CHAPITRE PREMIER
Des coups frappés à la porte tirèrent Jaina Solo de sa rêverie. La jeune fille dut cligner des yeux à plusieurs reprises pour chasser le souvenir des derniers événements et reprendre ses esprits.
Du regard, elle balaya sa chambre, avec sa couchette et son petit bureau placé près de la fenêtre étroite. Contre un mur, des caisses remplies de cyber-fusibles de rechange, de courroies de transmission recyclées et de composants miniatures témoignaient de sa passion pour l’électronique et le bricolage.
Les coups se firent plus impatients ; Jaina se tourna vers la porte.
— Entrez !
Son frère jumeau pénétra dans la chambre, ses yeux noisette brillant d’une excitation mal contenue.
— Devine ! s’écria-t-il. Mon œuf de gort est enfin sur le point d’éclore ! Il bouge en faisant des bruits bizarres. Tu viens regarder ?
Il fallut un moment à Jaina pour assimiler la nouvelle.
— Bien sûr, répondit-elle, très fière que l’incubateur qu’elle avait fabriqué pour l’œuf de gort (un cadeau de leur père, Yan Solo) ait si bien fonctionné. J’arrive. Laisse-moi cinq minutes pour finir ce que j’étais en train de faire.
Jacen lui jeta un regard curieux. La chambre ne semblait abriter aucun projet qui ne puisse attendre jusqu’à l’éclosion de son œuf.
— D’accord, concéda-t-il, mais dépêche-toi. Ça ne devrait plus tarder. Je vais avertir Tenel Ka.
Il ressortit en courant.
Jaina ramena ses longues mèches de cheveux bruns et raides derrière ses oreilles, puis se tourna vers la minuscule holocaméra placée sur son bureau et à moitié dissimulée par un monticule de pièces de rechange.
— On recommence depuis le début, marmonna-t-elle.
Elle prit une profonde inspiration et alluma l’holocaméra.
— Salut, Zekk. C’est plutôt calme en ce moment sur Yavin 4. Tu me… Tu nous manques beaucoup. Si tu changeais d’avis et que tu reviennes à l’Académie Jedi… Non. Mauvaise idée.
Jaina arrêta l’enregistrement et rembobina pour effacer son message avant d’essayer de nouveau.
— Comment vas-tu, Zekk ? Je sais que tu n’es pas resté ici très longtemps, mais les choses ne sont plus les mêmes depuis ton départ. Ça fait une paye que nous ne t’avons pas vu…
Jaina appuya sur le bouton « stop ».
— Génial, grommela-t-elle. Plein de joie et de bonne humeur. En entendant ça, il s’enfuira dans les Territoires de la Couronne Extérieure, ou pire encore.
La jeune fille ferma les yeux et imagina que Zekk se tenait devant elle, ses yeux émeraude brillant d’intelligence, ses cheveux presque noirs noués en queue-de-cheval sur sa nuque…
Rouvrant les paupières, elle revint au début de la bande et tenta d’avoir l’air détendue. Puis elle lança de nouveau l’enregistrement en affichant le sourire irrésistible que Jacen et elle avaient hérité de leur père.
— Salut, Zekk. J’espère que tu recevras cet holomessage sans tarder. J’en ai déjà enregistré quelques autres que j’ai remis au vieux Peckhum. Il m’a dit qu’il te les ferait parvenir, mais qu’il ne savait pas quand.
Jaina se racla la gorge et poursuivit :
— Nous sommes toujours aussi occupés à reconstruire le temple.
Elle frémit en se souvenant de l’attaque lancée par l’Académie de l’Ombre, et dont Zekk lui-même avait pris le commandement. Mieux valait glisser vers un sujet plus neutre.
— Chaque fois que nous nous croyons enfin tranquilles, un événement nouveau se produit, et nous voilà repartis à l’autre bout de la galaxie, Jacen, Lowie, Tenel Ka et moi. Ce n’est sans doute pas aussi excitant que la vie d’un chasseur de primes, mais ça nous empêche de nous ennuyer.
Elle se mordit la lèvre inférieure et réfléchit quelques secondes.
— Au fait, toujours rien de nouveau sur la disparition de Bornan Thul. En réalité, les choses ne font qu’empirer. Nous nous sommes rendus sur une planète appelée Kuar pour chercher des indices, mais nous avons réveillé une bande d’arachnides de combat qu’il nous a fallu affronter ! Tu aurais dû voir ça…
« Tyko, le frère de Bornan, est venu nous aider. La nuit même, nous avons été attaqués par des droïdes assassins dont le chef était le fameux IG-88 ! Il y a eu une bataille épique dans les catacombes. IG-88 a enlevé Tyko sous nos yeux, et nous n’avons rien pu faire pour l’en empêcher. À présent, en plus du père de Raynar, son oncle a également disparu !
