CHAPITRE IX
— Oui, j’ai un plan, déclara Nolaa Tarkona. Et je ne crois pas qu’il plaira beaucoup à nos « amis » les humains.
Elle sourit, révélant des dents affûtées qui scintillèrent dans la pénombre comme des dagues.
— Tant mieux, approuva le conseiller Hovrak, un homme-loup au visage sévère qui aboyait plus qu’il ne parlait.
Du bout d’une griffe, il délogea un lambeau de viande coincé entre ses crocs. Les taches de sang frais qui constellaient son uniforme révélaient qu’il venait de se nourrir.
Nolaa pénétra dans ses appartements privés et frôla sans s’y arrêter la longue table où elle recevait ses invités.
— Les trois autres délégués sont-ils arrivés ? demanda-t-elle.
— Leur vaisseau vient de se poser sur Ryloth, l’informa Hovrak. (Mal à l’aise, il se dandina d’un pied sur l’autre.) Je conçois que vous vouliez les récompenser pour avoir recruté un grand nombre de membres pour notre Alliance. Mais êtes-vous certaine que cela justifie l’utilisation de notre dernier échantillon de virus ?
Nolaa Tarkona hocha la tête, agitant l’unique tentacule qui lui restait. Des plis de sa robe noire, elle sortit une fiole contenant le liquide mortel.
— Nous avons besoin d’une étincelle pour allumer le feu de la loyauté aveugle, expliqua-t-elle.
Vingt ans plus tôt, un groupe d’extraterrestres rebelles s’étaient fixé des objectifs identiques à ceux de Tarkona, mais ils n’avaient pas su prendre les mesures radicales qui s’imposaient.
La Twi’lek avait tiré une bonne leçon de leurs erreurs, et elle s’était juré que son Alliance de la Diversité réussirait… quel qu’en soit le prix.
Flanquée de Hovrak, elle se dirigea vers la grotte principale pour accueillir les plus efficaces de ses fidèles.
La température était fraîche, et une lumière écarlate filtrait par des panneaux de verre.
Trois soldats de l’Alliance de la Diversité gonflés de leur propre importance attendaient la Twi’lek. Sur les milliers d’extraterrestres qui composaient son mouvement, c’était eux qu’elle avait choisis pour une réunion privée.
Tarkona les étudia.
Il y avait d’abord Rullak, un Quarren au visage envahi par les tentacules, originaire du monde océanique de Calamari.
Des dizaines d’années plus tôt, sa race amphibie avait collaboré avec l’Empire pour protéger ses cités sous-marines pendant que les Calamariens, résolument pacifiques, étaient réduits en esclavage.
À présent, Rullak se tenait dans l’ombre, se frottant les mains pour répartir les sécrétions corporelles qui empêchaient sa peau de se dessécher.
À sa droite se dressait un Trandoshan reptilien nommé Corrsk. Sa respiration évoquait un gargouillement. Depuis toujours, son peuple était l’ennemi juré des Wookies, dont il collectionnait les fourrures.
Exigeant que les races extraterrestres s’unissent contre la menace humaine, Tarkona avait réussi à arracher des concessions aux Trandoshans. Corrsk et ses semblables avaient juré d’oublier leurs griefs envers les Wookies qui épousaient la cause de l’Alliance. Quant aux autres… tant pis pour eux.
Le dernier soldat était une Devaronienne appelée Kambrea. Avec ses cornes, ses yeux bridés et ses crocs pointus, elle avait un visage de démon.
— Vous m’avez entendue parler devant des foules considérables, commença Tarkona, mais la démonstration qui va suivre est réservée à vos seuls yeux.
Elle s’assit sur un trône de pierre massif. À sa gauche, une lime reposait sur un piédestal : à ses moments perdus, Tarkona s’en servait pour affûter ses crocs. Pour l’heure, elle saisit l’instrument et s’amusa à introduire l’extrémité pointue sous ses ongles.
— C’est une cérémonie privée, une récompense pour vos bons et loyaux services. Ce que je vais vous montrer vous convaincra mieux que toutes les paroles que je pourrais prononcer.
