CHAPITRE VI
— Je voudrais bien savoir pourquoi il reste immobile, dit Atlan en examinant l’agrandissement du vaisseau noir tapi à l’arrière-plan de la concentration énergétique qui s’était formée à la suite de l’explosion du Box-8323.
Perry Rhodan consulta sa montre avec nervosité.
— Tu devrais t’en réjouir, répliqua-t-il. J’ignore ce que je ferais s’il attaquait. Que fabriquent L’Émir et les autres ?
— Rien n’a changé, déclara Redhorse, sans quitter des yeux son écran panoramique.
— Pas tout à fait, rectifia le jeune lieutenant chargé de l’exploitation des diagrammes de repérage. Les détecteurs de masse n’atteignent plus la coupole.
Rhodan se tourna brusquement.
— Et c’est maintenant que vous le dites ? Montrez- moi les courbes des cinq dernières minutes !
Il y jeta un bref coup d’œil et blêmit.
— Qu’y a-t-il ? interrogea l’Arkonide.
— C’est exactement la question que je me pose.
D’ailleurs le lieutenant se trompe : le détecteur passe très bien ; il traverse même la coupole.
— Impossible ! s’écria Atlan.
— Rends-toi compte par toi-même, lui suggéra le Terranien.
Atlan vérifia les derniers diagrammes, puis regarda Rhodan avec perplexité.
— Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas, constata-t-il laconiquement.
— Quelle sagacité ! ironisa Rhodan. Tu pourrais peut-être m’expliquer ce qui ne tourne pas rond. Capitaine ! poursuivit-il nerveusement, vérifiez tout de suite l’intensité du faisceau d’énergie.
Redhorse exécuta l’ordre en haussant les épaules, pour bien montrer qu’il contestait la pertinence d’une telle instruction. Le rayon ne variait pas ; pourquoi, dans ces conditions, l’intensité du courant changerait- elle ? Il lâcha un juron.
— Je suis navré, s’excusa-t-il. Le faisceau ne manifeste aucun effet d’aspiration. Les générateurs anti-g ont stoppé l’oscillation de la C-8.
Rhodan soupira avec dépit.
— Nous nous sommes comportés comme des enfants, admit-il. Nous n’avons tenu compte que des écrans des systèmes optiques extérieurs, au lieu d’exploiter minutieusement toutes les données dont nous disposions. Redhorse, faites-vous relayer ! Vous allez nous aider, Atlan et moi.
Lorsque le commandant fut remplacé, Rhodan poursuivit :
— Approchez la C-8 de la coupole, puis ouvrez-nous le sas latéral. Ensuite, vous appellerez le colonel Rudo, afin qu’il amène le croiseur, toujours au moyen des anti-g, et récupère la chaloupe.
— C’est entendu.
— Venez, Redhorse, on va regarder ça de plus près.
Rhodan, Atlan et le capitaine Redhorse se rendirent
à la soute, où des soldats d’élite epsaliens se tenaient prêts à intervenir.
— Qui est responsable de ce commando ? demanda Rhodan.
Un Epsalien de haute taille se détacha de ses camarades pour se présenter :
— Lieutenant Afg Moro.
— J’ai besoin d’un de vos hommes, lieutenant. L’officier se retourna.
— Sergent Man Hattra, accompagnez le Stellarque !
Un soldat trapu emboîta le pas à Rhodan. Outre la tenue de combat habituelle, il portait un désintégrateur de gros calibre et une arme à impulsions.
— A vos ordres ! gronda-t-il d’une voix de tonnerre.
— Parlez un peu moins fort, lui suggéra aimablement Rhodan. Vous vous adressez à de pauvres Terraniens. Fermez votre casque et suivez-nous !
Le Stellarque sortit le premier, après avoir mis en marche le dispositif anti-g de sa combinaison. Il prit de l’élan, puis s’envola tout doucement. Quand la C-8 se trouva à vingt mètres derrière lui, il réduisit la puissance des anti-g, pour venir se poser en passant devant la paroi de la coupole qui, d’après le diagramme du détecteur, était devenue immatérielle.
Enfin, ils parvinrent tous quatre au pied du bâtiment.
— Branchez vos champs de force ! ordonna Rhodan.
Il tendit la main. Elle traversa le mur comme s’il était fait de gaz. En jetant un coup d’œil derrière lui, il aperçut la C-8, immobile au-dessus du sol, et, plus loin à l’horizon, le Krest II. Rassuré, il pénétra à l’intérieur de la coupole.