Jaina secoua la tête.
— Je sais que tu recherches aussi Bornan Thul. As-tu trouvé quelque chose ? Je voudrais tellement pouvoir donner de bonnes nouvelles à Raynar la prochaine fois que nous le verrons ! Pour l’heure, il se cache dans un navire de la flotte marchande de ses parents. Nous lui avons envoyé plusieurs messages, mais nous ignorons s’il les a reçus.
La jeune fille soupira.
— Bref, si tu croises la flotte bornarienne, ou si tu découvres le moindre indice au sujet des disparus, contacte-nous au plus vite.
Elle rougit un peu.
— Contacte-nous dans tous les cas, ça me… ça nous fera plaisir. C’est tout ce que j’avais à te raconter, alors je vais arrêter cet enregistrement. Peckhum le codera et le transmettra à tous les bouges que les contrebandiers et les chasseurs de primes sont censés fréquenter.
Elle grimaça.
— Je t’enverrai un autre message dès que j’aurai le temps. D’ici là, que la Force soit avec toi. Au revoir, Zekk.
Jaina arrêta l’enregistrement et hocha la tête.
— Ça devrait aller. Ce n’était pas trop pleurnichard…
Elle détestait devoir marcher sur des œufs quand elle parlait à un vieil ami.
Des œufs ! L’œuf de gort ! Elle avait complètement oublié ! Glissant l’holomessage dans une poche de sa combinaison de vol, Jaina se précipita vers le fief de Jacen.
Les murs d’une des nombreuses chambres du Grand Temple disparaissaient sous les terrariums, les incubateurs, les cages et les aquariums de toutes sortes. C’était ça le fief de Jacen Solo.
Au cours d’une journée normale à l’Académie Jedi, le jeune garçon passait une ou deux heures à nourrir ses divers animaux de compagnie, utilisant la Force pour leur envoyer des pensées agréables et connaître leurs besoins. Aujourd’hui, une seule créature l’intéressait, parce qu’il n’en avait encore jamais vu de semblable.
— La coquille me semble intacte, commenta Tenel Ka en touchant du bout de l’index la sphère d’un rose nacré qui brillait faiblement sous la lumière artificielle de l’incubateur.
Accroupi près de la guerrière, Jacen lui jeta un coup d’œil en biais. L’œuf commença à vibrer, mais Tenel Ka ne broncha pas.
— Il est chouette, pas vrai ? demanda le jeune garçon.
— Il a une belle couleur, reconnut Tenel Ka.
Tes cheveux aussi, eut envie de dire Jacen en contemplant la cascade d’un roux doré qui battait les épaules et le dos de sa compagne. Quatre tresses encadraient son visage délicat.
L’œuf recommença à émettre des cliquetis bizarres.
— Je peux le toucher ? demanda Tenel Ka.
— Si tu veux.
À cet instant, Jaina pénétra en trombe dans la chambre.
— J’ai raté l’éclosion ? demanda-t-elle, haletante, en s’immobilisant sur le seuil.
La sphère nacrée roula et heurta une des parois de l’incubateur.
— Non, tu arrives juste à temps, dit Jacen en se rapprochant de Tenel Ka sous prétexte de faire de la place à sa sœur.
Avant de s’asseoir devant l’incubateur, Jaina jeta un coup d’œil autour d’elle.
— Où est Lowie ? s’enquit-elle.
— Il n’est pas encore arrivé, répondit Tenel Ka.
— Je l’ai prévenu, ajouta Jacen. Il a dit qu’il avait besoin de se dégourdir les jambes, mais qu’il nous rejoindrait ici.
L’œuf vibra de plus belle.
— Allez, l’encouragea le jeune garçon. Je sais que tu peux le faire.
Un rugissement se fit entendre de l’autre côté de la fenêtre. Les trois compagnons se tournèrent juste à temps pour voir leur ami Lowbacca bondir dans la chambre avec une exubérance qui ne lui ressemblait guère.
La fenêtre avait été endommagée pendant l’attaque subie par l’Académie Jedi quelques mois plus tôt. Étant donné l’ampleur des dégâts, les équipes de réparation n’avaient pas eu le temps de s’en occuper. Jacen ne s’en souciait guère : il aimait dormir dans une pièce aérée.
