Prologue

Un kilomètre sous la surface scintillante de Deluros VIII, la planète-capitale de la gigantesque Oligarchie humaine, Jefferson Nighthawk ouvrit les yeux sur une pièce plongée dans la pénombre.

« Bonsoir, Mr. Nighthawk, dit un homme mince vêtu d’une tunique blanche. Comment vous sentez-vous ? »

Peu à peu, Nighthawk constata qu’il était étendu sur une table longue, étroite, et qu’il fixait le plafond. À titre d’essai, il leva un bras, serra le poing, puis l’ouvrit et remua les doigts.

« Plutôt bien », dit-il, étonné.

Il mit sa main devant son visage et l’observa comme s’il ne l’avait jamais vue, comme s’il s’agissait d’un objet étranger.

« Elle a l’air normale, dit-il enfin.

-       Elle l’est.

-       Alors je suis guéri ?

-       Heu, oui et non, répondit l’homme en tunique blanche. C’est compliqué. »

Nighthawk passa ses jambes par-dessus le bord de la table et, lentement, précautionneusement, il s’assit.

« Oui, je me sens bien. J’imagine que le clone a fait son boulot.

-       Voilà une conclusion un peu hâtive, Mr. Nighthawk », dit une autre voix. Il se tourna pour voir un homme d’âge mûr, râblé, vêtu de gris, qui le dévisageait.

« Qui êtes-vous ?

-       Marcus Dinnisen, associé principal de la firme Hubbs, Wilkinson, Raith et Jiminez. » Il sourit. « Votre avocat.

-       C’est exact. » Nighthawk hocha lentement la tête. « La dernière fois que vous m’avez réveillé, vous m’avez appris que Raith était mort.

-       Depuis plus de trois quarts de siècle. Son arrière- petit-fils travaillait encore pour la société voici quelques années.

-       D’accord. Vous êtes mon avocat. » Il se tourna vers l’homme en tunique blanche. « Je suppose que vous êtes mon médecin ?

-       En quelque sorte. Je m’appelle Egan. Gilbert Egan.

-       Je crois vous avoir déjà rencontré.

-       Il y a un peu plus de deux ans, en effet.

-       En quelle année sommes-nous, alors ? En 5103 ?

-       5103, oui.

-       Ça signifie donc que vous avez découvert un remède à l’éplasie au cours des deux dernières années.

-       Je crains que non, Mr. Nighthawk. »

Perplexe, l’autre fronça les sourcils et promena le bout de ses doigts sur son visage. « Je suis pourtant guéri. Je n’ai pas la moindre marque sur moi !

-       Vous n’êtes pas guéri, dit Egan avec douceur. En fait, vous êtes au stade initial de la maladie. Elle ne se manifestera pas avant un an.

-       De quoi parlez-vous ? Regardez-moi ! Toute trace de l’affection a disparu !

-       Vous feriez bien de vous regarder. »

Le médecin lui tendit un miroir dans lequel Nighthawk scruta un beau visage sans défaut à l’expression de plus en plus perplexe.

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Je parais trente- cinq ans !

-       Notre estimation vous en donne environ trente-huit, répondit Egan.

-       C’est de la folie, j’en avais soixante et un il y a plus d’un siècle, à mon entrée ici î

-       Calmez-vous, Mr. Nighthawk.

-       À d’autres ! » Les deux hommes reculèrent. « Je veux savoir ce qui se passe, et tout de suite.

-       Certainement, Mr. Nighthawk, dit Egan qui s’avança de nouveau. On vous a injecté des calmants pour atténuer le choc. Je n’ose imaginer ce qui pourrait arriver si... »

D’une main, Nighthawk saisit le médecin par le col et le tira à lui.

« Je ne me sens pas très calme, Mr. Egan, dit-il d’une voix glaciale. Parlez.

-       Dr. Egan. » Il se dégagea et lissa sa tunique froissée avant de dévisager son patient d’un air gêné. « J’ai passé les deux derniers jours à envisager la manière de vous présenter la chose, et j’ignore toujours par où commencer.

-       Essayez par le début, dit l’autre d’un air agacé.

-       Très bien. Il est de notoriété publique que Jefferson Nighthawk, alias le Faiseur de veuves, un chasseur de primes très connu sur la Frontière Interne, a contracté l’éplasie et s’est ensuite soumis à la cryogénisation en 4994. Il avait laissé comme instructions de n’être réveillé qu’au jour où la science aurait trouvé un remède à sa maladie.

-       Je suis là. Vous pouvez arrêter de parler de moi à la troisième personne.

