VINGT HEURES D'AGONIE

Un après-midi de mars 1961, une ambulance conduit à l'hôpital d'une ville de France une jeune fille de vingt et un ans. Nous l'appellerons Odile. De même, nous désignerons seulement par leurs prénoms les protagonistes de cette affaire, dont beaucoup sont vivants. Ils ont purgé leur peine et ont droit à la discrétion.

Dans cette affaire, réellement étonnante, il existe deux versions des faits. L'une des deux a finalement été retenue. Nous avons choisi de les raconter toutes les deux.

On sera peut-être surpris par le choix du juge d'instruction... Quoi qu'il en soit, les deux versions aboutissent à l'entrée à l'hôpital de cette Odile de vingt et un ans que l'on amène agonisante, un jour de mars 1961.



Voici la première version des faits : celle qui sera établie par la police.

Daniel a réussi. Trapu, replet, très maître de lui, petit comptable dans une importante maison de textiles à vingt-six ans, secrétaire général à trente ans, il est actionnaire et grand ami du patron à trente-quatre ans. Il y a trois ans, Daniel et sa femme Louise, ont pu, avec leurs deux enfants, quitter leur triste et sombre appartement de la ville, pour s'installer dans une villa que Daniel a fait construire dans une banlieue résidentielle.

Hélas Louise ne suit pas : cheveux châtain clair et bouclés, joues rondes et roses, avec deux incisives qui s'avancent légèrement quand elle sourit et lui donnent un air enfantin, la femme de Daniel reste une petite employée. Elle a aussi travaillé dans le textile, comme sa soeur Marie, comme son frère Raymond, comme presque tous les protagonistes du drame. Mais elle n'est pas capable de s'élever comme son mari. (C'est, rappelons-le, une version de l'affaire et non une opinion que nous nous serions faite à l'étude du dossier.)

Sans beaucoup de discernement, Louise a acheté de beaux meubles bien luisants dans un grand magasin de Lille. Elle a accroché partout, sur le beau papier tout neuf, les photos de son mariage, les photos des enfants. Et puis une sorte de fatigue et de découragement l'a saisie et la jolie maison a été peu à peu envahie par le même désordre qui régnait jadis dans le sombre appartement, les magazines du cœur, les jouets des enfants, les bibelots tarabiscotés traînant au hasard sur les meubles. Fatiguée, déprimée, dépassée par la réussite de son mari, des relations qu'il a et qui ne sont pas de son « monde », elle va voir un médecin qui lui donne des calmants, puis des stimulants, puis des somnifères. Mais il ne peut pas lui rendre la seule chose qui pourrait la guérir: le Daniel des anciens jours, à son niveau à elle, avec sa conversation banale et rassurante, les sorties au cinéma, les repas de famille où elle se sentait à l'aise.

Passons au troisième personnage: Odile. Odile appartient à une famille aisée. Rêveuse, rieuse, fraîche et modeste, elle a été « Jeannette », puis cheftaine de guides avant de se faire introduire par son père dans l'importante entreprise de textiles que dirige Daniel et dont elle devient la secrétaire. Le soir même, Daniel parle avec amusement à sa femme, de la timide débutante.

« Est-elle jolie ? demande Louise.

— Elle est mignonne, comme on l'est à dix-neuf ans, dit Daniel, elle porte des lunettes et elle rougit quand je lui parle. »

Louise va ruminer un mois ce « elle est mignonne ». Elle se met à surveiller Daniel. Elle est frappée d'un mal atroce : la jalousie. Au bout d'un mois, Louise a son instant de triomphe. Daniel lui dit :

« Je ne vais pas pouvoir garder Odile. Elle ne connaît rien au travail. »

Odile, en effet, n'est pas une très bonne secrétaire. C'est son premier emploi, l'autorité et la rapidité de Daniel la terrifient. Elle pleure chez elle. Son père la rassure et va lui-même revoir Daniel pour lui demander d'être patient. Mais Odile reste triste, son échec professionnel la déprime. Un jour, elle fait téléphoner qu'elle est souffrante. Le lendemain, elle revient au bureau les yeux rouges.

« Qu'est-ce que vous avez ? » demande Daniel.

Odile fond en larmes :

« Je ne suis bonne à rien. »

Daniel, touché par ce chagrin, parle paternellement à la jeune fille.

« A votre âge, il faut être gaie, s'amuser, aller au bal, se distraire, ne pas avoir de pensées si tristes. »

A partir de ce jour-là, le travail d'Odile s'améliore. Elle n'est plus terrorisée, son patron se préoccupe de sa vie personnelle, bavarde avec elle. Odile sourit, raconte ses rêves, ses lectures, sa vie familiale...