Le Wookie à la fourrure rousse atterrit souplement sur les dalles, lissa de la main la mèche noire qui naissait au-dessus de son œil gauche et poussa un aboiement en guise de salut. Tenel Ka haussa un sourcil.
— Une entrée remarquable, ami Lowbacca, commenta-t-elle. Je m’en souviendrai.
— Par le Grand Circuit, j’espère que nous n’arrivons pas trop tard ! s’exclama DTM, attaché à la ceinture de Lowie. Je n’ai encore jamais assisté à l’éclosion d’un œuf de gort.
Comme s’il avait entendu les paroles du petit droïde, l’œuf émit un craquement. Lowie traversa la pièce en trois grandes enjambées et s’accroupit entre les jumeaux Solo.
La sphère nacrée roula sur elle-même et s’arrêta dans un coin de l’incubateur.
— C’est bien, dit doucement Jacen. Tu y es presque. Encore un petit effort.
Clic clic. Clac.
Le jeune garçon effleura du bout des doigts la paroi de transparacier.
— Il y a un endroit bien chaud qui t’attend, chuchota-t-il.
Une petite fissure apparut à la surface de la coquille rose. Lowie émit un grondement approbateur. Jaina se mordit la lèvre. Tenel Ka posa sa main près de celle de Jacen, qui sentit des pensées apaisantes se joindre aux siennes pour inviter le gort à éclore.
L’œuf continua à se craqueler. Les quatre compagnons retinrent leur souffle.
À cet instant, la porte s’entrouvrit. Une tête coiffée d’un casque apparut dans l’entrebâillement. C’était celle d’un des soldats de la Nouvelle République stationnés sur Yavin 4 pendant les travaux de reconstruction. L’homme cligna des yeux.
— Désolé : je cherchais une unité de rafraîchissement, dit-il avant de battre en retraite.
Les jeunes Jedi reportèrent leur attention sur l’œuf.
— Ce suspense est insoutenable ! s’exclama DTM. Maître Lowbacca, si ça ne vous dérange pas, pourriez-vous me changer de position ? Je n’y vois pas grand-chose.
Conciliant, Lowie détacha le petit droïde de sa ceinture et l’approcha de la paroi de l’incubateur. L’œuf se remit à bouger, cognant de plus en plus fort contre le transparacier.
— Allez, tu peux le faire, l’encouragea Jacen.
Crac ! Un morceau de coquille triangulaire se détacha de la sphère nacrée. Puis l’œuf roula sur lui-même jusqu’à ce que l’ouverture ainsi ménagée se trouve vers le haut.
Soudain, une boule de fourrure bleue jaillit hors de l’œuf. Ses poils s’écartèrent comme les deux pans d’un rideau, révélant un œil couleur saphir empli de curiosité.
— Salut, toi, dit gentiment Jacen.
L’œil s’agrandit et cligna à plusieurs reprises, comme s’il ne croyait pas ce qu’il voyait. Il pivota sur son pseudopode pour distinguer tout ce qui l’entourait.
Une seconde boule de fourrure se faufila par l’ouverture, révélant le second œil du gort. Les deux sphères couleur saphir se firent face, se reconnurent et poursuivirent leur exploration. Quand elles furent rejointes par une troisième, qui clignait paresseusement des cils, Jaina gloussa.
— Par le Grand Circuit ! s’exclama DTM. Combien d’appendices oculaires possède donc cette créature ?
Jacen haussa les épaules.
— Seulement trois… Je pense.
Tenel Ka laissa glisser sa main le long de l’incubateur et jeta au jeune garçon un regard surpris.
Les yeux du gort s’agitaient follement au bout de leurs pseudopodes. De petits coups furent frappés depuis l’intérieur de la coquille, qui explosa soudain en mille morceaux.
Une fourrure bleue recouvrait le nouveau-né, à l’exception de son large bec plat. Son corps rond, gros comme le poing de Jacen, était perché sur deux courtes pattes. Celles-ci se terminaient par de gros pieds plats munis de trois orteils disposés en triangle pour un meilleur équilibre.
Le gort avait une fine queue préhensile, avec laquelle il se gratta un œil, l’air perplexe.
— Salut, petite, souffla Jacen.
Il se tourna vers les autres.
— Ne me demandez pas comment je sais que c’est une fille. Je le sais, un point c’est tout.
Lowie eut un rire bref et tapota la paroi de l’incubateur. Les trois yeux du gort se rétractèrent à l’intérieur de son corps ; ses paupières se fermèrent, la créature ressemblant soudain à une petite balle de fourrure bleue.
— Comment vas-tu la baptiser ? s’enquit Tenel Ka.
