CHAPITRE II

— Perry, je suis à bout de nerfs ! Crois-moi ou non, cette chose était là, mais en même temps, elle n’y était pas !

Pelotonné sur les genoux du Stellarque de l’Empire Solaire, L’Émir le fixait avec effroi. Sans cesser de caresser délicatement les oreilles du petit animal, Perry Rhodan demeurait plongé dans ses pensées. Son activateur cellulaire le rendait immortel, mais il ne pouvait rien contre la fatigue, qui lui donnait l’impression de vieillir à une vitesse accélérée. Ce qu’il avait vécu ces deux derniers mois avait été trop éprouvant, même pour un homme de sa trempe.

— Réjouis-toi d’en être sorti sain et sauf, dit-il enfin. Il faut apprendre à distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas. Et l’important, pour nous, consiste à quitter au plus vite le Système des Jumeaux.

— L’idée de repasser par un transmetteur solaire me déplaît, répliqua le mulot.

Un son évoquant le barrissement d’un éléphant les fit tressaillir : Melbar Kasom venait de se racler la gorge.

— Le petit mulot aurait-il peur ? suggéra celui-ci.

Rhodan leva la main pour couper court aux protestations de L’Émir.

— Du calme ! ordonna-t-il avec fermeté.

Kasom haussa les épaules et quitta le poste central, un sourire embarrassé au coin des lèvres. Quant au mulot, il disparut dans un brasillement ; il venait de se téléporter.

Un bruit de pas résonna derrière Rhodan. Il se retourna. Atlan venait d’entrer dans la pièce, le visage blême.

— Eh bien, barbare, prêt à mourir ? lança-t-il avant d'éclater d’un rire tendu destiné à masquer sa propre peur.

— Inutile de nous illusionner, répliqua le Stellarque. Nous risquons gros en mettant le cap sur Zéphyr. Nul ne sait ce qui nous attend là-bas, mais avons-nous le choix, si nous voulons un jour regagner la Voie Lactée ?

Atlan hocha la tête en silence, considérant l’activité fébrile qui régnait dans le poste central. Il songeait au dévouement des hommes d’équipage qui, depuis leur départ de Thora, une semaine auparavant, travaillaient jusqu’à la limite de leurs forces physiques et morales pour remettre en état le Krest II.

Il n’avait pas vu entrer le responsable du département des mathématiques, le professeur Hong Kao, un petit Chinois replet qui attendit poliment après s’être incliné devant Rhodan.

— Avez-vous obtenu d’autres résultats ? interrogea celui-ci.

— En l’absence de données suffisantes, nous ne pouvons encore qu’émettre des hypothèses.

Le Stellarque pinça les lèvres. Après avoir échappé aux pièges de Thora et aux Trois Rouges, ses mystérieux seigneurs, le vaisseau terranien s’était posé sur Chaos, le monde le plus proche, où il avait pu réparer ses avaries. Pendant ce temps, hommes et mutants avaient exploré la planète, qui semblait totalement déserte. Enfin, la veille au soir, Gecko avait découvert une caverne au fond de laquelle étaient entassés plusieurs rouleaux de métal souple couverts d’une écriture inconnue, que linguistes et mathématiciens tentaient désormais de traduire.

— Citez-moi celles auxquelles le cerveau P accorde une forte probabilité d’exactitude, reprit Rhodan.

— Une trentaine d’entre elles semblent à peu près réalistes.

— Tu vois, poursuivit le Stellarque, s’adressant à l’Arkonide. Il est absurde de vouloir à tout prix trouver la bonne solution.

Atlan se tourna vers Kao.

— Je souhaiterais connaître votre opinion, déclara- t-il.

— Je crains de n’être pas assez compétent, répondit le mathématicien.

— C’est à moi que vous dites ça ?

— Apparemment, tout ceci serait l’œuvre de créatures nommées les « Maîtres Insulaires », continua le Chinois.

— Tout ceci ? Vous voulez dire les Jumeaux et leur huit... enfin, sept planètes ?

— Tout à fait. Tout d’abord, nous avons cru que .es êtres avaient disparu, mais certains passages semblent indiquer qu’ils existent toujours, sous une forme ou sous une autre. On ne peut expliquer autrement la présence des relais et des autres obstacles qui obstruent la route menant à Andromède.

— Pourtant, nous n’avons rencontré aucun péril sur Chaos, fit remarquer Rhodan.

— Le texte fait mention d’une créature appelée

« Drung », répondit Kao, qui est décrite comme redoutable. Sans doute est-elle partie - ou morte - depuis la rédaction des rouleaux.

Atlan semblait perplexe. Rhodan remercia d’un signe de tête le mathématicien qui se retira discrètement, comme il était entré.

— Qu’a-t-il voulu dire ? interrogea aussitôt l’Arkonide. Qu’entend-il par « sous une forme ou sous une autre » ?

— Il t’a rabroué. C’est lui qui pose les questions au cerveau P ; les réponses sont donc ses réponses. Les Maîtres Insulaires existent, évidemment d’une façon ou d’une autre, un peu à la manière de nos réalisations matérielles ou intellectuelles qui subsistent après notre mort. Tu comprends à présent ?

