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 « Paré à l’atterrissage », annonce Nighthawk en appuyant sur la touche qui donne au pilote automatique l’ordre de passer les commandes à l’ordinateur de l’astroport.

« Ils ne nous ont pas demandé de nous identifier, note Ito. C’est très curieux.

-       Ils savent qui nous sommes.

-       Tu les as prévenus par radio ?

-       Je n’en ai pas eu besoin.

-       Je ne savais pas que tu étais déjà venu sur Chaussée, dit Zyeux-Bleus.

-       Je n’y suis jamais venu, laisse tomber le clone.

-       Je voulais dire que ton vaisseau y était venu.

-       Je sais ce que tu as voulu dire. »

Le silence s’installe. Le vaisseau entre dans l’atmosphère et active ses boucliers thermiques. Cinq minutes de descente, et il se pose en douceur sur le béton armé de l’astroport.

« Voilà, dit Nighthawk. Au travail.

-       On se partage la tâche, comme sur Cellestra ? demande Kinoshita.

-       Inutile.

-       Je ne suis pas d’accord, lance le dragon. On couvrirait quatre fois plus de terrain en se séparant.

-       C’est inutile, je te le répète, dit le clone en se dirigeant vers l’écoutille. Je sais où on va. »

Zyeux-Bleus le rejoint et, une fois l’écoutille ouverte, se fige devant le paysage qu’il découvre.

« Mais enfin, qu’est-ce qui se passe ?

-       On part à la recherche d’Ibn ben Khalid.

-       Mais on n’est pas sur Chaussée ! crache le dragon. Ça, c’est Sylène IV !

-       Exact. C’est ici qu’il se trouve.

-       Tu plaisantes, ou quoi ?

-       Ou quoi, répond Nighthawk en sortant un pistolet qu’il braque sur Zyeux-Bleus. Tu t’es planté.

-       Je ne sais pas de quoi tu parles !

-       Tu m’as dit qu’on avait vu Khalid sur Cellestra et ses propres partisans, qui m’ont accepté dans leurs rangs, m’ont dit qu’il n’y était jamais allé. » Un temps. « Tu vois, Cellestra est à deux jours de moins du Cœur de la Galaxie que Sylène. Et Chaussée à encore deux jours de moins par rapport à Cellestra. De combien comptais-tu arriver à m’éloigner de Sylène avant que je me lasse de courir après un feu follet ? »

Le dragon le foudroie du regard. « Si tu dois tirer, tire. Je ne suis pas forcé t’écouter tes âneries.

-       Je n’ai rien décidé pour l’instant. J’admire la loyauté, même mal orientée.

-       Que fait-on, alors ?

-       Tu descends à terre et on va tous trouver ben Khalid. Sauf toi, Vendredi. Tu restes ici. Je ne veux pas que tu fasses tout sauter.

-       Si l’aventure doit se terminer ici, je tiens à venir », dit le Projasti.

Le clone l’observe durant un long moment, puis se tourne vers Kinoshita. « Fouille-le. Je veux être sûr qu’il ne trimbale rien qui puisse faire boum ! »

Le petit homme palpe l’e t. rouge avec un dégoût visible. « Il n’a rien sur lui, dit-il enfin.

-       C’est bon, tu peux venir, dit Nighthawk au Projasti.

N’oublie pas ce que je te réserve si tu fais sauter des bombes sans ma permission.

-       Je n’oublierai pas. » Vendredi rejoint le groupe sur la piste d’atterrissage.

Le clone se détourne et, suivi de son équipage disparate, part vers les douanes. Quelques instants plus tard, on les laisse sortir de l’astroport. Il arrête alors un véhicule d’un geste de la main et donne pour instructions à l’ordinateur de les conduire au Dragon Bleu.

« Pourquoi va-t-on là-bas ? demande Zyeux-Bleus.

-       Par nostalgie », répond Nighthawk d’un ton si lourd de menace que l’E.T. se tait aussitôt, renonçant à poser les autres questions qui lui brûlent les lèvres ou ce qui lui en tient lieu. Kinoshita ne quitte pas le Projasti des yeux et, chaque fois que Vendredi esquisse un mouvement, le petit homme pose la main sur son arme.

Mélisande paraît très mal à son aise, ce que les émotions fortes et déplaisantes qui émanent de Kinoshita et de Vendredi expliquent sans peine. Tout ce qu’elle déchiffre de Nighthawk, c’est la tension, le besoin d’affronter celui qui, à son avis, les attend à la taverne.