— Vous n’avez pas besoin de nous convaincre, Estimée Tarkona, protesta Kambrea. (Ses yeux ne cessaient de scruter les ombres de la grotte, comme si elle s’attendait à y trouver des assassins en embuscade.) Nous savons que notre cause est juste. Le poids de la domination humaine écrase la galaxie depuis trop longtemps. Nous vous suivrons partout où vous nous emmènerez.
— À mort les humains ! cria Corrsk d’une voix rauque.
— Moi, je serai ravi de voir cette démonstration, déclara le Quarren, ses tentacules frémissant. (Sa voix résonnait comme s’il avait parlé dans un tuba.) Je n’ai aucun doute, Estimée Tarkona… mais je suis certain que ce sera divertissant.
La Twi’lek éclata de rire.
— Divertissant, c’est le mot. (Elle leva la fiole pour que tous puissent la voir.) Ce minuscule récipient contient un pouvoir plus destructeur – et surtout plus sélectif – que celui de l’Étoile Noire.
Le Quarren et la Devaronienne retinrent leur souffle, tandis que Corrsk poussait un grognement.
— L’Empereur ne s’est pas contenté de conquérir la galaxie par la force des armes. Une équipe de ses meilleurs scientifiques – des humains, mais néanmoins doués – travaillait à des projets beaucoup plus insidieux.
« Le grand biologiste Evir Derricote a notamment créé plusieurs maladies capables de se répandre comme une traînée de poudre dans une ou plusieurs espèces spécifiques. Souvenez-vous de nos souffrances durant l’épidémie due au virus Krytos, sur Coruscant…
Les trois délégués hochèrent gravement la tête, se souvenant de la mort et de la terreur qui avaient frappé des millions de créatures peu de temps après la chute de l’Empereur.
— J’ai appris que Derricote avait développé un organisme encore plus meurtrier que le Krytos, un virus si terrible que Palpatine lui-même craignait de s’en servir. (Tarkona brandit la fiole.) Et j’en tiens un échantillon dans ma main.
Écarquillant les yeux, les trois délégués reculèrent instinctivement. La Twi’lek réprima un sourire de satisfaction. Elle avait réussi à les impressionner, mais ça ne lui suffisait pas.
Elle se leva, les plis de sa robe noire dansant autour de ses chevilles, et descendit les marches de son trône tandis que les délégués échangeaient des regards nerveux.
— Hovrak, dit-elle en claquant des doigts. Fais amener le prisonnier.
Son unique tentacule s’agita d’excitation, tandis que le senseur optique implanté dans le moignon de l’autre enregistrait tous les détails autour d’elle.
Le conseiller cria un ordre. Deux Gamorréens débouchèrent d’un tunnel, traînant entre eux la silhouette d’un humain. Celui-ci était vêtu d’une robe écarlate, et son casque pointu ne laissait entrevoir que ses yeux.
— Un garde impérial ! s’exclama Rullak, stupéfait. Je croyais qu’ils avaient tous péri !
— Celui-ci avait un peu plus d’ambition que la moyenne, expliqua Tarkona. Lui et une poignée de ses amis ont simulé l’existence d’un faux Empereur, dans l’espoir de régner en son nom. Mais leurs plans sont tombés à l’eau quand la nouvelle génération de Chevaliers Jedi a vaincu l’Académie de l’Ombre. Il a été le seul à en réchapper.
Le prisonnier se débattit, mais les Gamorréens au visage porcin le tenaient fermement.
— Je me souviens de la puissance des Gardes Rouges, déclara Kambrea. À l’époque, ils nous terrorisaient…
— À mort les humains ! gronda de nouveau Corrsk.
Tarkona s’approcha de l’homme en robe écarlate.
— Celui-ci continue à porter son uniforme pour affirmer ses liens avec l’ancien Empire. Il a tenté de prendre contact avec certaines… organisations criminelles de la galaxie.
« Pour une raison que j’ignore, il semblait croire que l’Alliance de la Diversité en faisait partie. Il ne s’était pas avisé de la haine que les races extraterrestres avaient encore pour l’Empire. Et maintenant, c’est son tour d’être pris au piège.
La Twi’lek se pencha vers l’homme, qui se raidit.
— Mais nous pourrions faire bon usage de vos connaissances.
— Et le virus ? intervint le Quarren. Quand aura lieu la démonstration promise ?
