22

 « Tu ferais mieux de déguerpir, conseille Nighthawk en s’asseyant devant l’objectif de la caméra de vidéotransmission. S’il t’aperçoit, je vais avoir du mal à le convaincre qu’il doit venir ici avec l’argent de la rançon. »

Cassandre hoche la tête. « D’accord. Jefferson ?

-       Oui.

-       Sois très prudent. Je ne pense pas que tu imagines à quel point il est dangereux.

-       J’ai déjà affronté des types dangereux.

-       Ils étaient dangereux parce qu’ils étaient armés. Il est encore plus dangereux parce qu’il paie les munitions.

-       Pigé. Laisse-moi, maintenant. »

Elle quitte le réduit. Un instant plus tard, Nighthawk a la résidence du gouverneur de Périclès V en ligne.

« Votre nom ? demande un secrétaire barbu.

-       Jefferson Nighthawk.

-       D’où provient votre appel ?

-       De Sylène IV.

-       Quel est le but de votre appel ?

-       Je veux parler à Cassius Hill.

-       C’est tout à fait impossible.

-       Dis-lui qui appelle, fiston. Je te garantis qu’il acceptera de me parler.

-       J’ai pour instructions formelles de ne pas le déranger, Mr. Nighthawk.

-       À toi de voir. Mais tu ne viendras pas te plaindre d’être viré pour ne pas lui avoir passé la communication, puisque tu étais prévenu. »

Le secrétaire fixe d’un air angoissé l’hologramme de son correspondant. « De quoi, au juste, voulez-vous parler avec le gouverneur Hill ?

-       Ça ne te regarde pas. Passe-le-moi.

-       Je dois quand même lui dire quelque chose en plus de votre nom !

-       Bon, je te souhaite un bel enterrement. » Et Nighthawk de tendre la main pour désactiver la transmission subspatiale.

«Attendez ! » s’exclame soudain le secrétaire.

Nighthawk s’immobilise.

« Je vais voir ce que je peux faire. Patientez, je vous prie. »

L’écran s’éteint pendant une minute entière, puis affiche l’image d’un homme aux cheveux et aux yeux gris, le visage buriné de rides profondes aux commissures des lèvres et aux ailes du nez. Il peut avoir la cinquantaine bien sonnée.

« Mr. Nighthawk. Il est temps de faire connaissance. » Hill tire une bouffée de son cigare du Nouveau

       — Kentucky et s’entoure d’un halo de fumée blanche. « Veuillez excuser mon imbécile de secrétaire.

-       Ce n’était pas sa faute. Il ne savait pas qui j’étais.

-       Je l’ai viré, de toute façon. »

Nighthawk hausse les épaules. « Vous faites comme vous l’entendez. Je m’en bats l’œil.

-       Bien.

-       Comment ça, "bien" ?

-       Je ne vous dis pas comment faire votre travail, vous ne me dites pas comment faire le mien.

-       Aucun problème. Votre travail ne saurait m’indifférer davantage.

-       Parfait, dit Hill. Parlons du vôtre. Je suppose que c’est pour cela que vous prenez contact avec moi.

-       En effet.

-       Alors ? Vous avez trouvé ce gredin ?

-       Je les ai trouvés, lui et elle.

-       Logique. Si vous avez trouvé l’un, vous avez dû trouver l’autre. » Hill tire sur son cigare d’un air pensif pendant un bon moment. « Il est mort ?

-       Non.

-       Merde. » Une nouvelle bouffée. « Je croyais que vous aviez pour ordre de le tuer. Qu’est-ce qui a mal tourné ?

-       J’avais pour ordre de vous ramener votre fille saine et sauve. J’ai pensé que ça passait avant tout.

-       Ne pensez pas, Mr. Nighthawk, rétorque le gouverneur avec colère. Très bien. Où sont-ils ?

-       Pas bien loin.

-       C’est-à-dire ?

-       Je ne crois pas que vous teniez à ce que je donne plus de précisions, au cas où cette communication serait piratée.

-       Qu’est-ce que j’en ai à foutre, qu’elle soit piratée ? Où sont-ils, bordel ?

-       Vous m’écoutez ou vous préférez tempêter ? »

Hill le foudroie du regard, mais finit par opiner du chef. « Très bien, Mr. Nighthawk, vous avez la parole. Faites-en bon usage.

-       Il veut négocier.

-       Ibn ben Khalid ?

-       C’est de lui qu’on parle, non ?

-       Continuez. »

Combien me faut-il ? Cinq millions pour le labo de cryogénie sur Deluros VIII, un million de plus pour mon traitement médical, de quoi vivre...

« Il vous la rendra pour huit millions de crédits ou leur équivalent en dollars de Marie-Thérèse.

-       Huit millions de crédits ! s’écrie le gouverneur. Il croit que je les fabrique ?

-       Il croit que vous êtes un père aimant qui paiera pour voir sa fille lui revenir intacte.

-       Je suppose qu’il veut des petites coupures usagées, ricane Hill.

-       Il n’en a rien dit. Mais il y a une condition.

-       Il y en a toujours une. Crachez le morceau.

-       Il veut que vous apportiez l’argent en personne.

-       Pour pouvoir me liquider à la seconde où je descendrai de mon vaisseau. Je savais que c’était un salaud, mais je ne l’aurais pas cru aussi transparent.

-       C’est là que j’interviens, dit Nighthawk.

-       Expliquez-moi ça.

-       Je suis le garant de la transaction. Je garantis votre sécurité, je garantis la sécurité de votre fille, et je garantis que vous ne payez pas en monnaie de singe.

-       Ça ne me suffit pas. Il a un million d’hommes.