Dans cette version des faits, il est dit que : « Daniel compare cette âme claire, cet esprit neuf et confiant à l'enfer qui l'attend tous les soirs chez lui. » Car, bien entendu, Louise va de mal en pis. Sa jalousie est maintenant devenue féroce et elle fait devant les enfants des scènes effroyables à Daniel.

Enfin, Daniel se rend compte qu'il aime Odile. Mais c'est une jeune fille. Quant à lui, il a deux enfants et sa femme n'a pas mérité cela. Un soir, il a une longue explication avec Louise. Il lui demande de l'aider à résister, lui dit que tout dépend d'elle. Si elle se calme, rend la maison habitable, cesse de le rendre fou avec ses scènes perpétuelles, il s'arrangera pour n'avoir avec Odile que de stricts rapports de travail. Louise a l'air de comprendre, elle est sincère...

Ce « climat » de l'affaire sera donné, bien entendu, par Daniel, après le drame... Toujours selon lui, pendant trois mois, il tient sa promesse. Il a expliqué à Odile ce qui s'est passé. Odile lui avoue qu'elle aussi ressent « un sentiment tendre », mais qu'elle est prête à se sacrifier pour le bonheur des enfants de Daniel.

C'est Louise qui rompt le pacte. Elle redevient sombre, puis, un soir, éclate en reproches et en pleurs. Le drame est imminent. Daniel « n'en peut plus ». Si Odile n'était pas une jeune fille, il aurait avec elle une liaison, un petit bonheur volé, comme font beaucoup d'autres, mais il ne veut pas l'exposer à un « pareil déshonneur ». De plus, il connaît ses parents. Il l'aime « comme il n'a jamais aimé ». Elle ne demande toujours rien. Mais c'est trop dur. Alors, Daniel demande à Louise si elle accepte de divorcer. Un nouvel enfer s'installe à la maison.

Louise hurle, pleure. Et puis un soir, enfin, elle reçoit Daniel avec un sourire et lui dit :

« J'accepte ! »

Pour Daniel, c'est le jour le plus heureux depuis longtemps.

Le lendemain, Louise téléphone à Odile. Ce n'est pas la première fois mais ce sera la dernière. Elles se donnent rendez-vous à 14 h 30 sur la Grand-Place. Odile porte un petit imperméable bleu pâle. Louise l'invite à venir chez elle boire un café : « Le dernier café. » Louise explique, en effet, que la veille, elle a consenti à accorder le divorce à son mari. Mais, dans cette version retenue par la police, c'est aussi le « dernier café » parce qu'elle y verse... un poison (soit un taupicide, soit un liquide ou une poudre contre les mauvaises herbes, un produit que l'on trouve dans toutes les maisons possédant un jardin).

Louise ne veut pas tuer Odile sur le coup et à son propre domicile. Elle veut faire croire à un suicide.

La jeune fille, gênée, apitoyée sans doute par le sort de celle dont elle va maintenant prendre la place, boit le café et ressent presque aussitôt un malaise.

C'est ce qu'attendait Louise.

« Tenez, je vais vous donner un médicament très bon pour l'estomac. »

Ce médicament est du Sonéryl, le somnifère avec lequel Louise a essayé trois fois de se suicider. Odile elle-même en a pris deux ou trois fois pour dormir, mais elle veut croire également que c'est un calmant qui apaisera les douleurs qu'elle ressent. C'est donc avec un sourire reconnaissant qu'elle boit ce que lui tend Louise.

Là, les choses ne marchent pas comme Louise les a imaginées.

Elle espérait, pour les avoir essayées sur elle-même, que les petites pilules roses ne feraient pas immédiatement leur effet. Elle pensait qu'Odile prendrait congé, quitterait la maison et irait s'endormir, puis mourir ailleurs, dans la rue ou chez elle... L'atmosphère pénible des scènes à trois, qui durent depuis des mois, expliquerait facilement que la jeune fille se soit suicidée. Mais Louise a oublié qu'elle a trente-cinq ans, qu'elle prend d'innombrables médicaments tandis que la jeune fille, en parfaite santé, à vingt et un ans, n'y est pas accoutumée. L'effet du somnifère sur ce jeune organisme est plus rapide que prévu et Louise, en quelques instants, voit Odile s'endormir pesamment en face d'elle.