«Tu sais, on n’est pas obligés de faire ça, reprend enfin Zyeux-Bleus.

-       Faire quoi ? demande Nighthawk.

-       Le tuer.

-       Si. C’est pour ça qu’on m’a créé.

-       Tu ne le connais pas. C’est un homme bon, Faiseur de veuves.

-       Je ne me mêle pas de politique. Ce sont les affaires.

-       C’est beaucoup plus que des affaires ! Tu vas tuer un homme important !

-       Le destin de quelqu’un qui m’est plus proche qu’un père ou un frère dépend du fait que je tue Ibn ben Khalid.

-       Tu pourrais dire qu’il est mort, supplie Zyeux-Bleus. Tes employeurs sont à une demi-galaxie d’ici. Ils n’en sauront rien.

-       Je ne peux pas prendre ce risque. Le Faiseur de veuves doit survivre.

-       C’est toi, le Faiseur de veuves. »

Le clone secoue la tête. « Je suis son ombre. Il compte sur moi. Je ne le laisserai pas tomber.

-       Ibn ben Khalid va peut-être te tuer.

-       Possible.

-       Et après ?

-       Vendredi fera sauter toute cette foutue ville avant qu’il ait eu le temps de s’échapper. »

Le véhicule s’arrête en face du Dragon Bleu, flottant à quelques centimètres au-dessus du sol. Nighthawk paie la course pendant que ses compagnons descendent, puis il les rejoint devant l’entrée.

« Je t’en prie, dit Zyeux-Bleus. Laisse-lui la vie sauve ! »

Nighthawk le regarde sans un mot, impassible, puis entre dans la taverne. Les autres lui emboîtent le pas.

Comme d’habitude ? le Dragon Bleu est plein d’une foule hétéroclite d’Hommes et d’E.T. Il y a là deux Camphorites, un Lodinite, quatre Gengi, un énorme Bortaï assis seul dans un coin, deux représentants d’autres races inconnues du clone et peut-être une douzaine d’Hommes disséminés dans la salle.

L’équipe prend place à une table près de l’entrée.

« Il est là ? demande Kinoshita en jetant un coup d’œil à la ronde.

-       Ou il y sera bientôt, dit le clone. À toi de commander. C’est moi qui régale. »

Lorsqu’on apporte les verres à leur table, un jeune homme mince, habillé à la diable et peigné comme l’as de pique, entre et s’approche du comptoir.

« Restez là », murmure Nighthawk. Il se lève et traverse la salle pour se camper face au jeune homme.

« Vous revoilà déjà ? observe Nicolas Jory. Alors, vous avez trouvé votre homme ?

-       Oui, enfin.

-       Et vous l’avez tué ?

-       Bientôt. »

Zyeux-Bleus se lève à son tour et les rejoint. «Je regrette, Ibn ben Khalid. J’ai essayé de l’éloigner ! »

Le regard de Nicolas se porte sur le dragon, puis revient sur Nighthawk.

« Alors, tu as compris, n’est-ce pas ?

-       Ce n’était pas si difficile.

-       Et maintenant tu vas me tuer ?

-       En gros, c’est ça.

-       Qu’est-ce que j’ai bien pu te faire ?

-       À moi, rien. C’est de Cassandre Hill que je me soucie.

-       Tu ne l’as jamais rencontrée. Pourquoi me tuer à cause d’une femme que tu ne connais pas ?

-       J’ai mes raisons.

-       Et si tu te servais de ton cerveau pour trouver un motif valable de rejoindre nos rangs, plutôt ?

-       Ça ne m’intéresse pas.

-       Je risque de te tuer, tu sais.

-       C’est possible.

-       Mais tu n’y crois pas une seconde, hein ? dit Nicolas avec un léger sourire. Réfléchis... Ceux qui portent une arme ici ont remporté tous leurs duels. Comme toi.

-       Je ne sous-estime jamais personne.

-       Je vois que ta décision est prise. » L’autre s’écarte du comptoir et se met en position, la main juste au-dessus de son pistolet sonique. « Finissons-en.

-       Oui. »

Il s’en faut d’une microseconde que Nighthawk dégaine quand une voix familière brise soudain la chape de silence qui pesait sur la taverne depuis le début de la confrontation.

« ARRÊTEZ ! » hurle Mélisande.