Notices sur mes correspondants
BOÈCE (475/480-524) : philosophe, logicien et théologien, né à Rome dans une famille aristocratique, il a traduit et commenté Aristote et Porphyre. C’est lui qui forma le terme personne pour désigner un individu rationnel. À côté de sa démarche intellectuelle, il fut le conseiller du roi ostrogoth Théodoric, qui gouverna l’Italie de 493 à 526. L’empereur, qui avait eu vent des mille talents du jeune homme, le nomma consul, puis magister officiorum, sorte de ministre de l’Intérieur. Accusé à tort de haute trahison, Boèce fut condamné à mort.
Son ouvrage le plus célèbre s’intitule Consolation de la philosophie. Dans sa prison, il imagine recevoir la visite de Dame Philosophie, qui vient lui rappeler les remèdes que les philosophes ont forgés. En empruntant des armes à la tradition, Boèce initie un dialogue intérieur. Des stoïciens, il apprend, entre autres, à circonscrire le bonheur à l’intérieur de ce qui dépend de nous et à discipliner son jugement. Avec les épicuriens, il partira à la traque des opinions vides et retiendra que le passé et ses joies constituent un palais dans lequel on peut se rasséréner…
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ÉPICURE (341-270 av. J.-C.) : fils d’un instituteur et d’une prêtresse itinérante, cet Athénien passa sa jeunesse à Samos et étudia à Téos, puis à Athènes. Revenu de voyage, il fonda, en 306, l’école du Jardin, où se rassemblait un groupe de disciples. Ils y menaient une existence où l’amitié et le culte du fondateur tenaient une place de choix. Jusqu’à la fin, le maître vécut paisiblement malgré une santé précaire qui lui occasionnait de grandes douleurs.
L’épicurisme se divise en trois parties : la canonique entend établir les critères (les canons) de la vérité pour évacuer les funestes erreurs ; la physique se propose d’étudier la nature pour bannir la superstition et les craintes illégitimes ; enfin, l’éthique explore les voies d’accès à la félicité.
Dans la Lettre à Ménécée, Épicure exhorte à nourrir une autarcie, une indépendance à l’endroit des choses extérieures. Philodème résume cette sobre sagesse par une formule, le tetrapharmakos ou quadruple remède : « Le Dieu n’est pas à craindre ; la mort ne donne pas de souci ; et tandis que le bien est facile à obtenir, le mal est facile à supporter. » Pour Épicure, l’univers est composé d’atomes et de vides. Aussi, la mort n’est rien d’autre que la dispersion des atomes qui, en se réunissant par hasard, ont formé notre corps et notre âme. L’homme n’est donc pas éternel et si les dieux existent, ceux-ci restent sagement dans les intermondes (espaces intercalaires entre des mondes) et demeurent parfaitement indifférents au sort des humains.
Pour chasser les tourments, il s’agit par conséquent de congédier l’illusion et de borner ses désirs aux plaisirs accessibles. À ce propos, l’école distingue les plaisirs naturels et nécessaires, comme ceux qu’offrent le boire et le manger (l’organisme ne peut survivre si l’individu ne satisfait pas ces besoins) ; les plaisirs naturels mais non nécessaires (c’est le cas des délices liés aux mets délicats et à la sexualité – nous pouvons, paraît-il, vivre sans eux !); enfin, les voluptés attachées à la gloire, aux honneurs et aux richesses ne constituent des plaisirs ni naturels ni nécessaires (l’ascèse épicurienne les bannit car, loin de nous rendre heureux, ils nous asservissent).
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ARTHUR SCHOPENHAUER (1788-1860) : né à Dantzig, Schopenhauer est le fils d’un riche commerçant et d’une célèbre romancière, Johanna Henriette Trosiner. Avec sa famille, il découvre très jeune l’Europe. Le spectacle du monde l’incite à se consacrer à la philosophie. À son retour, il étudie la médecine à Göttingen et la philosophie à Berlin. Il est chargé de cours dans cette université, où Hegel lui fait de l’ombre. Grâce à sa mère, il rencontre Goethe et les frères Grimm. Quelques années avant sa mort, à Francfort, il connaît la gloire qu’il avait tant espérée.
Son œuvre majeure, Le Monde comme volonté et comme représentation, s’inspire de Platon, de Kant et des Upanisad.
Pour Schopenhauer, le monde n’est rien sans notre conscience et nous ne pouvons nous extraire de nos représentations. L’expérience de notre corps et de nos besoins révèle toutefois que la nature entière est le règne d’une Volonté aveugle. Chez l’homme, elle prend la forme du vouloir-vivre, sorte de pulsion inassouvie qui nous pousse à nous reproduire et nous traîne sans cesse du désir et, partant, du manque à l’ennui. La vie est donc souffrance.
Pour supporter cette cosmologie de la volonté, Schopenhauer dessine quelques voies : en premier lieu, l’art qui, en nous portant à contempler les formes de manière désintéressée, nous arrache à la tyrannie du vouloir et du temps pour nous sortir de notre individualité. Par la morale et l’ascèse, nous pouvons aussi renoncer au désir. Ainsi, la compassion, en nous libérant de nous-mêmes, rejette l’égoïsme qui est le durcissement du vouloir-vivre. Enfin, empruntant au vocabulaire chrétien, Schopenhauer propose sa vision de la sainteté, qui consiste à se fondre dans le monde en abolissant sa volonté.
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BARUCH DE SPINOZA (1632-1677) : né à Amsterdam, d’une famille juive d’origine marrane, Spinoza, promis au rabbinat, reçoit très jeune une solide formation. Le 27 juillet 1656, la synagogue d’Amsterdam prononce le herem qui l’excommunie. Il se réfugie alors à La Haye, puis à Leyde. À côté de son activité philosophique, il excellera dans le polissage de verres d’optique. Il vivra entouré de fidèles disciples.
Son ouvrage majeur reste l’Éthique. Spinoza procède comme un géomètre : il forme des axiomes, présente des définitions, des démonstrations… L’œuvre expose un itinéraire de libération qui entend, grâce à la raison, nous affranchir des passions tristes et nous conduire vers la béatitude qui est l’amour intellectuel de Dieu, à savoir la connaissance adéquate de la Nature. Celle-ci considère chaque chose comme l’expression de la nécessité divine. Dans l’Éthique, l’auteur plante d’abord le décor de son univers : Dieu est la Nature, il se déploie en attributs et modes infinis, mais notre esprit n’en perçoit que deux : la pensée et l’étendue. Dans son système déterministe où tout obéit à des causes, le contingent disparaît. Il n’est que le signe de notre ignorance. Pour libérer l’homme, dont l’essence est le désir, il s’agira d’acquérir une juste connaissance de nos affects.
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ETTY HILLESUM (1914-1943) : née à Middelburg, aux Pays-Bas, d’un père docteur en lettres classiques. Elle entame des études de droit et obtient sa maîtrise en 1939. Elle étudie aussi les langues slaves. D’origine juive, elle consigne dans son journal, publié sous le titre Une vie bouleversée, son itinéraire spirituel, qui s’achèvera le 30 novembre 1943 dans le camp de concentration d’Auschwitz.