CHAPITRE III
À l’intérieur de l’astéroïde creux (mais bourdonnant d’activité) nommé Borgo Prime, Zekk suivit les panneaux fluorescents qui menaient à l’Essaim de Shanko. C’était dans cette taverne populaire que le jeune homme aux cheveux noirs avait reçu sa première mission de chasseur de primes. À présent, il y revenait les mains vides.
Zekk envisagea et rejeta l’une après l’autre toutes sortes d’explications. Droq’l, le serveur à la peau bleue, l’avait engagé pour retrouver un intermédiaire qui s’était volatilisé avec des coquilles de ronik lui appartenant. Mais le nommé Fonterrat était mort, sa précieuse cargaison détruite. Zekk ne savait pas comment son employeur réagirait à cette nouvelle.
Comment Boba Fett se sortirait-il de ce pétrin ? se demanda le jeune homme. Fett, l’un des chasseurs de primes les plus respectés (et les plus craints) de la galaxie, n’aurait pas perdu de temps à s’excuser : il serait allé droit au but. Zekk décida d’en faire autant.
Rejetant en arrière sa queue-de-cheval, le jeune homme s’immobilisa devant l’entrée d’un immense bâtiment en forme de cône orné de passerelles aux courbes douces comme celles de vagues.
Il prit quelques instants pour mettre en application une des techniques de relaxation que lui avait enseignées maître Skywalker, et non Brakiss, de l’Académie de l’Ombre. Puis, affichant toute l’assurance d’un professionnel, il pénétra dans l’Essaim de Shanko.
À l’intérieur, l’air était chargé de senteurs exotiques. Une brume grise planait dans la taverne. Bien que celle-ci soit ronde, ses îlots contrastés de bruit et de silence, de lumière et de pénombre, donnaient l’illusion d’une multitude de recoins.
Un bref regard vers le comptoir apprit à Zekk que Shanko, le propriétaire insectoïde de l’établissement, était sorti de son hibernation… et semblait d’une humeur massacrante.
Sois concis, sois confiant, sois professionnel, se répéta le jeune homme en se dirigeant d’un pas décidé vers le comptoir, où il jeta une puce à crédits.
— Un demi d’Osskorn, dit-il. (Puis, sans préambule :) Il faut que je parle à votre serveur.
Un peu de mousse brunâtre dégoulina sur le comptoir quand Shanko y posa sans douceur une chope remplie de bière. Alors que Zekk buvait en réprimant une grimace, un des nombreux membres de la créature insectoïde essuya le liquide avec un chiffon, tandis qu’un autre désignait quelqu’un sur sa droite.
Zekk pivota. Droq’l semblait en grande conversation avec un client qui se tenait à l’extérieur du cercle de lumière projeté par les lampes du comptoir.
Le jeune homme hocha la tête en signe de remerciement, puis se dirigea vers le serveur. Comme s’il avait un œil derrière la tête (ce qui était le cas, se souvint Zekk) l’extraterrestre aux trois bras se tourna vers lui.
— As-tu trouvé ce que je t’avais envoyé chercher ? demanda-t-il.
L’avidité se lisait sur son visage à la peau bleue.
— Fonterrat est mort, annonça abruptement Zekk. Sur Gammalin.
Droq’l grimaça, révélant des dents noires et brillantes.
— Gammalin, hein ?
Zekk haussa les épaules.
— Il a involontairement exposé la colonie à une épidémie. Les habitants l’ont emprisonné après avoir brûlé sa cargaison, mais il était trop tard. Le virus a tué tous les humains.
— Fonterrat n’était pas humain, fit remarquer Droq’l. Je suppose qu’il a crevé de faim dans sa cellule après la mort des colons. (Une lueur de plaisir remplaça la déception dans les yeux du serveur.) Il a dû beaucoup souffrir ; ça me console un peu.
Zekk hocha la tête et plongea une main dans la poche de sa veste pour en sortir le cube holographique qui contenait le dernier message de l’intermédiaire. Droq’l le visionna, poussa un soupir et tendit ses trois bras devant lui en signe d’impuissance.
— C’est aussi bien comme ça. S’il n’était pas mort de faim, je l’aurais tué de mes propres mains pour son incompétence.
À la grande surprise de Zekk, il lui versa l’intégralité de la prime promise.
— Il est bon de voir un débutant qui a de la présence d’esprit, déclara-t-il. Tu as accompli la mission que je t’avais confiée, et tu as eu le bon sens de ramener une preuve. C’est plus qu’on ne peut en dire de certains professionnels qui ont deux fois ton âge.
Droq’l prit l’air pensif et pianota sur le comptoir.