Au bout de quelques pas, il s’arrêta, surpris de voir les silhouettes bien connues de Wuriu Sengu, d’Icho Tolot et des deux mulots. Il les appela sans recevoir de réponse. Tous quatre continuaient de s’affairer sans bruit, comme des fantômes. Il y avait là quelque chose d’effrayant. Derrière le Stellarque, Redhorse, qui l’avait suivi, émit un gémissement angoissé.
Rhodan, qui avait saisi ce qui était arrivé à ses amis, voulut en avoir le cœur net. Il s’approcha de L’Émir, comme pour le toucher, mais ses doigts passèrent à travers le corps du petit animal.
— Tout aussi immatériels que la cloche, remarqua l’Arkonide. Dire que nous sommes là, mais que nous demeurons incapables de résoudre l’énigme des Jumeaux. As-tu une idée ?
— N’attends pas de miracle de moi, misérable humain qui viens de franchir le seuil du véritable savoir et ne peux rien en faire.
Redhorse poussa un cri qui les fit sursauter. Il tenait la main droite en chair et en os de Tolot, dont le corps demeurait pourtant immatériel.
Redhorse n’avait pu garder la main du Halutien, qui restait solidaire du corps désincarné de celui-ci, qui s’approchait à présent de la planche de bord.
Rhodan avait trouvé l’explication des événements qui s’étaient déroulés ici.
— Tolot a ôté la plaque protectrice, constata-t-il. Je me demande s’il n’aurait pas déclenché un mécanisme de sécurité.
Le Terranien possédait une connaissance suffisante des branchements hyperénergétiques pour découvrir le principe du montage. En apercevant le conducteur fluorescent, il comprit instantanément : ce dernier se dirigeait vers une console verdâtre.
— Le contact qui commande la sécurité pourrait bien se trouver là, supposa-t-il.
— Et après ? rétorqua Atlan nerveusement. Tout est immatériel ici. Impossible de toucher à un objet réel.
— Tu as raison, sauf en ce qui concerne la main de Tolot.
— Tu penses que nous pourrions l’utiliser, afin de lui indiquer le bon commutateur ?
— Il faudrait d’abord le trouver, observa Rhodan.
Ils se mirent à chercher avec fièvre.
— Je crois que je l’ai, déclara l’Arkonide en se redressant.
— Tu en es sûr ? s’inquiéta le Terranien.
— Absolument.
— Eh bien, faisons un essai, décida Rhodan. Redhorse, venez nous aider à poser la main de Tolot sur ce bouton.
Il lui montra une commande, dont il espérait qu’elle rendrait la coupole et les quatre disparus à leur dimension originelle. Ils voulurent tous trois saisir les doigts du Halutien, mais Man Hattra les repoussa.
— Si vous souhaitez que je concentre toutes mes forces, il faut que j’agisse seul, expliqua-t-il.
Les deux amis s’écartèrent. L’Epsalien s’empara de la pogne de Tolot pour l’attirer à lui. Au départ tout sembla aisé, mais brusquement le géant voulut faire tomber Hattra, qui commença à perdre l’équilibre. Fort heureusement, Le Halutien comprit ce qui se passait avant que Rhodan vienne porter secours au soldat. Son corps immatériel se détendit, puis se laissa guider.
Au moment où son pouce appuyait sur le bouton, un hurlement les pétrifia, leur glaçant le sang dans les veines.
*
* *
Un Halutien, deux mulots et un humain se trouvaient confrontés au problème suivant : comment pouvaient-ils venir en aide à leurs compagnons demeurés dans une autre dimension du temps ?
— Nous sommes condamnés à l’impuissance, constata Wuriu Sengu avec résignation. La seule chose que je puisse faire est de continuer à examiner la planche de bord.
— Quand tu auras découvert son secret, répliqua Gecko avec amertume, cela ne servira ni à nous, ni au Krest II, parce que nous ne disposons pas d’un vaisseau nous permettant, après le réglage du transmetteur solaire, d’atteindre la concentration énergétique située entre les deux étoiles.
— Sans compter que ni Rhodan, ni nous ne quitterions le système en abandonnant les autres, ajouta L’Émir.
— Il ne s’est pas fermé, déclara Tolot que le mulot venait de poser au sol. Vous avez tous oublié quelque chose.
Ils regardèrent le Halutien avec surprise.
