23
Le vaisseau se pose en douceur sur la piste d’atterrissage de Périclès V.
« Tu es sûr que tu ne veux pas que je t’accompagne ? » demande Vendredi en se levant et en étirant ses jambes l’une après l’autre, comme un chien ses pattes.
« Tu fais un pas hors de ce vaisseau et soit ils t’abattent, soit ils annulent la rencontre, répond Nighthawk.
- Alors je ne vois toujours pas pourquoi tu m’as emmené.
- Tu aimes bien faire sauter des trucs, hein ?
- Oui.
- Si Mélisande et moi, on n’est pas revenus au bout de vingt-quatre heures standard, tu m’expédies toute cette foutue planète dans l’autre monde. »
Vendredi a un de ces sourires étranges dont il a le secret. « Je savais que j’apprécierais de travailler avec toi, Faiseur de veuves.
- Ne t’emballe pas. J’ai la ferme intention d’être revenu bien avant que le délai soit expiré.
- Expiré. J’adore ce mot.
- Ça ne me surprend pas », marmonne Nighthawk, avant de se tourner vers Mélisande. « Tu es prête ? »
Elle hoche la tête.
« Parfait. Rappelle-toi, ne dis pas un mot pendant l’entrevue. C’est ensuite que je veux savoir quand il a menti et quand il a dit la vérité.
- Je comprends.
- Je l’espère.
- Je ne suis pas stupide, Nighthawk.
- Personne ne l’est. Mais tu serais étonnée du nombre de ceux qui le deviennent quand le temps se gâte. »
Il ordonne l’ouverture de l’écoutille, puis descend avec la Balataï sur l’aire de stationnement où, nanti d’un conducteur robot, attend un véhicule dans lequel ils prennent place.
« Jefferson Nighthawk ? s’enquiert la machine tandis que le véhicule s’ébranle.
- Oui.
- Puis-je vous demander le nom de votre compagne ?
- Elle s’appelle Mélisande.
- C’est adorable. »
La Balataï sourit. Le clone lui lance un clin d’œil. « J’ai fait erreur, dit-il. Elle s’appelle Champignon.
- C’est absolument merveilleux ! s’exclame le chauffeur mécanique d’une voix enthousiaste.
- Mais tout le monde l’appelle Mélisande, ajoute Nighthawk avec un grand sourire.
- Je comprends.
- Vous savez, dit la Balataï, je crois bien que c’est la première fois que je vous vois sourire.
- Profites-en. Il te faudra peut-être attendre dix ans pour que ça se reproduise. » Nighthawk, qui regarde par le pare-brise, se penche. « Chauffeur, où va-t-on ? Le terminal est sur la gauche.
- Nous nous rendons à la résidence du gouverneur, ami Nighthawk.
- On ne passe pas la douane ?
- C’est fait.
- Comment ça ?
- J’ai transmis vos rétinogramme et schéma osseux ainsi que vos empreintes digitales au service de sécurité de la résidence qui vous a identifié comme étant Jefferson Nighthawk, né en 4933. » Un temps. «J’ai le regret de vous informer que, pour l’heure, ledit service n’a pas identifié la nommée Champignon, qui préfère se faire appeler Mélisande.
- Je me suis encore trompé. Elle s’appelle... » Il fronce les sourcils et regarde la Balataï. « Zut ! Comment, au fait ?
- C’est un secret.
- Comme tu veux.
- Dois-je en déduire que le vrai nom de cette femme est C’est-un-secret ? demande le chauffeur.
- Non, dit le clone. Tu dois en déduire qu’elle refuse de le divulguer, mais que tu peux l’appeler Mélisande.
- C’est adorable.
- Nous sommes ravis de te l’entendre dire. »
Ils tournent soudain à gauche pour filer sur une route pavée qui traverse des champs cultivés.
« À votre gauche, annonce le chauffeur, vous apercevez le soja muté qui forme la base du régime alimentaire péricléen. À votre droite, le bétail hybride, importé de la Terre, donne 99,2 pour cent de viande et seulement 0,8 pour cent de graisse. Les plantes qui poussent derrière ce pré sont indigènes et leur fruit ressemble beaucoup au caleban de Pollux IV. Avez-vous des questions, amis Nighthawk et Mélisande ? »
La Balataï garde le silence.
« À combien est-on de la résidence du gouverneur ? lance son compagnon.
