisant son métier. Sous la fenêtre de son appartement, il écoute sa vie privée. Comme s'il voulait tout savoir de cet homme, les moindres détails. Comme s'il avait besoin de s'imprégner de son existence, pour mieux le supprimer.
Une telle préméditation est rare. Elle dure presque deux ans. Dix fois, le « justicier Piton » a la vie de cet homme à portée de sa main : sur le trottoir, au restaurant, devant sa porte. Dix fois il ne fait rien. Ce n'est pas de l'hésitation, mais plutôt une façon de savourer son pouvoir. Ayant décidé de le tuer, il ne veut pas pour autant se contenter d'une exécution discrète. Au fond, il se sent une âme de révolutionnaire, convaincu de la nécessité de supprimer l'oppresseur. C'est pourquoi il lui faut donner à son geste une certaine emphase, et un certain décorum. Pas question d'assassiner cet homme en douce ou de le faire tomber dans un piège. Pas question de l'empoisonner, ou de le poignarder la nuit sans témoin : où serait l'exemple, et comment s'imposerait la justice? Ce qu'il faut, c'est une exécution publique.
Le 16 septembre 1929, M. Bayle directeur de l'identité judiciaire, homme éminent et respectable, sort de chez lui. Le front haut, le binocle d'or, l'air hautain et souriant, il dit au revoir à sa femme et à ses trois enfants. Les vacances judiciaires sont terminées. L'expert en chef reprend son service.
Voici la lettre de Joseph Émile Piton, expliquant le crime qu'il va commettre :
Cet expert se moquait des juges. J'en avais la conviction, et la confiance illimitée qui lui était dévolue m'effrayait, quand je songeais aux conséquences que cet état de choses pouvait avoir envers mes semblables, plaideurs malheureux par sa faute, ou envers ceux qui auraient pu être victimes de son absence de scrupules. Il me restait une ressource : déposer une plainte contre cet expert pour faux témoignage et complicité de faux. J'étais certain que cette plainte m'aurait mené tout droit au cabanon, où j'aurais pu finir mes jours. L'appréciation de monsieur le juge m'a confirmé pleinement dans cette idée. Entre lui et moi, il n'y avait donc plus à hésiter. Et le dimanche 15 septembre, j'étais heureusement angoissé, quand je vis aux fenêtres ouvertes de son appartement qu'il était rentré.
Le lendemain le drame s'accomplirait. Quand je vis ma victime je n'eus pas la force de bouger, puis tout à coup une force irrésistible s'empara de moi quand je me trouvai tout près de lui et je tirai. Châtiment de l'honneur et du devoir méconnu. Jamais personne ne pourra savoir le bien-être moral et physique que j'éprouvai alors. Après une telle lutte dont la description n'est qu'un pâle tableau, aucune phrase ne pourrait donner l'étendue du bonheur de la libération. Depuis, dans le calme, ma conscience ne m'a jamais rien reproché. Elle est heureusement calmée, mais il est triste d'être obligé d'en arriver là!
En arriver là, c'est attendre que M. Bayle descende de voiture devant le Palais de Justice, salue ses confrères, et monte les premières marches du grand escalier. De trois balles de revolver, le « justicier Piton » soulage sa conscience, comme au théâtre, sur les lieux mêmes où le « traître » a commis son forfait.
Devant les assises de la Seine, pendant trois jours, en janvier 1930, Joseph Émile Piton défend son point de vue. Me Jean Charles Legrand le soutient, mais c'est lui qui pérore. Il s'intitule champion de l'honnêteté, et il a écrit une longue déclaration qu'il récite, la main sur le cœur, rouge, à la limite de l'apoplexie, étouffé par son « bon droit ». Il énerve tout le monde. Les experts (encore eux), aliénistes ceux-là, ont des conclusions qui le font sauter de rage :
« En dépit d'un orgueil exacerbé qui fait de lui un paranoïaque, cet homme est responsable de ses actes, bien qu'ayant un jugement faux. »
A un juré qui s'inquiète de savoir si l'on peut avoir un jugement faux, et être sain d'esprit, les experts répondent :
« C'est possible et c'est le cas. »
Bien entendu on remonte à la jeunesse de Joseph Émile, et l'impression qu'on en recueille est celle d'un enfant sans défaut, sauf celui de se vouloir dénonciateur de torts...
Quant à l'accusé, il tient d'abord à déclarer qu'il n'a subi cet examen mental que par déférence envers le magistrat instructeur qui l'a ordonné, et il s'acharne à remettre la justice sur le vrai problème : Son contrat de location-vente était falsifié ! Non seulement M. Bayle ne l'a pas reconnu, mais il a détruit par ses expertises toute possibilité de le prouver !
Or, cela justement, c'est exact. Curieusement, les moyens chimiques employés par M. Bayle ont « mangé le papier ». Ils ont même fait plus que « manger ». L'endroit où est inscrit la somme est déchiré. Et, curieusement aussi, le premier expert, M. Vigneron, celui qui affirmait que l'acte était falsifié, n'est plus expert... Lorsqu'il paraît à la barre, il explique :
« J'ai été convoqué par le président du tribunal civil, qui avait trouvé étrange que j'aie communiqué mes conclusions à la partie civile (Piton) avant le procès. J'ai dû donner ma démission. »
Tout cela n'est pas clair. Mais les jurés ne sont pas là pour ça. Ils sont là pour condamner Piton aux travaux forcés, en lui accordant quelques circonstances atténuantes.
M. Dichamp lui, n'est là qu'en témoin, en propriétaire honnête injustement mêlé à ce crime odieux. Lui n'a rien fait de mal. Il n'est pas responsable. Pensez donc, il a eu « la désagréable surprise de se voir menacé de plainte pour spéculation illicite ! »
« Piton ne voulait payer que 2 000 F la table, les chaises et le buffet ! Je lui ai envoyé un huissier, c'était mon droit ! »
Pauvre Joseph Émile Piton, redresseur de torts, « paranoïaque responsable ! »
Un journaliste le rencontre à Cayenne des années plus tard. C'est le pot de terre matricule 50 835, qui s'obstine à chercher le pot de fer...
« Monsieur le surveillant, c'est untel qui s'est emparé de la ration d'untel, tel matricule... au mépris du réglement ! Je suis contraint de vous le signaler... »
Le reporter au bagne trouve Émile énervant...