CHAPITRE XVI
Avant de mettre le cap sur Mechis III pour poursuivre sa quête de Tyko Thul, Zekk programma dans l’ordinateur de bord du Bâton de Foudre la trajectoire de Borgo Prime. Il n’avait aucune intention de manquer le rendez-vous fixé par son mystérieux employeur…
Assis seul à une table de l’Essaim de Shanko, vêtu d’une vieille combinaison de vol, ses cheveux noirs noués dans la nuque, Zekk attendit. Pour passer le temps, il étudia le bloc-notes électronique où il avait copié les archives de transport et les permis accordés pour le commerce légal des droïdes par la Nouvelle République.
Selon les fichiers des transactions publiques compilés par le Département du Commerce Galactique, aucune usine (y compris celles de Mechis III, appartenant à Tyko Thul) n’avait le droit de produire ou de vendre des droïdes assassins. IG-88 et son commando restaient donc un mystère pour Zekk. Quelque chose clochait, il en était persuadé…
Le jeune homme avait commandé un repas chaud, mais il était si absorbé qu’il mâchait sa nourriture sans la savourer. Appréhender Bornan Thul et encaisser la prime ne seraient pas possible tant qu’il n’aurait pas rempli son contrat avec le père de Raynar : il devait retrouver Tyko avant de pouvoir agir.
Jetant de fréquents coups d’œil à son chronomètre, Zekk se repassa mentalement le petit discours qu’il voulait servir à maître Prudent. Malgré les conseils de Boba Fett, certaines questions restaient en suspens dans son esprit. Plus qu’une heure avant le rendez-vous…
Zekk avala une autre bouchée de ragoût épicé, et s’aperçut qu’il avait la gorge en feu. Son estomac gargouillait, mais Shanko lui ayant juré que ce plat était compatible avec le système digestif humain, ce devait plutôt être dû à la nervosité.
L’Essaim de Shanko bourdonnait comme une ruche. Des centaines de clients d’espèces différentes s’y pressaient à toute heure du jour et de la nuit. Contrairement à la célèbre cantine de Mos Eisley, l’établissement était toujours propre et bien entretenu, mais on y trouvait la même racaille. Par mesure de précaution, Zekk gardait un œil sur tous ses voisins.
Bornan Thul arriva vêtu d’un nouveau déguisement qui n’empêcha pas Zekk de le repérer tout de suite. Cette fois, le père de Raynar portait un caftan marron, un turban assorti et un masque antipollution qui couvrait le bas de son visage.
Thul ne remarqua pas tout de suite le jeune chasseur de primes. Gêné par son accoutrement, il jeta autour de lui des regards nerveux, comme s’il ne tenait pas à s’attarder plus que nécessaire dans cet endroit surpeuplé. Si Zekk nourrissait encore des doutes sur la véritable identité de son employeur, ils se dissipèrent aussitôt.
Le jeune homme se demanda s’il devait faire signe à maître Prudent. Mais, craignant de l’effrayer ou d’attirer sur lui une attention indésirable, il s’abstint, attendant que Thul le remarque.
— Je n’ai que quelques minutes à vous consacrer, déclara le marchand sans préambule, en se glissant dans le siège voisin de Zekk. (Le masque antipollution filtrait sa voix.) Dites-moi vite où vous en êtes.
Sous son turban, le regard de Thul continuait à scruter les ombres de la taverne. Zekk grimaça : le marchand ne se doutait pas que la personne dont il avait le plus à craindre était justement son employé !
Croisant les mains derrière sa nuque, le jeune homme adopta une posture détendue.
— La première partie de la mission est accomplie, déclara-t-il nonchalamment. J’ai transmis votre message à la flotte bornarienne en utilisant les codes de communication que vous m’aviez indiqués. Bien entendu, j’ignore si Aryn Dro Thul l’a reçu… mais ça me paraît probable.
Bornan Thul laissa échapper un soupir de soulagement. Des émotions trop longtemps réprimées l’assaillaient.
Zekk décida de lui raconter le reste de l’histoire.
— Immédiatement après que j’ai envoyé votre message, j’ai été attaqué par un autre chasseur de primes, qui s’était posté en embuscade et avait capté mon signal. Par chance, j’ai réussi à m’échapper.
L’homme déguisé hocha gravement la tête.
— Ainsi, j’avais raison de me montrer prudent.
— Exact. Ce chasseur de primes croyait avoir affaire à vous… Bornan Thul, dit Zekk en baissant la voix.
Paniqué, le marchand se raidit et parut prêt à s’enfuir à toutes jambes. Zekk leva une main pour l’en empêcher.
— Si j’avais l’intention de vous capturer, je vous aurais assommé à l’instant où vous vous êtes assis. Détendez-vous. (Il massa les muscles noués de sa nuque.) Combien de temps pensiez-vous pouvoir m’abuser ? Vous n’êtes pas très doué. Malgré le déguisement, je vous ai reconnu dès notre première rencontre.
