Il finit par distinguer un vague mouvement, d'un côté d'une large avenue, à huit cents mètres environ au nord. Il attendit, les yeux rivés sur le même point, jusqu'à ce que la lune émergeant des nuages lui montre furtivement une masse sombre glissant en direction de l'enclave. Sans aucun doute le clair de lune se reflétait sur du métal poli.

— Je vois une colonne, annonça-t-il à Yekran. Elle traverse l'avenue Rona.

— Parfait. Mais les guetteurs en ont repéré trois.

— Une d'elles va certainement arriver en longeant la berge de la rivière. Ils chercheront à nous couper toute retraite vers la campagne. Ils ne voudront pas laisser s'échapper mille esclaves !

Yekran serra les dents.

— Nous ne nous replierons pas. Nous voulons rester ici et tuer tous ces... ces...

Il s'interrompit. Il ne trouvait pas de mot, semblait-il, assez ignoble pour qualifier les Eveillés. Pendant cinq minutes, les deux hommes attendirent en silence. Une sentinelle d'une tour dominant la berge fit signe qu'une des colonnes était en mouvement là-bas. Quelques minutes plus tard, la troisième apparut à son tour. Elle avançait par l'est, avec des éclaireurs en avant- garde.

— La colonne de l'est doit être celle de Krog, presque certainement, jugea Blade. Je ne pense pas qu'aucune des autres bandes sache employer des éclaireurs ou en ait seulement l'idée, à moins que Krog le leur ait appris.

— J'aimerais bien le connaître, ton Krog, marmonna Yekran. J'espère que nous n'aurons pas à le tuer...

Puis, sur un ton plus vif:

— Eh bien ! Blade, je crois que nous savons où ils sont, maintenant. Descendons.

En bas, dans la rue, la confusion et la galopade fébrile de la première alerte se calmaient. Les guerriers étaient à présent à leurs postes et fouillaient des yeux les ténèbres. La moitié environ des combattants bien entraînés et les deux tiers des partiellement entraînés occupaient les barricades. Blade avait organisé les autres en réserves qu'il pourrait lancer partout où l'attaque serait la plus forte. Tous ceux qui étaient trop jeunes, trop vieux ou trop faibles pour se battre avaient d'autres tâches ; ils portaient de l'eau et des armes aux combattants, emportaient les morts et les blessés. A part les Eveillés prisonniers, enfermés dans les cryptes, tout le monde avait quelque chose à faire. Les Eveillés allaient attaquer un peuple tout entier, pas seulement des guerriers. Blade espéra que cela donnerait aux Rêveurs l'avantage dont ils avaient besoin, surtout avec les nouvelles armes. Il espérait qu'elles marcheraient aussi bien dans la bataille qu'aux essais.