- En termes de distance ou de délai ?
- Comme il te plaira.
- Je suis incapable d’émotion. J’éprouve une satisfaction d’ordre mathématique quand je donne une réponse complète et précise à une question. La réponse à votre question est 5,262 kilomètres et/ou quatre minutes dix- neuf secondes standard.
- Merci. Tu es programmé pour répondre à toutes les questions ?
- Oui.
- Bien. Combien d’employés du service de sécurité se trouvent à la résidence du gouverneur ?
- Veuillez retirer votre question, ami Nighthawk.
- Pourquoi ?
- Vous avez déclenché un conflit en moi-même. Je suis programmé pour répondre à toutes les questions, mais il m’est spécifiquement interdit de répondre à toute question relative au service de sécurité. »
Nighthawk reste silencieux pendant un instant et le véhicule se met à faire des embardées.
« Je retire ma question.
- Merci », dit le chauffeur. Le véhicule se stabilise.
Nighthawk étudie le paysage depuis le début du trajet et a engrangé des informations en vue d’un éventuel usage futur. S’il doit se planquer dans le secteur, cet arbre est creux et cette colline le cachera de la route. S’il a besoin de rejoindre l’astroport, un glisseur mettra deux minutes de moins qu’un véhicule terrestre, même par la route. S’il vient à la faveur de la nuit, quelle approche présente le moins d’obstacles ? Un vaisseau peut-il atterrir dans un de ces champs ? Lequel ? L’herbe est-elle trop haute et trop sèche pour autoriser l’usage d’un pistolet laser ? Les arbres et les rochers, très nombreux, dévieront-ils l’onde de choc d’un pistolet sonique ?
Une immense demeure apparaît bientôt droit devant. Le véhicule se dirige vers elle.
« Chauffeur, j’ai une question, déclare Nighthawk.
- Je vous écoute.
- La ville paraît se situer à une douzaine de kilomètres au nord. Cette résidence n’est-elle pas un peu éloignée pour un gouverneur ?
- Il s’est produit des attentats contre la personne du gouverneur. Son service de sécurité a estimé qu’il serait mieux protégé dans un tel endroit. Si sa présence en chair et en os est requise, il n’est qu’à une courte distance des divers édifices gouvernementaux.
- Et que sont ces bâtiments de faible hauteur, à gauche ? poursuit le clone qui scrute une série de structures en béton. On dirait des baraquements.
- Ce sont des baraquements. C’est là que résident les employés du service de sécurité.
- Le gouverneur Hill en a beaucoup, non ?
- Je l’ignore. Je n’ai aucune base de comparaison. »
Le véhicule s’immobilise devant un portail scintillant.
« Un champ de force ? s’enquiert Nighthawk.
- C’est exact.
- Que fait-on, maintenant ?
- Nous attendons. J’ai été identifié. On procède à votre identification en ce moment. » Un silence. « Je regrette, ami Nighthawk, mais vous devez laisser votre pistolet sonique, votre pistolet classique et les trois couteaux que vous avez dissimulés sur vous. Si vous voulez bien les déposer ici... » Un compartiment secret s’ouvre dans le dossier de la banquette. «... ils vous seront rendus à votre départ. »
Nighthawk s’exécute. La porte du compartiment secret se referme.
« Et mon laser ? demande-t-il, intrigué. Le système de sécurité n’a pas pu le manquer.
- Une fois passé le portail, votre laser cessera totalement de fonctionner.
- Comment est-ce possible ?
- La centrale énergétique projette un champ qui draine sa charge et rend votre centrale portative inopérante. »
J’en prends note. Quelqu’un devrait te reprogrammer. Tu es un peu trop franc du collier.
« Le champ de force est encore dressé. Tu devrais leur dire de l’abaisser, maintenant que je suis désarmé.
- Ce ne sera pas nécessaire », répond le chauffeur. Et le véhicule s’ébranle. « Veuillez vous abstenir de passer la tête ou un membre à l’extérieur de ma carrosserie. Je suis capable de neutraliser le champ, mais uniquement dans les limites de ma structure physique. »
Le clone observe le franchissement du champ de force. Ni cahot, ni secousse, ni bourdonnement. Voilà qu’ils sont entrés dans la propriété, passant de l’exclusion au confinement.
Une longue allée sinueuse mène à la porte principale de la demeure que gardent trois hommes et deux robots. Le véhicule ralentit, s’arrête, et ses deux passagers mettent pied à terre.