-       Laissez-moi faire à ma façon, je vous prie. Nous avions l’intention d’honorer les desiderata de Nighthawk, mais une crise financière s’est déclenchée il y a deux ans. Du fait de la spirale inflationniste que subissait Deluros VIII, les intérêts du capital dont il disposait ne suffisaient plus à couvrir les frais très élevés de cette installation. Nous allions, à terme, être obligés de réveiller un homme âgé et malade et de l’expulser quand une offre faite au bureau de Mr. Dinnisen nous a fourni une autre solution : une planète de la Frontière Interne voulait un homme possédant les talents du Faiseur de veuves et acceptait de payer des millions de crédits pour utiliser lesdits talents. On ne pouvait pas employer le véritable Nighthawk, bien sûr ; il était presque mort à son admission ici et, sans la cryogénie, il n’aurait pas survécu un mois de plus à la maladie. Nous pouvions néanmoins créer un clone qui coûtait environ la moitié du montant proposé, ce qui nous permettrait d’ajouter plus de trois millions de crédits au capital de Nighthawk. C’est ce que nous avons fait.

-       Je sais. Vous m’avez réveillé pour signer une décharge en ce sens.

-       Tout juste. Puis le clone a été expédié sur la Frontière.

-       Je sais. Que s’est-il passé ?

-       Malgré les graves défauts qu’il présentait, il a rempli son contrat.

-       Il avait la maladie ? »

Egan secoua la tête. « Non. C’était la réplique exacte de Jefferson Nighthawk à vingt-trois ans, pourvue de toutes les capacités physiques de celui-ci. Dans l’urgence de la situation, on l’a envoyé en mission deux mois à peine après sa création. Comme machine à tuer, il était remarquable, mais c’est tout ce qu’il savait faire et, du point de vue émotionnel, il avait deux mois. Il n’a pas pu gérer ses capacités. À la fin, il a été tué en voulant aider une femme dont je ne peux qualifier le caractère et l’engagement que de douteux.

-       Venez-en aux faits.

-       Les voici : le gouvernement n’a pas réussi à juguler l’inflation, et le colonel James Hernandez, l’homme qui avait commandité l’affaire, a, pour des motifs que je réprouve, refusé de régler le terme du paiement. L’essentiel de la somme initiale ayant été consacrée à la création du clone, le bénéfice que nous en escomptions n’est jamais venu. » Un temps. « La science est sur le point de trouver un remède à l’éplasie, mais il faudra encore deux ou trois ans. Une fois de plus, les intérêts du capital de Nighthawk sont insuffisants.

-       Si vous essayez de prétendre que je suis un clone, vous avez choisi le mauvais public pour votre mauvaise plaisanterie. Je me souviens de tout ce que j’ai fait, de tous les hommes que j’ai tués, de toutes les femmes que j’ai eues.

-       Je sais. Comme le clone initial a bien accompli sa mission avant sa mort prématurée, le bureau de Mr. Dinnisen a reçu de nouvelles offres et a choisi la plus lucrative après examen. En nous basant sur notre précédente expérience, il nous a paru peu prudent de confier ce travail à un nouveau spécimen dont la condition physique serait idéale, mais l’esprit immature. Nous avons engagé quelques-uns des experts les plus compétents en matière de génétique, et nous avons réussi à créer un clone... vous », doté de tous les souvenirs de l’original, ou presque.

-       Je ne vous crois pas.

-       Oui, je m’y attendais un peu. » Egan le considéra avec attention. « Vous vous sentez assez fort pour vous lever ? »

Nighthawk posa les pieds par terre. Un accès de faiblesse l’obligea à s’appuyer sur la table.

« Qu’est-ce qui m’arrive ?

-       Rien. Vous mettez des muscles neufs à contribution, voilà tout. Et vous risquez d’éprouver des vertiges. » Il attendit que l’autre parvienne à tenir d’aplomb. « Vous êtes capable de marcher ?

-       Je crois.

-       Dans ce cas, suivez-moi, je vous prie », dit le médecin.

Nighthawk et Dinnisen lui emboîtèrent le pas. Au sortir de la pièce, ils trouvèrent un trottoir roulant qui les emporta le long d’un interminable couloir mal éclairé.

Après avoir longé un certain nombre de portes, le trottoir roulant s’arrêta, laissant un poste de contrôle scanner le badge d’identité et conduire une exploration rétinienne d’Egan, puis redémarra pour s’immobiliser de nouveau cinquante mètres plus loin. La procédure se répéta.

Deux cents mètres encore, et une intersection se présenta. Egan choisit la branche de droite. Les portes et les contrôles se succédaient plus fréquemment, mais le trottoir roulant finit par s’immobiliser face à une porte en tout point semblable aux autres.

« Voilà. » Le médecin offrit ses empreintes palmaire et rétinienne à l’examen attentif du scanner enchâssé au-dessus de l’embrasure.

Le panneau coulissa dans la paroi, révélant une rotonde dont les murs étaient tapissés de tiroirs.

« Casier 10457 », ordonna Egan. Un tiroir émergea de son logement. Une fois entièrement sorti, il mesurait deux mètres cinquante. On discernait une forme humaine sous le couvercle translucide.

« Le véritable Jefferson Nighthawk », annonça Egan, qui effleura une touche sur un clavier. Le couvercle devint transparent.

