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Jorge Nilssen a été ponctuel.
— Non. Je ne peux pas vous dire au téléphone ce qui s’est passé. Si ça vous intéresse vraiment, si vous voulez connaître les faits, venez. Je vous invite à naviguer sur mes mers. Mon bateau, le Finisterre, est à votre disposition.
— C’est un trop long voyage. Vous êtes de l’autre côté du monde. Donnez-moi votre numéro et je vous rappelle. Comme ça vous n’aurez pas à vous préoccuper du prix de la communication et nous pourrons parler sans être limités par le temps.
— Je vous appelle d’une petite poste et nous avons de la chance que j’aie réussi à avoir la ligne. Si je ne me trompe pas, vous êtes chilien.
— Oui. Je suis né là-bas.
— Ne vous en faites pas. Il y a pire, dans la vie. Vous venez, oui ou non ?
— Écoutez, monsieur Nilssen. Je vais vous donner le numéro d’une journaliste à Puerto Montt…
— Sara Díaz ?
— Vous la connaissez ?
— Non. Et je crains d’être le porteur d’une mauvaise nouvelle. Ce matin j’ai appris qu’une journaliste avait été agressée. Elle a été renversée par une voiture au moment où elle sortait d’un laboratoire photographique. On lui a volé quelque chose. Je ne sais pas quoi, mais je suppose que c’est elle, la fille que j’ai vue avant-hier soir prendre des photos du Nishin Maru dans le chantier de la marine de guerre. Pauvre petite. Elle est à l’hôpital avec des fractures multiples. Vous venez ?
J’ai senti que le couvercle se soulevait et que la puanteur inondait tout sans tenir compte des distances. Sarita payait pour avoir informé, et nous ne pouvions pas l’abandonner.
— Oui. Je pars dès que possible. Comment vous contacter ?
— Du calme. Ne vous inquiétez pas pour la gamine. Je me charge de la conduire en lieu sûr. Je vous attends entre le 19 et le 23 juin. Prenez l’avion pour Santiago, là vous trouverez un billet à votre nom pour Puerto Montt, vous vous rendrez ensuite à la Caleta San Rafael, face à l’île Calbuco, et vous chercherez l’Oiseau fou, une lanche du Canal. Nous vous attendrons là.
Après, tout est allé très vite. Mes associés ont immédiatement approuvé le voyage. Greenpeace a décidé d’enquêter officiellement sur l’événement et, le lendemain, j’étais en possession d’un billet d’avion.
À l’aéroport, mon fils aîné m’a demandé de lui rapporter un grand coquillage « pour écouter ta mer », et Arianne m’a remis un emblème de l’organisation : la queue d’une baleine en train de plonger.
— Bienvenue à l’Arc-en-ciel et bonne chance.
Une main me secoue gentiment l’épaule. L’hôtesse de l’air me demande si je veux aussi des écouteurs.
— Des écouteurs ?
— Pour le film.
— Quel film ? Excusez-moi, j’étais à moitié endormi.
— Pirates. De Roman Polanski, m’informe-t-elle avec son plus grand sourire.
Oui. Je vais là-bas. À ta rencontre, Monde du Bout du Monde. Et j’ignore ce qui m’attend.