13.

 

La forme humaine surgit dans le halo de lumière que projetait la petite lampe de Lamar.

Un pistolet braqué sur l’inspecteur.

Lamar reconnut la coupe de cheveux courts, le visage rond.

Frank Quincey.

Il souriait à pleines dents.

— Et un connard de moins ! déclara le gardien du lycée où tout avait commencé. J’ai jamais pu le sentir, ce con.

— Quincey, calmez-vous, posez cette arme.

L’intéressé s’amusa de cette réplique.

— Mais tu te crois où, là ? dit-il avec cynisme. Qui tu es, toi, pour croire que ce que tu dis c’est des ordres, hein ? Je vais pas poser mon flingue. Non. Et tu sais quoi, je vais même te buter.

Lamar calma sa respiration, il se concentra sur la situation, ignorant la peur qui menaçait de lui faire perdre le contrôle. Il fallait gagner du temps, trouver une solution. Lui parler. Le faire parler.

— Quincey, lança l’inspecteur, pourquoi… pourquoi faites-vous ça ?

— Pourquoi ? T’es vraiment un con de Noir, toi ! Heureusement pour notre civilisation à venir, il y a des gens comme moi ! Et comme ces gamins qui n’attendent qu’une chose : qu’on leur explique quoi faire. Comme Christian, un brave gosse celui-là. Intelligent. Il a vite pigé. Quand je l’ai vu regarder tous ces Portoricains, ces Mexicains depuis mon bureau, j’ai su que lui et moi on partageait les mêmes idées salvatrices. Et c’est plus pour me taxer des clopes qu’il est venu me voir ensuite, le petit !

Quincey était excité par ses propres mots, son regard brillait.

— Je l’ai fait entrer dans notre groupe. La génération de demain. Des adolescents que j’ai recrutés dans la rue, des laissés-pour-compte de notre système corrompu ! Et il s’est vite porté volontaire pour notre projet d’éradication. Je n’ai eu qu’à lui fournir les armes, au petit.

Lamar cherchait une solution à cette voie sans issue dans laquelle il s’était enfermé, faisant défiler toutes les alternatives qu’il avait. Pendant ce temps, Quincey soliloquait avec de plus en plus d’émotion.

— Imagine, inspecteur, un monde dans lequel des adolescents se mettraient à tirer à tout va sur leurs camarades, ne cherchant pas seulement à viser les vermines de couleur mais tout le monde, tous ces corrompus, ces futurs tricheurs, manipulateurs ! Ce qu’a fait Christian, c’est montrer l’exemple. Bientôt, d’autres feront de même, et ensuite, ça sera le chaos généralisé ! Des armées d’adolescents contre lesquels la police hésitera à tirer ! Nous soulèverons la société et avec un peu de temps, nous la modifierons !

Quincey tendit encore plus son bras armé vers la tête de Lamar.

— Et toi, dans notre nouvelle donne, tu retourneras à ta place d’esclave. Sous-homme tu es né, sous-homme tu dois rester !

Lamar serra sa lampe dans sa paume, l’index glissa dessus.

— Enfin, je dis toi, continua Quincey, je veux dire les tiens. Parce que toi, tu tires ta révérence ce soir.

La lumière de Lamar bougea un peu tandis qu’il faisait tourner la lourde lampe entre ses doigts.

— Tu vois, l’histoire ne se répète pas toujours ! ironisa Quincey. Le fascisme gagne parfois. Et toi, négro, tu disparais.

Lamar trouva enfin ce qu’il cherchait du bout des doigts. Le bouton de sa torche. Il vit Quincey ajuster son tir, il allait presser la détente.

Lamar poussa le bouton.

L’obscurité fondit instantanément sur eux.

Et Lamar se jeta sur le côté pendant qu’un coup de feu explosait à quelques centimètres de lui.

Il roula sur le ballast et d’un bond essaya de se redresser avant d’avoir perdu toute orientation.

Il se stabilisa à genoux et prit son Walter P99.

Quincey était en train de marcher rapidement, il fouillait le secteur en haletant.

Il buta dans quelque chose, probablement le corps de Christian DeRoy.

Et il tira.

À plusieurs reprises.

Certaines balles quittèrent l’arme sans lumière, d’autres fusèrent en étirant dans leur sillage une flamme devant le canon.

Lamar visa ces flashs.

Et vida son chargeur.

 

Lorsqu’il ralluma sa lampe, après dix minutes d’un silence hésitant, il découvrit le corps de Frank Quincey effondré sur celui de son adepte de dix-sept ans.

Leur sang se mélangeait dans les profondeurs de la ville.

Quincey frissonna.

Il n’était pas mort.

Lamar courut vers lui en engageant un chargeur neuf dans sa crosse.

Il posa son canon chaud contre la tempe du fasciste.

Méritait-il de vivre après tout ce qu’il avait fait ?

Au loin, un métro gronda dans les entrailles de ce monde.

Ici, sous la civilisation, sous les jugements et les consciences, Lamar pouvait choisir.

Il inspira fort, pour se donner du courage.

La haine avait changé de camp.