Jetant un regard dans le tiroir, Nighthawk se trouva face à un homme émacié, ravagé par une maladie de peau. On voyait l’os aux pommettes et aux jointures des doigts. Même là où la chair demeurait intacte, l’épi- derme arborait des décolorations malignes qui paraissaient ramper en surface.

« C’est bien le souvenir que j’en garde. » Et il se détourna.

« Je comprends le choc que ce doit être », dit Egan, non sans sympathie.

L’autre se tapota le front. « Mais ce sont mes souvenirs. Je le sais. Ils sont réels.

-       Ils sont réels, mais ce ne sont pas les vôtres, intervint Dinnisen. Je comprends que ce soit difficile à accepter, mais... même si vous n’êtes pas né d’hier, vous l’êtes d’aujourd’hui. » Un temps, pour permettre à Nighthawk d’assimiler le concept. « Du point de vue physique, vous avez trente-huit ans et vous êtes débarrassé de la maladie qui vous a amenée ici.

-       Presque débarrassé, corrigea le médecin. Même si elle est présente dans votre organisme, c’est à l’état latent.

-       Je ne l’ai contractée qu’à la fin de la cinquantaine, dit Nighthawk. Pourquoi l’aurais-je vingt ans plus tôt ? »

Egan haussa les épaules. « Vous avez une déficience génétique qui favorise l’apparition de la maladie. Nous étions parvenus à obtenir du sang et des tissus pris au Nighthawk original avant qu’il contracte l’éplasie, donc le premier clone n’y présentait guère qu’une prédisposition. Dans votre cas, on a utilisé le même échantillon  – mais vous avez presque deux fois l’âge physique de ce clone et le mal est entré en phase active, du fait, sans nul doute, du procédé de laboratoire qui permet d’accélérer votre maturation à ce point. » Un silence. « Je dois ajouter que, désormais, vous allez vieillir à un rythme normal.

-       Le clone précédent n’a pas contracté la maladie ?

-       Il est mort très jeune. Il l’aurait sans doute eue s’il avait vécu assez longtemps. Étant donné votre génotype et votre système immunitaire, ça semble inévitable.

-       D’accord. Question suivante : Pourquoi suis-je à la fin de la trentaine ? J’ai... il a... soixante et un ans.

-       Nous pouvions choisir n’importe quel âge. Nous avons décidé de vous créer à l’apogée de vos capacités.

-       J’étais plus robuste et plus rapide à vingt-trois ans.

-       Ce qui a causé la perte du clone précédent, c’est un surcroît d’hormones. Au lieu de réfléchir, il s’est laissé guider par ses...

-       Pigé. Venons-en au fin fond de l’affaire. Qu’est-ce qui m’arrive, à moi, une fois que j’ai gagné assez d’argent pour garantir sa survie à lui ?

-       Vous endossez une nouvelle identité. Il est impératif de laisser au Nighthawk original la jouissance de ses biens et investissements personnels. Puis vous menez une existence que je vous souhaite longue et prospère. On ne pourra pas vous prendre pour lui : nul ne l’a vu depuis plus d’un siècle.

-       Et mon éplasie ?

-       Le jour où la science soignera la sienne, elle soignera la vôtre, dit Egan.

-       Et vous avez sans doute les talents voulus pour gagner ce qu’il faudra pour payer le remède, ajouta Dinnisen.

-       Combien coûtera-t-il ?

-       Durant les prochaines années, cinq cent mille crédits. Dans une décennie, cent mille. D’ici un quart de siècle, on en sera à immuniser un fœtus pour dix crédits. »

Nighthawk garda le silence pendant un long moment, puis se tourna vers l’avocat, qui éprouva une pointe de malaise face au regard scrutateur de ses yeux délavés. « Vous savez ce que je crois ? » L’autre le regarda d’un air interrogateur. « Je crois que vous vous foutez de moi.

-       Pardon ?

-       J’ai peut-être un siècle de retard, mais la Galaxie est grande. Il y a des milliers de chasseurs de prime et autant de tueurs sur la Frontière Interne, et plus encore dans le Halo et le Bras Spiral.

-       Je ne vous suis pas, Mr. Nighthawk.

-       Si la personne qui paie mes services a consenti de tels sacrifices en temps et en argent pour faire cloner le Faiseur de veuves, j’imagine que mes chances de survie ne dépassent pas la semaine.

-       Il voulait le meilleur, répliqua Dinnisen d’un air gêné. Et le meilleur, c’est vous. »

De nouveau, Nighthawk garda le silence pendant un long moment. Puis il leva les yeux vers Egan.

« Donnez-moi quelque chose de tranchant.

-       De tranchant ?

-       Un couteau, un scalpel, ce que vous voulez. »

Le médecin retourna ses poches en vain.

« Peu importe », dit Nighthawk. Il s’approcha du tiroir resté ouvert et passa son pouce sur le bord en insistant jusqu’à s’entailler profondément la peau. « Le scanner ? »

Egan désigna l’appareil sans mot dire.