Tarkona se renfrogna.
— Bien que Palpatine n’ait jamais eu l’intention de s’en servir, il n’a pas pu se résoudre à détruire une arme aussi efficace. Il a ordonné qu’on la stocke dans un dépôt secret, sur un astéroïde. Puis il a effacé les coordonnées des archives impériales, pour que personne ne puisse jamais en retrouver la trace.
« La plupart des séides de Palpatine ont disparu aujourd’hui, mais l’homme qui se tient devant vous était un des officiers les plus gradés de son armée. Je présume qu’il connaît l’emplacement du dépôt. Je lui ai demandé de me le révéler, afin que notre Alliance puisse récupérer la souche du virus.
Tarkona fit glisser ses griffes le long du casque de plastacier poli de l’impérial.
— Mais il a décliné mon offre, ricana-t-elle. (Elle jeta un regard aux trois délégués.) Au moins, jusqu’à présent.
Elle brandit la fiole sous le nez de l’humain.
— Dis-moi où se trouve le dépôt, ordonna-t-elle. C’est ta dernière chance.
Le prisonnier secoua la tête. Tarkona poussa un soupir.
— Tant pis pour toi.
Elle lâcha la fiole, qui alla s’écraser sur le sol de pierre de la caverne. Puis, avec un soulagement à peine dissimulé, elle la piétina et la brisa sous le talon de sa botte, libérant la solution virale.
Les trois délégués reculèrent. Horrifiés, ils se couvrirent la bouche et les narines, puis tentèrent sans succès de retenir leur souffle.
Étonnés, les Gamorréens clignèrent des yeux : ils se demandaient s’ils devaient nettoyer ou pas les restes de la fiole.
Nolaa Tarkona ne broncha pas.
Le Garde Rouge fit une tentative désespérée pour s’arracher à l’étreinte des Gamorréens. Mais il fut pris de violentes convulsions.
— Vous pouvez le lâcher, grimaça Tarkona. Il ne constitue plus une menace.
Les créatures porcines se regardèrent, haussèrent les épaules et firent ce qu’on leur ordonnait.
Tremblant de la tête aux pieds, le prisonnier tomba à genoux. Ses mains gantées tapèrent frénétiquement sur sa poitrine et son estomac. Des gargouillis s’échappèrent de son casque, comme s’il essayait d’inspirer de l’air mais ne réussissait qu’à inhaler de la salive visqueuse.
Sous le regard fasciné des trois délégués, il s’efforça d’ôter son casque. Des spasmes l’agitèrent pendant que le virus se répandait dans son corps tel du plomb en fusion.
Ses doigts maladroits déverrouillèrent le casque et commencèrent à le retirer. Son dos se souleva une dernière fois, puis il s’effondra comme un vulgaire tas de chiffons écarlates.
— Très impressionnant, grogna Hovrak en passant une langue rouge sur ses canines.
— Plus encore que je ne l’espérais, acquiesça Tarkona. (Elle se tourna vers les trois observateurs effrayés.) Ce virus a été conçu pour attaquer une hélice d’ADN spécifique : il n’affecte que les sujets possédant une structure génétique humaine.
« Les races extraterrestres sont naturellement immunisées. Nous nous trouvons dans la même pièce, nous respirons le même air, et pourtant le virus n’a atteint que cette pitoyable créature.
— Mais pourquoi l’Empereur aurait-il développé une telle arme ? protesta Kambrea en se rapprochant. Ses sujets étaient humains !
— Beaucoup de Rebelles aussi, lui rappela Tarkona. Palpatine comptait se servir du virus pour maîtriser les insurrections dans les mondes coloniaux… jusqu’à ce qu’il réalise à quel point l’épidémie se propagerait facilement. Il suffisait qu’un transport de marchandises viole la quarantaine. En quelques semaines, l’Empire n’aurait plus été qu’un immense charnier.
Tarkona fit un geste.
Les Gamorréens saisirent le cadavre du Garde Rouge et le traînèrent par les manches de sa robe sur le sol de pierre.
Dès qu’ils eurent franchi le tournant du tunnel et disparu, la Twi’lek entendit tomber le casque du prisonnier. Les Gamorréens s’accusèrent mutuellement de l’incident, puis l’un d’eux dut ramasser le casque, car ils reprirent leur progression.