« Je vous attends, amis Nighthawk et Mélisande. Je ne veux pas gêner la circulation, aussi vais-je me garer à quarante mètres d’ici. Je vous souhaite une bonne visite.
- La bagnole la plus foutrement amicale que j’aie jamais rencontrée », commente le clone à l’intention d’un des gardes, qui prend bien soin d’ignorer sa remarque.
« Veuillez me suivre, dit-il. Vous êtes attendus.
- J’ai été scanné, radiographié et sonographié, réplique Nighthawk. Il y aurait intérêt à ce que je sois attendu ! »
Il tend le bras à Mélisande et suit le garde dans le vestibule, une immense salle hexagonale dont les murs de marbre extraterrestre phosphorescent renferment des veines d’un métal brillant indéterminé. Si Nighthawk avise ces parois, il prête cependant plus d’attention à l’emplacement des portes et à leur nombre.
Le garde les précède jusqu’au bas d’un grand escalier en colimaçon où il s’arrête et fait signe à deux robots plantés non loin de là.
« Escorte Mr. Nighthawk et sa compagne jusqu’au bureau du gouverneur, ordonne-t-il.
- Oui, monsieur, dit le robot d’une voix plus atone et plus métallique que celle du chauffeur. Par ici, je vous prie. »
Ils montent les marches et prennent un long couloir au bout duquel se trouve une vaste antichambre contenant toutes sortes de fauteuils et de divans à l’aspect des plus confortables, ainsi qu’un ensemble de tableaux e t. choisis et disposés avec goût. Aussitôt un autre robot s’approche d’eux et leur énumère la sélection des boissons disponibles.
« Rien pour nous, répond Nighthawk. Nous venons voir Cassius Hill.
- Vous êtes attendus, disent, presque à l’unisson, les deux machines.
- Eh bien ? »
Les robots échangent un regard électronique. «Nous ne comprenons pas la question, monsieur.
- S’il nous attend, pourquoi ne nous emmenez-vous pas le voir ?
- Il y a une différence entre le fait que le gouverneur vous attende et celui qu’il soit prêt à vous recevoir, explique le robot qui leur a proposé de boire. Il m’enverra un signal quand il sera prêt à vous recevoir.
- Dis-lui qu’il a cinq minutes, Sinon, je pars. Dis-lui que le Faiseur de veuves n’aime pas attendre.
- Je transmets votre message sur-le-champ, monsieur. »
Le robot se tient au garde-à-vous. Nighthawk l’observe un moment, puis demande : « Alors ?
- Nous ne comprenons pas la question, monsieur.
- Il me semblait que tu allais prévenir Cassius Hill.
- C’est fait, monsieur. Il sait que vous partirez dans... » Courte pause. «... deux cent sept secondes standard si d’ici là vous n’êtes pas invité dans son bureau. » Nouvelle pause, plus marquée. « Y a-t-il autre chose pour votre service, monsieur ?
- Oui, dit Nighthawk après avoir examiné l’autre robot.
- Que puis-je pour vous, monsieur ?
- Renvoie ce robot.
- Je ne peux pas, monsieur.
- Pourquoi ?
- C’est un robot de protection, programmé pour protéger le gouverneur. Je ne suis qu’un robot secrétaire peu qualifié pour évaluer la probabilité que le gouverneur soit menacé dans une situation réelle ou hypothétique. Je ne peux donc ordonner à un robot de protection de quitter le bureau du gouverneur.
- Qui, selon toi, pourrait menacer le gouverneur ?
- Personne, monsieur.
- Dans ce cas, pourquoi ne pas demander à ton collègue de partir ?
- Parce que je peux me tromper, monsieur.
- Et toi, dit Nighthawk en se tournant vers le robot de protection, tu penses qu’il a tort ?
- Non, Mr... Selon moi, la probabilité d’une erreur de sa part n’est que de dix-sept pour cent.
- Une forte probabilité, vu qu’on est désarmés, non ?
- Je l’estimerais de quatre pour cent si vous étiez quelqu’un d’autre que Jefferson Nighthawk.
- Je suis flatté.
- Vous m’en voyez ravi.
- Vraiment ?
- Non, monsieur, mais je suis programmé pour répondre de la sorte.
