CHAPITRE X
En vol, Zekk passa des heures à étudier la Charte des Chasseurs de Primes, à mémoriser ses règles et ses coutumes tout en se débattant avec des pensées contradictoires. Il avait tant de questions à poser, tant de choses à apprendre !
Il lui semblait impossible de satisfaire son désir de capturer Bornan Thul puisque celui-ci lui avait confié une mission, même sous couvert d’un déguisement. Par ailleurs, Zekk se souvenait de la promesse faite à Jaina dans le champ d’astéroïdes d’Alderaan : lui donner des nouvelles du père de Raynar dès qu’il en aurait.
De tous les chasseurs de primes de la galaxie – Dengar, Boba Fett et un millier d’autres qui arpentaient les voies spatiales –, il était le seul à savoir où trouver Bornan Thul. Celui-ci lui avait fixé rendez-vous moins d’une semaine plus tard pour parler de l’avancement de ses recherches.
Zekk pourrait facilement tendre un piège au fugitif, le remettre à Nolaa Tarkona et encaisser une prime extravagante… Sans mentionner la gloire qu’il récolterait. Comment laisser passer une telle occasion ?
Mais trahir son employeur le placerait à jamais sur la liste noire des chasseurs de primes. Plus personne ne lui ferait confiance, sans compter que Jacen et Jaina seraient drôlement en colère contre lui. La situation semblait insoluble.
Pendant qu’il se demandait où chercher la piste de Tyko Thul (l’autre moitié de la mission qu’il avait acceptée), Zekk retourna la question en tous sens. Pouvait-il trouver et ramener les deux frères, ou devrait-il faire un choix ? Mais dériverait-il pendant des années à bord du Bâton de Foudre que ça ne résoudrait pas son dilemme…
Zekk se souvint d’avoir entendu dire que Boba Fett avait récemment fait une apparition sur Tatooine. Alors, le jeune homme prit sa décision : puisqu’il se trouvait dans le même secteur de la galaxie, il allait demander conseil à celui qui avait brièvement été son allié sur le monde colonial de Gammalin.
Luttant contre les courants, Zekk descendit sous la lumière infernale des soleils jumeaux de Tatooine vers la cité en perpétuelle ébullition de Mos Eisley. Au-dessous de lui, les tours et les bâtiments d’adobe du spatioport ondulaient dans la chaleur.
Zekk réclama la permission d’atterrir et transféra électroniquement le nombre de crédits nécessaires à la location d’un emplacement dans le district marchand.
Après s’être posé, il éteignit tous les systèmes de sa navette et activa l’alarme installée par le vieux Peckhum. Bien que sa meilleure garantie contre le vol soit encore l’apparence déglinguée du Bâton de Foudre…
Dehors, une chaleur écrasante envahissait les rues. Zekk noua ses cheveux dans sa nuque avec un lien de cuir et tenta de marcher à l’ombre des bâtiments en respirant à travers sa manche pour filtrer la poussière qui montait du sol.
Les autres créatures qu’il croisa étaient soit avachies et léthargiques, soit anxieuses et pressées de se mettre au frais. Comme le sable lui piquait les yeux, Zekk ne demandait qu’à en faire autant.
Après avoir erré dans un dédale de ruelles, il finit par découvrir la taverne la plus célèbre (mais pas la mieux fréquentée) de la galaxie. C’était ici que Luke Skywalker et Obi-Wan Kenobi avaient engagé Yan Solo et Chewbacca pour leur légendaire expédition sur Alderaan.
Zekk poussa la porte. Une vague de sons et d’odeurs l’assaillit, aussitôt suivie par la fraîcheur bienfaisante de l’air conditionné. Derrière le comptoir officiait un vieux Wookie du nom de Chalmun : le propriétaire de l’établissement. Il se faisait aider par plusieurs serveurs pour ne pas devoir trop se colleter avec sa clientèle.
Tentant de se donner l’air d’un dur à cuire, Zekk se dirigea vers le comptoir. Il réussit seulement à faire ricaner Chalmun, qui n’était pas dupe : il avait vu débarquer tellement de débutants que ceux-ci ne l’impressionnaient plus du tout.
Zekk commanda une boisson fraîche et pétillante, puis il baissa la voix.
— Je cherche Boba Fett.
Chalmun éclata d’un rire rauque. Zekk faisant signe qu’il ne comprenait pas le Wookie, le propriétaire de la taverne désigna une petite créature poilue assise sur un tabouret. Celle-ci cligna de ses grands yeux noirs et couina :
— On ne cherche pas Boba Fett. C’est lui qui vous cherche… et qui vous trouve.
— Nous nous connaissons déjà, expliqua Zekk. J’ai besoin de lui parler. En échange… (Il déglutit.) Je peux lui fournir des informations qui l’aideront.
— Boba Fett va arriver, annonça la créature poilue. Assieds-toi et attends-le. (Elle but une longue gorgée d’un liquide vert mousseux, puis ajouta :) Mais tu ferais mieux de continuer à boire, petit, ou Chalmun te jettera dehors. Et il fait chaud à cette heure-ci…
Le Wookie, qui avait écouté la conversation, éclata de rire et s’éloigna pour servir d’autres clients.
Zekk attendit. Les heures se traînèrent comme des siècles. Il fit durer ses boissons autant qu’il le put, en commandant une autre quand Chalmun commençait à le regarder de travers.
