1
La seule escale européenne, Londres, dura environ trois quarts d’heure, puis l’avion atteignit son altitude de croisière pour survoler l’Atlantique. Il était six heures trente du matin et nous étions le 20 juin 1988. Le ciel était dégagé et le soleil que nous allions suivre dans sa course obligeait à baisser les rideaux.
J’ai déjà indiqué que ce voyage avait été prévu bien des fois et qu’il s’était toujours trouvé des motifs pour le reporter. Pourtant, je me trouvais à bord d’un avion qui m’emmenait au Chili, après une décision que j’avais prise d’une façon passablement précipitée.
Jambes allongées et siège incliné, je me disposai reconstituer les raisons qui m’avaient fait dire « J’y vais », à peine quatre jours plus tôt.
Tout avait commencé le 16 juin un peu avant midi. Je me trouvais avec mes trois associés dans notre bureau. Mais avant de poursuivre, il faut d’abord que je dise qui sont mes associés et ce qu’est le bureau.
Mes associés sont une Hollandaise et deux Allemandes, journalistes free-lance comme moi, qui, un jour en ont eu assez d’écrire pour la presse « sérieuse » laquelle ne s’intéresse aux événements du monde que lorsque ceux-ci prennent un caractère de scandale. Nous avons eu la chance de nous rencontrer, de discuter et de découvrir que nous partagions la même lassitude et beaucoup de points de vue semblables. De notre discussion est née l’idée de créer une agence d’information alternative, axée fondamentalement sur les problèmes qui portent préjudice à l’environnement écologique, et de répondre aux mensonges employés par les nations riches pour justifier le pillage des pays pauvres. Pillage non seulement des matières premières, mais de l’avenir. Ce dernier point est peut-être difficile à comprendre, et pourtant : quand une nation riche installe une décharge chimique ou nucléaire dans un pays pauvre, elle pille l’avenir de ce conglomérat humain, car si les déchets sont comme elle le prétend « inoffensifs », pourquoi n’installe-t-elle pas ses décharges sur son propre territoire ?
Le bureau est une pièce de soixante-dix mètres carrés que nous avons louée dans ce qui a été jadis une fabrique de clous. Nous y avons quatre tables, un ordinateur d’occasion connecté à une banque de données sur l’environnement, et un télécopieur qui nous relie à d’autres agences alternatives en Hollande, en Espagne et en France, et à diverses organisations écologistes telles que Greenpeace, Comunidad ou Robin Wood.
L’ordinateur est parfois un cinquième associé et nous l’avons surnommé « Bromure », en hommage à l’informateur du détective Pepe Carvalho.
Ce matin-là, nous analysions une information concernant un plan du ministère de l’Industrie britannique destiné à justifier et à poursuivre l’incinération de résidus toxiques face au golfe de Biscaye.
Soudain, le télécopieur s’est mis à cracher un message en provenance du Chili, et c’est ainsi que mon voyage a commencé.