C'est le début de l'après-midi. Les deux enfants de Louise jouent dans le jardin, et peuvent faire irruption dans la pièce d'un moment à l'autre. Frêle et amaigrie comme elle l'est, Louise a quand même la force de traîner Odile endormie dans le sous-sol de la villa. Elle la tasse dans un coin obscur de la cave et remonte s'occuper de sa maison, de ses enfants, du repas du soir.

Ce que va être cette journée et la nuit qui suit, on le devine aisément. Partagée entre la terreur d'entendre un gémissement ou de voir apparaître la jeune fille, comme un fantôme, vêtue de son imperméable bleu, elle a l'affreux courage de parler à sa famille, d'écouter la radio, de jouer avec les enfants, de dîner normalement.

Son mari, inquiet d'ailleurs, lui raconte qu'Odile n'est pas venue au bureau ce jour-là, que sa famille la recherche, que lui-même a déjà battu la ville. A 11 heures du soir, appel téléphonique des parents d'Odile affolés, qui cherchent leur fille. Elle n'habite plus chez eux et a loué une chambre en ville, mais ils devraient avoir de ses nouvelles.

Selon les parents d'Odile, l'entretien téléphonique est dramatique :

« Votre femme, disentils à Daniel, doit savoir où elle est. Elle la voyait, lui téléphonait sans arrêt à votre insu. »

Daniel se retourne vers sa femme. Le père d'Odile, à l'autre bout du fil, l'entend dire :

« Tu sais quelque chose ?

— Non, répond Louise.

— Les parents d'Odile ont alerté la police, tu seras forcée de parler. Alors, si tu sais quelque chose, dis-le maintenant. Demain, il sera peut-être trop tard. »

Comme Louise nie toujours, Daniel part, dans la nuit, vérifier une fois encore si Odile n'est pas rentrée dans sa chambre.

Avec un affreux espoir, Louise se précipite à la cave ! Mais la jeune fille, à l'endroit même où elle l'a laissée, respire encore, dans un sommeil profond qui est en réalité un coma.

Daniel revient et les époux se couchent. Au-dessous d'eux, Odile agonise toujours.

Le lendemain matin, à peine Daniel est-il parti que Louise redescend à la cave. Odile semble toujours dormir. Alors Louise téléphone à son frère, Raymond, chef de service dans une usine de textiles, et lui demande de venir.

« Je viendrai en sortant de mon travail », dit-il.

Presque deux heures à attendre. Cette fois, c'en est trop pour les nerfs de Louise. Elle prend la 2 CV et se rend à l'usine, où sa soeur Marie, elle aussi, travaille dans les textiles. Louise demande sa sœur d'urgence. Marie qui a quarante-deux ans et n'est pas mariée, quitte son travail, inquiète, pensant à un accident. Louise lui avoue tout, et lui demande quoi faire !

Bientôt, dans la cave, devant la jeune fille toujours endormie dans son imperméable bleu pâle, les deux femmes se concertent en chuchotant.

« Il faut la sortir d'ici », dit Louise.

Et les deux femmes déposent Odile sur le plancher de la 2 CV à l'intérieur du garage.

« Allons chez moi, dit Marie, après on verra. »

Et la 2 CV, en plein midi, traverse la ville, passant tout près de la maison où les parents d'Odile sont dans l'angoisse.

Là, les deux femmes traînent l'agonisante dans une remise abandonnée, puis vont quelques rues plus loin tenir un « conseil de famille » avec le frère qui a fini son travail entre-temps. Vient alors — toujours selon cette version — un terrifiant repas de famille, les deux soeurs et le frère tâchant de faire bonne figure devant les enfants.

Dès qu'ils sont seuls, Raymond décide.

« Il faut la ramener chez toi, dit-il à Louise, il peut paraître logique, à la rigueur, qu'elle vienne se suicider sous les fenêtres de Daniel, mais pas au fond du garage de ta sœur qu'elle ne connaît même pas ! »

Et les deux femmes repartent en voiture pour ramener Odile à la villa de Louise. Là, toujours sur les conseils de Raymond, elles appellent un médecin qui fait transporter la jeune fille à l'hôpital. Louise, qui l'accompagne, déclare :

« C'est une amie qui s'est évanouie chez moi, elle a dû prendre un toxique.

— Savez-vous lequel?

— Non. »

Telle est donc la première version, celle établie par la police. Voici maintenant la deuxième version de cette extraordinaire histoire: celle de l'inculpée.

Il est vrai que ce n'est pas le coup de foudre entre Daniel et sa secrétaire Odile, mais plutôt une lente amitié née des confidences, du plaisir toujours plus grand pour le patron d'être admiré, écouté, et bientôt plaint par la jeune fille, car, bien sûr, d'après cette version, il se déclare incompris par sa femme.