Sur la scène de l’établissement, un groupe de créatures amphibies arborant des nœuds papillon multicolores étaient en train d’auditionner. La voix du chanteur résonnait comme une série de rots dans un micro particulièrement sensible, tandis que les musiciens agitaient des clochettes pour l’accompagner.
Sur la piste de danse bondée, deux extraterrestres qui ressemblaient à des poulpes étaient enlacés. Zekk n’aurait su dire s’ils valsaient ou luttaient.
Le jeune homme attendit encore une heure. Quand Boba Fett pénétra enfin dans la taverne, le premier des soleils jumeaux de Tatooine se couchait déjà à l’horizon.
L’orchestre s’arrêta de jouer ; les conversations se réduisirent à un murmure. Le chasseur de primes masqué s’immobilisa sur le seuil. À contre-jour, il tourna la tête comme s’il étudiait chacun des clients de la taverne. Seuls les deux poulpes poursuivirent leur manège comme si de rien n’était.
Zekk sentit le regard de Fett le brûler à travers la visière de son casque mandalorien. Le chasseur de primes l’aperçut et se figea, soupçonneux.
Quelqu’un rompit le silence. L’orchestre se remit à jouer, et Boba Fett se dirigea vers le comptoir. Machinalement, Zekk se demanda si Chalmun allait aussi le pousser à la consommation.
Il serait drôle de voir le vieux Wookie faire les gros yeux au chasseur de primes le plus redouté de la galaxie ! Mais comme il s’en doutait, Chalmun garda prudemment ses distances.
Zekk sentait le pouvoir, la colère et l’énergie obscure qui émanaient de Boba Fett. Le chasseur de primes avait tué un nombre incalculable d’ennemis, sans jamais servir aucune cause. À une époque, il portait même des scalps de Wookies à sa ceinture. Un homme pareil était incapable d’amitié ; pourtant, Zekk avait besoin de ses conseils, et il était prêt à les lui acheter.
Boba Fett parla le premier.
— Qu’attends-tu de moi ? Et que m’offres-tu en échange ?
Zekk prit son courage à deux mains.
— Je voudrais votre avis sur un problème. Si je veux devenir le meilleur, je dois poser des questions au meilleur.
— Tu sais que rien n’est gratuit avec moi, lui rappela Fett.
Zekk se redressa.
— J’ai des informations qui pourraient vous aider à trouver Bornan Thul, déclara-t-il fièrement.
Il n’allait certainement pas révéler à Fett son rendez-vous sur Borgo Prime, mis il pouvait lui lâcher quelques détails moins importants. Il laissa passer une dizaine de secondes, puis reprit :
— Je sais où un de vos concurrents est en train de le chercher. Ça vous conduira peut-être sur une piste.
— Nous sommes nombreux à poursuivre Bornan Thul, riposta Fett. La valeur de ton information dépend de celle du chasseur de primes concerné.
— Dengar le Redoutable, lâcha Zekk. Je sais où il se trouve.
Fett branla lentement du chef. Le chasseur de primes à la tête bandée l’avait récupéré dans un sale état après qu’il eut réussi à se libérer du sarlacc, dans la Fosse de Carkoon.
— Dengar est l’un des meilleurs. Je pourrai sûrement tirer quelque chose de son travail. Que veux-tu savoir ?
— En réalité, j’ai un problème d’éthique que je n’arrive pas à résoudre seul, expliqua Zekk.
Fett attendit. Les musiciens amphibies annoncèrent qu’ils allaient se reposer quelques minutes avant de revenir pour la suite du spectacle. Quelques rares clients (les plus saouls) applaudirent.
— Supposez, reprit Zekk, que j’accepte une mission – par exemple, retrouver un objet ou un document disparu –, et qu’au cours de mes recherches, je découvre l’emplacement d’une proie bien plus cotée.
— Dans ce cas, tu remplis les deux missions et tu réalises un plus grand profit, suggéra Fett.
— Mais supposez que capturer la seconde proie mette mon premier employeur en danger ? ajouta Zekk, espérant qu’il n’en révélait pas trop.
Le chasseur de primes réfléchit.
— Tu ne dois pas trahir ton employeur. C’est le pire crime qu’un des nôtres puisse commettre.
— Dans ce cas, faut-il que je renonce à la seconde proie ? s’enquit Zekk, presque soulagé.
— Non. Remplis ta mission et encaisse la prime qui t’est due. Ça soldera ton contrat avec le premier employeur. Alors, tu pourras te concentrer sur la seconde proie en ton âme et conscience, puisque tu n’auras plus aucun lien avec la personne qui risque d’en pâtir.
Zekk se mordit les lèvres. Il avait déjà accompli la moitié de sa tâche en envoyant le message codé à la flotte bornarienne.
S’il réussissait à trouver Tyko Thul, il n’aurait plus aucune obligation envers maître Prudent.
Il serait donc libre de faire ce qui lui chantait.
Zekk ne voyait pas ce que Bornan Thul avait bien pu faire pour justifier une telle chasse à l’homme, ni pourquoi Nolaa Tarkona le recherchait si désespérément.
Il semblait clair qu’elle en voulait surtout à sa cargaison…
Zekk sourit.
Ainsi, il pouvait accomplir les deux missions sans perdre son honneur.
— À présent, dis-moi où tu as vu Dengar, exigea Boba Fett.
Zekk lui raconta leur rencontre sur Ziost. Puis, sans un mot d’adieu, les deux chasseurs de primes sortirent de la taverne, se séparèrent et regagnèrent leurs vaisseaux.