Les trois pseudopodes se tendirent, et les yeux couleur saphir s’ouvrirent.
— Elle passe son temps à cligner des paupières… Je crois que je vais l’appeler Nicta, déclara Jacen.
Il ouvrit le toboggan de la mangeoire ; plusieurs insectes qu’il avait capturés pour l’occasion glissèrent dans l’incubateur.
— Le petit déjeuner est servi, Nicta, annonça-t-il.
Avec un sifflement, D2-R2 pénétra dans la chambre de Jacen.
— Qu’est-ce qui t’amène ici, D2 ? s’étonna Jaina.
Le droïde en forme de tonneau bipa une longue explication.
— Que dit-il, DTM ? s’enquit Jacen, l’air distrait. Tu veux bien traduire ?
— Évidemment, maître Jacen. Ne suis-je pas là pour ça ? Traduire est ma fonction principale, bien que vous n’y fassiez plus guère appel depuis quelque temps. Je vous rappelle que je pratique six formes de communication. Je…
— DTM, coupa Jaina, sévère.
— Oui, maîtresse Jaina ?
— La traduction, s’il te plaît.
— Ah, oui. Mon associé, D2-R2, a été envoyé par maître Luke pour vous demander de vous rendre sur le terrain d’atterrissage. Là, vous aiderez maître Peckhum à décharger les fournitures qu’il rapporte pour l’Académie Jedi et pour les forces de la Nouvelle République qui y sont stationnées.
— Le vieux Peckhum vient nous voir ? s’exclama Jaina.
— Il sera là dans quatre minutes, confirma DTM.
— Génial !
Lowie bondit sur ses pieds.
— Il pourra peut-être nous donner des nouvelles de Zekk, suggéra Tenel Ka.
Jaina rougit en détournant la tête ; Jacen comprit qu’elle avait eu la même idée.
— Alors, qu’est-ce qu’on attend ? demanda la jeune fille pour masquer son trouble.
Jacen se tourna vers l’incubateur. Il ramassa le morceau de coquille triangulaire, le fourra dans sa poche et se pencha vers le nouveau-né.
— Ne t’en fais pas, Nicta. Je reviendrai le plus vite possible.
Ses compagnons et lui se précipitèrent vers la piste d’atterrissage.
Bien qu’ils l’aient déjà vu à deux reprises, Jacen et ses amis ne s’habituaient pas au Coup de Tonnerre, le nouveau vaisseau de Peckhum. Il était si étrange de voir le vieil homme aux commandes de ce transport de marchandises à la pointe de la technologie !
La rampe d’accès chromée se déplia. Plusieurs soldats de la Nouvelle République apparurent en même temps que Peckhum.
— J’espère que vous appréciez la compagnie, dit le vieil homme tandis que les gardes se dirigeaient vers une salle de briefing. J’ai remis une partie de ma cargaison aux vaisseaux en orbite autour de Yavin 4, et ces cinq-là devaient partir en permission. Ils m’ont supplié de les prendre à bord.
« Et ce n’est pas tout : la présidente Organa Solo m’a demandé de vous amener quelqu’un d’autre. Elle voulait être certaine que ce passager arriverait ici sain et sauf.
Les yeux de Jaina s’éclairèrent.
— Qui est-ce ? Zekk ?
Peckhum poussa un soupir.
— J’aimerais bien… Mais j’ai reçu plusieurs messages de sa part. Rien de très explicite : il me dit juste qu’il apprend beaucoup de choses et que son entraînement se passe bien.
Jaina sortit l’holomessage de sa poche et le glissa dans la main du vieil homme.
— Tu voudras bien lui transmettre ça de ma part ?
— Bien sûr. Zekk sera ravi d’avoir de tes nouvelles, dit Peckhum. Il est bon de savoir que les gens qu’on aime sont en sécurité… (Il se rembrunit.) C’est plus que mon passager ne peut en dire.
— Raynar ? devina Jacen.
Peckhum hocha la tête.
— À mon avis, ce garçon aurait bien besoin de distractions… Le pauvre fait une tête d’enterrement depuis notre départ.
Lowie poussa un grognement et monta la rampe.
— Ne t’inquiète pas, nous prendrons soin de lui, déclara Jaina au vieux pilote.
— C’est un fait, renchérit Tenel Ka. Nous resterons avec lui pendant le déchargement des fournitures.
— Nous trouverons bien un moyen de lui changer les idées, dit Jacen en emboîtant le pas à Lowie. Par exemple, je pourrais lui raconter mes meilleures blagues.
— Oh oh, grommela Jaina. Les ennuis commencent…