— En somme, nous n’en savons pas plus, constata Atlan.

Rhodan considéra la poussière grise de Chaos.

— Pas encore. Mais nous finirons bien par éclaircir le mystère.

— Nous ignorons encore si nous allons sortir vivants de cet enfer et tu songes déjà à lancer une expédition vers Andromède ?

— Quand je dis « nous », je ne pense ni à toi, ni à moi, mais à notre espèce. Je sais que les recherches continueront. Même si nous ne rentrons pas.

Krest II prêt à décoller !

Conformément au règlement, Cart Rudo, commandant du vaisseau amiral, venait d’annoncer le départ au Stellarque. Rhodan le remercia brièvement et l’autorisa à appareiller. Il n’entendit qu’à demi l’Epsalien répercuter l’ordre, absorbé qu’il était par d’autres préoccupations. Cela faisait déjà deux mois que, sur un renseignement d’Icho Tolot, le croiseur était parti pour l’Hexagone des Sextuplées, sur les traces de l’Omaron disparu, afin d’éclaircir ce que le Halutien tenait pour le plus grand mystère de la Galaxie.

Deux mois, déjà, au cours desquels l’équipage du Krest II avait vu plus de choses qu’il n’est donné à un mortel ordinaire d’en vivre durant toute son existence.

Le Krest II s’arracha du sol de Chaos dans le tonnerre de ses blocs-propulsion corpusculaires. Assis dans le poste central, Perry Rhodan suivait la manœuvre avec attention, prêt à intervenir par intercom en cas d’urgence. Mory Abro, son épouse, avait pris place à ses côtés, ainsi que Melbar Kasom, qui disposait d’un siège spécialement conçu pour sa taille hors du commun.

Lorsqu’ils furent dans le vide, le Stellarque contrôla

le cap que prenait Cart Rudo. Leur objectif se trouvait de l’autre côté des Jumeaux. Le plus court chemin pour y parvenir aurait été d’emprunter le chenal qui séparait les deux étoiles, mais trop d’obstacles et de rangers inconnus risquaient de jalonner cette route : L'Epsalien avait donc choisi de contourner les Jumeaux pour gagner Raum.

Rhodan jeta un coup d’œil aux écrans des détecteurs et constata avec satisfaction que le Box-8323 les suivait, manifestement résolu à intervenir en cas d'embuscade.

Un appel intercom retentit :

— Ici Rudo. Nous avons des images de Raum. Vous voulez les voir sur votre écran ?

— Ne vous donnez pas cette peine ; je vous rejoins.

Rhodan éteignit le récepteur et se leva. Il s'apprêtât à rejoindre Rudo, quand Icho Tolot lui barra la route.

— Puis-je vous demander, interrogea celui-ci, si vous avez l’intention de traverser le champ de force ce Raum de la même manière que celui d’Athéna ?

Le Stellarque considéra le Halutien, un sourire au coin des lèvres : avec ses quatre bras et sa tête hémisphérique, Icho Tolot avait vraiment une allure monstrueuse. Mais il ne fallait pas le juger sur son apparence, Rhodan l’avait compris immédiatement. De caractère équilibré, le géant extraterrestre possédait en outre une intelligence supérieure, et sa générosité ne faisait aucun doute. Les aventures les plus périlleuses semblaient ne pas représenter autre chose à ses yeux que des jeux d’enfant. Il est vrai que les Halutiens, géants deux fois grands comme un homme et dont la carrure atteignait les deux mètres cinquante, possédaient un métabolisme particulier, qui leur permettait de contrôler chaque cellule de leur corps pour le transformer en une véritable cuirasse d’acier.

— Il faut tout d’abord vérifier si les rouleaux disent la vérité, expliqua Rhodan.

— Ne vous en faites pas, grommela le Halutien. Ces rouleaux constituent visiblement le « journal de bord » d’une créature exilée sur Chaos, ce... « Drung », peut- être. Pourquoi aurait-elle menti ? Raum est la planète qui nous permettra de sortir de ce piège.

— Avant d’agir, il convient de nous en assurer, déclara Atlan, qui s’était approché d’eux sans qu’ils s’en fussent aperçus.

Rhodan sourit. Il savait que cette remarque un peu acide de l’Arkonide résultait de la méfiance que ce dernier avait, dès le début, conçu à l’égard d’Icho Tolot. Mais bien qu’il ne partageât pas les sentiments de son ami, il trouvait sa réflexion tout à fait judicieuse.

— Nous commencerons naturellement par explorer Raum, approuva-t-il. Mais tu devrais renoncer à ton hostilité à l’égard de Tolot.

Muet, Atlan haussa les épaules. Puis tous trois se rendirent au poste de pilotage, pour voir les images de Raum.

Au premier coup d’œil, ils eurent l’impression que la planète tout entière était recouverte d’eau. Puis ils distinguèrent un continent, sorte de pieuvre minérale coiffant le pôle nord. Malgré la distance, ils purent distinguer les installations qui alimentaient en énergie k champ de force. Douze coupoles géantes étaient —^posées en un cercle de quatre kilomètres de diamètre environ, au centre duquel se dressait une tour hérissée de nombreuses antennes.

Tout était exactement comme sur Athéna.