Puis il s'occupa de ses affaires comme s'ils étaient invisibles et inaudibles, sauf quand il leur donnait sèchement des ordres. Du diable s'il allait fournir à Krog et Halda la satisfaction de penser qu'ils l'avaient domestiqué ou effrayé.
Les jours se suivirent, avec la même routine d'entraînement, d'inspection des guerriers et des armes, de discussions avec Krog et Halda, de patrouilles dans les environs de la tour avec des pelotons d'anciens et de nouveaux combattants mélangés.
Lors de ces patrouilles, Blade restait particulièrement vigilant. Il avait vu sortir Narlena avec les équipes de travail avant même que toutes ses blessures soient cicatrisées. S'il pouvait la rencontrer quelque part au-dehors, dans le dédale de ruelles entourant la tour... eh bien ! il était encore suffisamment armé.
Finalement, il y eut un après-midi d'été sans le moindre nuage dans le ciel. Un vent vif soufflait même sur la ville et chassait la moite touffeur de son climat d'été. Au sommet d'un immeuble de dix étages, le vent était plus violent encore que dans la rue. Blade s'approcha avec prudence du parapet croulant et contempla la ville. Derrière lui se tenaient les quatre gardes, impassibles et silencieux. Après plusieurs jours passés à les ignorer ou à les houspiller, Blade avait constaté qu'ils renonçaient à faire autre chose que rester auprès de lui ou tout au moins le garder à vue. C'était exactement ce qu'il voulait. Plus les gardes seraient apathiques mieux cela vaudrait quand le moment de passer à l'action se présenterait.
Le vent sécha la sueur due à la longue ascension à pied des dix étages. Son regard s'abaissa vers la rue... et il sursauta violemment. Ses mains se crispèrent si fortement sur le parapet qu'un morceau de pierre désagrégée se détacha et tomba. II suivit sa chute de plus de trente mètres et entendit à peine le faible bruit qu'elle fit en s'écrasant sur la chaussée. Elle manqua de peu l'équipe d'esclaves qui passait lentement. Ils étaient une vingtaine environ, gardés par une demi-douzaine de guerriers. Parmi les esclaves, boitillant vers le milieu de la colonne, il avait reconnu Narlena.
En s'efforçant de ne pas trahir son émotion par l'expression ou la voix, Blade se retourna et dit aux gardes :
— Redescendons. Je veux parler aux gardes de cette équipe de travail.
Il les précéda dans l'escalier sans un autre mot et les gardes suivirent dans un même silence.
En descendant par l'escalier obscur envahi de poussière et de gravats, Blade eut beaucoup de mal à ne pas dévaler les marches quatre à quatre. Il atteignit le rez-de-chaussée et quand il sortit sous le soleil il aperçut Narlena à moins de trente mètres. Il n'y avait rien entre eux, à part les gardiens des esclaves. Il se força à marcher normalement, mais cependant à grands pas et assez vite pour rejoindre bientôt l'arrière-garde de l'équipe. À présent, Narlena n'était plus qu'à cinq ou six mètres.