-       Pas sur Sylène IV.

-       C’est là qu’ils sont, ma fille et lui ?

-       Non. Vous venez ici. Je vérifie que vous apportez du bel et bon argent et qu’il n’y a ni armée ni marine de guerre avec vous, et je vous conduis jusqu’à eux.

-       Qu’est-ce qui l’empêche de nous tuer l’un et l’autre ?

-       Moi.

-       Ça ne me suffit toujours pas. » Hill remarque que son cigare s’est éteint. Il le rallume. «Vous êtes peut- être bien le meilleur dans la partie, mais il n’empêche que vous êtes seul. Il a un million d’hommes. »

Nighthawk se reprend alors qu’il allait dire d’une voix rassurante : « Disséminés sur toute la Frontière. » Inutile de lui apprendre qu’il y a si peu d’hommes ici qu’il pourrait envahir la planète avec ses forces armées.

« Je me suis arrangé pour que vous vous rencontriez seul à seul en ma présence. S’il revient sur sa parole, on n’y va pas. Croyez-moi, il tient à sa rançon autant que vous à votre fille.

-       Je n’en doute pas. Mais cette histoire me paraît louche. Il y a trop de choses qui peuvent clocher.

-       Je veillerai à ce que tout se passe bien. C’est pour ça que vous m’avez créé.

-       Je vous ai créé pour tuer Ibn ben Khalid et me ramener ma fille ! dit Hill d’un ton sec. De mon point de vue, vous avez échoué.

-       Si c’est ce que vous voulez, je le tue demain, mais c’est le cadavre de votre fille que je vous ramènerai. »

Le gouverneur foudroie de nouveau du regard l’image de Nighthawk, puis baisse la tête et se plonge dans ses réflexions. Il la relève au bout d’un bref instant. « Pourquoi a-t-il besoin de huit millions de crédits ?

-       Pourquoi a-t-on besoin de huit millions de crédits ?

-       Il veut armer ses soldats ?

-       Je les ai vus, ses soldats. Et croyez-moi sur parole, ils sont déjà armés.

-       Les payer, alors ?

-       C’est une révolution, gouverneur. Son armée ne veut pas d’argent, mais du sang. Le vôtre. »

Hill tire sur son cigare sans piper mot.

Nighthawk finit par reprendre la parole. « À vous de décider, gouverneur. Qu’est-ce que vous voulez faire ? »

Toujours pas de réponse.

«J’organise cette rencontre avec Ibn ben Khalid ou pas ?

-       Il y a trop d’impondérables », dit enfin l’autre.

C’est au tour de Nighthawk de rester coi en attendant que Hill clarifie sa position.

« Trop de risques de tomber dans un piège, ajoute ce dernier. Ou de perdre l’argent sans obtenir ce que je veux.

-       Vous ne donnez l’argent qu’après qu’il vous a rendu votre fille, explique le clone avec patience.

-       Ce n’est qu’une partie du problème. Je veux aussi que cet illuminé débile crève, vous vous rappelez ?

-       Une chose après l’autre, voyons.

-       Ce ne sera pas si simple. On viendra sur son monde, et sous ses conditions. Il aura cinq cents pistolets braqués sur moi à l’instant où je me montrerai.

-       Qu’est-ce qui vous porte à croire ça ?

-       C’est ce que moi, je ferais ! vitupère Hill. Il n’est pas stupide, vous savez.

-       Je sais. En fait, il est très cultivé.

-       Comme la plupart de ces bâtards de révolutionnaires.

-       J’ai besoin de connaître votre décision, gouverneur. Vous venez ici ?

-       Non, pas dans l’immédiat. Trop de facteurs à prendre en considération, trop de préparatifs à effectuer. » Un temps. « Vous, vous allez venir sur Périclès.

-       Je pense que vous commettez une erreur.

-       Je vous le répète, je n’aime pas les gens qui prétendent me dire comment faire mon travail.

-       Votre travail est d’être gouverneur. Le mien, de vous rendre votre fille et de tuer Ibn ben Khalid.

-       Puisque vous n’avez rien fait de la sorte, je veux vous voir ici pour discuter stratégie.

-       Entendu. Quand ?

-       Sur-le-champ.

-       Je peux être là dans vingt heures standard, environ.

-       Parfait. Venez seul.

-       Je voyage accompagné en toutes circonstances, répond Nighthawk.

-       Humain ou E.T. ?

-       Humain.

-       Homme ou femme ?

-       Femme. »

Hill marque une pause et hoche la tête. « D’accord. Mais personne d’autre.

-       Reçu. À demain. » Nighthawk désactive l’émetteur.

Cassandre fait sa réapparition quelques minutes plus tard. « Alors ? Qu’en penses-tu ?

-       Je lui suis très reconnaissant.

-       Reconnaissant ? répète-t-elle en fronçant les sourcils.

-       Tout à fait.

-       Pourquoi ?

-       Parfois, je m’interroge sur les implications morales et philosophiques de mon métier. Et puis je rencontre quelqu’un comme ton père et je m’avise que je suis là pour mettre à mort des types de cet acabit. » Il laisse passer un temps. « Je trouve la perspective de le tuer très gratifiante. »

Elle le dévisage. « Vraiment, je ne te suis pas du tout, Jefferson. Tu aimes la littérature, tu as d’excellentes manières, tu tiens compte de moi, tu as l’air de discerner le bien et le mal... et, chaque fois que j’en viens à éprouver de l’affection pour toi, tu lâches une réflexion dans ce genre-là.

-       Et là, maintenant, tu n’as plus d’affection pour moi ?

-       J’aimerais en avoir la certitude », dit-elle, troublée.