L’autre alla se poster dessous, épongea le sang qui coulait de sa plaie et brandit son pouce devant le rubis scintillant de l’œil électronique.

« J’ai un nom ou un numéro officiel ici ?

-       Second clone de Jefferson Nighthawk, numéro de série 90307, c’est tout, répondit le médecin.

-       Prévenez la machine que c’est l’empreinte du pouce du Second clone de Jefferson Nighthawk, numéro de série 90307. La cicatrice permettra de le différencier de tout autre clone de Nighthawk que vous pourriez être tenté de produire à l’avenir.

-       Elle vous entend et elle l’enregistre.

-       Parfait. À présent, je veux que vous disiez à celui qui paie pour moi que notre prix vient de subir une augmentation d’un demi-million de crédits. Quand il sera d’accord  – et il le sera, sinon il aurait accepté quelqu’un de moins renommé  –, dites-lui qu’on veut cette somme d’avance et mettez-la sur un compte qui ne s’ouvre que sur présentation de mes empreintes vocale et digitale.

-       Nous avons déjà convenu d’un montant substantiel, dit l’avocat. Lui réclamer davantage à la dernière minute n’est pas très conforme à l’éthique.

-       Je vous laisse l’éthique. Je préfère m’occuper d’obtenir assez d’argent pour guérir mon début d’éplasie. Et il me faudra de la chirurgie esthétique pour ne pas trop lui ressembler.

-       C’est lui qu’on opérera, dit Egan. Regardez-le. On ne peut pas le laisser sortir dans cet état. »

Un silence tendu s’ensuivit.

Dinnisen finit par marquer son accord d’un hochement de tête. « Je ferai mon possible, Mr. Nighthawk.

-       J’en suis sûr. Sinon, il se pourrait que ce soit moi qui ne fasse pas le mien.

-       C’est une menace ?

-       Pas du tout. Juste un constat. »

Nouveau silence, cette fois encore rompu par l’avocat.

« J’espère que ma remarque ne vous vexera pas, mais il était beaucoup plus facile de traiter avec votre prédécesseur.

-       Bien évidemment, puisque c’était un nouveau-né dans un corps d’homme. Moi, je suis le Faiseur de veuves.

-       Je le sais. C’est bien pour cela que vous devez remplir ce contrat. Notre client a avancé des millions de crédits pour votre création.

-       En ce cas, il peut en dépenser un demi-million de plus pour me garder en vie à l’issue de mon travail.

-       Et s’il refuse ? »

Dinnisen sentit un frisson courir le long de sa colonne vertébrale lorsqu’il vit Nighthawk lui sourire. « S’il avait sous la main quelqu’un qui puisse me forcer à faire quoi que ce soit, il n’aurait pas besoin de moi.

-       Je vous l’accorde, convint l’avocat dont la nervosité transparut dans le sourire qu’il rendit à son interlocuteur.

-       Ravi de constater qu’on se comprend. Sitôt la somme déposée sur mon compte, vous n’aurez qu’à me dire combien de centaines d’hommes je dois tuer pour la gagner.

-       Peut-être aucun.

-       Ça, c’est une bonne chose, mais quel est le revers de la médaille ?

-       J’estime que vous avez eu votre dose de surprises pour aujourd’hui. D’autant que c’est le premier jour de votre vie. » Dinnisen se leva et se dirigea vers la porte. « Nous reparlerons demain. » Et il sortit.

« Nous partons ? demanda Egan.

-       Dans une minute. » L’autre alla observer le Faiseur de veuves original. « Bon sang ! J’ai... il a vraiment une sale mine.

-       L’éplasie est une sale maladie. »

Nighthawk toisa le corps squelettique et défiguré. « Tu as attendu longtemps, dit-il. Je sais ce que ça signifie pour toi. Je ne te laisserai pas tomber. »

Il resta silencieux une minute devant le tiroir ouvert, puis se tourna vers le médecin. « Bon, allons voir le vaste monde. »

1

Jefferson Nighthawk, posté à deux cents mètres des cibles fumantes, un pistolet laser à la main, grimace.

« Six tirs, cinq au but, un temps de quatre secondes treize centièmes », annonce Ito Kinoshita, le petit homme élancé et robuste qui se tient près de lui. « Excellent. »

L’autre secoue la tête. « Nul. Remets-les en place.

-       Tu ne veux pas plutôt te reposer ? On y est depuis une heure.

-       Je veux d’abord un sans-faute. » Nighthawk observe le relief verdoyant du paysage. « D’ailleurs on ne gêne personne. Je serais surpris qu’il y ait le moindre voisin dans un rayon de dix kilomètres.

-       Tu as cent pour cent de réussite avec le Piailleur et le pistolet classique. Au laser, tu es passé de un sur deux à cinq sur six et tu as doublé ta vitesse. Je trouve que c’est une bonne matinée de travail.

