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 « Alors ? » demande Nighthawk.

De retour dans le vaisseau, ils dégustent du café dont les grains hybrides proviennent des pentes verdoyantes des montagnes de Peponi.

« La plupart n’ont pas du tout réagi, répond Mélisande. Ils se fichent d’Ibn ben Khalid.

-       Qui a réagi ?

-       Le dénommé Nicolas Jory. Chaque fois qu’Ito disait du mal de ben Khalid, il avait toutes les peines du monde à masquer sa colère.

-       J’aimerais savoir si c’était simplement de l’admiration, ou s’il connaît un moyen de le trouver et de le contacter. Tu peux me le dire ? »

Elle secoue la tête. « Non, il buvait trop. Je n’ai guère vu que sa colère.

-       Qu’aurait-il pu y avoir d’autre ? interroge Kinoshita.

-       De la peur. Du souci. De l’inquiétude. Soit à l’idée que vous vous attaqueriez à Ibn ben Khalid...

-       Absurde. Il a une armée entière qui le protège.

-       ... soit à l’évocation de Cassandre Hill, qui pourrait fort bien lui être reprise.

-       Ah. » Le petit homme hoche la tête. « Et Zyeux-Bleus ?

-       J’ai trop de peine à déchiffrer les extraterrestres pour vous répondre avec certitude.

-       Il a l’air de nous ressembler beaucoup, sous sa mine repoussante.

-       Alors détrompez-vous ! Vous n’avez vu qu’un masque protecteur. Il a autant en commun avec vous qu’un insecte. » La Balataï se tourne vers Nighthawk. « Quelle est la prochaine étape ?

-       Zyeux-Bleus me passe au crible tandis que j’en fais de même avec lui. Dès qu’il aura découvert que je lui ai dit la vérité, que je ne figure dans aucun ordinateur de l’Oligarchie, j’espère qu’il essaiera de me recruter.

-       Oh, je ne doute pas qu’il essaie, approuve Kinoshita. Mais dans quel but ? Je parie qu’il y a autant de chances que ce soit pour passer du rhum en contrebande que pour rejoindre les rangs de l’armée d’Ibn ben Khalid.

-       Tu as sans doute raison, dit Nighthawk. On ne va donc pas mettre tous nos œufs dans le même panier. » À l’adresse de Mélisande, il ajoute : « En regagnant le vaisseau, je suis passé devant la prison locale. Elle doit compter dix cellules au grand maximum. Je suis sûr qu’elles ne sont pas toutes occupées. Dis à l’ordinateur de bord de t’imprimer des papiers prouvant que tu appartiens à une organisation charitable quelconque, achète des pâtisseries, apporte-les à la prison et raconte qu’elles sont destinées aux prisonniers. Les gardes te feront des problèmes, mais si tu leur donnes deux ou trois gâteaux, ils te laisseront sans doute passer.

-       Ces papiers ne vaudront rien. N’importe qui pourrait en imprimer.

-       Certes. Mais pourquoi les gardes s’intéresseraient- ils à quelqu’un qui distribue des cadeaux, à part, peut- être, pour vérifier que tu n’apportes pas un moyen d’évasion à l’un des prisonniers ?

-       Et s’ils m’incarcèrent ?

-       Kinoshita sera devant la porte. Si tu n’es pas sortie au bout d’une heure, il paiera ta caution, ou un pot- devin, et il te fera relâcher.

-       D’accord. Une fois à l’intérieur, qu’est-ce que je fais ?

-       C’est simple. À chaque captif, tu donnes son cadeau, tu parles d’Ibn ben Khalid et de Cassandre Hill, et tu tâches de te rappeler qui réagit.

-       Pourquoi ?

-       Tu sais où ils sont, ces deux-là ?

-       Non, bien sûr que non.

-       Moi non plus. Mais si un prisonnier a une réaction qui te convainc que lui le sait, on le fait sortir et on l’emmène.

-       Je croyais que c’était de moi que vous aviez besoin.

-       J’ai besoin et de protection et d’informations, et j’ai la ferme intention de m’en procurer le plus possible.

-       Et qu’est-ce que vous comptez faire d’ici là ?

-       Dormir.

-       Dormir ? répète Mélisande, mi-amusée, mi-outrée.

-       L’occasion ne s’en présentera peut-être pas de sitôt, et dans mon métier, on ne laisse jamais passer une occasion. Ça n’empêchera pas l’ordinateur de bord de m’établir le profil de Zyeux-Bleus.

-       Si Mélisande trouve celui que tu cherches, je le tire de prison moyennant finances ? » propose Kinoshita.

Nighthawk secoue la tête. « Non. Ça, c’est une décision que je prendrai le moment venu.

-       Pourquoi ? Imagine le temps que je te ferai gagner.

-       Si jamais on se trompe et qu’il essaie de nous tuer ou de prévenir Ibn ben Khalid, je m’en voudrais d’avoir à te tuer pour nous avoir fichu dans un tel pétrin.

-       Bien, dit aussitôt le petit homme. C’est ta décision.

-       Ravi de constater qu’on voit le problème du même œil, toi et moi », laisse tomber le Faiseur de veuves d’un ton sec.