CHAPITRE VII
Icho Tolot se roulait par terre en poussant des hurlements, tandis que Rhodan, Atlan, Redhorse, Hattra et les mutants le regardaient, impuissants. Le Halutien surmonta enfin le choc en récupérant le contrôle de son métabolisme ; il cessa de crier, puis retrouva l’usage de sa main, qui reprit des proportions normales. Perry Rhodan s’excusa avec un sourire chaleureux :
— Ça a été dur, n’est-ce pas ? Je suis navré, mais nous n’avons pas pu faire autrement.
Le géant éclata d’un rire triomphal.
— Vous avez été génial, Rhodan.
Un bruit de ressort attira l’attention de tout le monde sur Hattra.
— Je vous demande pardon, je viens de me remettre l’articulation. Tolot avait failli m’arracher le poignet.
— Remerciez plutôt L’Émir. Il a saisi la situation plus rapidement que moi.
Le mulot se rengorgea.
— Pas de compliments, d’accord ? gazouilla-t-il modestement. Ma réputation...
L’Arkonide l’interrompit brutalement :
— Épargne-nous ta gloire ! Ce qui nous intéresse à présent, c’est le réglage du transmetteur.
— Je crois avoir trouvé le contact adéquat, expliqua Tolot en s’approchant du tableau de commande.
Lorsqu’il posa sa main droite sur le promontoire hémisphérique, celui-ci, comme mû par une force magique, se désolidarisa du reste, avant de planer, immobile, au-dessus de la planche de bord. Une flèche lumineuse se mit à étinceler à l’intérieur de la coupole, indiquant la direction de l’espace vide et sombre qui séparait les deux galaxies visibles.
S’emparant à nouveau de la sphère, Icho Tolot la fit tourner sur son axe : l’indicateur se déplaça.
— Fantastique ! s’exclama Atlan à voix basse. Comment avons-nous mis tant de temps pour découvrir cela ?
— Essayez de diriger la pointe de la flèche sur le centre de notre Voie Lactée, proposa Rhodan en jetant un coup d’œil à sa montre. Par quel miracle notre adversaire nous laisse-t-il en paix ? Je crains...
Le bourdonnement de son intercom-bracelet l’empêcha de poursuivre.
— Une alerte ! déclara L’Émir sans détour.
Rhodan établit immédiatement le contact avec le Krest II :
— Ici le Stellarque.
— Rudo à l’appareil. Le « crayon » attaque. Dans moins de deux minutes, nous nous trouverons à sa portée.
— Comme s’ils avaient attendu la mise en marche de la station, murmura Atlan.
— J’arrive ! répondit laconiquement Rhodan. Branle-bas de combat ! Tenez-vous prêts à appareiller !
Il se tourna vers Tolot.
— Nous vous quittons. L’Émir, Gecko et Sengu restent avec vous. Si le Krest II se voyait contraint de partir sans vous, les mulots vous permettraient de le rejoindre.
— Décollez le plus vite possible, lui conseilla le Halutien. Il n’y en a plus pour longtemps ici.
L’Émir prit Rhodan et Hattra, Gecko saisit Atlan, puis Redhorse. Ils se téléportèrent à l’extérieur de la coupole. Quand ils revinrent, seuls, les propulseurs du croiseur vrombissaient déjà.
En arrivant au poste central, Perry Rhodan constata avec satisfaction que chacun se trouvait à sa place.
— Décollage ! commanda-t-il, avant d’appeler Hong Kao, pour lui demander ce que son cerveau P pensait de l’apparition du « crayon ».
— Il est arrivé à la même conclusion que moi, répondit Kao en souriant. Nous estimons tous deux qu’il appartient à une escadre chargée de la surveillance par les Maîtres Insulaires. La déstructuration de Cauchemar a dû leur mettre la puce à l’oreille.
— Bonne déduction, approuva Rhodan. Vous comprenez donc pourquoi je n’ai pas donné suite à la demande des physiciens de demeurer plus longtemps sur Athéna. Terminé. Attachez vos ceintures !
L’équipage du « crayon » avait sous-estimé la puissance du Krest II car, utilisant la même tactique que lors de l’agression du Box-8323, il découvrit largement son flanc.