Puis l'amitié devient de l'amour.

Il est vrai que Louise ne suit pas l'ascencion sociale de son mari, qu'elle ne se sent plus à la hauteur des nouvelles « relations d'affaires », de la jolie villa et des deux voitures dans le garage. Elle devient nerveuse, prend des médicaments, fait des cures, épie son mari et finit par découvrir que, non seulement il a cette Odile en tête, mais qu'il a une liaison avec elle.

Odile a quitté ses parents pour aller s'installer dans une pension tenue par des religieuses, mais elle a aussi loué une chambre en ville. Depuis sa majorité, il y a trois mois, elle y habite en attendant son mariage, car Daniel veut l'épouser ?

Daniel, qui vient d'offrir à Louise une croisière seule aux Canaries pour l'aider à guérir de ses maladies nerveuses, lui demande dès son retour de divorcer.

Il est donc vrai qu'une sorte d'enfer privé s'installe alors entre ces trois êtres. Il est donc vrai que Louise téléphone à Odile et la rencontre fréquemment à l'insu de Daniel. Il est vrai qu'elle pleure, fait des scènes à son mari et même, par trois fois, tente de se suicider avec des somnifères. Jusqu'ici, les deux versions concordent à peu de choses près.

Et puis, un matin, Daniel annonce à Odile : « Ça y est. Elle a accepté de divorcer. » Ce jour-là, Odile déjeune à l'Oasis, la pension tenue par les religieuses, avec son amie Roselyne. Elle est pleine de rires et de projets.

Il est vrai enfin, que le lendemain matin, jeudi à 14 h 30, Louise et Odile se rencontrent sur la Grand-Place. Laquelle des deux avait donné rendez-vous à l'autre ? On l'ignore. Mais les deux femmes se rendent ensemble chez Louise. Là, et c'est la différence essentielle entre les deux versions, elles s'expliquent. Sur les termes du dialogue qu'échangent les deux femmes, on n'a que les déclarations de Louise, qui varient au cours de l'instruction, mais aboutissent toujours aux mêmes résultats.

Dans la première déclaration, voici quel serait le dialogue :

« Vous divorcez enfin ! dit Odile.

— Non, je me suicide ! dit Louise.

— C'est du chantage ? dit Odile.

— Il faut bien que l'une de nous deux disparaisse. J'ai déjà montré du courage, dit Louise.

— J'en aurais aussi, dit Odile, mais je n'en ai pas les moyens. »

A ce moment-là, Louise tend à la jeune fille un tube de Sonéryl, une bouteille d'eau minérale et la pousse dehors.

Dans une deuxième déclaration, voici le dialogue :

« Vous divorcez enfin ! dit Odile.

— Plutôt mourir que divorcer ! dit Louise.

— Si quelqu'un doit mourir, c'est moi », dit Odile.

Louise, à ce moment, lui tend un tube de Sonéryl et la quitte pour s'occuper des enfants. A son retour, Odile a disparu.

Troisième dialogue :

« Vous divorcez enfin ! dit Odile.

— Je pourrais me suicider une fois de plus, dit Louise, et cette fois je ne me raterais pas. »

Odile rit et dit :

« Vous n'avez plus rien pour le faire. »

Alors Louise va chercher des cachets de Sonéryl pour prouver qu'elle a encore de quoi se suicider, les pose sur la table et dit :

« Allez-vous-en ! »

Comme Odile ne veut pas s'en aller, Louise poursuit :

« Bon, comme vous voudrez... J'ai des courses à faire, je m'en vais. Dites-vous bien que je ne divorcerai jamais. Au revoir, vous fermerez la porte derrière vous. »

Puis Louise part. A 18 heures, lorsqu'elle revient, Odile n'est plus là.

Ainsi, dans cette deuxième version, qui est celle de Louise, quel que soit le dialogue échangé, Odile s'est suicidée. Un suicide plus ou moins suggéré par Louise, mais pas un assassinat. Et ce n'est que quelques heures après son retour qu'elle retrouve Odile, qu'elle croyait endormie, sur les marches qui mènent du jardin dans la cave.

« Évidemment, jamais je n'aurais pu penser qu'elle allait se suicider chez moi, dans ma cave », dit Louise.