- Je croyais tes pareils incapables de mentir. »
Le robot garde le silence un instant, comme s’il accédait à des données gardées en mémoire. « Vous avez dormi plus d’un siècle. Dans l’intervalle, la directive interdisant le mensonge a été éliminée de la plupart des robots. »
Nighthawk le scrute attentivement. « Qu’est-ce qui te fait penser que j’ai dormi un siècle ?
- Vous êtes Jefferson Nighthawk. » La voix métallique est empreinte de certitude.
Au moins, tu n’es pas infaillible. C’est rassurant.
Le robot secrétaire s’avance d’un pas. «Le gouverneur va vous recevoir.
- Je vous accompagne », déclare le robot de protection.
Et il se dirige vers une porte qui se dilate pour les laisser passer tous les trois. Ils pénètrent dans un petit bureau où trois autres robots effectuent des tâches administratives. Le robot de protection conduit les deux humains à une autre porte qui, une fois franchie, s’avère donner sur une pièce luxueuse, la tanière de Cassius Hill.
Le gouverneur, un cigare à la main, est installé à un grand bureau en bois extraterrestre. Des hologrammes le montrant en compagnie de richards et de célébrités, dont certaines fort mal famées, recouvrent tout le mur derrière lui. Quatre robots de protection sont postés dans la pièce – un à chaque angle. Nighthawk s’avise soudain que Hill a juché son bureau et son fauteuil sur une petite estrade, ce qui oblige ses visiteurs, une fois assis, à lever les yeux vers lui.
« Mr. Nighthawk », le salue le gouverneur, qui se lève et fait le tour de son plan de travail pour lui serrer la main. « Je suis enchanté de faire votre connaissance en chair et en os.
- Je vous présente Mélisande. »
Hill jette un coup d’œil sur elle. « Elle ne reste pas.
- Pardon ?
- Vous me prenez pour un imbécile ? Vous croyez que je ne sais pas reconnaître une Balataï quand j’en vois une ? Si vous voulez me parler, elle doit partir.
- Qu’est-ce que vous avez contre les femmes balataï ? s’enquiert Nighthawk.
- Voyons, Faiseur de veuves ! réplique le gouverneur d’un air dédaigneux. Si j’étais assez stupide pour l’autoriser à assister à cette rencontre, il n’y aurait aucune négociation possible. » Il se tourne vers le robot de protection qui a introduit les visiteurs. « Toi ! Emmène cette femme attendre Nighthawk en bas. »
Le robot prend doucement Mélisande par le bras. « Suivez-moi, je vous prie », dit-il.
Elle dévisage Nighthawk, qui acquiesce, puis elle quitte la pièce, flanquée du robot.
« Je suis déçu, dit Hill qui se rassoit et tire sur son cigare. Vous figurer que je ne repérerais pas une Balataï !
- Elles sont très rares.
- Elles l’étaient peut-être il y a un siècle, en effet.
- Je dois être mal informé.
- Vous ne pouvez pas compter sur vos souvenirs, vous savez. Ils ont cent ans de retard. Ils vous trahiront au moment le plus inopportun. » Soudain, il se penche, le menton en avant. « Je suis le responsable de votre existence et votre bailleur de fonds. Pourquoi vous êtes- vous imaginé que vous aviez besoin d’une Balataï ?
- Je ne me fie jamais aux gens que je connais pas. »
Après un temps de réflexion, le gouverneur hoche la tête. « Je vous comprends.
- Je constate que vous n’êtes pas l’homme le plus confiant de la Galaxie non plus. Quatre robots de protection dans votre bureau, et pas un seul Homme...
- Les robots sont plus prompts à réagir et plus difficiles à tuer, répond aussitôt l’autre. Quant à leur loyauté, elle est programmée, et elle n’est pas à vendre.
- Ils sont beaucoup moins répandus là d’où je viens.
- Là de quand vous venez. » Le cigare de Hill s’étant éteint, il envisage visiblement de le rallumer, mais se ravise, le jette dans un minuscule atomiseur incrusté dans un coin de son plan de travail et en allume un autre. « Bon, Faiseur de veuves, décrivez-moi la situation.
- J’ai trouvé Ibn ben Khalid et votre fille.
- Vous me l’avez déjà dit.
- Il réclame huit millions de crédit pour vous la rendre saine et sauve.
- Je sais.
- Vous voulez des détails ?
- Non.
- Non ? » répète Nighthawk.