— Où en est la saturation des champs de force ? s’inquiéta Rhodan par intercom.
— Quatre-vingt-neuf pour cent, lui indiqua-t-on.
Le Krest II avait commencé à inonder son adversaire de jets radiants. Le vacarme et les secousses étaient ininterrompus, tandis que les acquisitions automatiques de cibles ne lâchaient plus le « crayon », qui manœuvrait en vain afin d’éviter les salves. Constatant les difficultés de l’ennemi, Rhodan fit intervenir les redoutables canons transformateurs, capables de lancer des bombes à fusion de plus de mille gigatonnes.
Les explosions secouaient durement le navire. Le Stellarque constata, non sans quelque déception, que les dommages causés par les Bioposis étaient restés très limités, à moins que l’équipage du « crayon » ait mis à profit le peu de répit dont il avait disposé pour effectuer les réparations les plus urgentes. Quoi qu’il en soit, la puissance de son feu ne diminuait pas, faisant passer la cote d’alerte aux écrans protecteurs du Krest II.
— Saturation 100 % ! cria quelqu’un.
Perry Rhodan serrait les dents.
— Nous continuons l’offensive, décida-t-il. Nous ne partirons pas avant que Tolot et les mulots ne reviennent avec la clef du transmetteur solaire.
*
* *
— Plus vite, Tolot ! pressa L’Émir, qui se doutait bien qu’en ce moment même Rhodan menait un combat décisif dans l’espace.
— Impossible, soupira le Halutien. Je n’arrive à bouger que très lentement la sphère. Les énormes quantités d’énergie du transmetteur restent sous le contrôle du couplage.
Malgré ses efforts, en effet, elle ne se déplaçait que de quelques millimètres à la fois, tandis que la pointe de la flèche lumineuse avançait insensiblement vers la Voie Lactée, qui éclatait en un scintillement multicolore où chaque point de lumière semblait localiser une station transmettrice ; il y en avait des milliers, parmi lesquelles on distinguait nettement l’Hexagone des Sextuplées, qui avait ouvert au Krest II les portes de l’enfer.
La flèche se dirigeait vers lui lentement, trop lentement. Icho Tolot, épuisé, finit par lâcher la sphère.
— Je n’en puis plus, avoua-t-il.
L’Émir approcha de son pas dandinant.
— Je vais continuer, décida-t-il.
— Non ! cria Sengu.
Le mulot se tourna avec humeur vers le Halutien.
— Inutile de faire pivoter plus avant la sphère, expliqua le mutant. Regardez ! La flèche avance automatiquement vers le transmetteur hexagonal. Je pense que Tolot a dépassé le point où elle aurait pu se coupler à une autre station. Le réglage va probablement se réaliser tout seul.
— J’attends la fin de l’opération, grommela le colosse. Rhodan compte sur nous ; nous ne devons pas le décevoir.
L’intercom retentit à nouveau :
— Ici Rhodan. Le Krest II ne pourra plus tenir longtemps. Les écrans protecteurs sont saturés à 115 % ! Où en êtes-vous ?
L’Émir commença un rapport circonstancié de la situation que le Stellarque ne le laissa pas terminer.
— Rentrez immédiatement ! coupa-t-il sur un ton qui trahissait la panique. Il nous faut décamper au plus vite !
Ils obtempérèrent. Le mulot se cramponna au colosse, tandis que Gecko tenait la main à Sengu. Ils sautèrent - et se rematérialisèrent au poste central, transformé en un véritable enfer. Bien que le feu du « crayon » n’eût pas transpercé les boucliers énergétiques du Krest II, il lui faisait subir des secousses telles que les compensateurs de gravité ne parvenaient plus à fonctionner correctement. Personne n’avait le temps de s’occuper des mutants et de leurs compagnons.
Ceux-ci furent toutefois pris en charge par des robots, qui les installèrent sur des sièges avant de les y attacher. Seul Tolot, grâce à ses facultés particulières, réussit à venir s’asseoir sans aide à côté de Rhodan. Il respira profondément.
— Mission accomplie, articula-t-il à travers le vacarme. Nous avons fait tout notre possible. La flèche s’approchait du centre du transmetteur hexagonal lorsque nous avons quitté la station. Je pense que nous y arriverons.