-       J’utiliserai le plus souvent le laser, rétorque Nighthawk qui considère les cibles en fronçant les sourcils. C’est le moins bruyant, le plus léger. Et je ne viens pas de calciner cinq cibles sur six, mais cinq hommes armés sur six. Le sixième m’a tué.

-       Tu es perfectionniste.

-       Dans ma partie, on ne dépasse guère les vingt ans si on ne l’est pas.

-       Tu t’entraînais souvent quand tu étais... ? » Kinoshita s’interrompt pour réfléchir au terme adéquat.

« Vivant ? suggère Nighthawk d’un ton sec.

-       Disons... en activité.

-       Il y avait plus assidu. Mais j’étais habitué à mon corps, à mes armes. On n’a pas changé grand-chose à ces pistolets. » Il désigne les diverses armes disposées sur une table à côté de lui. « Sauf leur poids. Ils sont plus légers. Ça fait la différence. Quant à mon corps, il est en parfait état, et ça, ça nécessite des ajustements.

-       C’est un problème ?

-       Tout à fait.

-       En quoi ?

-       À vingt-huit ans, je me suis cassé la main. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais ça modifiait ma prise sur l’arme. Un peu. Assez pour altérer ma visée. Et j’ai encaissé quelques rayons et quelques balles dans ma jeunesse. Je me tenais donc autrement. C’était minime, d’accord... mais la différence entre tuer et être tué peut l’être aussi. »

Kinoshita aboie un ordre à son panneau de commandes et six nouvelles cibles se matérialisent.

Nighthawk les observe, vise et tire. Un bourdonnement de laser, et au bout d’un bref instant elles s’enflamment toutes.

« Le temps ? demande-t-il.

-       Trois secondes quatre-vingt-six centièmes », répond l’autre après avoir consulté le chronomètre automatique.

Nighthawk pose le pistolet sur la table. « C’est mieux. Pas parfait, mais mieux. » Il se tourne vers Kinoshita. « Allons boire un coup. On reprend cet après-midi, demain on travaille à dégainer. Ça ne sert à rien de faire mouche en trois secondes s’il en faut deux pour sortir son arme de l’étui. »

Ils prennent pied sur le sentier roulant gazonné taillé au cordeau, qui les conduit, par-delà le bâtiment principal tout en angles, au centre de l’enceinte qu’entretiennent des dizaines de machines d’un aspect redoutable : elles balaient et atomisent les feuilles mortes, tondent l’immense pelouse à précisément cinq centimètres de hauteur et pulvérisent des insecticides. Un robot de ménage sort d’un des bungalows et se dirige vers le suivant.

« Combien de personnes cet endroit peut-il accueillir ? » s’enquiert Nighthawk.

Kinoshita hausse les épaules. « Douze bungalows, plus le manoir. Disons quarante. Il y a toujours quelques employés de la firme et leurs amours de tel ou tel sexe. J’ai vu jusqu’à trois cents invités à leurs fêtes. » Silence. « Pour l’heure, bien sûr, il est vide, à part toi, moi et le cuisinier. Je ne crois pas qu’ils souhaitent que quelqu’un d’autre essaie de t’acheter.

-       C’est ici que tu as entraîné le clone précédent ?

-       Non. La firme de Dinnisen n’a acheté ce domaine qu’il y a un an. » À leur approche, la porte du bungalow s’escamote après les avoir identifiés. Kinoshita se dirige aussitôt vers la cuisine. « Qu’est-ce que tu veux ?

-       De l’eau ou du café.

-       On a de la bière et du whisky.

-       Je ne bois pas d’alcool quand je bosse. Et comme je ne sais pas de quelle façon mon corps y réagit, je préfère attendre que mes réflexes reviennent à la normale.

-       C’est ton corps, et tu ne sais pas comment il réagit à l’alcool ?

-       Moi, je n’en ai jamais bu. La dernière fois que j’ai eu cet âge-ci, je devais pouvoir en avaler une pleine mare. J’ai la nette impression qu’il y a une différence question tolérance. »

Kinoshita opine. «Je commence à comprendre comment tu as pu survivre aussi longtemps. Tu es très prudent. Tu penses à tout.

-       Être chasseur de primes ou policier exige davantage que briller l’arme à la main, répond Nighthawk pendant qu’Ito commande deux verres d’eau glacée à la cuisine.

Surtout sur la Frontière. Au fait, quand doit arriver Dinnisen ?

-       Bientôt. Il a parlé de la fin de la matinée.

-       Parfait.

-       Un problème ? » Ito lui apporte son verre d’eau.

« Peut-être.

-       Lequel ?

-       Son histoire, c’est du bidon. Je ne marche pas dans sa combine et j’ai des questions à lui poser. » Il boit la moitié de son eau d’un trait et dévisage son compagnon. « À moins que tu veuilles y répondre ?

-       Je ne peux pas. Je ne suis que ton entraîneur. Ce qui, entre nous soit dit, est absurde. Tu es déjà deux fois meilleur que moi et tu connais bien mieux tes propres réactions.

