CHAPITRE XV
Les moignons des canons laser continuaient à cracher des étincelles dans le bureau de Tyko Thul. Choqués d’avoir entendu l’oncle de Raynar donner des ordres au droïde assassin, les jeunes Jedi se figèrent.
Tyko tenta sans grand succès de contourner la carcasse métallique d’IG-88.
— Pousse-toi de là, gros balourd, dit-il en s’arc-boutant contre le torse du droïde.
Celui-ci s’écarta docilement pour laisser passer l’oncle de Raynar. Tyko se dirigea vers les restes fumants du canon laser le plus proche, grimaça et fit face aux jeunes Jedi.
— Aviez-vous vraiment besoin de tous les détruire ? demanda-t-il sur un ton de reproche. Je les avais réglés spécialement pour qu’ils ne fassent de mal à personne. Maintenant, toute la défense de cette pièce est ruinée, et il va falloir que je la remplace. (Prenant l’air d’un martyr, il soupira profondément.) Comme si je n’avais pas assez de choses à faire !
— Mais…, balbutia Raynar. Oncle Tyko, que se passe-t-il ?
Le gros homme leva les yeux au ciel.
— N’est-ce pas évident, mon garçon ? J’essayais de pousser ton père à sortir de sa retraite en lui faisant croire que je courais un grave danger. Je l’ai fait pour que nous puissions cesser de fuir et reprendre nos activités normales. Mais je réalise que Bornan se fiche bien de mon sort, déclara-t-il amèrement.
IG-88 se plaça devant le sas et leva les bras d’un air menaçant. Tyko lui jeta un regard en biais.
— Arrêter de frimer, espèce de tas de ferraille obsolète, grommela-t-il, exaspéré. Ne vois-tu pas que tu n’intimides plus personne ? (Il secoua la tête.) Ah, les droïdes ! Aussi sophistiqués qu’on les fabrique, ils n’ont aucun respect de leur maître !
— Je vous demande pardon ? s’indigna DTM.
Jaina fit taire le petit droïde et se tourna vers Tyko.
— Nous aimerions avoir des explications plus détaillées, monsieur, dit-elle poliment. La situation est assez complexe, et nous sommes venus ici pour vous aider. Mais nous ne nous attendions pas du tout à ça.
— Nous vous croyions en danger, ajouta sèchement Tenel Ka. Nous avons pris beaucoup de risques pour vous protéger sur Kuar, et vous prétendez que votre enlèvement n’était qu’un leurre ?
Les muscles de la jeune guerrière étaient tendus comme si elle s’apprêtait à bondir sur Tyko.
Mais l’oncle de Raynar se contenta de hausser les épaules.
— Il fallait que ça ait l’air plausible, expliqua-t-il. Ne vous inquiétez pas, mes droïdes ont été très prudents. Vous ne risquiez pas grand-chose de leur part.
Il s’approcha de son bureau et tapa sur la console de sécurité l’ordre de mettre fin à l’alarme. Aussitôt, les sirènes se turent, et les moignons de canons-laser cessèrent de cracher des étincelles.
— Je m’occuperai de ça une autre fois, déclara-t-il. Pour l’instant, je dois vérifier une des chaînes d’assemblage. Vous n’avez qu’à m’accompagner ; nous parlerons en marchant.
Il se dirigea vers le sas resté ouvert. Toujours perplexes, les jeunes Jedi lui emboîtèrent le pas. Le droïde assassin resta en arrière, immobile et menaçant, pour garder la pièce désormais vide.
— Tu attends quoi, IG-88 ? appela Tyko par-dessus son épaule. Tu viens, oui ou non ?
Le droïde se mit en marche, ses pieds métalliques martelant le sol.
— Je connais bien mon frère, commença Tyko. Malheureusement… (Il jeta à son neveu un regard plein de sympathie.) Je suis navré de devoir te dire ça, Raynar, mais ton père a toujours voulu être plus malin que tout le monde en matière de négociations. Il se fie à son intelligence, et ça l’a plus d’une fois fourré dans le pétrin.
