CHAPITRE XI

Les deux bâtons d’entraînement se heurtèrent en produisant une pluie d’étincelles. Profitant de son avantage, Jacen descendit quelques marches de l’escalier du temple et porta une seconde attaque. Plus bas, Raynar para en reculant.

Avec la manche de sa combinaison, Jacen essuya la sueur qui lui coulait dans les yeux, puis frappa. Malgré l’heure matinale, la chaleur était déjà insoutenable à l’extérieur du Grand Temple.

Le jeune garçon leva son bâton couleur de plomb et descendit une nouvelle marche. Raynar se déroba en plongeant sur le côté ; il baissa la tête pour ne pas se cogner contre un échafaudage, puis abattit sa propre arme sur le poignet de Jacen. Celui-ci poussa un cri de surprise.

— Aïe ! Bien joué, Raynar !

Il sauta sur la même marche que son adversaire afin de poursuivre le combat. De nouveau, les bâtons s’entrechoquèrent.

— Bientôt, tu seras prêt à te battre avec un vrai sabrolaser.

Trempée de sueur, la robe brune de Raynar lui collait au corps sans pour autant gêner ses mouvements.

— Merci, dit-il en parant une attaque. C’est pour ça que je t’ai demandé de t’entraîner avec moi : tu es un des meilleurs étudiants de l’Académie dans cette discipline.

Jacen recula d’un pas.

— Jaina est aussi bonne que moi, protesta-t-il modestement.

— Mais elle me laisse toujours gagner, se plaignit Raynar, haletant. Je suppose qu’elle a pitié de moi…

Jacen grimaça.

— Pourquoi pas Tenel Ka, alors ?

D’un signe de tête, il désigna la base de la pyramide, où Lusa et la jeune guerrière effectuaient leur jogging matinal. Elles couraient ensemble, car personne d’autre n’était capable de les suivre.

Raynar secoua la tête, projetant des gouttelettes de sueur autour de lui.

— C’est le contraire : elle est impitoyable ! grogna-t-il. (Alors qu’il observait les deux jeunes filles, une lueur d’intérêt passa dans son regard.) On peut faire une pause ?

— Bien sûr, approuva Jacen, qui commençait à fatiguer.

Les deux compagnons éteignirent leurs bâtons d’entraînement et se laissèrent tomber sur la marche, les pieds pendant dans le vide. Ils regardèrent Lusa et Tenel Ka faire la course sur le terrain d’atterrissage, crinière rousse et tresses cuivrées volant derrière elles.

— Elle est stupéfiante, n’est-ce pas ? murmura Raynar.

Jacen, que les longues foulées de Tenel Ka remplissaient d’admiration, eut un bref pincement au cœur.

— C’est ce que j’ai toujours pensé, avoua-t-il. Ne me dis pas que tu viens à peine de le remarquer ?

— Euh… pas tout à fait. (Raynar s’empourpra.) Mais contrairement à toi, je ne la connais que depuis quelques jours…

Jacen réalisa que son camarade ne parlait pas de Tenel Ka, mais de Lusa. Il eut un grand sourire.

— Je vois ce que tu veux dire.

Écartant deux fils électriques avec le pouce et l’index, Jaina tendit sa main libre hors de la cavité ménagée sous la console de pilotage du Dragon de Pierre.

— Peux-tu me passer une pince coupante ? demanda-t-elle.

Seul un soupir électronique lui répondit.

— J’aimerais vous satisfaire, maîtresse Jaina, se lamenta DTM, mais je crains d’être un assistant assez inutile. En fait, je ne sers plus à rien depuis quelque temps. Personne n’a besoin de mes talents de traducteur, je suis incapable de me mouvoir seul…

Jaina poussa un grognement et lâcha les fils. Un instant, elle avait oublié que Lowie ne travaillait pas avec elle. Résultat : elle avait vexé le petit droïde. S’aidant des genoux et des coudes, elle se glissa hors de la cavité et saisit elle-même une pince coupante.

— Navrée, DTM, je ne voulais pas…

— Oh, ce n’est pas votre faute, maîtresse Jaina. Je ne suis bon à rien d’autre que me connecter au système de diagnostic de ce vaisseau. Et encore, ça ne vous est pas d’une grande utilité, puisque vous êtes parfaitement capable de repérer les pannes vous-même.

DTM poussa un gémissement.

— Un matin, en sortant de mon cycle de chargement, je m’apercevrai que j’ai atterri dans une des caisses de votre chambre, attendant que vous me démontiez pour récupérer mes composants.

Ce fut au tour de Jaina de soupirer. Elle referma le panneau d’accès de la console, puis se releva et se laissa tomber sur le siège du copilote… celui que Lowbacca occupait autrefois.