-       Tu as pourtant entraîné le dernier clone ?

-       Oui, mais ce n’était qu’un bébé nanti de ton corps. J’ai dû lui apprendre à tirer, à fracasser un crâne, tout le tintouin. » Le petit homme observe Nighthawk avec un respect patent. « Je n’ai rien à t’apprendre, Faiseur de veuves.

-       Bien sûr que si. Il y a un ordinateur dans la pièce d’à côté. Ils ont beaucoup évolué au cours du siècle dernier. Je ne suis même pas fichu de l’allumer.

-       Qu’est-ce que tu veux lui demander ?

-       Mon... le dossier du Faiseur de veuves. Je parie qu’ils l’ont verrouillé, mais tu bosses pour eux, pour l’organisation. Tu devrais pouvoir y accéder. »

L’autre fronce les sourcils. « Pourquoi ?

-       Cette organisation a envoyé un clone sur la Frontière il y a deux ans. Autant que je sache, il a effectué le travail qu’on lui avait demandé et personne, dans la firme de Dinnisen, n’a levé le petit doigt pour le sauver. Il ne risque pas de m’arriver la même chose. Si je découvre qu’on ne peut pas se fier à ces gens-là, ce que je pense déjà, je dois prévoir de ne jamais me retrouver dans une situation où j’aurais besoin de leur aide. Il me faut le maximum d’informations sur le clone précédent : ce qu’il a fait, où et comment il l’a fait, qui l’a tué et pourquoi.

-       Je serais étonné de pouvoir accéder à tout ça, répond Kinoshita. Mais je serai ravi de te montrer le dossier dont je dispose. Le problème, c’est qu’il s’arrête le jour du départ de ce clone pour la Frontière.

-       C’est mieux que rien. Ça te vaudra des problèmes de me le faire lire ?

-       Je doute qu’il y ait quoi que ce soit de sensible dedans, dit l’autre en gagnant la pièce voisine. Au pire, je préfère me frotter à Dinnisen qu’à toi. »

Après avoir ouvert le dossier, Kinoshita laisse son pupille seul.

Nighthawk lève les yeux de l’écran à l’instant où l’avocat pénètre dans le bungalow. Il éteint alors l’appareil et, foulant le tapis phosphorescent en filaments e.t., gagne un fauteuil reconfigurable qui flotte à vingt centimètres au-dessus du sol.

Dinnisen et Kinoshita le rejoignent bientôt dans la petite pièce meublée avec goût. L’avocat s’assoit face à Nighthawk. Le petit homme reste debout.

« Alors, ça roule ? lance l’avocat en guise de préambule.

-       Encore deux semaines et je serai prêt.

-       Tant que ça ?

-       Je veille à bien protéger votre investissement.

-       Mon investissement ? fait l’autre, perplexe.

-       Moi.

-       Je crois vous avoir expliqué que le temps presse.

-       C’est de garantir ma survie qui presse. »

Dinnisen se tourne vers Kinoshita. « Il a vraiment besoin de deux autres semaines ?

-       Ce n’est pas lui qui en a décidé, intervient Nighthawk.

-       Votre prédécesseur était plus agréable à fréquenter. » L’avocat n’a même pas tenté de masquer son agacement.

« Ce qui explique sans doute sa mort.

-       Je n’apprécie guère votre attitude, Mr. Nighthawk.

-       Peu importe, Mr. Dinnisen. Quand je m’estimerai prêt, je partirai.

-       On m’a rapporté que vous avez envoyé à l’hôpital vos trois partenaires d’entraînement. Ça ne vous suffit pas ? Vous n’auriez pas pu retenir vos coups, au moins ?

-       Il a retenu ses coups, précise Kinoshita. La preuve, ces hommes sont en vie. »

Dinnisen dévisage longuement Nighthawk puis hausse les épaules. « Très bien, dit-il enfin. Deux semaines. » Il respire à fond, souffle, et s’efforce une nouvelle fois de jouer les hôtes de charme. « Vous aimez nos installations ?

-       Elles sont correctes. Sélamundi est une jolie planète.

-       À deux systèmes de distance à peine de Deluros, ce qui est très pratique », note l’avocat. Il se penche. « Vous avez besoin de quelque chose ? D’autres armes ? De vêtements de protection ? De quoi que ce soit ?

-       Oui.

-       Je vous en prie, dites-moi.

-       De réponses.

-       Pardon ?

-       Votre chasse à l’homme, c’est une histoire à dormir debout.

-       Je vous assure...

-       Épargnez-moi vos assurances. Je veux la vérité.

-       Je vous ai dit tout ce que vous aviez besoin de savoir.

-       Vous vous êtes surtout fichu de moi depuis le début. Jusqu’à plus ample informé, je refuse de risquer ma peau.

