CHAPITRE PREMIER

Le Dull bougea légèrement dans sa coquille temporelle, pour mieux observer la créature verdâtre à quatre bras dont les trois yeux rouges fixaient le sol, semblant chercher quelque chose.

Un petit animal à la fourrure brune apparut soudain, souriant de son unique incisive couleur ivoire.

— On dirait qu’il y a ici un être pensant, pépia-t-il.

— Incroyable, gronda le monstre. Vous me considérez donc comme un individu capable de pensée. Le Dull s’amusait comme un fou. Que ces inconnus étaient drôles !

— Ou alors, tu simules très bien, ironisa le mulot à queue de castor.

— On vouvoie Tolot ! rugit ce dernier.

Il avait horreur qu’on le tutoie. Il réservait en effet ce privilège à de rares intimes, tous membres de son espèce. Mais sa colère ne parvenait visiblement pas à impressionner L’Émir qui se croyait décidément tout permis ; lui seul osait narguer de la sorte le Halutien.

— Du calme, vieille branche ! reprit le mulot.

Quelqu’un se moque de nous et je donnerais cher pour savoir de qui il s’agit !

Le Dull commençait à s’ennuyer. À son goût, les deux créatures qu’il était en train d’observer manquaient de fantaisie et d’imagination. Il aurait pu se retirer dans sa carapace, mais il la quittait si rarement qu’il préféra chasser les gêneurs, utilisant le réseau- champ hexadimensionnel qui tenait lieu de membres chez lui.

L’Émir n’eut que le temps de se téléporter. Il se retrouva au bord du profond cratère qui venait de se former. Cinquante mètres plus bas résonnait le rire du géant, sous le poids duquel le sol tremblait. Ignorant que, pour un Halutien, les choses ne devenaient intéressantes que là où s’achevait l’existence d’autres créatures vivantes, le Dull sursauta. Il ne s’attendait pas à une telle réaction.

L’effroi hérissa le poil de L’Émir. Il venait de distinguer un objet vert brillant à la forme indéterminée, sur un rocher où, peu de temps auparavant, il ne voyait rien d’autre qu’une fine pellicule de poussière. Il s’y transporta, usant de télékinésie, mais l’endroit était à nouveau désert.

Le Dull avait refermé sa coquille après s’y être retiré.

Icho Tolot, qui n’avait cessé de rire, rejoignit d’un bond son compagnon. Celui-ci tressaillit et le renvoya à l’endroit d’où il venait d’une brève impulsion mentale.

— Maladroit ! siffla-t-il d’une voix suraiguë.

Lorsque le Halutien hors de lui revint à la charge, le mulot s’était déjà dématérialisé.

— Petit malin ! grommela le colosse en se dirigeant à pas lourds vers la gigantesque sphère d’arkonite qui se dressait à quelques kilomètres de là, étincelant comme une étoile.

Un bourdonnement croissant trahissait la mise en route des blocs-propulsion.

Icho Tolot hâta le pas.