— Avez-vous l’intention de libérer le virus ? interrogea Corrsk. De tuer tous les humains ?
Tarkona croisa les bras sur sa poitrine.
— N’est-ce pas l’objectif de l’Alliance de la Diversité ?
Rullak se pencha vers elle en agitant ses tentacules.
— Comment avez-vous obtenu cet échantillon, Estimée Tarkona ? Y a-t-il moyen de s’en procurer d’autres ?
La Twi’lek retourna s’asseoir dans son trône.
— Un charognard du nom de Fonterrat est tombé par hasard sur le dépôt où est stocké le virus. Sans réaliser la portée de sa découverte, il a volé deux fioles et me les a apportées.
« Mais il était aussi méfiant que cupide. Il craignait que je ne le torture pour obtenir l’emplacement de l’astéroïde sans lui verser un crédit. (La Twi’lek sourit.) Bien sûr, il se trompait. Je n’aurais jamais fait une chose pareille : les humains sont nos ennemis, pas les autres extraterrestres.
« Fonterrat cita un prix extravagant et me demanda d’envoyer un de mes représentants dans une zone neutre. Là, il prendrait livraison d’un coffre scellé contenant sa prime ; en retour, il donnerait à mon envoyé le module de navigation de son ordinateur de bord, seul dépositaire des coordonnées du dépôt.
Tarkona pianota sur l’accoudoir de son trône.
— L’arrangement me satisfaisait. Trouvant amusant d’engager un humain comme intermédiaire, j’ai choisi Bornan Thul, un marchand arrogant qui semblait croire que la galaxie lui appartenait.
« Thul rencontra Fonterrat sur le monde abandonné de Kuar. Je suppose qu’ils firent l’échange et repartirent chacun de leur côté. Mais Bornan Thul ne me remit jamais le module.
« À mon avis, il a découvert ce que contenait sa cargaison. Réalisant le danger, il a préféré disparaître avec elle plutôt que de se rendre à la conférence de Shumavar où nous devions nous rencontrer.
Tarkona croisa les mains.
— Bizarrement, poursuivit-elle, l’air perplexe, il ne s’est pas réfugié auprès des autorités de la Nouvelle République. Peut-être pense-t-il que notre mouvement a infiltré les plus hautes sphères du pouvoir sur Coruscant… et il a raison.
« Hélas, puisque Fonterrat se méfiait trop pour traiter directement avec moi, et puisque mon intermédiaire humain m’a trahie, je n’ai toujours pas récupéré les informations que j’ai payées. Mais d’une certaine façon, je m’étais vengée d’avance…
« À l’intérieur du coffre remis à Fonterrat, j’avais placé un des échantillons. Dès qu’il l’a ouvert pour s’emparer de sa prime, un ingénieux dispositif a brisé la fiole. Fonterrat étant immunisé, il n’a pas dû s’apercevoir que son vaisseau transportait une épidémie meurtrière… jusqu’à ce qu’il se pose sur Gammalin.
Tarkona sourit et tourna vers Hovrak ses yeux couleur de quartz rose.
— Tous les colons humains sont morts à présent. Je déplore qu’aucun d’eux n’ait réussi à s’échapper pour répandre le virus. Celui-ci ne peut pas survivre très longtemps à l’air libre ; Gammalin n’a donc pas été la source de contamination que j’espérais.
Les trois délégués s’approchèrent prudemment des débris de la fiole.
Le Trandoshan ramassa quelques morceaux de verre, les approcha de son nez et renifla avec intérêt.
— Dans ce cas, s’enquit Kambrea en passant une main sur ses cornes, comment obtiendrons-nous une quantité suffisante de virus pour nous aider à lutter contre l’oppression humaine ? C’était votre dernier échantillon, et Bornan Thul a disparu avec les coordonnées du dépôt.
— Ce n’est qu’un contretemps, déclara Tarkona. J’ai offert une prime assez importante pour lancer à ses trousses tous les chasseurs de la galaxie. Il ne pourra aller nulle part sans se faire mettre la main au collet.
Elle caressa son tentacule couvert de tatouages et sentit ses extrémités nerveuses la picoter.
— Ce n’est plus qu’une question de jours.