-       Je reprends ! » lance Dinnisen, irrité. Il produit un projecteur holo de la taille d’un stylo. Une jeune femme blonde se matérialise au centre de la pièce. « Cassandre Hill, la fille du gouverneur de Périclès V, Cassius Hill, a été enlevée par le révolutionnaire Ibn ben Khalid. » L’image à trois dimensions d’un homme d’une beauté sauvage, dans la trentaine, remplace celle de la blonde. « Je vous ai fourni des dizaines d’holos de ces deux personnes et dit qu’on les croit sur la Frontière Interne. On a ouvert un compte d’un montant considérable, dans lequel vous pouvez puiser à loisir. Vous aurez votre propre vaisseau. Ito vous accompagnera jusqu’à ce que vous vous soyez familiarisé avec les changements intervenus depuis un siècle. Enfin, que vous faut-il savoir de plus ?

-       Bien des choses, répond Nighthawk. En premier lieu, pourquoi moi ?

-       Vous êtes le meilleur. Ou, du moins, vous l’avez été.

-       Peut-être, mais le gouverneur de Périclès V dispose de toutes les ressources de sa planète. Il peut envoyer la Marine spatiale et proposer une récompense qui attirera les chasseurs de prime par centaines. Après tout, il n’en aura qu’un à payer, celui qui réussira. » Un temps. « Mais on a déjà financé ma création, qui a coûté plus cher que ce que vaut cette fille. Je veux savoir pourquoi.

-       Porter secours à Cassandre Hill n’est qu’une moitié de votre mission. » La mine un peu défaite, l’avocat marque une pause presque imperceptible. « L’autre moitié consiste à tuer Ibn ben Khalid.

-       C’est lui qui vaut des millions, pas elle. » Nighthawk a un sourire sardonique. « Mes condoléances au père éploré.

-       Il est effectivement éploré, réplique Dinnisen.

-       Bien entendu. Et si le seul moyen de tuer ben Khalid, c’est de la tuer, elle ? »

Dinnisen soupire. « Dans ce cas, ne faites pas de détail.

-       On peut dire qu’il aime sa fille, ce politicien. Ça me rassure de savoir que rien n’a changé en un siècle, au fond... Merde, à la place de cette fille, moi aussi je choisirais Ibn ben Khalid. Il ne l’a peut-être pas du tout enlevée.

-       Écoutez, Cassius Hill préférerait que vous lui rameniez sa fille en un seul morceau. C’est le scénario idéal.

-       Il y a trop longtemps que vous êtes avocat. Même si votre vie en dépendait, vous ne sauriez plus dire une phrase simple basée sur des faits. » Nighthawk allume un cigare sans fumée. « Bon, passons sur les motivations du père. Mon travail consiste à ramener sa fille et à tuer son ravisseur ? C’est ce que je vais m’efforcer de faire. » Un silence. « Par contre, Ibn ben Khalid est un révolutionnaire considéré comme suffisamment dangereux pour que sa mort soit la partie la plus cruciale du contrat. Quelle est l’importance de son armée ?

-       Je l’ignore. Respectable.

-       Si respectable que Hill s’attend à ce que personne n’essaie de gagner la récompense ?

-       Quelqu’un qui parviendrait à retrouver la fille, et elle seule, la réclamerait, bien sûr.

-       Mais ne s’attaquerait pas à Ibn ben Khalid. » C’est dit sur le ton du constat.

« Ce révolutionnaire a des informateurs sur toute la Frontière. Ce serait presque impossible à quiconque d’infiltrer son organisation. » Il dévisage Nighthawk. « Impossible sauf à vous. Vous êtes le meilleur dans votre branche. De plus, vous avez disparu depuis un siècle. Ses agents ne peuvent ni vous reconnaître, ni vous identifier comme chasseur de primes ou employé de Cassius Hill.

-       Vous ne lui avez pas fait payer assez cher.

-       Quoi ?

-       Si Hill a peur d’attaquer Ibn ben Khalid avec les forces armées dont il dispose en tant que gouverneur, vous ne lui avez pas fait payer assez cher.

-       La question n’est pas qu’il ait peur. C’est un problème de légalité et de coût. Périclès V n’a aucune sorte d’autorité sur la Frontière Interne et, même dans le cas contraire, équiper une telle mission coûterait des milliards.

-       Ce qui justifierait d’autant plus de demander le triple de son offre. Si l’autre solution était une opération coûtant des milliards, sans garantie de revoir sa fille en vie, il aurait payé.

-       Vous voulez encore le pressurer ?

-       J’ai ce que je voulais. Mais pour un ténor du barreau, vous faites un piètre négociateur, Mr. Dinnisen. Je me demande pourquoi.

-       Je vous assure...

-       Vous me l’avez déjà dit. Revenons à l’affaire qui nous intéresse. Il y a eu une deuxième demande de rançon ?

-       Non, rien depuis la tragédie de Roosevelt III.

