CHAPITRE XVII
Boris Antgordine : Vers l’Âge d’Or, par Boris Antgordine (extrait).
Qui était donc Maître Haroun-Guerre ? Je n’en avais aucune idée à l’époque. Beaucoup plus tard, alors que j’étais en route vers la cité mystérieuse de Boamgoar, il surgit presque miraculeusement devant moi et je commençai à soupçonner en lui un visiteur du futur. Un Boara, un porteur d’âme, un ancien Goer, un immortel, un envoyé du Jugement dernier ou du monde des dieux ?
Les dieux, une de ses grandes préoccupations était alors de les réconcilier. « En s’affrontant, me dit-il, le Sombre Éclat qui est Lucifer et Goer qui est Prométhée finiront par détruire notre monde. Tu es un cas unique, Boris Antgordine : l’homme de la double foi. Ta mère t’a légué sa foi dans le Sombre Éclat. Tu ne la perdras jamais. Le domologiste Lori Lazan a fait de toi un fidèle de Goer. Tu le resteras toujours. Les dieux ennemis ont pu se rencontrer en toi. Pour se défier stupidement, hélas. Mais il te faut profiter de cette chance fantastique pour les amener à se connaître et à se comprendre. Ta vie, qui sera longue, y suffira à peine. Tu ne choisiras pas entre eux. Tu les pousseras sinon à une conciliation véritable, peut-être à une paix de compromis…»
Les dieux, j’en avais assez. Et pourtant, Haroun-Guerre sut me convaincre et j’acceptai cette nouvelle mission. Il me faudrait susciter nombre d’adeptes de la double foi et ainsi, je ne serais plus le seul théâtre des rencontres divines. Le temps était avec moi.
Selon Haroun, le pire danger pour l’humanité ne résidait pas dans ce retour à un Âge d’Or bucolique et mythique qui verrait la fin de la science et la régression peut-être définitive de la civilisation. Le pire, c’était la malédiction du chien. « Il est trop tôt pour réhabiliter le Serpent, me confia-t-il. Dans les circonstances actuelles, l’anathème retomberait sur le Chien. Nous vivons sous le signe du Chien – Sirius – depuis plus de cinq mille ans. Ce serait un drame sans nom. Un jour peut-être, on pourra réviser le procès du Serpent. Dans cent ans ou dans mille ans…» À l’époque, je doutais fort de la gravité d’un danger que je ne comprenais pas. Mais depuis, j’ai découvert la formidable puissance des symboles. En attendant cent ans, en attendant mille ans, le chien devait redevenir le pacifique ami de l’homme qu’il avait su être pendant les siècles anciens. Je m’emploierais aussi à cette tâche. Pour commencer, j’essaierais de convaincre la reine de Gandara.
Convaincre Lha-Antella était le seul moyen. Je l’avais senti à ma première entrevue avec elle, dans le jardin de Zargoz. Non seulement la convaincre, mais la convertir. Puisque je ne pouvais trahir les Boamiens, mon peuple, et puisqu’il était dit que je serais fidèle à Lha-Antella, je devais changer la reine.
Voilà ce qu’était mon rêve fou. N’importe qui sur la Terre, sauf un voyageur du temps, aurait ri de moi et m’aurait traité de dément. Il m’arrivait de rire aussi et je n’étais pas loin de croire à ma propre folie.
Et puis un soir, dans une ville d’Ibérie nouvellement occupée, Lha-Antella m’envoya chercher par un colonel de sa garde. Le colonel me remit aux douces mains de la petite suivante brune du jardin de Zargoz. La suivante me guida aux appartements de la reine par un chemin compliqué et secret. Nue sur un lit immense et bleu, Lha-Antella m’attendait. Je pensai alors avoir une chance de réussir.
« La nuit sera tendre et tumultueuse, Boris Antgordine. Tu t’occuperas des dieux quand le jour reviendra ! »