Ici, fin de la seconde version qui rejoint la première : Louise fait appel à son frère et à sa sœur qui font passer l'esprit de clan avant tout. La malheureuse Odile, toujours pas morte, est transportée de voiture en garage, de garage en remise, de remise en cave, et finit à l'hôpital. Là encore, une chose est sûre : lorsque les médecins lui demandent ce que la malheureuse a absorbé, elle répond qu'elle n'en sait rien.

A ce moment, si Louise révèlait au médecin que la jeune fille a avalé un somnifère, si elle en donnait le nom, celle-ci pourrait être sauvée. Ce n'est pas le cas. Odile expire huit heures après son arrivée à l'hôpital.

Donc, dans les deux cas, hélas, la jeune fille meurt. Mais dans un des cas, c'est un assassinat, dans l'autre, Louise est seulement coupable de « non-assistance à personne en danger ».

Quelle version va retenir le juge d'instruction ?

Mais voyons d'abord ce que devient Daniel. Celui-ci, le masque décontracté au point que l'on peut se demander s'il a sur lui-même une emprise extraordinaire ou, au contraire, une indifférence née d'un trop grand chagrin, reçoit la presse en attendant la visite du Parquet.

« C'est moi le plus atteint, déclare-t-il, il ne me reste que mes enfants et c'est pour eux que je vais défendre ma femme. »

Dans la petite chambre d'Odile, dont la porte est fermée par des scellés, un tigre en peluche, son ami et confident, monte la garde près d'un dernier livre ouvert : La Peste de Camus. Romanesque, Odile avait écrit un jour dans son journal intime : « Si je meurs jeune, j'aimerais qu'on joue Albinoni et Hændel. »

Son professeur de musique transcrit Albinoni pour pouvoir accomplir ce souhait.

Mais Daniel, qui a veillé Odile toute la nuit, n'est pas à l'enterrement. Car les parents d'Odile n'ont plus rien à voir avec Daniel. Le roman d'amour est devenu un dossier de police. C'est en effet la deuxième version, celle du suicide, qui a été retenue par le juge d'instruction, les experts n'ayant pu prouver l'existence d'un poison autre que le somnifère dans le corps de la victime.

Voici les principales questions que l'on pose à Louise, qui comparaît vêtue d'un manteau de lainage beige et dont le regard ne se dérobe pas :

« Pourquoi Odile est-elle descendue dans la cave ?

— Je ne sais pas, je n'étais pas là. Odile pensait peut-être attendre le retour de mon mari au sous-sol, car il y a installé une sorte de bureau, puis elle a voulu se cacher, en entendant ma 2 CV et les enfants.

— Pourquoi, en découvrant Odile, n'avez-vous pas appelé tout de suite le médecin et prévenu votre mari?

— J'ai cru qu'elle dormait. Moi-même, j'ai souvent pris des somnifères.

— Pourquoi n'avez-vous pas dit le nom du somnifère à l'hôpital?

— Je craignais, si je l'indiquais, qu'on ne dise que c'était moi qui l'avait donné. »

Indépendamment de ces réponses révoltantes, Louise en fera d'autres qui éclairent sur sa mentalité. Quand on lui demande pourquoi elle n'a pas raconté la visite d'Odile à son mari le jeudi soir, alors qu'il était si inquiet, elle répond qu'elle n'avait pas envie de parler. Quand on lui demande ce qu'elle pense d'Odile, elle répond « que c'était une illuminée... la preuve, c'est qu'elle aimait la grande musique! »

Malgré les affirmations des parents qui assurent que leur fille, croyante, n'aurait jamais songé à se suicider, malgré beaucoup d'invraisemblances, Louise sort du tribunal correctionnel avec deux ans d'emprisonnement pour avoir « laissé mourir sa rivale sans la secourir ». Elle n'est d'ailleurs pas conduite directement en prison, le président n'ayant pas ordonné son arrestation à l'audience. Sa sœur Marie, accusée de complicité, est condamnée à un an avec sursis et le frère acquitté.

Louise sortira de prison au bout de neuf mois. Elle ira habiter chez sa sœur. Car Daniel, qui n'était d'ailleurs pas au procès, a demandé le divorce.

Au fait, lorsqu'on étudie ce dossier, plus de dix ans après, on se prend à se demander si le véritable moteur de ce drame n'a pas été l'égoïsme tranquille de cet homme. Mais il n'y a pas encore et il n'y aura sans doute jamais de loi pour punir l'égoïsme.

Quant aux neuf mois de prison (effectifs) récoltés par Louise pour avoir laissé une jeune fille agoniser pendant vingt heures, nous laissons le lecteur libre d'en penser ce qu'il veut.

Les dossiers extraordinaires T2
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