— Je vous remercie, Tolot, répondit le Stellarque.
J’espère qu’il n’est pas trop tard. Depuis quarante secondes, Rudo tente en vain d’arracher le croiseur au rayon d’énergie bleu.
Eh bien, défendez-vous ! exhorta le colosse.
— C’est ce que nous faisons ! s’exclama Rhodan, chez lequel on sentait une tension extrême.
Le Krest II vrombissait sous les salves radiantes qu’il déchaînait à un rythme de roulements de tambour. Un autre son se mêla à ce fracas terrifiant, comme si un instrument couvrait brusquement le déchaînement wagnérien d’un orchestre infernal. Tout le monde ignorait ce que cela signifiait.
Une voix s’écria :
— Le rayon bleu !
Personne ne sut qui avait hurlé, mais cela n’avait aucune importance.
En jetant un coup d’œil au « crayon », Rhodan se rendit compte que l’intensité du faisceau faiblissait, comme s’il retournait d’où il venait. Le bruit des compensateurs-g ne tarda pas à cesser ; le Krest II retrouva son immobilité. L’ennemi avait perdu la bataille. Il se retirait après avoir subi de sérieux dommages.
L’équipage terranien poussa des cris de joie, mais son enthousiasme ne dura pas : les Jumeaux commençaient à flamboyer de la façon la plus inquiétante.
Melbar Kasom, le spécialiste de l’O.M.U., se pencha vers Rhodan.
— Je vous conseille vivement de mettre les hommes sous cryogénisation, suggéra-t-il. Croyez-moi, notre expérience à bord du Box-8323 a été probante. Vous avez vous-même expérimenté le terrible choc de transition provoqué par les transmetteurs solaires.
— Inutile de le décrire, répliqua le Stellarque en regardant non sans effarement les monstrueux phénomènes qu’il tenait peu de temps auparavant pour deux étoiles banales et inoffensives.
Le géant étrusien insista :
— D s’agit d’une simple mesure de sécurité. Nous ignorons ce que l’équipage est capable de supporter. Par contre, je puis garantir qu’il restera psychiquement indemne, si on le plonge en état d’hypothermie.
Perry Rhodan s’adossa, les yeux fermés ; il se souvint avec terreur des deux hommes de l’Omaron sauvés par Tolot. Leurs hurlements résonnaient encore dans les oreilles. Plus tard, lorsque le Krest II avait pénétré dans le transmetteur hexagonal, il avait lui- même enduré le choc qui se trouvait à l’origine de cette grave perturbation mentale. Conscient du danger, il décida de céder à la demande de Kasom.
— Donnez l’ordre aux robots médicaux de placer tout l’équipage en hibernation, indiqua-t-il à l’Étrusien, qui obéit avec satisfaction.
Quand les médirobots entrèrent dans le poste central pour y pratiquer les injections nécessaires, Atlan se tourna vers Rhodan.
— Pourquoi as-tu hésité si longtemps ?
Comme s’il ne comprenait pas, le Terranien lui retourna la question :
— Que veux-tu dire par là, Arkonide ?
— Tu penses que la transition ne se passera pas comme prévu, n’est-ce pas ?
Rhodan essaya de sourire.
— Pourquoi en serait-il ainsi ? Nous pouvons compter sur L’Émir et sur Tolot.
— Exact, affirma ce dernier. Vous pouvez avoir totalement confiance.
— Au revoir, conclut Atlan, avant de recevoir sa dose. Nous nous reverrons dans notre galaxie mère.
Rhodan sombra à son tour, non sans avoir jeté un dernier regard aux deux soleils terrifiants qui flamboyaient sur les murs d’écrans du poste central.
Les robots infirmiers avaient rempli leur office. On eût dit que l’équipage du Krest II était transformé en un alignement de statues. Tel un éclair cosmique, le rayon rouge orangé de Raum happa le croiseur, l’introduisant dans une onde de choc à cinq dimensions et l’aspirant à une vitesse croissante vers les deux astres incandescents. Les hommes ne se rendirent compte de rien. Sur l’écran de proue, le transmetteur solaire grossissait à vue d’œil. Où allait-il projeter le navire ?