« Je suis convaincu qu’il est en fuite parce qu’une de ses arnaques s’est retournée contre lui, et qu’il n’a pas le cran de l’admettre ou de faire face aux conséquences. Alors, il se cache en attendant que passe la tempête, sans se soucier des ennuis qu’il nous cause.
Les compagnons s’arrêtèrent devant une plateforme d’ascenseur assez vaste pour qu’ils puissent tous y grimper. Quand Tyko appuya sur un bouton, le sol sembla se dérober sous leurs pieds tandis qu’ils plongeaient dans les entrailles du complexe.
— Aryn souffre terriblement, reprit Tyko. La flotte marchande a cessé tout travail et sous-traité ses contrats principaux jusqu’à nouvel ordre. Elle passe son temps à fuir un ennemi imaginaire. Et toi, Raynar, tu es mort d’inquiétude…
« Alors, j’ai décidé de mettre un terme à cette mascarade. J’ai organisé mon propre enlèvement, dans l’espoir de pousser Bornan à sortir de sa cachette. Je me disais que s’il croyait son frère en danger, il réapparaîtrait, et que les choses rentreraient dans l’ordre. (Tyko soupira.) Mais je n’ai réussi à attirer que vous. À présent, Bornan ne se montrera plus.
L’ascenseur s’immobilisa ; ils pénétrèrent dans un tube de transparacier où les attendait une navette, qui les conduisit vers un autre bâtiment.
Une symphonie de bruits industriels résonnait autour d’eux. Des pistons argentés brillaient sous la lumière blafarde des néons ; des jets de vapeur brûlante sifflaient, tandis que des pompes faisaient circuler des gaz de refroidissement à travers des cylindres remplis de liquide bouillonnant.
Des tapis roulants bourdonnaient en transportant des pièces détachées vers les stations où des droïdes dotés de multiples bras les assembleraient. Des chariots automatisés conduisaient des caisses vers les zones de chargement.
— C’est fascinant ! s’exclama DTM. Regardez toute cette activité !
L’oncle de Raynar s’immobilisa, distrait par une partie de la chaîne de montage où les droïdes fixaient des senseurs optiques pareils à des ampoules noires sur des têtes métalliques en forme de dôme. Plus loin, d’autres travailleurs récupéraient les têtes et les attachaient à un torse mobile équipé d’un petit moteur. L’unité entière était alors placée à l’intérieur d’une nacelle d’hyperdrive.
— C’est la chaîne de montage utilisée autrefois pour assembler les droïdes espions dont Dark Vador se servait pour chercher les bases rebelles comme celles de Hoth, expliqua Tyko. Mais je l’ai reprogrammée pour produire des droïdes éclaireurs et cartographes, qui se sont révélés très efficaces pendant la Crise de la Flotte Noire.
« La Nouvelle République a besoin d’une carte exacte de la galaxie, pour ne pas passer à côté de mondes inexplorés mais riches en ressources ou laisser une de ses colonies tomber dans l’oubli. Les explorations ont été faites il y a des siècles, si bien que nos cartes ne sont plus du tout adaptées aux standards de la technologie moderne.
Tyko tapota fièrement une des têtes hémisphériques.
— Bon travail, dit-il aux droïdes qui travaillaient dessus. Continuez comme ça.
Il se remit en marche, IG-88 le suivant tel un garde du corps.
— Ça ne nous explique toujours pas l’attaque sur Kuar, fit remarquer Jaina, qui ne s’intéressait guère à cette visite guidée de l’usine. D’où venaient les autres droïdes assassins ?
Tyko croisa ses mains dans son dos et pinça les lèvres.
— Les membres de l’équipe d’IG-88 étaient de facture récente, avoua-t-il à regret. Comme j’avais découvert de vieux plans dans les archives de l’usine, j’en ai fabriqué une douzaine.