L’autre émet un grognement. « Je ne donnerais pas huit crédits pour cette salope ! À ma mort, elle sera la première à danser sur ma tombe. » Il dévisage le clone. « Asseyez-vous, Faiseur de veuves. Voir quelqu’un debout quand je suis assis me met mal à l’aise.
- Je n’aime pas devoir lever les yeux vers quelqu’un. Je reste debout.
- Je pourrais ordonner aux robots de vous y contraindre.
- Ça, je ne vous le conseille pas. »
Nighthawk s’est exprimé avec tant de calme dans la voix que Hill se retient d’insister. «Asseyez-vous, restez debout, faites comme vous l’entendez, maugrée-t-il. Mais parlez-moi d’Ibn ben Khalid.
- Il ne lui a fait aucun mal.
- Je me fous de cette traînée ! Elle me déteste depuis le jour de sa naissance, et c’est réciproque !
- Je croyais que vous m’aviez engagé pour la récupérer.
- Je vous ai engagé pour retrouver Ibn ben Khalid et le tuer ! Peu m’importe ce qui arrive à ma fille !
- Ce n’est pas ce qu’on m’a dit.
- Bien sûr. On ne clonerait pas le Faiseur de veuves dans le seul but d’éliminer un ennemi politique qui la ramène. J’ai dû donner un motif auquel ces salauds de pieds-tendres mous de la chique sur Deluros pourraient souscrire. » Un silence. « Estimez-vous satisfait. Si je ne leur avais pas menti, vous n’existeriez pas.
- Pourquoi ne pas tout simplement envoyer votre marine spatiale le tuer ? demande Nighthawk.
- Dites-moi où il se planque et je m’en occuperai. D’ici là, je refuse d’envoyer mes troupes à des milliers d’années-lumière tandis que son armée à lui envahit Périclès.
- Ou décime votre flotte. »
Le gouverneur hausse les épaules. « Pour parler franc, ils ne sont que de la chair à canon. J’en enverrais trois millions à l’abattoir en échange de la vie d’Ibn ben Khalid. » Il fixe le clone d’un regard dur. « Si vous me dites où il détient ma fille et où il se terre...
- Aucune chance. C’est vous qui me payez, moi, pour le tuer, vous vous souvenez ?
- Je vous paierai pour me dire où il est.
- Combien ?
- Un million de crédits.
- Au revoir, Mr. Hill. La discussion est close.
- Deux millions !
- Allez vous faire voir. Cette somme ne suffira jamais à maintenir le Faiseur de veuves en vie, et nous le savons tous les deux.
- C’est vous, le Faiseur de veuves, désormais ! rétorque l’autre. On est pareils, vous et moi, on a recours à la force pour obtenir ce qu’on veut, on sait que la vie est la matière première cotée le plus bas sur toute la Frontière, alors ne venez pas me chanter que vous vous souciez davantage du Faiseur de veuves original que moi de ma fille ou de mes soldats !
- Je ne suis pas là pour discuter de mes motivations avec vous. J’ai besoin d’argent. Vous, vous avez besoin de mon aide et je ne la brade pas.
- D’accord, dit Hill. Asseyez-vous et parlons affaires.
- Je reste debout.
- Je vous ai dit de vous asseoir.
- J’ai entendu.
- Vous allez devoir apprendre qui commande, ici. Trois, aide M. Nighthawk à s’asseoir. »
Un des plantons s’approche, les bras tendus. Le clone se baisse, attrape un membre métallique, le tord, tire d’un coup brusque... et le robot s’envole, tourne sur lui- même et retombe face contre terre dans un grand vacarme de ferraille.
« Que ce soit sur l’humain ou le robot, la force de levier agira toujours, dit Nighthawk sans quitter des yeux la machine qui se relève sans grâce. Maintenant, arrêtez le massacre, avant que l’un de nous deux se fasse mal. Remplacer un robot coûte cher... et, que ça vous plaise ou non, vous ne pourriez pas me remplacer, moi. »
Hill le regarde, puis regarde le robot. « Repos, Trois. » Et le planton de regagner l’angle de la pièce. « Sans cet ordre, il aurait fini par vous tuer.
- Peut-être.
- Sinon, il en restait trois autres qui auraient pu l’assister à mon commandement.
- Ce qui prouve ?
- Que lorsque je donne un ordre, je veux qu’on y obéisse.