-       Voyons si j’ai bien compris. Après avoir contacté Hill par le biais de plusieurs intermédiaires, Ibn ben Khalid lui a dit qu’il avait enlevé sa fille et lui a réclamé une somme de deux millions de crédits s’il voulait la revoir saine et sauve. Selon les instructions qu’il avait reçues, Hill a envoyé un porte-valise sur Roosevelt III. Dès que cet homme a atterri, on l’a tué et on a volé l’argent. C’est ça ? »

L’avocat hoche la tête. « C’est ça.

-       On a la preuve qu’Ibn ben Khalid est responsable de ce dernier développement ?

-       Qui d’autre cela pourrait-il être ?

-       Tout individu susceptible de convoiter deux millions de crédits en espèces.

-       C’était lui, croyez-moi sur parole.

-       Ça, jamais. En fait, jusqu’à ce que vous m’expliquiez comment Hill l’a su, je refuse même de croire que sa fille a été enlevée par votre révolutionnaire. Ibn ben Khalid pourrait être un opportuniste qui a appris qu’elle a disparu et voulu soutirer deux millions de crédits au père éploré alors que Cassandre se planque quelque part en compagnie d’un amant. Ce ne serait pas la première fois qu’un gros malin blufferait de cette façon pour profiter de la situation. »

Dinnisen tire de sa poche un petit infocube et le lui lance. «Le double de la première demande de rançon. Reçu ce matin.

-       Je vois ben Khalid, dit Nighthawk en scrutant le cube. Vous êtes sûr que la fille n’est pas une actrice, une doublure ?

-       L’empreinte vocale correspond. C’est elle.

-       Je regarderai ça de plus près à l’occasion. » Il pose le cube sur une table.

« Si nous recevons quoi que ce soit d’autre, je veillerai à ce que vous en ayez copie.

-       Parfait. Et je veux tout ce que vous avez sur Hill.

-       Vous l’avez déjà.

-       Je parle du père.

-       Cassius ? » demande Dinnisen, surpris. « Pourquoi ?

-       Il est impliqué. Alors, pourquoi pas ? »

L’avocat hausse les épaules. « Comme vous voudrez. Je fais envoyer ça ici cet après-midi... D’autres questions ?

-       Vous en serez le premier averti.

-       Il a progressé ? jette Dinnisen à l’adresse de Kinoshita.

-       C’est le tireur le plus rapide et le plus précis que j’aie jamais vu, quelle que soit l’arme concernée. J’ajouterai que ses performances le déçoivent énormément. Aucun doute, c’est le Faiseur de veuves.

-       Ça signifie juste que c’est un tueur extrêmement doué.

-       Alors que vous êtes un avocat extrêmement doué, dit Nighthawk. Quelle ironie !

-       Comment ça ?

-       Vous faites glorieusement acquitter des coupables qu’on me paye ensuite pour traquer.

-       Vous m’avez détesté dès l’instant où vous avez ouvert les yeux. Pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai bien pu vous faire au cours des quatre premiers jours de votre vie ?

-       À moi ? Rien.

-       Alors ?

-       Vous avez envoyé mon prédécesseur en mission sans le préparer à ce qu’il devait affronter.

-       Absurde. Il savait ce qu’il avait à faire.

-       Il savait qui il devait tuer, nuance. Mais il ne savait pas ce qu’il faut faire pour survivre et vous ne lui avez pas laissé le temps de l’apprendre. Ce genre de choses, ça marche peut-être au cœur de l’Oligarchie, où existent des lois et des hommes pour veiller à leur application, mais là-bas, sur la Frontière, c’est une sentence de mort. Et je crois que vous le saviez. Je crois que vous étiez prêt à le tuer si jamais il revenait vivant.

-       Le tuer ? Bon sang, on aurait de nouveau mis ses services à l’encan ! C’était un bien précieux.

-       Je suis un être humain, pas un bien. Vous pensez que vous allez de nouveau louer mes services après cette mission ?

-       La firme Hubbs, Wilkinson, Raith et Jiminez sera ravie de vous représenter en toute occasion de la sorte. Mais je vous soupçonne d’être trop indépendant. Je nous vois mal entretenir avec vous une relation de travail fructueuse.

-       Ça, vous pouvez le parier.

-       Vous avez d’autres questions avant que je m’en aille ?

-       Une seule. Vous disiez que j’aurai un vaisseau.

-       C’est exact. M. Kinoshita s’en occupera jusqu’à ce que vous soyez capable de le piloter.

-       Où est-il, cet engin ?

-       On doit le livrer ici ce soir ou demain matin.

-       Parfait. Je vous informerai de notre destination une fois qu’on aura décollé.

-       Innisfree II, évidemment.

-       Le moment venu. » Les deux hommes le regardent d’un air interrogateur. «D’abord, j’ai à régler d’autres affaires en suspens. Ça ne prendra pas longtemps.

-       En suspens ? Depuis cent neuf ans ? »

Au lieu de répondre, Nighthawk laisse choir son mégot. Dans le silence qui a envahi le bungalow, il allume un nouveau cigare sans fumée.