4
… et ce correspondant est certainement un individu énergique, a poursuivi Arianne. Quand je lui ai dit que selon nos informations le Nishin Maru se trouvait très loin des côtes chiliennes, il m’a répondu que ce n’était qu’un nuage de fumée pour brouiller la piste. Finalement j’ai voulu le calmer en lui citant le rapport de Mowat, mais il m’a interrompue : « Moi aussi je connais les baleines. Tanifuji ne pense pas à des baleines bleues et il n’a pas davantage l’intention d’appareiller pour le cercle polaire antarctique. Ce qu’il cherche, ce sont les baleines pilotes, ou Chaudron, ou je ne sais pas le foutu nom que vous leur donnez en Europe. »
Arianne m’a fourni de nouveaux aliments pour Bromure :
Baleine pilote, Globicephala Melanea, connue également sous le nom de Chaudron, Schwarzwal, Pothead, Blackfish, Calderón. Mesurent entre quatre et sept mètres. Ont des dents, de sept à douze paires sur chaque maxillaire. Les mâles sont plus grands que les femelles. Animaux à corps robuste, à tête petite et arrondie. La gestation est de quinze à seize mois. À la naissance, les petits dépassent un mètre et demi. L’allaitement dure vingt mois. Elles se nourrissent essentiellement de calmars. Elles sont au bord de l’extinction dans les eaux de l’Atlantique Nord, conséquence de la chasse pratiquée sans discrimination par les Russes, les Norvégiens et les Islandais. Entre 1975 et 1977 on a observé l’exode d’individus en direction de l’hémisphère Sud. Quelques centaines se réfugient dans les eaux du Pacifique Sud, au nord du détroit de Magellan. Ce sont des animaux amicaux et confiants. On a détecté chez eux un code de communication de plus de soixante-dix signaux. Le mode de survie des individus émigrés a gagné par contagion ceux du sud, et on observe ainsi qu’ils ont abandonné l’habitat traditionnel en pleine mer pour se concentrer dans des baies, canaux et entrées de fjords. La Commission internationale pour la chasse à la baleine interdit définitivement leur chasse et a déclaré la Globicephala Melanea en danger imminent d’extinction.
Arianne a resservi du café et continué :
— Je lui ai demandé s’il disposait d’éléments pour prouver ses assertions. Il m’a répondu : « Je suis un homme de mer et je sens la pourriture à cent milles à la ronde. Vous allez m’aider, oui ou non ? » Je n’ai pas su quoi dire. C’est tout juste si j’ai pensé à lui demander de garder le contact avec nous. Nous ne sommes pas en mesure d’opérer dans ces régions. Tu le sais bien, notre flotte est très petite.
Une fois de plus, Arianne avait raison.
L’organisation écologiste préparait le Gondwana, un bateau destiné à une expédition dans l’Antarctique afin de visiter les bases installées par différentes nations sur le continent blanc et de dialoguer avec leurs membres sur la nécessité de préserver l’Antarctique comme un grand parc naturel appartenant au patrimoine universel, au lieu d’en faire la poubelle nucléaire et chimique que projettent déjà certains pays saturés de poison. Mais le Gondwana ne serait pas en état d’appareiller avant la fin août.
Le Moby Dick se trouvait également en réparation et ne quitterait la cale sèche de Brême que pour prendre la direction de l’Atlantique Nord afin d’empêcher la chasse aux baleines pratiquée par les Norvégiens, Suédois, Danois, Islandais, Américains du Nord et Russes avec des navires camouflés sous des pavillons de pays pauvres afin de violer plus impunément les lois internationales.
Le Sirus naviguait en Méditerranée pour freiner les rejets toxiques dans ses eaux plus que saturées, et éviter que cette mer, mère de toutes les cultures, ne finisse comme le grand égout de la planète.
Le Greenpeace opérait devant les côtes atlantiques des États-Unis pour tenter d’imposer l’idée d’une zone libérée d’armements et de transports nucléaires, et le Beluga, l’infatigable nain fluvial, parcourait les veines du vieux continent en empêchant de nouveaux déversements chimiques dans les fleuves, ce qui était encore, en fin de compte, défendre la vie des mers.
Quant au vieux Rainbow Warrior, le navire amiral de la flotte arc-en-ciel, il n’était plus là.
Le 10 juin 1985, quinze minutes avant minuit dans le port d’Auckland en Nouvelle-Zélande, deux bombes de forte puissance posées sur sa coque par les nageurs sous-marins des services secrets français y avaient ouvert des voies d’eau mortelles. Et ces bombes avaient assassiné l’écologiste portugais Fernando Pereira qui se trouvait à bord.
Le vieux Rainbow Warrior avait livré bien des batailles pacifiques dans les mers du Sud, mettant à nu l’irrationalité des essais nucléaires français sur l’atoll de Mururoa, et il avait succombé, victime d’un odieux acte de terrorisme approuvé par le gouvernement français.
Rien n’est plus beau qu’un voilier qui fend les mers en silence, et c’est dans ce même silence qu’en décembre 1985 des amis venus du monde entier avaient remorqué le Rainbow Warrior endormi jusqu’à la baie de Matauri, au large de la côte néo-zélandaise : là, au cours d’une cérémonie maorie, ils l’avaient laissé s’enfoncer vers les profondeurs marines, vers le havre abyssal dont il avait besoin pour s’unir à la vie pour laquelle il avait lutté.
— « Si vous ne pouvez pas m’aider, alors je devrai agir seul. » Ce sont ses dernières paroles, a conclu Arianne.
— Une espèce de vengeur des mers. Qu’est-ce que tu sais encore de lui ?
— J’oubliais : il s’appelle Jorge Nilssen et il a aussi parlé d’un bateau, le Finisterre. Il l’a mentionné en disant qu’il le mettait à notre service. Qu’est-ce qu’on peut faire ?
— Attendre, Arianne. Je ne vois rien d’autre.
— Quelque chose me dit que tout cela est vrai. Mon Dieu. Dix-huit hommes disparus. Il y a un mystère affreux derrière cette histoire.
Arianne continuait à avoir raison. Le peu que nous savions puait, mais il en est toujours ainsi des faits intéressants.