— En y réfléchissant, j’ai peut-être un autre boulot pour toi… si ça t’intéresse. Un de mes clients cherche un chasseur de primes compétent, digne de confiance mais pas trop connu. Il me semble que tu ferais l’affaire.
— Vous êtes plutôt futé, dit gravement Zekk. En tout cas, vous savez juger les gens au premier coup d’œil.
Droq’l gloussa.
— Ça veut dire que tu acceptes le job ?
Zekk tenta de ne pas montrer son excitation.
— Bien sûr. Puis-je parler au client ?
En arrivant à l’Essaim de Shanko, il s’attendait que le serveur le rabroue et l’humilie devant ses pairs. Au lieu de cela, grâce à son sens de l’honneur (une chose qu’il craignait d’avoir sacrifiée au Côté Obscur de la Force), il avait été payé, et voilà qu’une nouvelle mission lui tombait toute rôtie dans le bec !
Droq’l sourit.
— Il est un peu bizarre, mais je suis certain qu’il voudra te voir en personne avant de t’engager.
Assis à une table basse, dans l’ombre d’un escalier en spirale qui montait vers les étages de l’Essaim de Shanko, Zekk détaillait la… créature… assise en face de lui.
— Mon nom est Zekk, se lança-t-il. J’ai entendu dire que vous cherchiez un chasseur de primes.
— C’est exact. Vous avez de très bonnes recommandations, répondit son interlocuteur. Appelez-moi… Prudent. Maître Prudent, ce sera très bien.
Amusé, Zekk haussa les épaules.
— Comme il vous plaira.
La voix de Prudent était masculine mais synthétisée. Son corps et ses bras étaient enveloppés de robes grises et de fourrures qui cachaient sa silhouette, de sorte qu’on ne pouvait pas deviner sa race. Il portait un masque holographique dont les traits se modifiaient constamment.
Une queue reptilienne serpentait entre ses jambes, mais elle pouvait faire partie de son déguisement. Pour ce que Zekk en savait, il aurait aussi bien pu se trouver face à une Wookie qu’à un Jawa monté sur des échasses ou à son amie Jaina Solo.
Songer à Jaina amena un sourire sur les lèvres de Zekk. Machinalement, il tapota la poche de sa veste, où se trouvaient deux holomessages : le premier envoyé par la jeune fille, le second par le vieux Peckhum. Il les avait récupérés en arrivant sur Borgo Prime.
— Que voulez-vous que je cherche, maître Prudent ? s’enquit Zekk, optant pour une approche directe.
Son interlocuteur regarda autour de lui, comme pour s’assurer que personne ne les écoutait. Machinalement, Zekk fit de même. À la table voisine, un Devaronien jouait aux cartes avec deux humains à l’air peu recommandable.
Un peu plus loin, un Ranat consultait un informateur hutt ; un Talz à la fourrure blanche et un Ithorien à la tête en forme de marteau buvaient des cocktails colorés et chantaient en s’accompagnant d’une harpe miniature à neuf cordes. Personne ne leur prêtait la moindre attention.
— Je veux que vous retrouviez un homme qui a disparu, déclara Prudent, bien que la bouche de son masque holographique ne bougeât pas. Son nom est Tyko Thul.
Zekk sursauta.
— Vous avez dit Tyko Thul ?
— C’est ça. Il a été enlevé par des droïdes assassins il y a quelques jours. Je veux que vous le localisiez.
— Tous les chasseurs de primes de la galaxie sont à la recherche de Bornan Thul, fit remarquer Zekk. Êtes-vous sûr de ne pas vous tromper de personne ?
Prudent hocha la tête.
— Tyko est le frère de Bornan, expliqua-t-il. J’ai des raisons de croire que leurs disparitions sont liées.
Comme c’est intéressant ! songea Zekk. Localiser Tyko le mettrait peut-être sur la piste de Bornan. Après son échec dans l’affaire Fonterrat, le jeune homme s’était juré de retrouver la proie la plus convoitée de la galaxie afin de se faire une réputation. Et voilà qu’on le payait pour effectuer ses recherches !
— J’accepte la mission, déclara-t-il. Quelle prime proposez-vous ?
Prudent cita un chiffre assez élevé.
— Mais seulement si vous retrouvez Tyko Thul, précisa-t-il.
Zekk tenta de ne pas manifester sa surprise. Après tout, son employeur gagnerait beaucoup plus que cela si Tyko pouvait lui fournir des informations concernant son frère.
— Et ce n’est pas tout, ajouta maître Prudent. J’ai besoin que vous envoyiez un message pour moi, car d’autres affaires pressantes m’appellent. Je vous donnerai toutes les instructions nécessaires. (Il fit glisser une cassette holographique sur la table.) N’essayez pas de l’écouter : ça ne signifierait rien pour vous.