- Je ne reçois d’ordres de personne. Tenez-vous le pour dit. » Silence. « Pourquoi ne pas me prier de m’asseoir ?
- Quoi ?
- Vous m’avez parfaitement entendu : priez-moi de m’asseoir. »
Hill fronce les sourcils, mais s’exécute. « Voudriez- vous vous asseoir, Mr. Nighthawk ?
- Volontiers, merci. » Et le clone de s’installer enfin sur une chaise.
Les traits crispés du gouverneur se détendent quelque peu. « Parlons affaires.
- Je vous écoute.
- Ibn ben Khalid doit mourir. Si vous parvenez à le tuer cette semaine, d’ici sept jours standard, donc, je vous paie dix millions de crédits.
- Et votre fille ?
- Si elle se trouve sur le passage d’un rayon laser ou sur la trajectoire d’une balle... » Hill a un haussement d’épaules éloquent. « Ce serait regrettable, mais elle est très jeune, au fond, très imprudente... Ce genre de choses, hélas, ça arrive.
- Et si elle survit ? »
Le gouverneur secoue la tête. « Elle ne survivra pas. »
Nighthawk le dévisage. «Je conçois que vous préfériez vous entourer de robots.
- L’espérance de vie des hommes qui connaissaient mes secrets raccourcissait au point que c’en devenait embarrassant, dit l’autre en souriant. Au moins, je peux me fier à mes robots. Chacun d’eux grillerait ses circuits neuraux avant de divulguer un mot de ce qui se dit dans cette pièce. » Il tire une nouvelle bouffée de son cigare et, pendant quelques secondes, la fumée voile sa figure. « Alors, Faiseur de veuves, marché conclu ?
- Vous pouvez payer en espèces ?
- J’aurais cru que vous choisiriez un transfert de fonds sur le compte de vos avocats.
- Je ne fais pas confiance aux hommes de loi.
- Je suis d’accord, glousse Hill. Ça, ça n’a pas changé en un siècle. » Le sourire s’efface. « Je peux payer en espèces.
- Alors, marché conclu.
- Souvenez-vous, il doit être mort d’ici une semaine, ou on revient à l’accord et au prix initiaux. » Un temps. « Si vous réussissez, vous serez riche. On n’aura même pas besoin d’être au courant, sur Deluros. Pensez-y.
- Je ne fais que ça depuis hier.
- Au fond, on se ressemble, Faiseur de veuves.
- Et si je vous ouvrais en deux pour m’en assurer ?
- Je ne trouve pas ça très drôle.
- Ça ne l’est sans doute pas. Mon sens de l’humour est assez médiocre. »
Brusquement, Hill se fige. « À moins que ça n’ait rien d’une plaisanterie ? Combien Ibn ben Khalid vous a-t-il offert pour me tuer ?
- Moins que vous pour le tuer, lui. C’est un pauvre type corrompu, issu du peuple. Vous êtes riche.
- Riche et bien protégé, insiste le gouverneur. Tuez- moi et vous ne sortirez pas vivant de cette propriété. Même si vous y arriviez, mes forces de sécurité vous auraient bien avant que vous ayez rejoint l’astroport. J’imagine que vous avez noté les postes de contrôle en venant ici ?
- Oui.
- Bien. Ne les oubliez pas.
- Je n’y compte pas.
- On croirait une menace. »
Nighthawk sourit. « Vous voyez la menace partout. Vous êtes un homme très angoissé.
- Mes angoisses sont moins difficiles à supporter que le fait d’être l’ombre éphémère d’un individu véritable, je pense.
- Je suis peut-être une ombre mais je n’ai pas l’intention d’être éphémère.
- Alors, n’essayez pas de me doubler, lâche Hill. Bon, si les négociations sont terminées, sortez. Vous m’êtes sans doute utile, mais je ne vous aime guère.
- Aucune loi ne vous y oblige. Assurez-vous simplement de tenir l’argent à ma disposition. »
Nighthawk se détourne et gagne la porte qui reste fermée jusqu’à ce qu’un des robots s’avance pour l’escorter. Quelques instants plus tard, Mélisande et lui repartent pour l’astroport à bord du véhicule qui les a amenés.
Durant tout le trajet, ils prient pour que Vendredi n’ait pas succombé à l’impatience et décidé de souffler la planète avant qu’ils aient regagné le vaisseau.