— Mais c’est complètement illégal ! s’indigna Raynar. C’était bien précisé dans la charte que tu as signée avec la Nouvelle République en reprenant Mechis III.
Son oncle lui jetant un regard surpris, il expliqua :
— Je viens de la lire attentivement, parce que je voulais m’occuper de tes affaires pendant ton absence, et que j’avais besoin d’être au courant de tout.
— Je suppose que c’est illégal… d’un certain point de vue, concéda Tyko. Littéralement, je n’avais pas le droit de les produire. Mais je ne m’en servirai jamais, et c’est tout ce qui compte, non ? C’était juste pour m’amuser…
« Mes nouveaux droïdes assassins sont programmés pour ne faire de mal à personne. Ils ne méritent même pas leur appellation ! Les pauvres ne me serviraient à rien, s’ils ne possédaient pas d’autres capacités intéressantes.
Les yeux gris de Tenel Ka lancèrent des éclairs.
— Si je comprends bien, nous n’avons jamais couru de danger sur Kuar ?
— Bien sûr que si… Mais mes droïdes n’en étaient pas la cause, répondit Tyko. Les arachnides de combat auraient pu vous tailler en pièces. Je ne m’attendais pas du tout à les rencontrer…
Il tapota le bras chromé d’IG-88.
— C’est une bonne chose que mes droïdes aient été là. Seuls, je ne suis pas certain que vous auriez pu nous débarrasser de ces créatures féroces.
Tenel Ka se radoucit en apprenant qu’une partie au moins du danger était réelle. Jaina examina le droïde assassin de la tête aux pieds.
— Alors, IG-88 est aussi une réplique ? Une copie de l’original ?
— Non, c’est bien le vrai, la détrompa Tyko. Je l’ai découvert ici en prenant possession de Mechis III. Il régnait un tel désordre sur cette planète !
Il secoua la tête, puis inspecta une autre station où des droïdes astromécaniciens recevaient leur puce de motivation.
— Quand je suis arrivé ici, tous les systèmes tombaient en morceaux, se souvint Tyko. Il y avait eu une sorte de révolution, et il m’a fallu du temps pour en découvrir tous les détails.
« Imaginez ma stupéfaction en apprenant que les droïdes eux-mêmes avaient fomenté cette révolte et tué leurs maîtres humains ! C’était la première phase d’un plan qui devait leur permettre de conquérir la galaxie.
« Selon les archives que j’ai reconstituées, IG-88 était à l’origine de tout. Il avait réalisé plusieurs copies de lui-même, avant de les envoyer faire le travail de chasseur de primes qui l’a rendu si célèbre. Ces copies ont toutes été détruites au cours de divers combats et accidents.
« Mais l’original avait conçu le projet de charger sa conscience électronique dans l’unité centrale de la seconde Étoile Noire, de façon à devenir l’arme la plus puissante de la galaxie !
— Un choix peu judicieux, grimaça Jacen. Nous savons tous ce qui est arrivé à la seconde Étoile Noire…
Tyko eut un sourire indulgent.
— IG-88 a abandonné la coquille vide qu’était devenu son corps original, que j’ai découvert. J’ai pris garde de purger toutes ses banques de données ; puis j’ai remplacé sa puce et je l’ai reprogrammé. Ce droïde est d’une loyauté absolue envers moi, mais tout aussi efficace que l’ancien IG-88.
Après avoir achevé son circuit, Tyko se dirigea vers la navette et ramena les jeunes Jedi vers le centre administratif de Mechis III.
— Si je comprends bien, dit Raynar, les sourcils froncés, au cas où les gens qui traquent mon père viendraient te chercher ici, tu as IG-88 pour te défendre.
Tyko jeta à son neveu un regard sceptique.
— Mon garçon, je suis certain que ton père a des ennuis, mais je doute que les gens qui le pourchassent en aient après sa famille, dit-il en prenant pied sur la plate-forme de l’ascenseur. Retiens bien ces mots : nous ne courons aucun danger.