— Moi aussi, Lowie me manque, avoua-t-elle.

— Je suis certain que c’est réciproque, répondit DTM, lugubre. Tous ses amis doivent lui manquer. Je suis le seul dont il n’a plus l’utilité.

Tendant la main, Jaina déconnecta le petit droïde du système de diagnostic et le remit dans son boîtier. Puis elle le fourra sous son bras et se dirigea vers la soute de la navette.

— Tu te sentiras beaucoup mieux après un bon bain, déclara-t-elle sur un ton qui n’admettait aucune réplique. Ensuite, je m’occuperai de t’étanchéifier, comme je te l’avais promis.

Elle saisit un seau et, débouchant un bidon de lubrifiant, y fit couler un liquide bleu iridescent.

— Maîtresse Jaina ! protesta DTM. Contrairement à mon prédécesseur Z-6PO, je n’ai aucune partie motrice. Je n’ai pas besoin d’être lubrifié. On ne m’a encore jamais…

— Il faut toujours une première fois, coupa la jeune fille. (Elle reboucha le bidon et, tenant DTM au-dessus du seau, lui flanqua une petite tape amicale.) Profites-en bien. Tu verras qu’un bon bain peut changer ta vision des choses.

Elle lâcha le petit droïde, qui eut juste le temps de couiner « Vraiment ? » avant que la grille de son haut-parleur ne soit submergée.

Tout en marchant à côté de Lusa, Raynar croisa les mains dans son dos pour s’empêcher de les tordre nerveusement. Après le déjeuner, le jeune garçon avait proposé à la Centauresse de faire une promenade dans la jungle environnante, car il voulait lui montrer sa cascade favorite.

Lusa avait commencé par refuser, mais maître Skywalker était intervenu, lui rappelant qu’une des raisons de sa présence sur Yavin 4 était de se faire de nouveaux amis humains. À contrecœur, Lusa avait fini par accepter la proposition de Raynar.

À présent, seul avec la Centauresse au pelage roux, le jeune garçon réalisait qu’il ne savait pas quoi lui dire. Il n’avait jamais appris à engager la conversation avec des gens qu’il ne connaissait pas : en général, c’étaient les autres qui faisaient l’effort de l’aborder.

Raynar avait appris de son père les différentes techniques de négociation (Bornan Thul maniait les mots avec autant d’efficacité que maître Skywalker son sabrolaser) ; en revanche, son expérience des conversations se limitait aux vantardises et aux observations dénuées de tact entendues dans la bouche de son oncle Tyko. Sa mère était très douée pour bavarder et mettre les gens à l’aise, mais ça ne faisait pas partie des qualités qu’elle avait transmises à Raynar.

Tout en se creusant la cervelle pour trouver une entrée en matière, le jeune garçon s’engagea sur une piste. Une nuée de scarabées multicolores s’envolèrent de l’orchidée nébuleuse où ils venaient de déjeuner, arrachant des cris de ravissement à Lusa.

Raynar écarta une branche qui se tendait en travers du chemin afin que sa compagne ne se la prenne pas dans la figure. Il se demanda si elle trouverait ce geste attentionné ou insultant.

Elle se contenta de passer devant lui, avec un signe de tête pour le remercier. Les pointes de ses cornes cristallines étincelèrent, et les muscles de ses flancs parurent se détendre un peu.

Encouragé, Raynar lui posa une question.

— Qu’admires-tu chez… (Il chercha une expression plus neutre.) Que recherches-tu chez tes amis ?

Il espéra que la réponse de la jeune fille ne serait pas quelque chose du genre : « Qu’ils ne soient pas humains. » Il ne voulait surtout pas lui rappeler l’Alliance de la Diversité. Mais si elle consentait à lui adresser la parole, ce serait déjà un progrès en soi.

Lusa garda le silence. Ils traversèrent un bosquet d’arbres aux feuilles bleues, puis débouchèrent dans une petite clairière traversée par un torrent. Raynar longea la berge vers l’amont.

— La loyauté, répondit enfin Lusa. Des convictions profondes et le désir d’agir pour les faire respecter. Une ouverture d’esprit permettant de trouver des solutions nouvelles à des problèmes anciens. (Elle marqua une pause.) Je suppose que c’est ce qui m’a attirée chez les membres de l’Alliance.

À la mention du groupe politique, Raynar se tendit. Avant de rencontrer Lusa, il ne s’était jamais aperçu qu’on pouvait le haïr, pas parce qu’il était fier et hautain, ni parce qu’il appartenait à une famille riche et influente, mais simplement à cause de sa race.