— Oui, poursuivit-il, j’ai commis la grave erreur de déclencher la sécurité de temps. Il faudrait à présent essayer de dénicher le deuxième interrupteur.
— Tu as raison, pépia L’Émir. À l’avenir je ne t’appellerai plus « vieux fou », mais « petit malin ». Peut-être pourrais-tu nous dire lequel de tous ces boutons déconnecte la remontée du temps !
— Eh bien, demandons à Wuriu Sengu ! grommela Tolot. Qu’il serve au moins à quelque chose !
— En effet, approuva Gecko. Qu’il utilise donc ses yeux à rayons X !
— Je vous en prie ! protesta Sengu. N’attendez pas de miracle de moi. Je ne suis pas un magicien, malgré mes facultés parapsychiques, qui permettent à mon regard de traverser l’opacité. Mes compétences techniques demeurent tout à fait limitées.
— Tu as pourtant reçu une formation spécialisée, lui rappela L’Émir.
Sengu eut un sourire amer.
— Certes, mais nous avons ici à faire à des phénomènes qui n’ont rien à voir. Cependant, je veux bien essayer. D’ailleurs, je n’ai pas le choix.
— Nous n’avons pas le choix, rectifia le mulot. Nous allons tous nous y mettre. Vous observerez et nous transmettrez ce que vous voyez, afin que nous puissions exploiter ces données. On finira bien par y arriver. En cas d’urgence, nous ferons quelques expériences.
— Non ! cria Gecko. J’en ai soupé de vos expériences.
— Tu devrais savoir, soupira L’Émir, que toutes les actions entreprises par Rhodan furent l’aboutissement de toute une série d’expériences. Si nous n’avions pas pris de risque, nous n’aurions jamais dépassé les limites du Système Solaire.
« Allez, Sengu, on y va », pépia-t-il pour conclure.
Le mutant s’installa devant le tableau de commande, avant de se concentrer. Les autres attendirent, écoutant attentivement ce qu’il disait à voix basse. Ils tentaient de déchiffrer les informations livrées par la partie visible du système de contact.
La supériorité du planicerveau de Tolot ne tarda à s’avérer indispensable. Celui-ci possédait une faculté à combiner et à établir des rapports infiniment supérieurs aux cerveaux positroniques.
Tel un tigre près de sa proie, le Halutien se mit à tourner autour de la planche de bord, tandis que les paroles de Sengu sortaient de sa bouche, comme s’il parlait dans un profond sommeil. Elles demeuraient cependant nettes et précises. Soudain, Tolot tressaillit. Le mutant leva aussitôt la tête.
— Vous m’avez donné une idée, Sengu ! Je crois avoir trouvé le secret du transmetteur.
Avant que ses camarades puissent contester son initiative, le colosse appuya sur un petit interrupteur qui fit scintiller les autres.
— Félicitations ! s’écria L’Émir, enthousiaste.
— Sainte Voie Lactée ! gazouilla Gecko. J’ai failli en avoir une attaque.
— Il faut continuer ! ordonna le géant en se concentrant à nouveau.
Chaque seconde qui s’écoulait faisait monter la tension d’un cran. L’Émir s’inquiétait surtout du sort de ses amis qui se trouvaient dans l’autre dimension temporelle.
— Stop ! commanda Tolot.
— As-tu découvert l’autre couplage du temps ? interrogea L’Émir avec anxiété.
— Si nous pouvions réussir à soulever cette boule, poursuivit Tolot, qui, sans terminer sa phrase, fixa avec stupéfaction son bras droit qui remuait contre son gré.
Quoi de plus déconcertant pour lui, qui avait l’habitude d’une maîtrise absolue de toutes les parties de son corps ?
L’Émir s’aperçut que ces mouvements incontrôlés trouvaient leur origine dans la main immatérielle du géant. Celui-ci se tourna avec une lenteur que le mulot ne lui connaissait pas : manifestement, quelque chose le retenait. Le petit animal supposa aussitôt que quelqu’un ou quelque chose lui avait saisi la main demeurée dans sa dimension habituelle.
Le corps de Tolot se tendit, alors qu’il tentait de vaincre cette force. Oubliant sa peur, L’Émir s’écria :
— Stop ! Ne bouge plus, Tolot ! Détends-toi ! On veut nous guider.
Le Halutien obéit ; sa main fut dirigée sur un interrupteur, que nul n’avait encore aperçu.