Zekk prit la cassette et la glissa dans sa poche.
— Autre chose ? demanda-t-il.
— Non. Mais ce n’est pas aussi simple que vous le croyez : ce message est destiné à la flotte bornarienne. Or, celle-ci se cache depuis la disparition de son maître, et il m’a été impossible de la localiser.
— Dans ce cas, comment voulez-vous que je lui fasse passer votre message ? s’enquit Zekk en fronçant les sourcils.
— Je veux seulement que vous le relayiez aux stations suivantes, expliqua son interlocuteur.
Il lui fournit une liste de coordonnées toutes situées sur des routes commerciales majeures que Zekk connaissait bien pour les avoir empruntées avec le vieux Peckhum.
— Rendez-vous ici dans dix jours, conclut Prudent. Vous me ferez votre rapport, et je vous paierai si vous avez atteint les deux objectifs fixés.
Zekk se détendit. Pourtant, il ne comprenait pas l’intérêt de transmettre un message à la flotte bornarienne. Son client espérait-il l’amener à se découvrir ? Voulait-il questionner la famille et les employés de Thul pour mieux localiser sa proie ?
Au moment où le jeune homme ouvrait la bouche pour poser une question, une explosion retentit à l’une des tables voisines. Zekk cligna des yeux, tandis qu’un nuage de fumée blanche enveloppait le Talz et l’Ithorien.
Avec un grognement agacé, Droq’l se précipita pour ramasser les débris de verre.
— Je vous avais pourtant dit de ne pas mettre vos cocktails en contact, marmonna-t-il. Vous savez bien qu’ils sont chimiquement incompatibles !
De sa grosse patte, le Talz éteignit les flammèches qui léchaient sa fourrure blanche. Secouant la tête, Zekk reporta son attention sur Prudent… et découvrit qu’il avait disparu.
Le jeune homme haussa les épaules. Après tout, il connaissait sa mission, et il savait où retrouver son employeur.
Avant de se mettre en chasse, il voulait visionner les messages de Peckhum et de Jaina.
Zekk fit signe à Droq’l de lui apporter une autre Osskorn, puis il tira une cassette de sa poche et l’introduisit dans le lecteur intégré à la table. Il attendit impatiemment que le visage de Jaina apparaisse à l’écran.
Mais il ne vit que l’inscription suivante :
PROPRIÉTÉ DU CODEUR
MESSAGE ILLISIBLE
Pourquoi son amie ou le vieux Peckhum lui auraient-ils envoyé un message illisible ? se demanda Zekk. Puis il comprit son erreur : il avait dû prendre la cassette remise par maître Prudent.
Le jeune homme se mordit la lèvre. Cela ne tenait pas debout : comment son employeur espérait-il faire passer un message codé à la flotte bornarienne ? Et comment les destinataires pourraient-ils le visionner, à moins d’en posséder la clé ?
C’était peut-être le cas, songea Zekk. Prudent avait sans doute utilisé un des codes de la compagnie marchande de Bornan Thul. Autrement dit, il devait être un de ses anciens employés… voire Bornan Thul lui-même !
Cette idée avait à peine traversé l’esprit du jeune homme qu’il eut la certitude d’avoir vu juste. Il le sentit jusque dans ses os et dans le doux murmure de la Force qui l’accompagnait partout comme un agréable bruit de fond.
Quand Prudent avait parlé de retrouver Tyko Thul, sa voix contenait une sorte d’inquiétude. Elle s’était faite presque tendre en évoquant la flotte. Zekk secoua la tête. Il n’arrivait pas à y croire : Bornan Thul se trouvait en face de lui quelques minutes plus tôt !
Le jeune homme fourra les cassettes dans sa poche et bondit sur ses pieds au moment où Droq’l arrivait avec une chope de bière fraîche dans sa main centrale.
— Par où ? demanda Zekk. Par où est-il parti ?
Le serveur ne fit pas semblant de ne pas comprendre de quoi parlait le jeune homme. Au contraire, il désigna d’un signe de tête une petite porte, de l’autre côté de l’escalier.
Zekk s’élança et déboucha dans une ruelle. Il eut beau tourner la tête en tous sens, il ne découvrit aucun signe de son employeur.
Son cœur battit à tout rompre. Il venait de parler avec l’homme le plus recherché de la galaxie ! Thul était sans doute déjà loin, mais il continua à explorer à tout hasard.
Il ne fut pas surpris de découvrir, un moment plus tard, une pile de fourrures et de tissu gris, accompagnée d’une fausse queue reptilienne. Bornan Thul avait renoncé à son déguisement.