— La cascade se trouve un peu plus loin, dit-il pour changer de sujet.

Il tendit un bras devant lui et, au passage, effleura le flanc de Lusa. Instinctivement, la Centauresse recula et partit au galop.

Catastrophé, Raynar s’élança à sa suite. Il la rejoignit devant le bassin d’un vert émeraude, au pied de la cascade. Elle se tenait sur la rive, ses sabots avant plongés dans l’eau, observant son propre reflet et frissonnant.

— Je… je suis navré, balbutia Raynar. Je ne voulais pas…

— Non, répondit Lusa en secouant la tête. Tu n’as rien fait de mal. Maître Skywalker avait raison : j’ai laissé l’Alliance de la Diversité me monter contre les humains. À présent, je dois me débarrasser de la haine qu’elle m’a enseignée.

Rejetant en arrière sa somptueuse crinière, elle eut un sourire d’excuse.

— S’il te plaît, sois patient. Ça risque de me prendre un peu de temps… (Elle jeta un coup d’œil plein d’envie à la cascade.) Ça ne te dérange pas que je me baigne ?

Humilié qu’un simple contact avec lui ait provoqué autant de répulsion chez cette fille magnifique, Raynar décida qu’ils avaient tous les deux besoin de temps pour se remettre. Il alla s’asseoir sur un gros rocher près du torrent.

— Vas-y. Je t’attendrai ici, proposa-t-il.

Lusa plongea dans le bassin et se dirigea vers le point le plus profond, sous la cascade. En regardant le liquide argenté éclabousser la Centauresse, Raynar se demanda si elle le considérerait jamais comme un ami. La loyauté, avait-elle dit. Des convictions profondes. Telles étaient les choses qu’elle recherchait chez les autres.

En quoi croyait-il, au juste ? Sans doute en son entraînement de Chevalier Jedi. Quand il l’aurait terminé, il partirait en mission pour défendre la Nouvelle République, avant de prendre la place de son père à la tête de leur flotte marchande.

Pour le moment, il croyait en sa famille. Qu’avait-il fait pour la défendre ? Bien sûr, il aurait pu partir à la recherche de son père et de son oncle, mais des milliers de chasseurs de primes plus qualifiés que lui s’en occupaient déjà. Sa participation ne ferait pas grande différence.

Raynar ne pouvait rien faire pour protéger sa mère. Le siège administratif de la flotte, sur Coruscant, se débrouillait très bien sans son intervention. Alors, que lui restait-il ?

Lusa s’accroupit au fond du bassin et refit surface, laissant l’eau couler sur sa tête et ses épaules comme si elle espérait se laver à l’intérieur autant qu’à l’extérieur.

Raynar sourit. Il adorait les cascades : elles lui rappelaient les fontaines que sa famille utilisait au cours des cérémonies alderaanaises. Sa mère, son oncle Tyko et lui en avaient célébré une peu de temps auparavant.

Raynar se redressa brusquement. Oncle Tyko… Voilà quelqu’un à qui il pouvait rendre service ! Depuis son enlèvement, toutes les usines de Mechis III devaient fonctionner sans supervision. Il pourrait se rendre sur la planète des droïdes et veiller à ce que tout se passe bien en l’absence de son oncle.

Plus Raynar retournait cette idée dans sa tête, plus il sentait croître son enthousiasme. Lorsque Lusa sortit enfin de l’eau, il bondit de son rocher pour partager la nouvelle avec elle. Mais avant qu’il puisse faire un pas, la Centauresse s’étira et s’ébroua, projetant des gouttelettes dans toutes les directions.

Raynar se moquait bien d’être mouillé. Il attendit que Lusa le repère, pour être sûr de ne pas l’effrayer. Leurs regards se croisèrent, et la Centauresse eut un sourire hésitant. Cette fois, elle ne s’enfuit pas à son approche.

Les yeux brillants, Raynar expliqua qu’il comptait se rendre sur Mechis III.

— C’est le moins que je puisse faire pour ma famille, conclut-il.

Lusa eut l’air à la fois surpris, approbateur et légèrement déçu.

— Tu vas y aller seul ? demanda-t-elle. Je ne savais pas que tu avais un vaisseau…

Raynar se mordit la lèvre. Il n’avait pas pensé à ça.

— Si je dois me débrouiller seul, je le ferai, déclara-t-il résolument. Mais j’ai des amis, et je suis certain qu’ils se porteront volontaires pour m’accompagner.

Ces mots n’avaient pas franchi les lèvres du jeune garçon qu’il réalisait qu’il y croyait vraiment.

Et il s’avéra qu’il avait raison.