Bornan Thul déglutit si fort que Zekk l’entendit à travers son masque antipollution.
— J’ai reçu l’éducation typique d’un noble alderaanais, chuchota-t-il d’une voix rauque. Je suis un marchand et un négociateur : je n’ai pas souvent eu l’occasion de m’entraîner à ce genre de choses.
— Ça me paraît évident, ricana Zekk. Je suis étonné que vous ne vous soyez pas encore fait capturer. Savez-vous que je deviendrais célèbre si je vous conduisais à Nolaa Tarkona ?
« Mais ce ne serait pas honorable : la Charte des Chasseurs de Primes m’interdit de trahir mon employeur. J’ai accepté la mission que vous m’avez confiée ; jusqu’à ce que je l’aie remplie en totalité, vous n’avez rien à craindre de moi.
« Pour l’instant, je n’ai pas localisé votre frère, bien que je sois sur une piste. Je pense découvrir d’autres indices sur Mechis III, où je vais me rendre sans tarder. Qui sait, je le retrouverai peut-être là-bas…
— À présent que vous connaissez mon identité, je ne peux pas prendre le risque de vous rencontrer de nouveau, dit Bornan Thul d’une voix tremblante.
Zekk plissa ses yeux vert émeraude.
— Dans ce cas, comment puis-je être sûr que vous me paierez une fois ma mission accomplie ?
— Moi aussi, je suis un homme honorable, déclara son interlocuteur. Quand vous aurez localisé mon frère, les crédits seront versés sur votre compte. À partir de là, je vous considérerai comme un ennemi à éviter à tout prix.
Il se leva, hésita puis se tourna à nouveau vers Zekk.
— Jeune homme, vous n’avez aucune idée de la catastrophe que vous déclencheriez en me remettant à Nolaa Tarkona. Savez-vous pourquoi elle brûle de me retrouver ?
Zekk secoua la tête.
— Un chasseur de primes ne pose pas de questions. Mon rôle est d’accomplir la mission qu’on m’a confiée. Je laisse la politique, les émotions et les nuances légales aux gens qui sont plus compétents que moi en la matière.
Thul poussa un gros soupir.
— Vous changeriez peut-être d’avis si vous en saviez autant que moi, déclara-t-il. À supposer que Nolaa Tarkona obtienne les informations que je détiens, elle n’hésiterait pas à s’en servir. Cela pourrait entraîner l’extinction de la race humaine dans la galaxie…
« Réfléchissez : jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour obtenir la gloire et la richesse ? Combien de vies innocentes accepteriez-vous de risquer ?
Mal à l’aise, Zekk s’agita sur son siège. Il préférait ne pas penser à ce genre de choses…
Soudain, une bagarre éclata près du juke-box, de l’autre côté de la salle. Un gros Talz à fourrure blanche venait de bousculer un Whiphide dont la gueule s’ornait de quatre défenses.
Le Whiphide poussa un rugissement, baissa la tête et en flanqua un grand coup dans la poitrine du Talz, qui couina d’une voix aiguë et martela son adversaire de coups de poing.
Des tables volèrent en éclats. Le juke-box bascula en poussant un gémissement synthétisé. Abandonnant leurs conversations, les clients applaudirent et encouragèrent les deux créatures ; les plus enthousiastes se jetèrent dans la mêlée.
De ses bras aux multiples articulations, Shanko fit un signe, et Droq’l, le serveur à la peau bleue, bondit par-dessus le comptoir. Il empoigna le Talz et le Whiphide avec ses deux mains latérales, les séparant. Puis son poing central s’enfonça dans une partie très sensible d’une des deux créatures, puis de l’autre.
Les belligérants s’effondrèrent et demeurèrent immobiles sur le sol, tandis que leurs partisans reculaient dans l’ombre sous le regard sévère de Droq’l.
Le serveur se dirigea vers le juke-box, le releva et lui flanqua un coup de pied pour le faire redémarrer. Puis il toisa le Talz et le Whiphide.
— Je mettrai les réparations sur votre note, grogna-t-il sur un ton qui n’admettait pas de réplique.
Il retourna derrière son comptoir où Shanko l’insectoïde, qui avait observé l’altercation sans intervenir, lui servit une chope d’Osskorn pour le récompenser.
Zekk secoua la tête et reporta son attention sur Bornan Thul, mais celui-ci avait disparu. Le jeune homme eut beau tourner la tête en tous sens, il n’aperçut pas le fugitif. Deux fois déjà qu’il lui échappait de la sorte. Il n’était peut-être pas si nul, après tout.
Zekk décida qu’il n’avait pas besoin de poursuivre son employeur : ça ne lui servirait à rien tant qu’il n’aurait pas retrouvé Tyko Thul.
Il finit tranquillement son assiette de ragoût, paya, sortit de la taverne et se dirigea vers le spatioport.
Une demi-heure plus tard, il était en route pour Mechis III.